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Baudelaire : moderne & antimoderne. Le doc Stupéfiant

Sollers et "l’invitation au voyage"...

D 26 juin 2021     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le documentaire

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Un film de Julie Peyrard et Caroline Halazy –
Présenté par Léa Salamé –
Collection documentaire produite par Bangumi et France Télévisions.

Résumé

Aussi génial que détestable, obsédé par la beauté, inventeur de la poésie moderne, Charles Baudelaire vomissait son époque et ne respectait rien. Le poète fut même condamné pour outrage aux bonnes moeurs, et l’oeuvre de sa vie, « Les Fleurs du Mal », censurée. Si de nombreux artistes s’approprient aujourd’hui les mots de Baudelaire, le génie reste auréolé d’une lumière sombre. La France, qui aime pourtant fêter ses grands écrivains, a largement oublié le plus vénéneux d’entre eux à l’occasion des 200 ans de sa mort. Ce numéro étudie le paradoxe d’un réactionnaire moderne, d’un odieux sublime, d’un génie incompris, en compagnie de spécialistes et d’artistes.

Oui, Charles Baudelaire était stupéfiant pour la plupart de ses contemporains, intellectuels et politiques, et bien sûr pour le grand public. Né le 9 avril 1821, il y a plus de deux siècles, dans cette période si troublée de l’après-révolution. Il a vingt ans dans une France à la fois ultraconservatrice et en permanente révolution. Que dire de cette âme sensible à l’esprit rebelle et provocateur, modelée sur celle de son père disparu trop vite ? Après avoir été renvoyé du lycée Louis-le-Grand, il profite de la vie parisienne dissolue jusqu’à ce que son beau-père, général de l’armée, l’envoie « en croisière » à Calcutta.

L’heureux naufrage de son bateau le dépose à l’île Maurice où il commence à composer ses premiers poèmes. De retour à Paris en 1842, il mène une vie de dandy parisien et s’éprend de Jeanne Duval, muse et grand amour de sa vie... Très vite, son héritage paternel disparaît dans l’alcool, les femmes et l’opium duquel il devient dépendant. Pour vivre, il travaille comme critique d’art et critique littéraire, ainsi que traducteur quasi exclusif d’Edgar Allan Poe. Ses notes biographiques et analytiques sur l’auteur américain sont un trésor à double titre pour le lecteur : celui de l’écriture et de l’esprit du poète et celui de la matière même : les nouvelles de l’écrivain*.

Le recueil de poèmes le plus célèbre de Charles Baudelaire paraît en 1857. À leur sortie, Les Fleurs du mal soulèvent un tollé : l’auteur est condamné pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs » et doit en retirer six poèmes. Les difficultés financières et les problèmes de santé le font sombrer peu à peu ; il décède le 31 août 1867, il a 46 ans.

Aujourd’hui, si de nombreux artistes s’approprient les mots de Baudelaire, le génie reste auréolé d’une lumière sombre. Pour les 200 ans de sa naissance, Le Doc Stupéfiant se penche sur les paradoxes du poète, ceux d’un réactionnaire moderne, d’un odieux sublime, d’un génie incompris.

En compagnie de Léa Salamé, voyage en pays de Baudelaire, dans sa vie et son œuvre en bonne compagnie
des artistes qui l’ont interprété : Léo Ferré, Serge Regiani, jusqu’aux artistes contemporains Mylène Farmer et Clara Luciani.

de la sensuelle Camélia Jordana aux lèvres pulpeuses qui ponctue le documentaire de lectures de ses poèmes. Raccord avec la sensualité des poèmes de Baudelaire.

de deux de ses biographes ; Isabelle Viéville-Degeorges et Jean Teulé auteur de « Crénom Baudelaire »

d’ Antoine Compagnon du Collège de France, de Marc Laferrière, de Michel Houellebecq en qui Térésa Cremisi voit un Baudelaire contemporain

de Jeanne Duval, sa passion peinte par Manet,


Édouard Manet, La Dame à l’éventail ou La Maîtresse de Baudelaire, 1862
© Budapest, musée des Beaux-Arts>
ZOOM : cliquer l’image

Baudelaire n’a pas aimé le portrait de sa maîtresse par Manet, ni l’Olympia

par Philippe Sollers

[Baudelaire, moderne pour sa poésie, mais antimoderne pour son jugement sur la peinture de Manet, à l’image des critiques de l’époque]

« Voyons l’Olympia. Pourquoi ce scandale ? Pourquoi cette indifférence suprême de Manet qui produit un scandale ? C’est ce tableau qui a révélé l’ignorance du temps où Manet vivait. Il ne faut jamais oublier qu’il avait un peu d’argent, qu’il ne vendait rien, tout le monde crachait sur sa peinture, Baudelaire pensait que Manet n’avait pas de caractère et lui écrit : « Vous n’êtes que le premier dans la décrépitude de votre art. » Quelle erreur ! Manet est au contraire une Renaissance à lui seul. On peut expliquer pourquoi Baudelaire ne dit pas un mot de l’Olympia ni du Déjeuner sur l’herbe  : il ne voit pas cette renaissance qu’incarne Manet. Manet dit, en somme : Titien ou Vélasquez, aujourd’hui, c’est moi. C’est ça le scandale, Baudelaire a été choqué du portrait de Jeanne Duval, sa maîtresse, qu’il a amenée à l’atelier de Manet. Vous vous souvenez de ce tableau terrible ? Manet peint ce qu’il voit et n’arrange rien. C’est un tableau cruel qui est le contraire de l’Olympia ou du Déjeuner sur l’herbe, le contraire des portraits extatiques de Berthe Morisot ou, plus tard, de Méry Laurent. Toutes ces femmes sont là comme le signe de l’aventure physique et spirituelle de Manet. C’est cela qui est, à mon avis, censuré, mal vu, parce que c’est admirablement intense et, en même temps, très composé. Manet est un très grand compositeur, et c’est pour cela qu’il a produit cet effet de profonde renaissance. »

Philippe Sollers
in Entretien avec Stéphane Guégan le 25/11/2010

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voyage au pays de la drogue (hashish, opium) et du mal-être (spleen), des thèmes alors nouveaux et qui continuent à irriguer notre modernité.
Il s’éteint dans les bras de sa mère à 46 ans détruit par la syphilis

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Enivrez-vous
Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !
Charles Baudelaire

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"L’invitation au voyage" par Philippe Sollers

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L’invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
— Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

— Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal

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Crédit :
franceculture.fr/ (poour l’enregistrement audio)
fleursdumal.org/ (pour le texte)

Sollers à propos des "Poèmes interdits"

Loin du scandale et des rumeurs tapageuses d’une cour de justice, ce que révèlent les pièces condamnées, ici rassemblées, c’est le génie d’un poète pris au piège de ses fantasmes. En proie à des fascinations toujours plus noires, Baudelaire repousse les limites de la transgression et plonge dans les profondeurs de l’âme humaine, en quête d’un art absolu.

« Ce que Proust imagine, Baudelaire le voit. »

Philippe Sollers
in Préface aux "Poèmes interdits" illustrés par Gabriel Lebebvre
- Plus sur les "Poèmes interdits"

Sollers à propos de Baudelaire dans les "Lettres à Dominique Rolin"

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reçu à Paris le samedi 1er août 1981 à 12 heures.
(vendredi) Le Martray, 31/7/81

[…] Tu sais ce qu’écrit Baudelaire : « Étant enfant, je voulais être tantôt Pape — mais pape militaire —, tantôt comédien. Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations » (1), les Gesuati (2) sont à toi. (le rêve).
Orage, ce matin. Tonnerre — et le ciel se dévoile, colère.
Je t’aime, je t’embrasse,

Ph

1. Ch. Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », in Œuvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1975, p. 702-703.

2. L’église Santa Maria del Rosario o dei Gesuati, située à Venise sur la « Fundamenta Zattere ai Gesuati », le long du canal de la Giudecca non loin de la pension La Calcina où, pendant de longues années, D. Rolin et Ph. Sollers occupaient la chambre 32. D’où le sigle « 32 » qui reviendra dans plusieurs lettres.

(p. 29-30). Blanche, Gallimard


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(reçu à Paris le samedi 4 août 1984 à 12 heures.)
Le Martray, 3/8/84 (vendredi)

[…] Je relis Baudelaire sur Edgar Poe. Il l’appelle toujours « l’homme du Sud »… « Le Virginien »… Les attaches de Poe étaient à Richmond (Virginie) où il a dirigé le Southern Literary Messenger. Juste avant la guerre dite de Sécession, donc. De Poe à Faulkner, la tradition Sud, la tradition « française » perdue par la France elle-même (mais pas par Bordeaux !) se continue donc de façon évidente. (Évidente : c’est pourquoi personne n’en parle !) L’Histoire est écrite par les Nordistes… C’est-à-dire par les Allemands… (Juifs compris). Baudelaire prend d’ailleurs soin de noter que les textes de Poe sont « émaillés de termes français ». Il l’oppose à Goethe… Le compare à Balzac. Et à… Diderot !… « Diderot, le plus hasardeux et le plus aventureux, qui s’appliqua, pour ainsi dire, à noter et à régler l’inspiration ; qui accepta d’abord, et puis, de parti pris, utilisa sa nature enthousiaste, sanguine et tapageuse. » J’écoute Fairy Queen de Purcell à la radio. C’est pour toi. Je t’aime, Shamouth PJBB (1), je t’embrasse,

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1. Explicité en exergue du Dictionnaire amoureux de Venise par Philippe Sollers : « Pour la Grande Petite Jolie Belle Beauté ».

(pp. 61-62) Blanche, Gallimard


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(reçu à Paris le lundi 13 juillet 1987 à 18 heures.)
Le Martray, le 11/7/87 (samedi)

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Jo, la belle Irlandaise
ZOOM : cliquer l’image

[…] J’ai une édition de poche du Spleen de Paris, de Baudelaire, avec, sur la couverture, la reproduction d’un tableau de Courbet : La belle Irlandaise. Sais-tu d’où vient ce tableau ? Je n’en ai pas la moindre idée. On dirait un des personnages contemplatifs de Bellini, à l’Accademia. Drôle de type. (C’est aussi un peu ton style dans le dessin).
Merci encore pour les Annonciations, Shamouth : très utiles !
Je t’aime, je t’embrasse,

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(reçu à Paris le vendredi 18 juillet 1997.)
Le Martray, le 17/7/97 (jeudi)

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[…] Nous vivons dans un autre temps, dans le Temps lui-même :
« Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un (2). »
C’est du Père Hugo ! Plein de pépites comme ça dans des torrents de fadaises ! Peu importe.
Évidemment, Baudelaire c’est mieux :

« Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses (3)… » Lis de la poésie. Les Fleurs du Mal. Ça fait du bien ! Je pense à toi tout le temps. Ripatte ! Et mange-à-moi (4) !
Je t’aime, Shamouth, je t’embrasse,

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2. Vers de Victor Hugo issu de « Ce que dit la bouche d’ombre », poème XXVI du recueil Les Contemplations.

3. Premier vers du poème « Le Balcon », poème XXXVI du cycle « Spleen et Idéal » dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire.

4. Mots du code amoureux entre les amants.

(p. 201-202). Blanche, Gallimard


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reçu le vendredi 19 juillet 2002.
Le Martray, le 18/7/02 (jeudi)

Mon amour,

[…] Autant en emporte le rien. Vivons.

Dumas, oui, c’est très bien, bravo, pourquoi pas, et au Panthéon, d’accord : que ne ferait-on pas, en France, pour oublier Baudelaire !

« Mon enfant, ma sœur.
Songe à la douceur — » (2)

Je t’aime, Shamouth, à tout de suite, Nouba, je t’embrasse,

Ph


2. Charles Baudelaire, « Invitation au voyage », poème LIII de « Spleen et Idéal », première section des Fleurs du Mal.

(p. 263). Blanche, Gallimard

in Lettres à Dominique Rolin 1981-2008 par Philippe Sollers


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