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Sollers l’éternel retour, par Anthony Palou

Le Figaro littéraire, 18 avril 2024

D 18 avril 2024     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


L’’œuvre de Sollers est un paradis pour commentateurs, exégètes, universitaires, brouilleurs de pistes en tout genre ; le drame, c’est que ces romans furent de moins en moins lus pour le seul plaisir de la lecture. Leurs difficultés apparentes participent à la légende du fondateur de Tel Quel et son dernier texte, inachevé, ne fera pas exception. Sur cette dernière fugue — une cinquantaine de pages écrites dans la fièvre et la curieuse solitude des hôpitaux et des lieux de repos -, il sera toujours temps de couper les cheveux en quatre. Laissons aux légistes le soin de l’autopsie. Alors, lisons-le humblement, écoutons-le plutôt, allegro con brio e appassionato. Musique ! Les romans de Sollers sont des partitions. Les mots sont des notes qui se chantent comme chantent ces oiseaux perchés sur un fil électrique. Rêve auditif d’un chœur absolu.

Ouvrons cette Deuxième Vie, sorte de carnet de nuit, et prenons, pourquoi pas, une page au hasard. L’effet est immédiat : l’auteur vous chuchote, éclaircie dans la voix, des secrets à l’oreille. La Deuxième Vie glisse sur la voie romanesque qui, du Secret (1992) à Graal (2022), traverse des champs magnétiques. Fusion du concept dans la poésie, à moins que ce ne soit le contraire. Ici et, là, notre modernité est ironisée, elle est passée au blender : la télévision ? Elle « efface le présent, et s’enfonce dans l’essentiel du passé », mais elle est préférable au cinéma — ce marché du contre­ fantasme et « premier responsable de l’épidémie des féminicides ». Quoi d’autres ? Les progrès de la divine chimie, l’enfer de la technique, ou encore cette « blonde féministe épanouie qui vante (...) les charmes du trans­genre », etc. On trouvera aussi quelques passes d’arme sur Annie Ernaux ou Michel Houellebecq, ces symptômes de notre étrange époque.

Toute étreinte est une corrida

La Deuxième Vie, titre énigmatique ? Oui et non. Arrêtons-nous sur l’exergue. Une phrase de Sade tient lieu de programme : «  Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir ». La Deuxième Vie n’est pas « une lubie de vieillard sous morphine  », « n’est pas une résurrection ni même un postérité  » et « elle n’a rien à voir avec la religion » : « Je comprend s pourquoi je suis devenu un spécialiste des contiguïtés. La première Vie évoque souvent la Deuxième, soit par de grands silences solennels, soit par des éclairs d’une rare intensité. Le Deuxièmiste parle avec une jeune amie, mais ce qui apparaît, sous ses yeux, est un futur et gracieux squelette. Une autre fois, c’est bien lui qui allume une cigarette en plein soleil, au bord de la tombe dont il vient de sortir, pendant qu’un touriste lui de­ mande s’il est le jardinier du cimetière. » « C’est plutôt drôle de mourir », murmure le révérend Nabokov de l’autre côté des Alpes.

La deuxième vie serait donc déjà là puisqu’on « meurt plusieurs fois à soi-même ». Bien entendu, une femme protectrice traverse ce roman en friche et elle ne porte pas n’importe quel prénom, elle s’appelle Eva. Serait-elle, elle aussi, « partie prenante du grand remplacement des hommes par les femmes  » ? Du pur Sollers aussi, lorsqu’il évoque l’ordinateur Deep Black, ce « Gros Animal » — référence à cet adversaire de Kasparov, Deep Blue —, contre lequel il faut essayer de multiplier les parties nulles afin d’échapper à la mort sociale. Comme toujours, l’auteur convoque à sa table ses spectres préférés : voilà Rimbaud, voilà Picasso. Comme le poète synesthète, il donnè des couleurs non aux voyelles, mais aux heures qui passent : « Le trois est noir, le quatre est rouge, le cinq est gris, le six bleu foncé, le sept bleu clair, le huit blanc, le neuf vert » ; comme le peintre espagnol («  énergie super-quantique »), il rêve, dans un regain de vitalité, d’une étreinte. Toute étreinte est une corrida . La mort est une nuit de noces .

Dans ces cinquante pages, flotte un autre passant considérable, jamais nommé : Nietzsche. « La joie veut l’éternité de toutes choses, veut la profonde, profonde éternité ! » Il y a toujours eu chez Sollers ce refus de blasphémer contre la vie, ce comble de l’impolitesse. L’Étemel Retour, la sélection des instants de nos vies qui méritent d’être vécus à l’infini. Ce sentiment accompli qu’il n’y a plus de différence entre le présent et l’éternité, tel est le salut. Et puis, sans doute, y a-t-il un monde ailleurs. Le tout, c’est d’être prêt, comme disait Shakespeare.

Souhaitons que tout le monde vienne, une fois au moins, à Sollers, voyant en lui non pas quelques jésuiteries intellectuelles, mais l’une des plus grandes affirmations de la valeur du vivant que les lettres françaises nous aient données ces dernières année. Voici la dernière ligne écrite de sa main, sans ressentiment, le 10 mars 2023 : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir. » Sollers a vécu en œuvres d’art. Son corps glorieux repose à l’ile de Ré. Souffle de la brise, bercement des vagues, vol des mouettes dans le bel aujournuit.

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Bonne année, M. Sollers

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