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Marcelin Pleynet, Le retour et La Dogana

D 18 octobre 2016     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



« Le retour est le mouvement du Tao. »
Le Lao-Tseu, 40 (traduction Jean Lévi).

On n’est jamais assez vigilant. Je viens de découvrir ce bel entretien de Josyane Savigneau avec Marcelin Pleynet (RCJ, 31 mai 2016) qui m’amène à remettre cet article du 20 avril 2016 en première ligne. Retour sur l’itinéraire d’un poète singulier et singulièrement asocial [1].

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Je venais de mettre en ligne quelques articles relatifs à l’oeuvre de Marcelin Pleynet lorsque j’ai reçu, le 6 avril, son nouveau roman, Le Retour (coll. « L’Infini », Gallimard) et l’édition bilingue, franco-italienne, de La Dogana, suivi de Une route en Italie et de La Rive de tous les saints (LietoColle). C’est ce qui s’appelle un heureux hasard [2] !

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Gallimard, coll. L’infini
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Marcelin Pleynet

Vigilance

Le retour m’est ainsi dédicacé :
« Pour Albert Gauvin,
vigilant entre tous comme toujours
très amicalement,
Marcelin Pleynet, 31 mars 2016 ».

Mon Robert en 7 volumes (édition de 1974) définit la vigilance : n. f. (1380, « insomnie » ; 1530, sens mod. ; empr. lat. vigilantia, de vigilare, « veiller »). Surveillance attentive, sans défaillance. V. Attention. [...]
Polit. Comité de vigilance, surveillant certaines activités politiques. [...]
Vigilant, ante. adj. (1488, du lat. vigilans). Qui fait preuve de vigilance. V. Alerte, attentif. Cf. Garde (en) ; oeil (ouvrir l’)...

Le mot est situé entre vigie. n. f. (1691 ; empr. port. vigia, de vigiar, « veiller »).
Mar. Haut fond ou écueil à fleur d’eau. — Par ext. Balise signalant un danger aux navigateurs.
2° (1722). Surveillance exercée par un matelot de veille sur un endroit élevé du navire ; son poste d’observation : être en vigie. [...] Par méton. Matelot en vigie, sentinelle placée en observation sur une côte, dans un phare.

et vigile. n. f. (XIIe s. vigilie ; empr. lat. vigilia, « veille, faction de nuit, veillée », spécialisé en lat. ecclés.). Liturg. cathol. Veille d’une fête importante. Les vigiles de Noël, de l’Assomption, de la Pentecôte, de la Toussaint et de Pâques sont jeûnées. [...]

Sur ce dernier point, j’ai, je crois, fait preuve de beaucoup de vigilance, le jour dit ou la veille. Cf. L’événement JésusSois vainqueur ! Ressuscite !La Pentecôte et le don des languesLa Bienheureuse Vierge Marie ou l’effet B.V.M.La fête de tous les saints, etc.

Il y a aussi le vigile (n. m.), fort apprécié dans la Rome antique, mais sa réputation est aujourd’hui controversée.
Je note avec intérêt que le mot suivant est le mot « vigne » (autant pour le jeûne !).

Bref, la vigie, le vigilant ou la vigilante veillent par tous les temps, le jour comme la nuit, debouts.
Comme, par exemple, la Fortune à la Punta della Dogana da Mar — la Pointe de la Douane de Mer — à Venise. C’est une girouette.
Voltaire : « Je suis assez semblable aux girouettes, qui ne se fixent que quand elles sont rouillées. » (Lettre à d’Albaret, 10 avril 1759, citée par Littré). Il faut réhabiliter la girouette [3].
A la Fortune, la Chance. C’est aussi le titre d’un livre de Pleynet.


Venise, la statue de Fortune en équilibre sur le globe soutenu par deux Atlantes.
Photo A.G., 19 juin 2011. Zoom : cliquez l’image.
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La Dogana

Traduction de Andrea Schellino et Augustin de Butler.
 Présentation de Maurizio Cucchi. 
Préface de Marcelin Pleynet.

Préface
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Les trois poésies qui composent ce volume appartiennent à des périodes éloignées les unes des autres. Pourtant toutes trois ont plus ou moins pour sujet la ville de Venise et un même rapport au temps.

La Dogana fait évidemment référence à la Douane de mer, qui se trouve au bout des Zattere, avec à son sommet une girouette, aujourd’hui bien connue.

À l’époque où cette poésie fut écrite, la Douane de mer n’abritait que des hangars déserts et à moitié en ruine. On y avait accès en suivant les Zattere jusqu’à l’endroit où ils rejoignent le Grand Canal. Aujourd’hui un musée d’art contemporain y a trouvé refuge...

De la Fondamenta delle Zattere à la Pointe de la Dogana, ce parcours, jour et nuit, fut pendant longtemps, et reste encore, une de mes promenades favorites. En ce sens cette poésie fait logiquement pour moi suite à L’Amour vénitien, et pourrait naturellement constituer le cœur de ce qui occupe et enchante ce volume publié en 1984. « Ici à la pointe de la Dogana / entre le palazzo Ducale / et l’église san Giorgio / un passage vide sur l’étendue liquide / et le vent printanier qui souffle / plus loin / sur la mer calme / un voilier en feu. »

Une route en Italie évoque incontestablement Piero della Francesca, dont une peinture, Saint Jérôme et le donateur Girolamo Amadi, se trouve à l’Accademia, à Venise. Je me suis souvent arrêté devant ce Saint Jérôme qui est présenté dans une salle voisine de celle où fut longtemps exposée La Tempête de Giorgione. Mais Une route en Italie célèbre bien autrement ce qui se joue avec L’Amour vénitien et La Dogana, à savoir l’investissement transhistorique d’une culture classique et de ce qui, de cette culture classique, est plus proprement et singulièrement italien (ici, Arezzo). Les deux dates qui achèvent Une route en Italie : 1987/ 1993, soit six ans, disent assez ce qui détermine l’ensemble de ce recueil. C’est au moins sur six ans que l’inspiration s’établit. Autrement dit, ce sont de larges tranches de temps qui se diffusent et occupent ma présence à cette civilisation.

Vous remarquerez que, pour cela, la poésie ouvre encore d’autres espaces citationnels, et que, sous la rubrique « c’est une chose étrange de devoir sauter pour retrouver le sol sur lequel nous nous trouvons », Virgile, Lucrèce, Catulle, Horace, Montaigne et le latin sont convoqués, pour ne pas parler de la Sibylle de Cumes... D’une certaine façon, Une route en Italie met au présent, met en scène l’ensemble des voyages que j’ai pu faire en Italie au cours des trente-trois années précédentes. Aujourd’hui, au cours des cinquante-six dernières années. Et c’est loin d’être fini, puisque je continue chaque année à séjourner deux ou trois fois quinze jours à Venise.

Venise se présente ainsi comme le foyer central distribuant l’ensemble sensible qui détermine ma présence poétique et ontologique au monde vivant de l’art sous toutes ses formes. Présence sensible et, en tant que telle, quasi miraculeuse. C’est incontestablement ce qui m’habite et me porte au cœur de ce monde...

On en trouvera le message lyrique avec La Rive de tous les saints, nom d’un quai, près de San Trovaso, à Venise. Ces poésies se distribuent autrement que les précédentes. On remarquera qu’après la référence à Dante — dans L’Amour vénitien, dans La Dogana et dans Une route en Italie —, l’espace citationnel s’ouvre encore, en comprenant cette fois, avec Rimbaud et Hölderlin, la Grèce des dieux et des déesses.

La Rive de tous les saints manifeste aussi clairement que possible ce qui associe l’écriture poétique à une dimension théologique, ou pour être plus précis à une parole (theo-logos) qui tienne compte des dieux... Ce qui revient, si je puis dire, à poser l’ensemble de ce que j’écris sous la rubrique : poésie et théologie. Ce qui n’exclut pas une référence matérialiste engagée dans une logique nouvelle, et autre que celle généralement convenue.

L’ensemble pourrait se présenter comme une sorte de « nouvelle » Divine Comédie, pensée aujourd’hui, avec de nouveaux et autres moyens... En tenant compte, par exemple, des œuvres de Parménide, et de son grand Poème.

On se souviendra que dans ce poème, le narrateur est emporté par des cavales qui le conduisent aussi loin que son cœur peut le désirer, puisqu’elles l’entraînent sur la route (en Italie) abondante en révélations de la divinité qui, franchissant toutes les citées, porte l’homme qui sait... Pour être finalement accueilli avec bienveillance par la déesse. Ce qui entraîne le narrateur, Parménide, à déclarer : « Ce m’est tout un par où je commence, car là même à nouveau je viendrai en retour. » [4]

Il faut lire La Rive de tous les saints, et plus généralement l’ensemble des poésies ici réunies sous le titre La Dogana, dans cette perspective théologique : « En ce début du XXIe siècle personne ne s’attendait à cette route du cœur. / Mais il est là aujourd’hui encore dans son soleil... le marchand d’armes... »

Marcelin Pleynet

Prefazione
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Le tre poesie raccolte in questo volume appartengono a periodi distanti gli uni dagli altri. Cio nonostante tutte e tre hanno più o mena corne tema la città di Venezia e uno stesso rapporta con il tempo.

La Dogana evidentemente fa riferimento alla Dogana da Mar, situata all’estremità delle Zattere, con in cima una banderuola, oggi molto cono­ sciuta.

Quando questa poesia fu scritta, la Dogana da Mar ospitava solo qualche capannone deserto e per metà in rovina. Ieri corne oggi vi si poteva acce­dere seguendo le Zattere fino al punto in cui si congiungono con il Canal Grande. Oggi vi ha trovato rifugio un museo d’arte contemporanea...

Dalla Fondamenta delle Zattere alla Punta della Dogana questo percorso, giorno e natte, fu a lungo e resta ancora una delle mie passeggiate preferite. In tal senso questa poesia fa per me logicamente seguito all’Amore veneziano, e potrebbe costituire naturalmente il cuore di cio che occupa e incanta que­ sto volume, pubblicato nel 1984. « Qui alla punta della Dogana / tra il pa­lazzo Ducale / e la chiesa di san Giorgio / un passaggio vuoto sulla distesa liquida / e il venta primaverile che soffia / più lontano / sul mare calma / un veliero in fuoco ».

Una strada in Italia evoca incontestabilmente Piero della Francesca, di cui un dipinto, San Girolamo e il donatore Girolamo Amadi, si trova all’Accademia, a Venezia. Mi sono spesso soffermato davanti a questo San Girolamo che è esposto in una sala vicina a quella in cui fu a lungo esposta La Tempesta di Giorgione. Ma Una strada in Italia celebra molto diversamente cio che ha luogo con L’amore veneziano e La Dogana, ossia l’investimento trans-storico di una cultura classica e di cio che, di questa cultura classica, è più pro­priamente e singolarmente italiano (qui, Arezzo). Le due date che conclu­dono Una strada in Italia : 1987/ 1993, ossia sei anni, mostrano abbastanza cio che determina l’insieme di questa raccolta. È in sei anni almeno che l’ispirazione si afferma. Detto altrimenti, si tratta di lunghi periodi di tempo che si diffondono e occupano la mia presenza in questa civiltà.

Noterete che, per questo, la poesia apre ancora altri spazi citazionali, e che, sotto la rubrica : « è una cosa strana dover saltare per ritrovare il suolo su cui ci troviamo », Virgilio, Lucrezio, Catullo, Orazio, Montaigne e il latino sono convocati, senza parlare della Sibilla Cumana... In un certo modo Una strada in Italia mette al presente, mette in scena l’insieme dei viaggi che ho potuto fare in Italia nel corso dei trentatré anni precedenti. Oggi, nel corso degli ultimi cinquantasei anni. Ed è lungi dall’esser finito, poiché agni anno continuo a soggiornare due o tre volte quindici giorni a Venezia.

Venezia si presenta cosi corne il centra che distribuisce l’insieme sensibile che determina la mia presenza poetica e ontologica nel monda vivente dell’arte sotto tutte le sue forme. Presenza sensibile e, corne tale, quasi miracolosa. E incontestabilmente cià che mi pervade e mi trasporta nel cuore di questo monda...

Se ne troverà il messaggio lirico nella Riva degli Ognissanti, nome di una fondamenta, accanto a San Trovaso, a Venezia. Queste poesie si distribuiscono diversamente rispetto alle precedenti. Si noterà che dopo il riferimento a Dante — nell’Amore veneziano, nella Dogana e in Una strada in Italia — lo spazio citazionale si apre ancora, comprendendo questa volta, con Rimbaud e Hölderlin, la Grecia degli dei e delle dee.

La riva degli Ognissanti manifesta nel modo più chiaro possibile cià che associa la scrittura poetica a una dimensione teologica, o per essere più precisi ad una parola (theo-logos) che tenga cooto degli dei... Il che sigoifica, se cosi posso dire, porre l’insieme di cià che scrivo sotto il titolo : poesia e teologia. Questo non esclude un riferimento materialista impegnato in una logica nuova e diversa rispetto a quella generalmente accettata.

L’insieme potrebbe presentarsi corne una sorta di « nuova » Commedia, pensata oggi, con nuovi e altri mezzi... Tenendo canto, per esempio, delle opere di Parmenide, e del suo grande Poema.

Si ricorderà che in questo poema il narratore è porta to via da delle giumente che lo conducono tanto lontano quanta il suo cuore puà desiderarlo, poiché lo trascinano sulla strada (in Italia) che abbonda in rivelazioni della divinità che, superando tutte le città, porta con sé l’uomo che sa... Per essere alla fine accolto con benevolenza dalla dea. Cià spinge il narratore, Parmenide, ad affermare : « per me è indifferente il punto da dove comincio, tanto là ci ritorno di nuovo ».

Bisogna leggere La riva degli Ognissanti, e più in generale l’insieme delle poesie qui riunite sotto il titolo La Dogana, in questa prospettiva teologica : « In questo inizio di XXI secolo nessuno si aspettava questa strada del cuore. / Ma è qui, oggi ancora nel suo sole... il mercante d’armi... »

Marcelin Pleynet

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Debord

« De toute façon, on traverse une époque comme on passe la pointe de la Dogana, c’est-à-dire plutôt vite. »

L’exergue de La Dogana (version de 1998) est de Guy Debord. Il est tiré des Oeuvres cinématographiques complètes (Gallimard, 1994) où il sert de légende à un photogramme du film In girum Imus Nocte Et Consumimur Igni (1978).

Photogramme du film de Debord In girum Imus Nocte Et Consumimur Igni. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Mais voici le passage complet (Guy Debord, OCC, p. 274-275) :

De toute façon, on traverse une époque comme on passe
Travelling sur l’eau, par le travers de la pointe de la Dogana.
la pointe de la Dogana, c’est-à-dire plutôt vite.
Tout d’abord on ne la regarde pas, tandis qu’elle vient.
Et puis on la découvre en arrivant à sa hauteur, et l’on
doit convenir qu’elle a été bâtie ainsi, et pas autrement.
Mais déjà nous doublons ce cap, et nous le laissons après
nous, et nous nous avançons dans des eaux inconnues.

Pendant la séquence, on voit la Salute et la Dogana apparaître puis disparaître à l’image.

Pourtant... « Sur les marches de la Salute, la figure des dieux se manifestent dans le corps des vivants [5] »... qui ne se laissent pas consumer par le feu. « Le feu (le privilège des Dieux) [6]. »

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Note

Dans une note, les traducteurs précisent :

Marcelin Pleynet a publié trois versions de La Dogana : une première, accompagnée de lithographies de Pierre Nivollet, en 1994, aux éditions Claude Letessier ; une deuxième, en 1996, dans la revue L’Infini (n° 53) ; une troisième, en 1998, à la suite de Notes sur le motif, aux éditions Bernard Dumerchez. C’est cette dernière version — la seule portant une indication de date et de lieu : « Venise, juillet 1991 » — que nous avons traduite.

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Une route en Italie (Sansepolcro, 1987-Paris, 1993) figure dans le Le Propre du temps, publié en 1995 aux éditions Gallimard (collection « L’Infini »), recueil distribué en cinq parties : « Théâtre des opérations », « L’Énergie en principe », « La Méthode », « Une route en Italie », « Le Propre du temps ».

La Rive de tous les saints, poésie écrite en 2007, faisait partie d’un projet plus ample, resté inachevé. Elle a été publiée en 2012 en ouverture du dossier de la revue Faire part consacré à Marcelin Pleynet, avec en regard une reproduction du San Crisogono a cavalIo de Michele Giambono, peinture conservée dans l’église San Trovaso à Venise.

Note sur la note.

Je ne connais pas la version accompagnée de lithographies de Pierre Nivollet, éditée à un petit nombre d’exemplaires. Entre la version de La Dogana publiée dans L’Infini en 1996 et celle de 1998, les différences sont notables (la disposition des mots sur la page ; toute la fin de la poésie est changée). Je me contenterai de relever celle-ci — où une affirmation remplace une négation (négation de la négation) :

en 1996 :

tout a été écrit et contrarié
le bonheur
la vérité
ce n’est pas comme l’on pense

devient en 1998 :

tout a été écrit et contrarié
.......................................... le bonheur
............................................................. la vérité
................... est toujours comme on pense

Vous pouvez écouter ce que Pleynet disait du « Propre du temps » dans un entretien avec Alain Veinstein de 1995 et lire ce qu’il écrivait, dans son « espèce de roman » Le Savoir-vivre [7] et dans Chronique vénitienne, le jour de La fête de tous les saints (avec une photographie in situ du San Crisogono a cavallo, de Michelle Giambono). L’extrait de Chronique vénitienne est contemporain de La Rive de tous les saints (2007).

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Piero della Francesca, Saint Jérôme et le donateur Girolamo Amadi.
1440-1455. Tempera et résine sur panneau de bois. 49 × 43 cm.
Photo A.G., Venise, Accademia, 4 juin 2019. Zoom : cliquez l’image.
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Une route en Italie

« Une route en Italie » qui constitue la deuxième partie de cette nouvelle édition de La Dogana a d’abord été publié en 1995 dans Le propre du temps. Le 20 juin 1995, dans un entretien avec Alain Veinstein, après avoir évoqué les différentes séquences de ce livre (« Théâtre des opérations », « L’Énergie en principe », « La Méthode »), Marcelin Pleynet expliquait les raisons qui lui avaient fait prendre, à deux reprises, cette « route en Italie ». Il parlait également de la première édition illustrée de La Dogana qui venait alors d’être éditée.

Voici le début de La route en Italie :

Où, celui qui traverse la route, vingt ans après, reprend-il le même
chemin ?
Sans mensonge, sans élever la voix je peux me souvenir de ce qui vient
ici même encore une fois

soyons calmes !

La France au loin... Quel pays !?
Suis-je désormais sa seule mémoire ?

En tout cas le livre s’achève
ou quelques mots

Il fallait le dire

sur la route

parfois des peuples entiers cèdent au désir de mourir
qui ne veut rien savoir
et ne restent que la maladie et la vie en ruine
les autres errant dans leur propre destruction.

Si j’ai retrouvé la route
ce n’est que la route
qui conduit pourtant comme une pensée
comme si j’étais là depuis toujours
venant de là (dans le français)
...et plus loin encore

Et sa traduction :

Dove, colui che attraversa la strada, vent’anni dopo, riprende lo stesso
cammino ?
Senza menzogna, senza alzare la voce posso ricordarmi di cià che viene
qui persino un’altra volta

stiamo calmi !

La Francia, lontano... Che paese !?
Sono ormai la sua sola memoria ?

In ogni caso il libro si conclude
o qualche parola

Bisognava dirlo

sulla strada

talvolta dei popoli interi cedono al desiderio di morire
che non vuole sapere nulla
e restano solo la malattia e la vita in rovina
gli altri errando nella loro stessa distruzione.

Se ho ritrovato la strada
è solo la strada
che tuttavia conduce corne un pensiero
corne se fossi qui da sempre
venendo di qui (nel francese)
...e più lontano ancora

Le 29 novembre 2002, Pleynet lisait des extraits du Propre du temps, ici l’intégralité d’Une route en Italie. Avant cette lecture, Pleynet évoquait une autre toile de Piero della Francesca, La Résurrection.

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La pointe de la Dogana

On a pu dire que Debord n’avait pas vu Venise en couleur (In Girum, comme tous les films de Debord, est en noir et blanc). Voici la Pointe de la Douane de mer au fil du temps et par tous les temps (quelques photographies prises, sans filtre ni trucage, de 2011 à 2014, au mois de mai ou juin, lors de divers séjours). Ce qui m’a impressionné ? L’incroyable variation des lumières et des couleurs (le soleil, le ciel, les nuages, l’eau, le vert, le bleu).


Venise, le Canal de la Giudecca, la Pointe de la Douane vue du Campanile de l’église San Giorgio.
Photo A.G., 8 juin 2012. Zoom : cliquez l’image.
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Venise, la Pointe de la Douane vue du Campanile de l’église San Giorgio.
Photo A.G., 8 juin 2012. Zoom : cliquez l’image.
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Venise, la Pointe de la Douane vue du Campanile de l’église San Giorgio.
Photo A.G., 17 mai 2013. Zoom : cliquez l’image.
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Venise, la Pointe de la Douane et l’église San Giorgio.
Photo A.G., 10 juin 2012. Zoom : cliquez l’image.
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Venise, la Pointe de la Douane, le Campanile de Saint Marc et le Palais des doges vus de la Giudecca.
Photo A.G., 17 mai 2013. Zoom : cliquez l’image.
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Venise, la Pointe de la Douane vue de l’île san Giorgio.
Juin 2014. Zoom : cliquez l’image.
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Venise : le Grand Canal, la Pointe de la Douane et la Salute.
Juin 2014. Zoom : cliquez l’image.
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Venise, la Pointe de la Douane vue de la riva degli Schiavoni.
Soleil couchant. Juin 2014. Zoom : cliquez l’image.
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Venise, la Pointe de la Douane vue de l’île San Giorgio.
17 juin 2016. Zoom : cliquez l’image.
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Dogana

Pour certains, le centre du monde est le Parthénon, pour d’autres le Mur des Lamentations ou les Pyramides, à moins qu’on ne situe la chose essentielle au Vatican, à La Mecque, dans la Cité interdite, ou encore, de façon plus modestement délirante (Dali), sur l’emplacement de la gare de Perpignan.
Pour moi, comme pour d’autres, c’est la pointe de la Dogana, la Douane de mer, petit triangle tout au bout du Dorsoduro. Son ancien nom est la pointe de la Trinité (comme l’église, le monastère et la Scuola qui s’élevaient là) et pointe du Sel à cause des nombreux entrepôts de sel des Zattere.
Portique et petite tour. Au sommet, deux Atlantes de bronze soutiennent la boule dorée où trône la Fortune de Bernardo Falcone. La Fortune varie, c’est une girouette, elle tourne avec les années et le vent.
Ruskin écrit : « La statue de la Fortune, formant la girouette debout sur le monde, donne une juste idée des conceptions du temps et des espérances et des principes des derniers jours de Venise. »
Pourquoi « les derniers jours de Venise » ? Ruskin s’éloigne, Venise revient.
J’ai passé là bien du temps. A droite, en remontant vers les Zattere, il y a des bancs de pierre. Il est rare qu’ils ne soient pas occupés par des amoureux.
Au printemps 1981, époque pour moi très sombre, j’ai jeté ici, dans l’eau bouillonnante, un exemplaire de Paradis, écrit surtout à Venise pendant sept ans. Geste plus dicté que volontaire.
Dans le film d’André S. Labarthe (1997), pour la partie qui concerne Venise (les deux autres lieux sont l’île de Ré et New York), on me voit là debout pendant que je lis le poème de Hölderlin Andenken. La prise de son, à la dérobée, a été effectuée à l’intérieur de l’église de la Salute. L’autre livre que j’avais alors dans la poche était une traduction de Lao-tseu. Ce plan est plutôt réussi, je pense. Le vent du nord-est, Bordeaux, l’allemand, un Français, la Douane, la Fortune. Ici, on ne pense plus en latin, mais plutôt en grec, en chinois.

Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, 2004.

Voici la séquence du film de Labarthe, Sollers, l’isolé absolu, qu’évoque Sollers à la fin de son article.


Sollers lit Hölderlin et Lao-tseu.
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L’extrait 35 du Tao Tö King lu par Sollers (traduction de Liou Kia-Hway) :

Celui qui détient la grande image
peut parcourir le monde.
Il le fait sans danger,
partout il trouve paix, équilibre et tranquillité.

La musique et la bonne chère
attirent les passants,
mais les affirmations qui émanent du Tao
sont monotones et sans saveur.

On regarde le Tao
cela ne suffit pas pour le voir.
On l’écoute
cela ne suffit pas pour l’entendre.
On en fait usage
cela ne peut pas l’épuiser.

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Le retour/en Chine

A l’extrême pointe de la Dogana, Sollers lit le poème de Hölderlin Andenken (Souvenir). A la lecture du roman de Pleynet Le retour, j’ai pensé à un autre poème de Hölderlin qui s’intitule Retour (« Heimkunft »). Il fait l’objet du premier commentaire de Heidegger dans Approche de Hölderlin. En détournant ce que dit Heidegger du poème, on pourrait dire du roman de Pleynet (j’ai remplacé les mots « élégie » et « Allemands » par « roman » et « Français ») :

« Le roman Le retour n’est pas un poème sur le retour, mais le roman est en tant que l’oeuvre poétique qu’il est, le retour lui-même, qui continue à s’effectuer aussi longtemps seulement que sa propre parole résonne [raisonne] dans la langue des Français. Etre poète signifie être dans la joie [...]
Ce retour est l’avenir de l’être historial des Français. »

Le retour (anagramme : la route. Cf. La Dogana, p. 72), l’éternel retour, la relève, la résurrection, c’est tout comme. (je souligne)


Tao Tö King 35. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.
(dans Stanze)

Ai-je vu juste ? C’est en tout cas ce que j’ai écrit à Pleynet le 10 avril au dos d’une carte représentant le détail d’un rouleau de Shitao (1641-1719) intitulé Une visite à la grotte de Zhang Gong (exposition La voie du Tao, un autre chemin de l’être, 2010).

Pleynet écrit dans Le retour : « Tous les poèmes que j’ai lus avant mon départ... Il me semble les revivre dans un poème de Chia Tao [8] : "Au milieu d’un enchevêtrement de montagnes et d’arbres en automne... une grotte..." » Vous verrez plus loin ce qu’il en est de la visite de certaines grottes.

Vous l’aurez sans doute remarqué, l’extrait de Lao-tseu (Ve siècle avant notre ère) que lit Sollers dans le film de Labarthe — dans la traduction de Liou Kia-Hway — n’est autre que celui qui se trouve, en chinois, en ouverture de Stanze (1973) et que Pleynet lit lui-même, dans la traduction de Duyvendak, au début du film réalisé avec Florence D. Lambert Vita Nova. C’est l’extrait 35 du Tao Tö King (Dao de jing). Je rappelle le texte tel que Pleynet le cite également dans « Le bandeau d’or » (Stanze, Seuil, coll. Tel Quel, p. 152) :

« Celui qui tient la grande image, tous les mondes accourent à lui. Ceux qui accourent ne subissent pas de tort, mais demeurent en paix et union. La musique, les appâts font s’arrêter un étranger qui passe. Mais les paroles qu’on dit sur la voie, comme elles sont fades et sans saveur ! Regardée, elle ne vaut pas qu’on la voit ; écoutée, elle ne vaut pas qu’on l’entende. Mais employée, elle ne peut être épuisée. »

Voici les premiers plans de Vita Nova. Vous remarquerez que Florence D. Lambert y interprète quelques pas de danse qui s’apparentent au Taiji, cette gymnastique chinoise, « sorte de nage », et que, après une image de plan d’eau vénitien, pendant la lecture par Pleynet du fragment du Tao Tö King, ce sont des images de temples grecs que l’on voit.

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« Détenir la "grande image", c’est avoir l’intuition fondamentale de la Voie — du Tao » écrit le philosophe Marcel Conche, autre traducteur de Lao tseu [9].

Sur la route, en Italie, on peut penser en latin (La Dogana, p. 74) :

pour suivre ma route « il m’a semblé qu’en poésie Virgile, Lucrèce, Catulle et Horace tiennent de très loin le premier rang et notamment Virgile avec ses Géorgiques ».

Montaigne est passé là tout près sur un pont de pierre, où le Tibre a
encore ses eaux claires et belles —
et Pline bien avant lui

Regionis forma pulcherrima. Imaginare amphitheatrum aliquod immensum et quale sola rerum natura possit effingere. Lata et diffusa planities montibus cingitur, montes summa sui parte procera nemora et antiqua habent, frequens ibi et uaria uenatio [10].

A Venise, ville éminemment catholique, on pense plutôt en grec et en chinois. Cela peut paraître étrange, ça ne l’est pas.
Une grande partie de Vita Nova a été filmée à Venise. Au milieu du film, on voit Pleynet assister à un cours de chinois donné à de jeunes Français. La séquence est entrecoupée de plans de Venise et de photographies prises quarante ans plus tôt lors du voyage en Chine dont deux dans une école chinoise. Les lieux et les temporalités se mélangent. « Il n’y a pas de temps en chinois. » A la fin de la séquence, panoramique sur la pointe de l’île San Giorgio à Venise qu’un paquebot contourne, photographies du voyage en Chine puis de Pleynet dans le bureau de l’Infini en 1983, zoom sur le poème chinois qui dit :

« Pont sur la rive, un saule se penche sur le ruisseau émeraude. Ta maison d’origine est au nord, un saule y indique l’ouest. Arrivant ici, on n’est plus dans le monde des hommes. Sous la douceur du soleil, fleurs parfumées, dans la montagne, chant des Oiseaux [11]. »

Vita Nova (photo Ph. Sollers).
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Venise, Piazza Santa Formosa. L’église. Italiens et Asiatiques. Juin 2016.

Au milieu de son dernier et très court roman (à peine plus de 80 pages) Le retour, qui se déroule à Venise (« La seule façon de faire avec Venise est de s’y arrêter, d’y séjourner et d’y retourner sans cesse », rappelle l’exergue de Henri James [12]), Pleynet fait aussi retour sur son voyage en Chine. Il se trouve sur la place Santa Maria Formosa, dans le quartier du Castello et, là, « comme par magie », la mémoire agit. Je cite le passage dans son intégralité (p. 42-49). Il est, à tous les sens de ce mot, central dans le roman, mais aussi dans la vie, la poésie et la pensée de Pleynet (« au milieu du chemin de ma vie » écrit Pleynet, citant les premiers mots de l’Enfer de Dante) :

La place Santa Maria Formosa s’étend autour de moi avec ses visiteurs inquiets et curieux de percer on ne sait quel mystère vénitien. Comme s’il y avait un mystère. Et, s’il y a un mystère, quel mystère ?

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Tout ici respire une histoire de l’architecture, lumineuse et hors du temps, qui invite, sans autre raison, à s’y attarder plus qu’il n’est raisonnable.

La place est brusquement envahie par une foule d’Asia­tiques... Japonais, Chinois...?

Et, comme par magie, je me retrouve des années en arrière lors d’un voyage de trois mois en Chine [13], en compa­gnie de quelques amis...

En 1974, la Chine sort à peine de la Révolution culturelle...

Nous avions décidé de voir par nous-mêmes ce qu’il en était. Nos sympathies ne faisant pas de doute, nous avions obtenu les visas nécessaires, en acceptant que nos points de chute soient choisis par les autorités du PCC.

Partis de Paris-Orly, nous devions rester dans l’avion quelques dix-huit heures, avec une escale à Karachi, pour arriver à Pékin à 20 h 45.

Les bâtiments de l’aéroport de Pékin n’avaient rien de remarquable... Des caractères chinois géants en néon rouge en décoraient le fronton, avec au centre un immense por­trait de Mao.

Qui peut bien être ce Mao, libérateur de la Chine ? Drôle de biographie. Curieux destin... Il se fera photographier, à plus de soixante-dix ans, traversant à la nage le fleuve Jaune...

Le premier contact avec la Chine, c’est le parcours qui sépare l’aéroport de la ville. Nous sommes cinq et, comme nous voudrions déjà y être, nous commentons ce que nous voyons, ou ce que nous croyons voir.

C’est notre premier séjour... Je me surprends à penser qu’il n’est pas étonnant que ce soit ici le peuple chinois qui occupe toute la place...

Dans la limousine qui nous conduit de l’aéroport à l’hô­tel... je me demande dans quelle mesure je suis en train de vivre ce que je vis. C’est comme un rêve.

Pour faciliter son intégration dans ce pays lointain, cha­cun y va d’une analogie. En ce qui me concerne, je pense immédiatement à Venise... L’espace, tel que semblent le vivre les Chinois, n’est pas totalement étranger à la façon dont les Vénitiens occupent le leur... dans une sorte de vacance amoureuse, familière, fébrile et encombrée...

Ces trois mois en Chine furent riches en événements multiples.

J’avais bien entendu préparé mon voyage à l’aide de lec­tures. Les deux livres de Marcel Granet (La Pensée chinoise et La Civilisation chinoise), la grande encyclopédie anglaise de Joseph Needham... les textes de Lie-tseu, de Tchouang­ tseu, et les poètes de la Chine taoïste : Li Po et Wang Wei...

Par ailleurs, plus ou moins spécialiste de Marx, le voca­bulaire des Chinois m’était, comme à mes compagnons, d’une certaine façon familier.

À l’époque la bataille idéologique portait sur Lin Biao et Confucius, sous la rubrique pi-Lin pi-Kong. Comme le confucianisme n’a jamais vraiment été de mon goût, je m’y retrouvais fort bien. J’avais même emporté avec moi le livre récemment publié de Robert van Gulik, La Vie sexuelle dans la Chine ancienne.

Très vite mon problème fut le discours trop rationnel qui nous était tenu. Je me devais d’être présent à ce qui nous était raconté, sans pour autant perdre la sorte de tout autre liberté que réclamait l’intelligence motivant incontestablement la vie qui de partout s’imposait à moi.

Peu de choses au regard des grandes discussions socio­-idéologiques qui semblaient occuper nos hôtes. Mais était­-ce bien ce qui ontologiquement les occupait ? N’était-ce pas seulement un discours susceptible de les situer dans le cadre qu’ils avaient choisi de mettre en avant, pour des étrangers, en fonction des circonstances politiques du moment ?

Je me revois, un soir, la nuit tombée, passant à Xi’an près d’un bois et regardant des hommes et des femmes d’un certain âge pratiquer cette gymnastique chinoise, sorte de nage, qui se dit taiji. Dans la pénombre cette « nage » dans l’espace semble une curieuse et étonnante cérémonie en tout point incompatible avec les discours que les fonctionnaires du PCC nous tenaient quotidiennement...

Ce qui se joue ainsi est loin d’être négligeable, il y va de l’autorité spirituelle qui fondamentalement gère les corps, et de la danse de cette curieuse spiritualité que suppose la présence de ces « danseurs », lente et vive dans son mouvement... Il y va d’un espace écrit en corps, d’un idéogramme, d’un caractère vivant... qui dit le tout de la présence chinoise.

C’est bien en Chine que je suis... il n’y a pas de doute. J’y suis, et j’y suis extraordinairement présent... Tôt le matin, cet air de flûte qui, sous les fenêtres de ma chambre, s’ins­crit dans le silence... cet air qui se déploie érotiquement et que je suis seul à entendre, avec le musicien ou la musi­cienne qui, caché dans les jardins, étudie... pour elle et pour elle seule. Cette musique sensuelle d’une unique et envoûtante volupté...

Là encore la conformité parfaite d’un être avec sa nature, et avec le principe d’ordre universel qui est en lui, constitue un espace proprement divin que la musique, dans sa diver­sité et son uniformité, manifeste. Comment cette musique ne serait-elle destinée aux dieux ? En jouant de la flûte nous traversons vers la rive lointaine... sur le lac un instant on se retourne... à la montagne bleue s’enroulent les nuages...

Je ferai à de nombreuses reprises ce type d’expériences au cours d’un voyage dont je reviendrai transformé.

Plus culturelle sans doute, mais non moins impres­sionnante, notre visite de ce qui est dit « la Voie sacrée »... D’abord celle des soldats dressés de chaque côté de la voie, puis celle des grands animaux de pierre : chevaux, dragons et autres, rangés à droite et à gauche tout au cours de la grande allée.

Il pleut, les fleurs de pêchers sont encore plus rouges, imprégnées par la pluie...

Nous pataugeons dans la boue et, comme on nous presse, nous décidons de faire des photographies.


Le 23 avril 1974. Cf. Marcelin Pleynet, Le voyage en Chine, p. 68.
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Mais qu’est-ce qu’une photographie dans de pareilles cir­constances ? Et que dit-elle d’autre, si ce n’est : « J’ai été là et je voudrais encore y être. » Ou plus exactement :« Là j’ai été présent. Infiniment présent ... »

Dans les saules verdoyants traîne encore la brume légère du matin...

... N’est-ce pas ce que l’on appelle à juste titre « la Voie sacrée » ?

De cette expérience chinoise, au milieu du chemin de ma vie, l’étendue m’a marqué pour toujours...

L’homme accompli ne raccompagne pas ce qui s’en va, ne se porte pas au-devant de ce qui vient, il accueille tout, ne conserve rien, et de ce fait embrasse les êtres sans jamais subir de dommages...

La calligraphie : musique visible... corps, peinture... littérature : pinceau musical... Ce que j’ai découvert en Chine...

Tant d’autres expériences alors m’ont marqué : la croisière sur le Yangtsé... La rencontre des deux fleuves Huangpu/Yangtsé...

Sur le fleuve le déploiement des jonques et le passage des grands cargos... Vent, vagues, étendue d’eau sous un dra­peau rouge.

Huangpu, Yangtsé dans la mélange divisée du cœur. ..

Entre Nankin et Luoyang, le défilé qui, de chaque côté de la voie du chemin de fer, se compose de montagnes éta­gées où, par paliers, des parcelles de champs cultivés, d’un vert clair et lumineux, témoignent d’une vie pour toujours proche et lointaine.

D’étroits chemins de terre parcourent ce que je vois, ce que je ne peux pas ne pas penser... Tous les poèmes que j’ai lus avant mon départ... Il me semble les revivre dans un poème de Chia Tao : « Au milieu d’un enchevêtrement de montagnes et d’arbres en automne... une grotte... »

J’aurai encore cette sorte de sensation poétique... en visi­tant le tombeau des Ming... et lors de la visite du temple de Wuliang Dian qui date de 1381.

Son nom vient de ce qu’il abritait une statue de « Bouddha d’Éternité Incommensurable » (Wuliang Shou­ fo), par la suite on ne le nommera plus que Wuliang, que l’on prit l’habitude d’écrire avec des caractères signifiant non plus « sans poids » mais « sans poutre ».

Le Wuliang est en effet un des rares exemples d’archi­tecture entièrement dépourvu de bois. Il est au centre d’un jardin et se dresse dans une forêt de bambous qui en grande partie le cache... Plafonds, portes et fenêtres sont voûtés. Pas de porte. Les grandes ouvertures, à chaque extrémité, sont fermées par de lourds battants de bronze...

Aucun doute je suis en Chine dans un ordre qui m’ex­cède de toute part... Je n’en reviendrai pas.

De ce voyage je rapporterai un journal, Le Voyage en Chine (14 avril-3 mai), qui en est à sa seconde édition.

Je n’en suis jamais revenu. Et aujourd’hui, sur cette place à Venise, c’est encore la Chine qui m’occupe...

« Je n’en reviendrai pas. » « Je n’en suis jamais revenu. » C’est dire que Le Voyage en Chine de Marcelin Pleynet n’a rien d’un « Retour de Chine » comme il y a eu tant de « Retour de l’URSS » (Gide, entre autres). Et que, pour faire retour en Chine, ne serait-ce qu’en pensée, pour que la Chine revienne encore et en corps, il faut, d’une certaine manière, que le poète n’en soit jamais revenu.

J’ai cité ce passage, persuadé qu’il ne sera pas vraiment lu (y compris par les meilleurs lecteurs de Pleynet ?), pas plus que n’a été lu Le Voyage en Chine avant que je ne m’en occupe en 2011 (le livre a été réédité en 2012).

Chronique vénitienne

Venise... La Chine... Sans doute faut-il insister... Pleynet lui-même nous y invite. Il écrivait déjà au beau milieu de Chronique vénitienne (Gallimard, 2010) :

Venise le lieu et la formule.

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La mer s’assombrit parfois avec des éclats lumineux.

En 1974, sept ans après mon retour des États-Unis, Phi­lippe Sollers me propose de participer au voyage en Chine qu’il organise et où il a déjà invité Julia Kristeva, Jacques Lacan et Roland Barthes. Lacan se décommande au der­nier moment (un jeune représentant de l’ambassade de Chine lui ayant dit : « Alors comme ça vous êtes un vété­ran de Tel Quel ? ») — Barthes sera des nôtres non sans réticences multiples dont témoignent les notes des carnets inédits récemment publiés. Un employé des éditions du Seuil se joindra également au groupe...

Quelques livres furent publiés sur ce voyage, notam­ment Des Chinoises et, toujours de Julia Kristeva, un pas­sage de son premier roman Les Samouraïs... Pour ne pas citer le volume, que j’ai publié à la librairie Hachette (P.O.L) Le Voyage en Chine, où l’essentiel de ce que j’ai vécu, au cours de ces trois semaines, se trouve répertorié.

La revue Tel Quel se dégage alors de la pression hostile du P.C.F. Le plus sûr moyen d’en sortir sans la moindre ambiguïté, c’est encore la Chine ... L’opération, militaire s’il en fût, s’est révélée très efficace.

Dirai-je, qu’aujourd’hui, j’identifie encore ce que je vis, et que j’avais alors déjà vécu... à Venise (et que pour l’essentiel le taoïsme manifeste)... et encore aujourd’hui... À tel point que si je devais rééditer ce petit livre, aujourd’hui épuisé, je le sous-titrerais sans doute « chroniques véni­tiennes ».

L’influence du taoïsme et notamment de Tchouang­ tseu y est pour beaucoup... Il faudrait le manifester plus explicitement...

Tchouang-tseu est mort en l’an 300, avant notre ère... Où en était alors ce que l’on dit la civilisation occiden­tale ?

Il n’empêche, aujourd’hui, je ne peux concevoir mon existence à Venise dans une autre perspective que celle qu’établit Jean François Billeter dans ses incontournables Leçons sur Tchouang-tseu.

Leçons prononcées au Collège de France en octobre 2000, et reprises dans le petit volume (publié aux éditions Allia) qui m’accompagne depuis quelques mois : « Veille à ce que l’intentionnel ne détruise pas le nécessaire »...
L’humain n’est pas autre chose que l’intentionnel — Le Ciel n’est pas autre chose que le nécessaire.
L’humain : activité intentionnelle et consciente, est inférieur... le Ciel : l’activité nécessaire et spontanée, inconsciente en un sens, est supérieure.

Il n’est pas jusqu’aux récits que cite Billeter qui ne me retiennent par analogie...

Pour décrire le passage du régime inférieur au régime supérieur, Tchouang-tseu se sert, en plusieurs endroits, du mot « wang », « oublier ».

Le Tchouang-tseu est un unique traité sur l’expérience — son incomparable singularité vide ; et sur les bienfaits créateurs d’une inaliénable solitude.

« Et toi, dans la confusion où tu es, tu crois pouvoir demander à Tchouang-tseu des comptes sur telle distinc­tion, ou à le chicaner sur tel argument [...] N’as-tu pas entendu parler du jeune paysan de Cheou-ling qui avait tenté d’imiter la démarche du beau monde, à la fin il ne savait même plus marcher comme ille faisait avant ? Il dut rentrer chez lui à quatre pattes. »

Et encore :

« Houei Che lui dit : Elle a été votre compagne, elle a élevé vos enfants, elle a vieilli avec vous. Il serait choquant que vous ne pleuriez pas sa mort. Mais que vous chantiez en vous accompagnant sur une jarre, cela passe la mesure !
Tchouang-tseu répondit : Nullement. Lorsqu’elle est morte, croyez-vous donc que je n’ai pas été affligé ? Mais je me suis rendu compte qu’il fut un temps où sa vie n’était pas encore, où même aucune forme n’était encore apparue, où même aucun souffle ne s’était manifesté ; que quelque chose qui avait d’abord existé caché dans l’indistinction première s’était transformé en un souffle, que ce souffle s’était transformé et avait pris forme, que cette forme s’était transformée et avait donné lieu à la vie et que, maintenant, par une nouvelle transformation, elle avait passé dans la mort, exactement comme se suivent les quatre saisons, le printemps et l’automne, l’hiver et l’été.
Elle repose en paix dans un caveau immense et moi, je sanglotais bruyamment auprès d’elle. Je me suis aperçu que c’était ne rien comprendre à la nécessité... et je me suis arrêté. »

Mais c’est encore le récit de la visite de Confucius aux chutes de Lü-leang qui aujourd’hui retient le plus certainement mon attention.

« Confucius admirait les chutes de Lü-leang. L’eau tom­bait d’une hauteur de trois cents pieds et dévalait ensuite en écumant sur quarante lieues [...] Confucius aperçut un homme qui nageait là. Il crut que c’était un malheureux qui cherchait la mort, et il dit à ses disciples de longer la rive pour se porter à son secours.

Mais quelques centaines de pas plus loin, l’homme sortit de l’eau et, les cheveux épars, se mit à se promener sur la berge en chantant.

Confucius le rattrapa et l’interrogea : Je vous avais pris pour un revenant mais, de près, vous m’avez l’air d’un vivant. Dites-moi : avez-vous une méthode pour surnager ainsi ?

Non, répondit l’homme, je n’en ai pas. Je suis parti du donné, j’ai développé un naturel et j’ai atteint la nécessité. Je me laisse happer par les tourbillons et remonter par le courant ascendant, je suis les mouvements de l’eau sans agir pour mon propre compte.

Que voulez-vous dire par : partir du donné, déve­lopper un naturel, atteindre la nécessité ? demanda Confu­cius.

L’homme répondit : Je suis né dans ces collines et je m’y suis senti chez moi : voilà le donné. J’ai grandi dans l’eau et je m’y suis peu à peu senti à l’aise : voilà le naturel. J’ignore pourquoi j’agis comme je le fais : voilà la nécessité. »

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Ainsi suis-je à Venise, sans autre explication.

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Marcelin Pleynet chez lui, à Paris.
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A-t-il été entendu ce témoignage du début des années 80 que je rappelais en 2009 et que je vous invite à réécouter tant la fidélité de Pleynet à ses sensations poétiques et à son expérience (« expérience intérieure ») de l’époque (« au milieu du chemin de notre vie ») me semble l’évidence.

Mao/Dao

« Qui peut bien être ce Mao, libérateur de la Chine ? Drôle de biographie. Curieux destin... ». Voici.

Le voyage en Chine de 1974 [14].
Les poèmes de Mao affichés partout étaient illisibles pour les Chinois.
Le geste politique initial de Mao était de se présenter comme celui qui était capable de s’approprier tout l’espace culturel du passé chinois.
L’écriture "herbeuse".
Tracer un caractère est un geste symbolique autant que politique.
La "Réponse au camarade Guo Moruo" et la légende du Si Yeou Ki [15].
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RÉPONSE AU CAMARADE GUO MO-RUO
17 novembre 1961
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vents et tonnerres se levant sur la grande terre
aussitôt fantômes naissant sur les tas d’os blancs
le bonze est idiot mais éducable
les catastrophes viennent des génies malfaisants

le singe d’or brandit son bâton de mille livres
dix mille li sans poussière et l’univers devient jade
appelons aujourd’hui Sun le grand parfait
devant le retour en brouillard des monstres

Lecture : Marcelin Pleynet.
Traduction : Philippe Sollers, Tel Quel 40, Hiver 1970.
Reproduit également dans Stanze de Marcelin Pleynet, coll. Tel Quel, 1973, p. 163.

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Ne seront pas lues sans doute les nombreuses références chinoises dans le dernier roman de Sollers Mouvement (« Les poètes chinois, on en a tout de même un peu soupé, à la fin », ai-je lu récemment sous la plume d’un très bon critique) ni, surtout, les citations des poésies de Mao qui figurent aux pages 145 à 150 du chapitre « Lumières » où on peut lire, entre autres, ceci qu’on jugera « provocateur » :

La calligraphie rapide et élégante de Mao s’inspire d’un moine taoïste ancien. S’il a une religion, c’est celle-là, qui n’en est pas une (je peux m’amuser, en français, à associer Mao et Dao). Il joue à fond dans le registre classique, et il a raison. Le revoici le 9 septembre 1961 (Double Neuf !) :
Grand soir nuit d’espace — vision des pins forts,
Comme toujours, aisément, traversée en vol des nuages,
Grotte des immortels venues du ciel,
Sans bornes, vents et lumières à pic.

Mais c’est une autre question (c’est pourtant la même et il faudra y revenir).

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Notes sur le motif

Lors de mes séjours à Venise, je prends beaucoup de notes. Il m’arrive d’en tirer juste une phrase, et, si la chance est là, une phrase juste. Je fais aussi de nombreuses photographies. Mais, en 2011, c’est une une amie qui m’a pris en photo à la terrasse du Linea D’ombra sur les Zattere, non loin de la Pointe de Mer. Le livre que j’ai entre les mains est La Dogana. Il n’y a pas de hasard.


Venise. Terrasse du Linea D’ombra. 1er juillet 2011.
Photo M.D. Zoom : cliquez l’image.
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« Mais qu’est-ce qu’une photographie dans de pareilles cir­constances ? Et que dit-elle d’autre, si ce n’est : "J’ai été là et je voudrais encore y être." Ou plus exactement : "Là j’ai été présent. Infiniment présent ..." »

Cette année, au mois de juin, j’emporterai à Venise Le retour et l’édition bilingue de La Dogana.

Jiang Shiquang a raison :
Cent fois on relit, toujours on voit plus loin,
Au toucher de la main le texte reprend vie.
 [16]
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Post-scriptum : La Dogana 1994

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Venise, le 11 juin 2016. Nous avons loué un appartement calle della testa à l’angle de la calle nova où il me plaît de penser que Nietzsche aurait pu séjourner au printemps 1880 quand il écrivit quelques fragments d’Aurore dont le titre fut un temps L’Ombra di Venezia (j’ai amené le livre avec moi) [17]. De la fenêtre de l’appartement, on voit l’imposante basilique dei Santi Giovanni e Paolo, San Zanipolo pour les Vénitiens. Dès notre arrivée, nous traversons le rio dei Mendicanti qui sépare le quartier du Cannaregio du quartier du Castello, nous remontons la longue place en L, une des plus grandes de Venise (cf. Marcelin Pleynet, L’étendue musicale, Gallimard, 2014, p. 70-72), et nous nous rendons à la Librairie Française, Barbaria delle Tole, qui se trouve à 200 mètres (50 mètres plus loin, sur la gauche, un très bon restaurant, pas cher, tenu par une Vénitienne de choc qui fera très vite la distinction entre les touristes et vous). L’amie qui m’accompagne veut se procurer l’édition bilingue de La Dogana. Hélas, le seul exemplaire que le libraire possédait est vendu. Peut-il s’en procurer un autre ? Difficile, voire impossible. Je dis au libraire que, personnellement, j’ai reçu le livre, que j’ai également la première édition, celle de 1998, mais que je ne connais pas l’édition illustrée par Pierre Nivollet en 1994. Et là, le miracle ! — Je dois l’avoir ! — Ah ! Vous pourriez me la montrer ? Le libraire part dans sa réserve et revient deux minutes plus tard. Le livre est en excellent état. Je le feuillette, décidé à l’acheter. Le libraire retourne dans sa réserve et revient avec un tiré-à-part, une lithographie de Nivollet (50 x 33 cm), signée au crayon. Sans que j’ai eu à négocier quoi que ce soit (ce que je n’aurais su faire), il me fait un prix et m’enveloppe la lithographie dans un carton d’emballage qui traînait. Voilà, c’était mon premier soir à Venise. Inutile de dire qu’avec de tels augures, le séjour fut riche en nouvelles découvertes. Appelons ça la Fortune, la chance.


La Dogana, édition de 1994.
Exergue : ’Un oeil qui pour l’objet n’a pas de dédain,
Ne se voit plus lui-même et s’aveugle à la fin.’ Angelus Silesius.

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Lithographie de Pierre Nivollet.
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Lithographie de Pierre Nivollet.
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Exemplaire 38/250. Signé au crayon par Marcelin Pleynet et Pierre Nivollet.
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La Dogana et l’église San Giorgio vues des Zattere. 14 juin 2016 (ciel de traîne 1).
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La Dogana et la Salute vues de San Giorgio. 17 juin 2016 (ciel de traîne 2).
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Le Grand Canal, la Dogana et la Salute vus du bas du pont de l’Académie. Nuit du 14 juin 2016.
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A.G., les 28 et 29 juin 2016.

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Portfolio

  • Illustration, Dictionnaire amoureux de Venise

[1Deux précisions : le San Crisogono a cavallo, de Michele Giambono dont parle Pleynet se trouve dans l’église San Trovaso et le film qu’il a réalisé, avec Florence D. Lambert, est Vita Nova. Chronique vénitienne et L’Instant romain sont deux entretiens filmés qui ont été projetés en novembre 2011 dans un cinéma parisien.

[2Le 6 avril est, de plus, le jour de la saint Marcelin si j’en crois le calendrier. Je regarde mon exemplaire de Chronique vénitienne et je vois que je l’ai acheté le 6 avril 2010...

[3Qui n’est pas toujours, contrairement à ce que voulait faire croire le pape Nicolas 1er, un signe de reniement, fût-elle surmontée d’un coq.

[4Cf. Le Parménide (A.G.)

[5La Dogana, p. 86.

[6Le retour, p. 70.

[7C’est ainsi que Pleynet qualifie Le Savoir-vivre dans Le retour (p. 85).

[8779-843.

[9Cf. Tao Te king : Traduit et commenté par Marcel Conche. Vous noterez que Marcel Conche critique la traduction de Liou Kia-Hway à laquelle il préfère celle de Duyvendak. Quant à Jean Lévi, il traduit ainsi le passage (Le Lao-tseu, Albin Michel 2009) :

Qui détient l’image suprême
attirera à lui l’empire.
Il viendra à lui et sera à l’abri du malheur.
Grandes seront sa paix et sa joie.
Musique et ripailles arrêtent le passant,
mais dès qu’on parle de la Voie,
tous s’écrient : « C’est fade ! c’est insipide ! »
La regardant, elle est invisible,
l’écoutant, elle est inaudible,
l’utilisant, elle est alors inépuisable.

[10« Le pays est très beau. Représentez-vous un immense amphithéâtre, tel que la nature seule peut en faire. Une plaine largement ouverte et spacieuse est ceinte de montagnes ; ces montagnes portent à leur sommet de hautes futaies antiques ; le gibier est là abondant et varié. » — Pline le Jeune, lettre à Domitius Apollinaris.

[12Y séjourner, y retourner, c’est ce que n’a pas su faire Heidegger. Cf. Venise en passant.

[13En fait, le voyage dura trois semaines.

[14Voir Mao et la Chine.

[15Sur la légende du Si Yeou Ki ou Le Voyage en Occident, voir Marcelin Pleynet, Le bandeau d’or, in STANZE, coll. Tel Quel, 1973, p. 153.

[16Ph. Sollers, Mouvement, p. 142.

[17En fait, au printemps 1880, Nietzsche habitera au palais Berlendis sur les fondamenta nuove, à 100 m de là, et, au printemps 1884, dans un appartement tout proche, San Canciano, calle nuova 5256 (cf. Friedrich Nietzsche, Correspondance IV, janvier 1880-décembre 1884, Gallimard, 2015). Il est curieux de constater que la ville de Venise ne semble pas avoir gardé la mémoire de ce passant quand même considérable : aucune plaque ne mentionne le nom de Nietzsche en ces lieux.

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