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L’Éclaircie (I)

SOLLERS PARLE DE L’ÉCLAIRCIE - Premières critiques

D 1er janvier 2012     A par Viktor Kirtov - Albert Gauvin - C 15 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Ile de Ré. « Les graviers, les iris, l’herbe, l’océan, les arbres.
Même chose depuis l’enfance. Le jardin s’est déplacé, voilà tout. »
(L’année du Tigre, 1998)
Philippe Sollers ou la volonté de bonheur, Édition du Chêne, 2001.
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«  C’est immédiat : je ne peux pas voir un cèdre, dans un jardin ou débordant d’un mur sur la rue, sans penser qu’une grande bénédiction émane de lui et s’étend sur le monde. La foule est bénie, les autobus, les camions, les voitures, les poubelles, les vélos, les scooters sont bénis. Les plus laids et les plus laides sont bénis, et aussi les vieux, les enfants, les jeunes, les femmes enceintes, les malades, les fatigués, les pressés, les rares heureux, les désespérés. Ils passent tous et toutes sous le cèdre, ils ne le voient pas, sa bénédiction silencieuse, verte et noire, filtre l’espace. On ne sait pas d’où lui vient cette tranquillité, cette ramure de sérénité.
La photo que j’ai sous les yeux a été prise en été par quelqu’un qui s’est assis dans l’herbe pour qu’on voie bien le petit personnage regardant un cèdre. Je dois avoir 2 ans, je suis un bébé bouffi qui lève un visage ravi, à moitié mangé de soleil, vers les branches. Anne, ma soeur de 8 ans, est à peine visible, devant les vérandas, sur la droite. La photo a du être prise par mon père, le seul qui, à l’époque, prenait de temps en temps des photos. J’ai l’impression d’être là, maintenant, dans cette image qui n’est pas pour moi une image, mais une clairière toujours vivante, une éclaircie. La petite forme absurde où je suis enfermée a été jetée dans ce coin de jardin et je suis, et je suis son gardien. Continue ta marche titubante, bébé. Tu vas tomber bientôt sur le gravier, tu tomberas beaucoup dans ta vie qui commence. Anne va aussitôt crier et se précipiter, te relever, t’essuyer, t’embrasser. Elle t’étouffe un peu, elle te gêne. C’est un acte de possession, mais aussi d’amour.

Tu reviendras sans arrêt sous cet arbre. » p.11-12.

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«  Dès ma première rencontre avec Lucie, une formule espagnole m’est revenue à l’esprit : “los ojos con muja noche”, les yeux avec beaucoup de nuit. Les “coups de foudre” sont rares, les coups de nuit encore plus. Les tableaux où Lucie apparaîtrait, si j’étais peintre, devraient être envahis par l’intensité de ce noir sans lequel il n’y a pas d’éclaircie. Noir et halo bleuté. Tout le reste, robes, pantalons, bijoux, répondrait à ce noir, nudité comprise. Mais la preuve, ici, est dans ses lèvres, la bouche, la langue, la salive, le souffle. C’est en s’embrassant passionnément, et longtemps, qu’on sait si on est d’accord. Une longue demi-heure, tout en se caressant, sinon c’est du chiqué ou du vent. Pas d’expression plus répugnante que la formule, de plus en plus employée à tout va : "bisou". Le long et profond baiser, voilà la peinture, voilà l’infilmable. Rue du Bac, de 17h20 à 17h50, tout de suite, dès la porte ouverte. Pas un mot, sauf l’habituel "Désennuyons-nous". J’arrive toujours avec dix minutes d’avance. J’entends l’ascenseur, le bruit de la clé de Lucie dans la serrure, les rideaux sont déjà fermés, action. » p. 96.

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«  Le temps est venu de réinterpréter le monde, car sa folie financière et sa transformation insensée n’ont que trop duré. La vieille nature, en colère, multiplie les avertissements, mais tient quand même le coup dans certains endroits de l’ouest de l’Europe. C’est là, à partir de ce cap d’Asie, que le décrochement a eu lieu, et rien ne dit, contrairement aux nouveaux prédicateurs de l’Apocalypse, qu’il ne se reproduira pas un jour. Qui attendait Manet en 1863 ? Personne. Picasso en 1909 ? Personne. Tout à coup, quelqu’un est là qui voit tout différemment, parce qu’il vit différemment. On s’étonne, on s’exclame, on s’indigne ? Trop tard, et pour longtemps. On peut aussi décider, un siècle après, d’éradiquer ces phénomènes. Après avoir été religieux, totalitaires, fonctionnaires, publicitaires, les nouveaux imposteurs sont devenus purement techniques. Achetez, communiquez, consommez, communiquez. Allez-y, allez-y, vous n’empêcherez pas l’éclaircie. » p. 126.

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Nicolas Poussin, Bacchanale à la joueuse de guitare, vers 1627-28 Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.
Huile sur toile, 121 cm x 175 cm (musée du Louvre, aile Richelieu, 2e étage, salle 13)



Sollers parle de son roman L’Éclaircie avec Christine Siméone (« La rentrée littéraire d’hiver », le 5 janvier sur France Inter).

Son livre sort ce 5 janvier chez Gallimard, entre deux averses parisiennes, et nous ramène dans le sud-ouest, au coeur de ses impressions d’enfance, auprès d’une soeur disparue. Chronique des sentiments entre frère et soeur, rémanence des sensations... mais aussi agacement contre ce que Sollers appelle la déliquescence de notre temps. Après l’interview, on me questionne au bureau :

« Ca s’est bien passé ta rencontre avec Sollers ?
— Je me suis régalée !
— Un peu pédant non, tout de même ?
— Disons, que lui, il en sait assez , il a assez d’érudition et d’esprit pour se permettre de frimer dans la cour de récré...
— Et son Éclaircie alors ? ... »

Alors, c’est l’amour des femmes toujours de l’oreille à la cheville, comme un esthète, c’est une ode à l’enfance, continent perdu et tant recherchée par les poètes, et son narrateur ne survit que grâce à la persistance de ses sensations enfantines, en suivant Rimbaud, Baudelaire ou Manet.

Il évoque la possibilité de l’inceste entre frère et soeur, comme un moteur pour l’imagination (8’11).

Sur notre époque, on sait déjà que Sollers nous incite à élire une femme présidente de la république, à en finir avec ce qu’il appelle la monarchie républicaine, on lit dans l’Éclaircie son analyse de l’affaire Bettencourt par exemple et la misère de notre époque en général, noyée dans "le bavardage économique" (2’21).

il suffit d’écouter les journaux, le monde est odieux, Sollers invite le lecteur à imaginer les présentatrices des infos nues, pour un déjeuner sur l’herbe version art contemporain.
Record de vente à la clé, et in fine, il se la joue carrément mégalo, fait mine de se comparer à Casanova. Un peu frime c’est sûr, mais il faut retenir les infimes détails d’images, de vie, de sensations, qui font qu’un enfant devient un adulte sensible.

Pour terminer, j’ai proposé à Sollers un petit questionnaire écrit, inspiré par l’Éclaircie :

Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

crédit France Inter

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Sollers parle de son dernier roman L’Éclaircie avec quelqu’un qui a lu son livre, le sympathique Frédéric Bonnaud (« Plan B pour... Bonnaud », le 12 janvier sur France Inter).

1. La soeur, l’enfance, Baudelaire...

2. La rencontre, Casanova, lecture...

3. Femmes, Berthe Morisot, Manet et Picasso, Houellebecq...

4. La critique du Système : deux virtuoses de l’argent,
le plus-de-jouir, le malheur, le faux bonheur, le maniaco-dépressif...

5. L’Éclaircie, la guerre, lecture de Paradis, H...

crédit : le mouv

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Les deux soeurs, Clotilde et Annie. Moulleau, bassin d’Arcachon.

«  Le souvenir de l’enfance, par rapport à elles : un fort sentiment sensuel pour Annie, la cadette. Disons-le, le climat en général était endogamique et donc franchement incestueux. »

Philippe Sollers ou la volonté de bonheur, Édition du Chêne, 2001, p. 162.

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PREMIERES CRITIQUES

Inceste de Sollers

par Vincent Roy

C’est l’enfance bien vivante dans la mémoire (une éclaircie), le grand cèdre du Jardin de Bordeaux (l’arbre est cette mémoire), c’est Anne, la soeur du narrateur, toujours là dans les rêves ou sur une photo d’autrefois qui n’est pas une image mais, précisément, une éclaircie : « Au fond, c’est simple : on arrive, ou pas, à jouer jusqu’au bout son enfance ».

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Île de Ré, 1938. Avec Annie.
« Le fait de devoir protéger le petit frère est quand même très présent. »

C’est l’été, maintenant, « le bord de mer, les courses dans le sable, le soir très rouge, les oiseaux, les routes, les chemins de campagne, nos peaux brûlantes, nos réconciliations troubles ». Anne adresse à son petit frère un sourire « au-delà du souci ». Ces deux-là, qui « ont été jetés côte à côte dans l’existence », se perdent (la vie), se retrouvent sur un ponton des Zattere à Venise, boivent, s’embrassent en profondeur. Bientôt Anne sera « emportée dans son mariage, son contrat d’enfants » « rideau des familles ». Et puis avant, encore, ils sont tous les deux à Barcelone, vont sur les Ramblas, au Cosmos, admirer les « belles putains propres et parfumées ». Anne est tentée d’en voir une en action. Mais non. Rien ne se passe. Pas plus que dans la Sérénissime. Là, sur le quai du Dorsoduro, « on aurait emprunté la grande route du sentiment et, par conséquent, des devoirs ». À Barcelone, c’est le narrateur qui refuse de monter : « J’ai eu tort, tout aurait pu être facile et gai ». On l’interroge : « Vous avez failli coucher avec votre soeur ? ». Il répond : « Mais oui, failli. Cette distance est sans mesure, préférable à un acte plus ou moins raté, sur fond de malédiction mythique ». Et il poursuit « A-t-elle pensé finir sa vie avec moi, ma soeur Anne ? Sans doute, en passant, fantasme furtif. Quelle femme n’a pas pensé transformer un homme en frère qui protège, paye, respecte votre corps, écoute et se tait ? Avec les maris, les amants, impossible, la blessure sexuelle est là, elle cicatrise mal. Mais le frère sensible et discret, celui des verts paradis des amours enfantines, celui qui ne vous ressemble pas mais a les mêmes yeux que vous ? » Quelle femme, en vérité, dirait le contraire ?
Anne est morte. Mais non, elle est bien vivante puisqu’il suffit au narrateur de voir le portrait intitulé Berthe Morisot au bouquet de violettes de Manet [1] pour qu’aussitôt elle lui apparaisse, à l’instar du modèle, « éblouissante de fraîcheur et de gaieté fine ». En somme, la voici, en noir « éclatant », comme dans le jardin d’enfance, « dans une éclaircie bordée d’ombre ». Le temps ne passe pas, il surgit, Sollers en apporte la preuve. Pour lui, le temps est un jardin, une clairière que les humanoïdes actuels, grands adorateurs inconscients de la mort, n’aperçoivent pas, car « ils ne peuvent pas entrer dans le noir vivant, c’est-à-dire le néant vivifiant qui les fonde ». Oui, le temps est une clairière : voyez Le Déjeuner sur l’herbe dont le vieux Picasso se sert pour rajeunir [2]. Mais restons sur le noir du portrait de Morisot. Qu’est-ce que Manet (personnage central, avec Picasso, de L’Éclaircie) a découvert dans ce noir ? « L’interdit qui dit oui ».


Manet, Berthe Morisot au bouquet de violettes, 1872.
« Berthe est la future belle-soeur de Manet,
« la très belle soeur » du peintre du désir incestueux. »
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Comment ? Reprenons, vous allez voir (dans le noir), tout coïncide : Berthe est la future belle-soeur de Manet, « la très belle soeur » du peintre du désir incestueux. C’est clair, non ? Revenons à Anne : elle se réincarne. Voici la riche Lucie D. (l’argent tient son rôle dans ce roman politique), grande bourgeoise, collectionneuse de manuscrits, qui vient du Sud-Ouest (magie !), et dont le regard est aussi « révélateur » que celui de B. Morisot dans Le Balcon (toujours Manet) : Lucie est « ma soeur Anne, en effet, si cela avait été possible ». Entre le narrateur et Lucie (on pense au Lys d’or, « Folio »), là encore, le secret est de mise, les amants se retrouvent, pour se « désennuyer », dans un studio de la rue du Bac : « Je sais que personne ne me croira si je dis, une fois de plus, que le véritable amour exige une clandestinité stricte. Il suffit de s’organiser ». Entre Lucie et le narrateur, ce n’est pas le coup de foudre, mais le « coup de nuit » (toujours le noir), en plein jour « Dès ma première rencontre avec Lucie, une formule espagnole m’est venue à l’esprit : « los ojos con mucha noche », les yeux avec beaucoup de nuit. Les "coups de foudre" sont rares, les coups de nuit encore plus. Les tableaux où Lucie apparaîtrait, si j’étais peintre, devraient être envahis par l’intensité de ce noir sans lequel il n’y a pas d’éclaircie. Noir et halo bleuté. Tout le reste, robes, pantalons, bijoux, répondrait à ce noir, nudité comprise ». Ce coup de nuit est infilmable. C’est de la peinture. Tiens, à propos de peinture, le narrateur rêve de sa soeur Anne : « Nous sommes à Bordeaux, elle est entrée sans frapper dans ma chambre, elle me regarde avec un air de reproche, et s’en va, après quelques mots jetés en espagnol. C’est bien elle, ce n’est pas Lucie, la peinture sait comment intervenir dans les rêves. »

Qu’est-ce qu’une belle jeune femme, demande Sollers, « s’il n’y a pas un Manet ou un Picasso pour la voir ? » : « Une hypothèse ». Manet et Picasso sont des héros. On n’insistera jamais assez sur leur aspect grec : ces deux-là, nous dit le romancier, sont des sortes de dieux qui montrent, indiquent, font signe — à l’inverse de celui de la Bible qui commande. Il faut ici, à l’instar de Sollers, citer l’admirable Parménide de Heidegger pour tout comprendre « Les dieux sont ceux qui regardent vers l’intérieur dans l’éclaircie de ce qui vient en présence ». Comment s’appelle l’une des toiles les plus célèbres de Manet ? Olympia. Regardez-la vraiment et vous comprendrez pourquoi « cette star continue son travail au noir ».
Sollers peint une Éclaircie. C’est manifestement le peintre clandestin qui, aujourd’hui, a le meilleur coup de pinceau.

Vincent Roy, Transfuge n° 47.

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Peintes par Sollers

Par Aliocha Wald Lasowski

Le dernier roman de Philippe Sollers s’ouvre sur l’image d’un arbre céleste, un grand cèdre qui s’enracine dans le temps, comme une majesté dans un monde où tout passe : « Le cèdre règne, il protège, il paraît méditer, il bénit. » Grand totem de l’enfance que fixe une photographie du narrateur, qui se tient près de lui, avec sa s ?ur. L’image montre aussi « une clairière toujours vivante, une éclaircie ». Petite scène du roman familial à Bordeaux, souvenir lumineux du petit frère caché dans son arbre. La soeur a disparu, foudroyée par un cancer. C’est d’elle que rêve le narrateur. Elle, dans le jardin d’autrefois ; elle, près du cèdre ou de la véranda ; elle toujours, au coeur d’une éclaircie bordée d’ombre. La voici qui réapparaît aux yeux du narrateur, lorsqu’il contemple le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes. Éblouissante dans le noir éclatant du tableau. « Ce que Manet a découvert dans le noir ? Le regard, la beauté enrichie du néant. » Le noir comme lumière, comme éclaircie majeure, nécessairement lié au féminin.

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Manet, La gare Saint-Lazare, 1872.
A gauche : Victorine Meurent (Olympia).

Ecce femina. Les femmes, chez Manet (Victorine Meurent, Berthe Morisot, Méry Laurent), chez Picasso (Eva Gouel, Marie-Thérèse, Olga, Dora Maar, Jacqueline), chez Sollers (Anne la soeur, Sylvie la nièce, Lucie, la femme aimée), sont déesses, amantes, soeurs. Divinités de la lumière. Anges de la peinture. « Les tableaux parlent d’eux-mêmes. Cette blonde vient tout droit du XVIIIe siècle, elle a été baigneuse chez Fragonard. » Manet, l’éclaircie signée Manet dans les ténèbres du XIXe siècle, accompagne le narrateur au long du roman (comme le font aussi les Illuminations de Rimbaud). En grand faune arpentant le boulevard, Manet aborde les femmes pour faire des toiles [3]Olympia [4], Le Déjeuner sur l’herbe, Un bar aux Folies Bergère [5], La Femme au perroquet, L’Asperge —, « des romans pleins de micro-poèmes ». Le même geste fait du roman de Sollers une suite de tableaux pleins de micro-poèmes.
C’est Lucie, mécène et femme du monde, que le narrateur rencontre à l’occasion de la vente d’un manuscrit légendaire : Histoire de ma vie de Casanova. « Lucie, lumière, éclaircie. » Messagère de Dante, elle est l’âme soeur amoureuse, qui recrée un paradis dans cette clandestinité que réclame toujours, chez Sollers, un amour véritable. Ce sont aussi les photos de Picasso à côté de sa soeur Lola et la magnifique Fillette aux Pieds nus (1895), dont la robe rouge et l’écharpe blanche ancrent le visible et la vie avec la même majesté que le grand cèdre du jardin.

Anch’io ! « Et moi aussi, après tout, je suis peintre », s’exclame le narrateur. Tel est le secret de l’oeuvre de Philippe Sollers. Pour Manet, les femmes de sa vie sont celles de ses tableaux ; pour Casanova, celles de son Histoire ; pour Sollers, celles de ses romans, pour autant que le roman s’ouvre à l’échange des cinq sens, à l’écoute des toiles, au toucher de la langue, au respir de la vie. Palette, pinceaux, papier, papyrus, encre, stylo, machine à écrire. Sollers nous apprend que lire est une expérience sensorielle. Les sens en éveil, les goûts multipliés, le lecteur plonge dans l’aventure romanesque où se mêlent désirs, pensées, rêveries, rencontres échappées. Les siècles se répondent. Le scandale de la beauté est instantané. Au colloque des arts, les artistes s’appellent. « Casanova me sourit au coin de la rue. Il fait beau, les rosiers grimpants sur la terrasse de Gallimard, en face de mon bureau, sont en pleine profusion rose et blanche. » Et toujours la peinture, en soeur aimée du romancier : « Les tableaux où Lucie apparaîtrait, si j’étais peintre, devraient être envahis par l’intensité de ce noir sans lequel il n’y a pas d’éclaircie. » À travers sa richesse éclatée, dans son tempo alerte et démultiplié, dans cette infinie vitesse à perte de vue à laquelle elle s’abandonne, l’écriture suit sa ligne. Subtile. Amoureuse. La profusion fait progresser. « J’aurais tenu mon cap au millimètre. »
Chinois du IIIe siècle, Hsi K’ang croyait à l’existence des immortels. Sollers les a rencontrés. Ils se nomment ici Dante, Bach, Casanova, Haydn, Mozart, Stendhal, Nietzsche, Manet, Picasso. Qu’ils peignent, écrivent ou composent, le grand cèdre résonne de leurs suites et de leurs variations. Le roman s’illumine. « Picasso, peintre évadé en atelier, est lui-même un instrument musical », comme l’est Sollers, par-dessus tout.

Aliocha Wald Lasowski, Le Magazine littéraire 515, Janvier 2012.

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Le Nouvel Observateur du 5 janvier 2012.
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Manet, Méry Laurent au chapeau noir (1882).
Pastel sur toile 0,56 x 0,47.
«  Méry Laurent : le portrait de cette dernière, en chapeau noir, au musée des Beaux-Arts de Dijon,
éclaircit soudain, en bleu d’oiseau, toute la ville.
 » L’Éclaircie, p. 28.
Cf. Edouard Manet et Méry Laurent.
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Sollers, l’antimatière littéraire

L’Eclaircie de Philippe Sollers est un dossier un peu compliqué, qu’il faut prendre avec calme et méthode. Première difficulté : ce « roman » en est-il un ? La réponse est normande : oui et non. Non, car un roman nécessite de l’auteur un minimum de désir de s’absenter de la narration, de laisser vivre ses personnages, même quand il en est lui-même un. Or, nous avons ici une volonté de présence permanente du moi délibérant du narrateur, qui s’accroche de toutes les griffes de ses neurones au centre du récit. Mais... oui, c’en est un quand même, car on comprend que le narrateur, dans la vie, suit son « dieu roman ». Et qu’il ne faut donc pas lire, « roman » en espérant découvrir une histoire, mais en se disant que c’est l’aimantation romanesque de la vie de l’auteur qui justifie ce mot. Ce qui nous mène à la bonne méthode de lecture de L’Eclaircie : quand on sent que c’est peut-être « ça », c’est donc que ça ne l’est sûrement pas.

Bizarrement intransitif.
En général,l’auteur crée une oeuvre et l’oeuvre rencontre un lecteur. Chez Sollers, le lecteur est aspiré par l’oeuvre vers le cerveau de l’auteur, qui se promène comme un paquet d’antimatière errant dans le cosmos.

Ensuite, il faut faire face à la composition chargée et à l’ambivalence régnante. C’est plutôt bon signe, car le réel se présente souvent ainsi à nous : beaucoup de choses arrivent, contradictoires, en plus. Sollers met la dose : il y a énormément de choses, et extrêmement contradictoires.

Arguments contraires

Entre en scène, d’abord, une soeur aînée : Anne. Avec Anne, le lecteur assiste, un peu gêné, à une entame d’inceste : le narrateur et elle s’embrassent goulûment. Heureusement, la question de l’inceste s’évaporera dans une bonne vieille engueulade bourgeoise et bordelaise autour de l’héritage familial : à qui la radassière Louis XV ? A qui les sermons de Bossuet en cuir pleine fleur ? Brouille polaire autour du legs de la génération précédente. Distanciation. Tendresse mémorielle, quand même. Lâchement, le lecteur respire : on préfère que la fratrie soit dévastée par le pognon plu- tôt que par la transgression des interdits anthropologiques. Puis Anne apparaît sous d’autres angles : la soeur enfant, la grande soeur qu’on ne voit pas, la soeur qui meurt, etc. Le portrait d’Anne est confus et juste. Justesse et confusion à la fois : la patte Sollers, un truc qu’on ne voit pas ailleurs. Ensuite, un kit, constitué d’un studio rue du Bac voué à l’adultère mondain, livré avec sa philosophie libertine, ses, séances » (quel horrible mot), et sa maîtresse : Lucie. Mariée, intelligente, riche et cultivée. Ces scènes ne « passent » pas, pour deux raisons : a) le côté éventé de la chose. Chacun sait bien qu’à partir de 5 heures du soir, en semaine, on assiste à un embouteillage d’adultères mondains dans les étages élevés du VIIe. Et b) en raison de ce parfum flatteur de mauvaises moeurs que le narrateur croit attaché à la chose, tandis que le lecteur sait bien, lui, que le magazine Elle recommande l’adultère, au même titre que les massages faciaux au concombre. Si l’auteur avait vraiment cherché à provoquer la morale bourgeoise, il aurait causé chastement avec une célibataire sans cervelle et fauchée, à La Courneuve. On peut comprendre qu’il laisse le job aux curés, cela dit.
Puis Manet, Picasso, les femmes (qui sont en réalité nues quand elles sont habillées, dit Sollers, et on aimerait lui louer son oeil), les tableaux qui disent aux passants s’ils sont vivants ou morts. Intéressants développements sur la fonction IRM d’une grande peinture. Une toile de maître nous dit où en sont nos fonctions vitales. J’aurais dû commencer par ce thème de la peinture. L’auteur aussi, d’ailleurs, car c’est le sujet principal. Sur ce point, il est convaincant, inspiré, si on veut bien faire l’effort de relier entre eux des passages jetés comme des gravillons sur la route.

Acre et mystérieux

Puis Dieu, l’invisible, le non-Dieu, la vie. Sur ce terrain, on ne sait pas très bien si l’auteur est animiste (un cèdre semblerait en être le signe), agnostique, athée, théiste. C’est un peu comme la sexualité : la question reste en suspens...
Puis Charlotte Corday. On se demande un peu ce qu’elle fait là, mais l’auteur a raison de l’évoquer, car cette figure sublime est à sa place partout.
Puis le narrateur : un réprouvé à « mauvaise réputation », un oncle altier, mécontemporain, donneur de leçons de vie. Au fond : un important qui se déguise en importun. Sans succès.
Puis : le temps, l’époque, l’aujourd’hui, l’absence de temps. L’idée générale : on ne vieillit pas. L’expérience dit le contraire, mais on s’en fout, on est infini. Sujet de thèse : pour Sollers, l’absence de temps est-elle l’alibi de la désinvolture ?
Puis : exister, être, jouir, voir, entendre. La recette : « suivre le dieu » vous comprenez ? Puis vient la philosophie générale : libertinage et gnose. Certes, mais pourquoi pas chasteté et mathématiques ? On ne sait pas.
Tous ces sujets fusionnent, font lave. Cette lave creuse une cheminée dans la croûte narrative. La lave perce la page, et de la fumée en sort. On dirait de l’encens. C’est âcre, c’est mystérieux : ça se voudrait purificateur, c’est parfois drôle.
Terminons sur l’impression de lecture : c’est un roman bizarrement intransitif. En général, l’auteur crée une oeuvre et l’oeuvre rencontre un lecteur. Avec Sollers, le lecteur est aspiré par l’oeuvre vers le cerveau de l’auteur, qui se promène comme un paquet d’antimatière errant dans le cosmos. Si le lecteur est attiré par la gravité au centre du système, il flottera à jamais entre des propositions réversibles, accompagnées de leurs arguments contraires.

Marin de Viry, Marianne, 30 décembre 2011.

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Entre guillemets

Manet, Dans la serre, 1879. Huile sur toile 115 cm x 150 cm. Berlin, National galerie [6]. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Mme Jules Guillemet, qui tient, rue du Faubourg-Saint-Honoré, un magasin de mode et de colifichets très réputé, apparaît dans un tableau bizarre de Manet, Dans la serre. Il va la serrer de plus près en lui envoyant des lettres où il dessine ses jambes. Bas noirs, bottines, petites guêtres, mollets galbés, pieds finement chaussés sous des jupes un peu retroussées, ce peintre se glisse sous sa destinataire :
« Folie, si vous voulez, chère Madame, mais douce folie celle-là, et qui me permet de passer très agréablement mon temps. »
Elle trouve ça gonflé, indécent, mais quelque chose en elle frissonne. Aucun doute, il a du talent, elle se sent mise entre guillemets, son mari la surveille trop, elle s’ennuie, cette serre l’étouffe. Sa s ?ur cadette, Marguerite, reçoit les mêmes insinuations du même auteur, avec dessins d’une marguerite et d’un frelon butineur :
« Je t’aime, on vous le dira souvent, Marguerite, je t’aime un peu, beaucoup, passionnément. »
Manet, en effeuillant cette marguerite, s’arrête avant la fin de la comptine qui dit « pas du tout ».

Tout cela, bien entendu, très courtois, mais plutôt excitant, par bouffées, pour des épouses frustrées ou des jeunes filles en fleurs. Manet est un expert en chapeaux, toques, corsages, capelines, voilettes, charlottes. Son ami Mallarmé écrit sous différents pseudonymes dans La Dernière Mode. Qui le reconnaîtrait sous le nom de Marguerite de Pont y ou de Miss Satin ? (p. 175-176)

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« L’art n’est jamais chaste »

Bref commentaire de l’article de Marin de Viry

« Libertinage et gnose. Certes, mais pourquoi pas chasteté et mathématiques ? On ne sait pas », s’interroge gravement Marin de Viry [7].

Et pourquoi pas « libertinage et mathématiques » ? « Libertinage et physique » ? On l’ignore.

Citons Picasso, le héros. Sollers y écrit :

Le puritanisme à travers les âges, tel est le sujet, et Picasso l’a toujours su, lui qui, un jour, s’est contenté de dire : « L’art n’est jamais chaste. »

Et encore, à propos des Déjeuners sur l’herbe de Picasso (encore Manet), cette équation :

De même qu’il fallait oser l’équation : « ça pleure, et il y a une femme dedans », de même, ici, on peut entendre : « ça baise, et il y a un couple dedans. » La relativité restreinte ouvre sur la relativité généralisée. La physique emprunte ses nouvelles lois gravitationnelles. Qui trop embrasse bien étreint. Rien ne sert de partir, il faut courir à point. On a envie contre la levée de boucliers des dévotes et des dévots et, devant l’incroyable tollé indigné ou gêné des cléricaux de tous bords ayant accueilli ces tableaux, de parler comme Eschyle du « rire ensoleillé des dieux ».
Ils sont là, en effet, dieux et déesses, copulant ou se reposant, s’embrassant et s’embrassant, mousquetaires et danseuses, sous la tonnelle ou sur un banc.

Picasso, le héros, dans Éloge de l’infini, folio, p. 144 et 178..

«  Achetez, communiquez, consommez, communiquez. Allez-y, allez-y, vous n’empêcherez pas l’éclaircie. »

La clairière.

Picasso, Le Déjeuner sur l’herbe, Vauvenargues, 1960.
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L’éclaircie.

Mougins, 1961.
Cf.aussi : Picasso et Le(s) Déjeuner(s) sur l’herbe. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Autres critiques

Voir aussi : la critique de Nathalie Crom (Télérama)
la critique de Jean-Marc Parisis (Le Figaro)
Sollers, autoportrait à la palette (Harry Bellet, Le Monde du 12-01-12). cache

Voir aussi :

L’Eclaircie (II) : L’hymne à Manet & Extraits
L’Eclaircie (III) : Analyse lexicographique
L’Eclaircie (IV) : Aux Bernardins
L’Éclaircie (V) : Le regard des dieux grecs
L’Eclaircie (VI) : Invraisemblable Góngora
Picasso et Matisse dans L’Éclaircie.

*

[4Cf. La luxure.

[6Les modèles sont Jules Guillemet et son épouse américaine.

[7Marin de Viry aime beaucoup Michel Houellebecq qui n’aime pas Picasso (« Picasso c’est laid, il peint un monde hideusement déformé parce que son âme est hideuse... »). Cf. Houellebecq et l’affaire Picasso et l’entretien Houellebecq-Ring. Sollers ne manque pas de relever ironiquement l’«  éructation » de Houellebecq, «  expression d’une jalousie sexuelle intense », dans L’Éclaircie, p. 122-123.

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15 Messages

  • A.G. | 30 mars 2012 - 12:24 1

    La faute à Manet

    A country in denial

    « By ignoring their country’s economic problems, France’s politicians are making it far harder to tackle them. »

    The Economist, le très sérieux hebdomadaire britannique du monde de la finance est inquiet. Dans son numéro du 31 mars 2012, on lit :

    « Il n’est pas inhabituel que des responsables politiques ignorent des vérités dérangeantes pendant les campagnes électorales mais il est inhabituel, ses derniers temps en Europe, qu’ils les ignorent aussi totalement que le font les hommes politiques français. »

    « Et avec M. Hollande, qui, après tout, est encore le vainqueur le plus probable, cela pourrait avoir des conséquences dramatiques ».

    « La France insouciante est sur le point d’être rattrapée par la dure réalité, quel que soit le président. »

    De manière éloquente, cette « insouciance » frivole et coupable est symbolisée par Le déjeuner sur l’herbe de Manet. On notera que, sur la photo-montage, François Hollande occupe la place enviable du frère de Manet, Eugène. On peut toujours rêver.

    J’attends avec impatience l’illustration moderne de La Cigale et la Fourmi par le monde de la finance.


  • A.G. | 28 février 2012 - 00:58 2

    Un gars, une fille (suite).
    _ La série a été diffusée de manière quasi ininterrompue de 1999 à aujourd’hui sur les chaînes publiques ou privées. C’est un triomphe. Comme il n’y a pas de raison de s’arrêter en si bon chemin, Jean Dujardin, le héros « typiquement français » (qui a loupé le César), vient d’obtenir l’Oscar du meilleur acteur pour The Artist. Il est maintenant le chouchou d’Hollywood. Son cri (mûrement réfléchi) : « Ouah, putain, génial, merci ! » (typiquement français).
    _ « Salut les artistes ! et tant pis si je me trompe » (Guy Debord)

    Photo :

    Chouchou et Loulou, le 27 février 2012. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


  • Alma | 23 février 2012 - 21:43 3

    Je lis le court article intitulé « Le vert paradis de Philippe Sollers, encore », de Deborah Gutermann-Jacquet, auquel Pileface donne ici accès, et je constate qu’une fois de plus je me sens épargnée dans ma québécitude ! Ouf ! De toute évidence, Sollers ignorait l’origine du « chef-d’ ?uvre français » qu’il dénigre allègrement dans le passage suivant de L’éclaircie :

    « Je vous recommande les repas de famille, la mauvaise humeur générale, les conseils d’administration, les réunions syndicales, les manifestations à hurlements et pancartes, les scènes d’amour ratées. Le chef-d’ ?uvre français de cette époque restera, sans aucun doute, la série télévisée Un gars, une fille, Jean et Alex. Pas un homme, un gars, un brave gars, quoi, naïf, rusé, sans cesse brimé par une fille (pas une femme) qui n’arrête pas de parler au téléphone avec sa mère ou sa copine, se plaint de tout, sourit à s’en décrocher la mâchoire, embête son mec dans la salle de bains ou la cuisine moderne, pendant qu’il se demande, nigaud inspiré, comment il a pu se fourrer dans cette situation sans issue, sauf une, qui est là, au bout des achats, lancinante : un enfant et, pourquoi pas, un jour, trois enfants. Le plus drôle, c’est quand ils se précipitent, après cent remarques acerbes et un violent mépris réciproque, pour faire l’amour. Ils disparaissent sous un drap, ils sont atrocement normaux, ils roucoulent. C’est l’apothéose du couple universel classe moyenne, tous les clichés de la consommation incessante sont là, on ne s’en lasse pas. Aura-t-elle enfin son enfant dans cette agitation d’enfer avec pauses touristiques ? C’est fatal. Tout est fermé, enfermé, cuisine, living, canapé, bureau, jamais de profondeur de champ, jamais de gratuité heureuse. Difficile d’être plus inspiré dans la vulgarité réaliste (la série, bien entendu, est réalisée par des femmes). Ëtre ensemble ! Jamais seuls ! Tempêtes dans un verre d’eau ! Loulou ! Chouchou ! » (L’éclaircie, p. 48-49).

    Manet et Picasso un moment oubliés, on reste certes sans parole devant la charge contre une vision du couple dont la « vulgarité réaliste » ne pouvait, « bien entendu », qu’être amenée par des femmes. Or, il se trouve que ce pauvre « chef-d’ ?uvre français » n’est qu’adapté des 131 épisodes d’une comédie de situation créée par Guy A. Lepage pour Radio-Canada en 1997 (série alors réalisée par des hommes). Plus de vingt pays en ont réalisé une adaptation dans les années qui ont suivi, dont la France. Vulgarité quand tu nous tiens...


  • A.G. | 23 février 2012 - 19:10 4

    Troisième article sur L’Éclaircie dans le numéro 153 de Lacan Quotidien  : Le vert paradis de Philippe Sollers, encore par Deborah Gutermann-Jacquet (p. 4-5).


  • A.G. | 18 février 2012 - 14:24 5

    L’invité culture de Claire Chazal

    le 18 février 2012


    Pour démarrer l’écoute, cliquez sur la flèche verte


    Pour démarrer l’écoute, cliquez sur la flèche verte

    Radio Classique


  • A.G. | 8 février 2012 - 18:18 6

    Philippe Sollers : l’esthète amoureux, par Valérie Trierweiler.
    _ « La quête du bonheur sensuel selon Philippe Sollers » : Paris Match du 7 février 2012.

    Valérie Trierweiler, critique littéraire ? « Il faut savoir lire entre les lignes ou avoir l’esprit tordu, c’est selon. D’après Le Canard enchaîné, un duel très feutré opposerait Philippe Sollers et François Hollande, ou du moins sa compagne », lit-on sur le site Arrêt sur images... qui omet de rappeler la dernière pique de Sollers, dans son Journal du mois du 29 janvier :

    «  ... un républicain doit voter Hollande. La seule chose qui me retient de me déclarer pour ce dernier est sa proximité avec Mazarine Pingeot, laquelle vient de s’exprimer ainsi, à la télévision, à propos de mon nouveau roman : "L’écriture de Sollers est inintéressante, et son livre n’a aucun intérêt." Par table tournante, François Mitterrand m’a aussitôt fait savoir que sa fille exagérait. Il croit aux forces de l’esprit, lui, moi aussi. »

    Ah ! familles et méta-familles !


  • A.G. | 3 février 2012 - 12:59 7

    « Philippe Sollers : L’Éclaircie » par Patrick Grainville : « un art de la botte droit au nerf ». C’est dans Le Figaro du 01-02-12.


  • A.G. | 25 janvier 2012 - 20:37 8

    On lit dans L’Éclaircie, p. 221 :

    Après la mort de Manet, quelques journalistes esquissent une autocritique (après tout, on ne sait jamais) : _ « C’est au bruit que fait un homme en tombant qu’on peut mesurer exactement quelle place il occupait quand il était debout. » _ Comme quoi li suffirait de tomber pour qu’on vous reconnaisse une place. Merci beaucoup. _ Un autre, tout aussi hypocrite : _ « Manet était de ces innovateurs obstinés, qu’on discute, qu’on attaque et dont on rit tant qu’ils vivent, mais qu’on regrette aussitôt qu’ils sont morts. » _ En réalité, on ne regrette rien, sauf le type qu’on pouvait attaquer, railler, et cogner. Riez, riez, rira bien qui rira le dernier. Mais non, plus personne ne rit, on défile. Il est bouclé au musée.

    Continuons donc à signaler les critiques qui n’ont attendu ni la mort ni la tombe, pour saluer l’Éclaircie :

    Philippe Lançon, A coeur joie , Libération du 19 janvier.
    _ Nelly Kaprièlian, L’Éclaircie, la guerre du goût de Philippe Sollers , Les Inrocks.


  • A.G. | 21 janvier 2012 - 14:20 9

    Un entretien avec Aliocha Wald Lasowski, auteur de Philippe Sollers, l’art du sublime, à propos de L’Éclaircie : Philippe Sollers choque-t-il encore ?  : « il y a toujours une réaction forte lorsqu’un nouveau roman de Sollers paraît. Simplement parce que, sans nous choquer nécessairement, il remet en cause notre perception des choses et en particulier des ?uvres d’art. »


  • A.G. | 17 janvier 2012 - 13:40 10

    Lire dans le numéro 124 de Lacan Quotidien du 9 janvier 2012 (page 2 à 4), le bel article de Nathalie Georges‐Lambrichs Sollers, atelier et dans le n° 127 du 12 janvier L’éclaircie de la présence par Christiane Alberti.


  • A.G. | 12 janvier 2012 - 19:09 11

    Philippe Sollers, Werner Spies et la session de Claire-Marie Legay avaient Rendez-Vous le 10 janvier sur France Culture (50’).


    Pour démarrer l’écoute, cliquez sur la flèche verte


  • A.G. | 12 janvier 2012 - 12:45 12

    Une amie m’envoie ce mail :

    « Pour l’article de Marianne, j’aurais bien repris ceci en réponse dans L’Année du Tigre (page 202) :

    " L’ascèse et la débauche : même substance. Rien à voir avec les "sorties", les "mondanités".
    _ Casanova : quand il n’est pas au jeu ou en orgie, il pense à se faire moine. C’est d’ailleurs en moine qu’il a fini (écrivant sans cesse). Inutile de s’expliquer là-dessus, personne ne comprend.
    " »


  • Marc’O | 3 janvier 2012 - 22:02 13

    Bon Dieu que cette phrase de Sollers est bête, effectivement ! Venant de quelqu’un qui souhaite soutenir et embrasser la littérature classique universelle, ce jugement me semble à moi très provincial. A ce propos, Foucault avait écrit un texte sur le provincialisme de la critique française assez pertinent (on le trouve dans "Dits et Ecrits", je crois). Simon Leys dans un excellent livre sur Orwell avait le même avis. Pauvre France ! Mais si Sollers préfère Christine Angot et Arnaud Viviant à Musil, Broch ou Hofmannstahl, libre à lui. Sauf qu’il a une certaine responsabilité, avec d’autres, plus que d’autres peut-être par ce qu’il prétend être, dans ce provincialisme français qui me désespère.

    Mais -parmi mille choses- ne voit-il pas qu’il y a un humour musilien comme il y a un humour proustien ? Et cette charge terrible contre l’Etat et la bêtise, il ne l’entend pas ? Non, décidément trop allergique à toute trace de mélancolie "mitteleuropéenne", il préfère tout rejeter en bloc (séparer le bon grain de l’ivraie réclamerait une réflexion approfondie et là...) Et puis aujourd’hui il ne peut plus faire marche arrière dans cette sentence dogmatique et ancienne, il le sent et nous sentons qu’il le sent : c’est le noeud du problème sans doute.

    Sollers défend Kafka, car il doit le défendre, il est "trop classique"celui-là ! Un oubli serait impardonnable en effet et de puissants esprits tutélaires ont déjà médité les livres de Kafka, il n’est donc pas trop difficile de se mettre dans le sillage et avec quelques synonymes, on fait des miracles, n’est-ce pas.

    Pour revenir à Hofmannstahl, c’est dommage cet entêtement anti-"Europe Centrale" de Sollers, car il se prive du plaisir de lire et relire "Andréas" beau roman kafkaïen se déroulant à Venise et fort admiré de...Kafka.

    Bien à vous.


  • V.K. | 2 janvier 2012 - 16:47 14

    « C’est quoi l’Autriche ? » s’interroge Karl Kraus, en lisant L’Eclaircie et la notation lapidaire de Sollers.

    C’est quoi l’Autriche ?
    _ Une très vieille parente éloignée raconte souvent cet épisode de sa petite enfance où elle saisissait dans la conversation des grands, l’histoire d’un grand oiseau étrange : « l’autruche-ongrie »
    _ Sollers qui a la mémoire du temps pourrait s’en souvenir. Mais non ! Pourtant, ce temps de l’Autriche-Hongrie , de l’Empire rayonnant se poursuit chaque année dans le concert du Nouvel an à Vienne... Les images qui accompagnent sa retransmission TV, pleines de grâce..., celle des danseuses, devraient plus inspirer Sollers, c’est sûr. Et celui qui a écrit de belles pages sur le baiser, aurait pu être sensible, cette année, à la figure de ballet du baiser de Klimt : beauté et poésie. Sa « guerre du goût » pourrait y trouver un addendum. Il n’y a pas que la Fenice, la « salle en or » du Musikverein est aussi une salle de légende.[ Souvenir d’un weekend de Pâques très prolongé, à Vienne, avec concert de Pâques dans cette salle prestigieuse. Un autre soir, dans une autre salle, un spectacle intitulé “Frühling in Wien” en l’honneur de Mahler, natürlich ! Petits chanteurs à Stephansdom. Hébergement central Hotel Kaiserin Elisabeth. Puis retour à Francfort (ma base d’alors) avec arrêt à Linz... ]. La « vieille Europe », actuellement en grande déprime, a de beaux restes !
    _ Quant au passage de L’Eclaircie que vous citez, contentons nous de noter que dans son prolongement, Kafka(*) trouve quand même grâce dans le jeu de massacre de Sollers .

    * né à Prague, alors capitale de la Bohème, partie de l’empire austro-hongrois


  • karl kraus | 1er janvier 2012 - 17:32 15

    J’aime beaucoup L’Éclaircie, sauf le passage suivant :
    « Dans L’Homme sans qualités, de Musil, la soeur s’appelle Agathe, le frère Ulrich. Le roman passe pour être le must de la relation incestueuse entre frère et soeur. Je trouve le livre ennuyeux, coincé, raisonneur, autrichien, quoi, très "Europe centrale" (...) » p.81
    autrichien, quoi. Mais c’est quoi l’Autriche ? C’est d’ailleurs toute la question posée par le livre ennuyeux, coincé (!) de Musil, qui n’y répond pas, bien entendu. Et c’est quoi l’Europe centrale ? Et c’est quoi un livre pas ennuyeux ?
    Après tout, les romans de Sollers étant des sortes d’auberges espagnoles, on est libre d’y prendre et d’y laisser ce qu’on veut : j’y laisse ce passage consternant, je prends le reste. Lisez L’Éclaircie.

    K.K., Autriche