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D’autres points de vue sur La carte et le territoire

Rentrée littéraire 2010 avec Michel Houellebecq

D 9 septembre 2010     A par Viktor Kirtov - C 8 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


La vague de la fin de l’été partie de chez Flammarion dès la mi-août porte haut La carte et le territoire de Michel Houellebecq, avec un objectif : le Goncourt 2010. Les vents du début de parcours sont porteurs, mais déjà quelques vents contraires se sont levés, à commencer par celui de Tahar Ben Jelloun, membre du jury Goncourt, qui se met délibérément en travers de la route du brick sous pavillon irlandais de Houellebecq. Parmi les vents porteurs : Frédéric Beigbeder qui « ose le mot chef d’oeuvre » pour son ami Houellebecq. Sollers, plus sobre, et sans doute plus juste, dit : « c’est très réussi ». Beaucoup d’articles en rendent compte et donnent envie de le lire. Ce que j’ai fait.
Après sa lecture ce qui me frappe, c’est qu’aucun des articles, aussi brillant soit-il, ne restitue la somme de ce livre. Même les commentaires, pourtant très variés, mis bout à bout n’arrivent pas à restituer ce grand patchwork littéraire finement composé et cousu. Il y a une histoire, qui en constitue la trame, l’ossature, le squelette, mais Olga la belle qui désire, Jed Martin, un des alias de l’auteur, Michel Houellebecq écrivain - son propre personnage - et le commissaire Jasselin ne s’animent que dans le texte. Et même ces personnages et les autres, nombreux, nombreux, ne sont là que pour nous emmener en promenade avec eux à la découverte de leur territoire, un grand patchwork aux multiples petits morceaux sur ou dans lequel ils se meuvent et meurent.

Pas plus que les autres critiques celle-ci ne va réussir à vous restituer la chair, la somme de ce livre, et n’en a pas l’ambitieux désir. Une seule façon d’apprécier la richesse de ce roman-essai en forme de satire, fluide à lire, qui donne du plaisir à lire, ...le lire !

Nous ne retiendrons donc, dans ce qui suit, que quelques carrés du patchwork - quelques uns que nous n’avons pas vu abordés ailleurs, comme « Houllebecq en duc d’Orléans » ou sur lesquels nous avons plaisir à placer notre loupe.
En introduction, un bref entretien radio avec Sollers, évoquant la rentrée littéraire 2010 et le livre de Michel Houellebecq.

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Crédit : Inrocks

La rentrée littéraire

Extrait de l’émission « 5 à 7 du week-end » de Laurence Garcia, du 5 septembre 2010, sur France Inter.

Laurence Garcia évoque d’abord, l’invasion de livres : Plus de 700 ! Comment l’éditeur Sollers sélectionne -t-il ses livres ?

...Je reçois une dizaine de manuscrits par semaine
...On voit très très vite... quelques pages
...La plupart du temps, c’est consternant

...Oui à la voix
...Lire c’est entendre...
...C’est très très rare d’entendre une voix qui passe à travers le vacarme.

Même si c’est pas votre voix, même si elle est à l’encontre de votre voix ?
[...] Encore une fois, c’est un problème musical.
On peut jouer quelque chose qui ne me plait pas vraiment,
si c’est bien joué, autrement dit bien écrit, autrement dit bien entendu, autrement dit ...on sent que quelqu’un vit, vraiment, son aventure avec les mots et la phrase, ça va.


Mais vous, Philippe Sollers, vous lisez par obligation, par notoriété, en tant qu’auteur, en tant qu’écrivain, en tant que romancier, en tant qu’éditeur...?
Oui tout ça !
Il ya d’abord une bibliothèque ou rentrent des livres assez rares .
Deuxième, je suis directeur d’une revue et d’une collection chez Gallimard qui s’appelle l’Infini...

Vous dîtes que tout est institutionnel. Mais Gallimard est institutionnel, Sollers sont institutionnels
[ ...]Mais bien entendu que Sollers est institutionnel ... dans son coin,
il a un petit bureau, c’est tout ce qu’il faut. Une revue, sans aucune publicité, tous les trois mois. Et croyez-moi, ça a une sorte d’influence.
Vous prenez le numéro 102-103 et vous lisez le catalogue, l’index des noms cités. Souvent vous voyez des gens qui ont publié là pour la première fois et qui sont devenus connus après ...Michel Houellebecq, par exemple...

Vous parlez de l’autoroute Houellebecq
Oui. Non, on parle de ça pour la rentrée et puisque qu’il publie un livre qui est excellent d’ailleurs, qui s’appelle La carte et le territoire
et dans sa tonalité sombre et noire, c’est très réussi, voila.
... Donc il va emporter l’adhésion, j’espère pour lui, d’un grand public
d’autant plus que déjà les articles qui paraissent notent que
au fond, il se serait assagi,
il n’y aurait pas de sexe,
qu’il n’y aurait plus de scènes glauques
Oh, c’est bon ça.

C’est bon ça ?
C’est bon pour les lectrices qui achètent les romans.
C’est pas l’époque

Vous pensez ?
_ Oh oui, c’est clair, il y a un repli significatif
On est dans une période de régression, de conformisme aggravé
une époque très réactionnaire
comme Je vous apprends rien, j’espère ;
....Une époque très très conformiste, très réactionnaire
...Ca reprendra d’une façon ou d’une autre, le plus tôt serait le mieux
mais enfin ça risque d’être un tunnel assez long.

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*

Philippe Sollers avait aussi évoqué Houellebecq et son nouveau roman dans son
Journal du mois d’août

« [...] excellent raconteur, roman noir, humour noir, où l’auteur se met lui-même en scène, et va jusqu’à décrire son propre et atroce assassinat dans des pages admirables de précision (on apprend ici beaucoup sur la reproduction des asticots).
S’il y a une justice en ce monde, le prix Goncourt doit couronner cette oeuvre puissante. La vision du monde de Houellebecq est toujours la même : tout le monde meurt, tout doit disparaître dans une apocalypse inévitable (au passage, j’apprends avec amusement que j’ai disparu depuis longtemps [...] »

Avec toutefois un bémol à propos de la saillie de Jed Martin, alias Houellebecq, contre Picasso. Nous allons y revenir, un peu plus avant...

Houellebecq en duc d’Orléans

Exergue du livre

« Le monde s’est ennuyé de moy
Et moy pareillement de luy »
Charles d’Orléans

Que vient faire cette citation de Charles d’Orléans, ici ? Cherchez la clé ! ... Ce contemporain de Jeanne d’Arc, qui a libéré sa ville d’Orléans alors qu’il était retenu par les Anglais, fait prisonnier à Azincourt, en 1415 ne reviendra en France qu’en 1440. Comment a-t-il occupé sa longue captivité ? Douce eu égard à son rang et aux restes de moeurs chevaleresques de l’époque. ...Il a écrit des poèmes et est resté dans l’histoire non pour ses faits de guerre mais pour son oeuvre poétique.

Souvenons nous que Houellebecq a commencé par écrire de la poésie. Notons aussi que dans ce livre, il tue le personnage de Michel Houellebecq romancier. Le commissaire Jasselin, chargé de l’enquête, - clin d’ ?il de l’auteur - habite Porte d’Orléans...
Et que dit la notice Wikipedia...? « De retour en France, il échoue à jouer un rôle politique et, de plus en plus déçu et gagné par le nonchaloir, il se retire dans son château de Blois, occupé à rassembler en un livre les pièces composées pendant la captivité, auxquelles s’ajoutent de nouveaux poèmes. Se moulant parfaitement au cadre allégorique, dominée par la hantise du temps qui s’écoule inéluctablement, sa poésie exprime une émotion disciplinée par l’artifice (le prince-poète a une vraie prédilection pour les formes fixes) et une conscience préoccupée d’elle-même, dominée de plus en plus par la Mélancolie et l’Ennui. »

Michel Houellebecq en duc d’Orléans, prince-poète, autre effet de miroir non relevé par la critique, à ma connaissance.

Effet souligné, par ailleurs, dans le corps du récit avec cette réflexion page 259 [1] : « [...]Je crois que j’en ai à peu près fini avec le monde comme narration - le monde des romans et des films,

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CD : Présence humaine (2000)

le monde de la musique aussi [2]. Je ne m’intérsse plus qu’au monde comme juxtaposition - celui de la peinture et de la poésie. Vous prenez un peu plus de pot-au-feu ?
Jef déclina l’offre, Houellebecq sortit du réfrigérateur un saint nectaire et un époisses, coupa des tranches de pain, déboucha une nouvelle bouteille de chablis. »

Houellebecq ou la possibilité de la poésie ?

A suivre !

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Houellebecq en majesté dans sa galerie des glaces

Jeux de miroirs que ce roman ! Autoportraits réfléchis, superbe mise en abyme.
Houellebeck en majesté dans sa galerie des glaces : à la fois glorieux, couvert de gloire et de fric, dans le personnage principal de Jed Martin, artiste photographe puis peintre, débarrassé des complexes de jeunesse du Michel de Plateforme face aux femmes, doué du pouvoir de « suffrage à vue », qu’évoque parfois Sollers - après Casanova -, capable d’être objet de « désir » et d’amour d’Olga, la belle Russe. Une représentation positivée - au sens de réalité augmentée façon miroirs déformants de la foire du trône, peints d’une couche d’ironie, d’humour et d’autodérision.

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Houellebecq et son chien. Beigbeder en arrire plan.
Crédit : LYDIE/SIPA

« C’est vous qui l’avez eue ? » questionna de nouveau Beigbeder avec une intensité croissante. Ne sachant que dire, Jed garda le silence.
« Vous savez que vous êtes avec une des cinq plus belles femmes de Paris ? » Son ton était redevenu sérieux, professionnel, il connaissait visiblement les quatre autres. A cela non plus, Jed ne trouva rien à répondre. Que répondre, en général, aux interrogations humaines ?

A côté,l’auteur présente une version négativée de lui-même dans le personnage de l’écrivain Michel Houellebecq, ce « débris humain ».
Le Michel Houellebecq du roman vit en Irlande, à Shannon, comme un temps, l’auteur (aujourd’hui, il vit en Espagne).
Mais l’auteur est aussi dans le personnage très humain du commissaire Jasselin chargé de l’enquête sur le crime de Michel Houellebecq, comme aussi dans le chien Michou du commissaire : « un bichon bolonais »...

Houellebecq entomologiste

Houellebecq, comme l’entomogiste avec les insectes, épingle les mots et expressions de l’époque, ou les clichés consacrés par le temps. Il les épingle en les mettant en italique, avec sa « notice » associée, motif finement brodé dans la trame de l’histoire. Le livre reformaté en forme de dictionnaire... pourrait ressembler à ceci :

bichon bolonais apprécié du commissaire Jasselin, et aussi de François Ier qui jugea l’animal « plus aimable que cent pucelles » [...] la notice est beaucoup plus longue. Nom du bichon du roman : Michou (son père s’appelait Michel). Signe particulier : ses testicules ne sont pas descendus [...]

plombier : fait partie de la collection Houellebecq 2010, dans différentes représentations. Malgré la crainte, oubliée, de l’invasion des plombiers polonais, le personnage principal est placé dès le début du livre face à ces petits aléas, grains de sable, qui viennent enrayer la bonne marche des engrenages des appareils domestiques auxquels nous sommes asservis. Non rassurez-vous, pas de développements indigestes bien que le chauffe-eau viendra siffler à plusieurs occasions..! Tout en touches légères (Jed est peintre, non ! Et l’auteur, cinéphile ! ...Mr Hulot revisité, bien qu’aucune allusion : « son chauffe-eau avait émis la même succession de claquements [que l’an dernier], avant de s’arrêter tout à fait. En quelques heures, la température de l’atelier était tombée à 3°C.[un soir de Noël] ». Sur son site Web, il avait trouvé les coordonnées de Plomberie en général « ça sonnait occupé, constamment. Il réussit à les joindre un peu après 17 heures qui n’était pas venue, avait appelé Simplement plombiers qui « promettait le respect des traditions artisanales de la « haute plomberie »mais ne se montrait pas davantage capable d’honorer un rendez-vous. [...]
En milieu d’après-midi, Jed essaya en vain, une dizaine de fois, de joindre Ze plomb’, qui utilisait Skyrock comme musique de mise en attente. [...]
Vers dix-sept heures, il rejoignit l’hôtel Mercure.

open space : « le pot de départ avait lieu dans l’open space de son cabinet d’architecte. »

atelier d’artiste : « c’était la première fois qu’il avait l’occasion de vendre un atelier d’artiste, à un artiste »

à l’ancienne : 1. repas à... Leur repas annuel [Jed et son père] aurait cette fois lieu dans une brasserie de l’ avenue Bosquet appelée Chez Papa. Jed l’avait choisie dans le Pariscope sur la foi d’une annonce publicitaire promettant une qualité traditionnelle à l’ancienne, et la promesse était, dans l’ensemble, tenue. ( 2. enterrement à... « Jed se rendit compte que c’était la première fois qu’il asistait à un enterrement sérieux, à l’ancienne, un enterrement qui ne cherchait pas à escamoter la réalité du décès »

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Crédit : AFP/MIGUEL MEDINA

simplement saisies : « Olga opta pour un gaspatcho à l’aragula et un homard mi-cuit avec sa purée d’ignames, Jed pour une poêlée de Saint-Jacques simplement saisies et un soufflet de turbotin au carvi avec sa neige de passe-crassane »

seins siliconés : « Jasselin était tout à fait en faveur des seins siliconés, qui témoignent chez la femme d’une certaine bonne volonté érotique qui est en vérité la chose la plus importante au monde sur le plan érotique, qui retarde parfois de dix, voire vingt ans la disparition de la vie sexuelle du couple. »

bonne volonté érotique : Voir « seins siliconés ».

formation du prix : « Les études de Jed avaient été purement littéraires et artistique, et il n’avait jamais eu l’occasion de méditer sur le mystère capitalistique par excellence : celui de la formation du prix. » Vous renvoie à la suite dans le livre pour la leçon d’économie houellebecquienne, leçon toute pragmatique, à partir de l’exemple de mise en vente sur Internet des photos conceptuelles de Jed...

Etc, etc..., une entrée presque à chaque page ! Même hors contexte, vous entendez la voix de l’écrivain, et son timbre satirique.

Toutefois, ces exemples en témoignent aussi, les « notices » attachées à ces mots soulignent plus qu’elles ne développent. Ce livre est un roman, et reste un roman, même s’il a une dimension sociologique, philosophique, métaphysique, ce n’est pas pour autant le Gai Savoir de Nietzsche. Mais c’est un roman qui ne raconte pas qu’une histoire, qui donne à penser, poil à gratter, le concentré du conte ou de la fable, bande dessinée textuelle si l’on peut oser cette image. Un très excellent livre dans son genre et son registre. Un livre qui, à la fois, donne à penser et du plaisir à la lecture.

Houellebecq et l’affaire Picasso

Tahar Ben Jelloun, Sollers et quelques autres ont très modérément apprécié la saillie de Houellebecq mise dans la bouche de son propre personnage, à propos de Picasso :

Sollers dans son Journal du mois (août 2010) :

Et puis soudain, à propos d’art, ce cri : "Picasso c’est laid, il peint un monde hideusement déformé parce que son âme est hideuse, et c’est tout ce qu’on peut trouver à dire à Picasso, il n’y a aucune raison de favoriser davantage l’exhibition de ses toiles, il n’a rien à apporter, il n’y a chez lui aucune lumière, aucune innovation dans l’organisation des couleurs ou des formes, enfin il n’y a chez Picasso absolument rien qui mérite d’être signalé, juste une stupidité extrême et un barbouillage priapique qui peut séduire certaines sexagénaires au compte en banque élevé.

Ce message de haine est-il une plaisanterie ? Sans doute, mais ce n’est pas sûr.

C’est vrai que l’ironie et la satire houellebecquiennes débouchent souvent sur l’ambiguïté. Mais une façon de la lever en tout ou partie peut consister à replacer l’extrait dans son contexte. Le voici :

La scène : Jed Martin, peintre portraitiste, auteur notamment d’un « Michel Houellebecq écrivain » a proposé à l’écrivain de préfacer le catalogue de la future exposition de ses oeuvres et s’est rendu au domicile de Houellebecq pour en discuter.

Jed Martin : « Ce qui est curieux, vous savez ... » poursuivit-il plus calmement, « un portraitiste, on s’attend .qu’il mette en avant la singularité du modèle, ce qui fait de lui un être humain unique. Et c’est ce que je fais dans un sens, mais d’un autre point de vue j’ai l’impression que les gens se ressemblent beaucoup plus qu’on ne le dit habituellement, surtout quand je fais les méplats, les maxillaires, j’ai l’impression de répéter les motifs d’un puzzle. Je sais bien que les êtres humains c’est le sujet du roman, de la great occidental novel, un des grands sujets de la peinture aussi, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que les gens sont beaucoup moins différents entre eux qu’ils ne le croient en général. Qu’il y a trop de complications dans la société, trop de distinctions, de catégories...

— Oui, c’est un peu byzantinesque...  » convint de bonne volonté l’auteur de Plateforme. « Mais je n’ai pas l’impression que vous soyez vraiment un portraitiste. Le portrait de Dora Maar par Picasso, qu’ est ce qu’on en a à foutre ? De toute façon Picasso c’est laid, il peint un monde hideusement déformé parce que son âme est hideuse, et c’est tout ce qu’on peut trouver à dire de Picasso, il n’y a aucune raison de favoriser davantage l’exhibition de ses toiles, il n’a rien à apporter, il n’y a chez lui aucune lumière, aucune innovation dans l’organisation des couleurs ou des formes, enfin il n’y a chez Picasso absolument rien qui mérite d’être signalé, juste une stupidité extrême et un barbouillage priapique qui peut séduire certaines sexagénaires au compte en banque élevé. Le portrait de Ducon, appartenant à la Guilde des Marchands, par Van Dyck, là c’est autre chose ; parce que ce n’est pas Ducon qui intéresse Van Dyck, c’est la Guilde des Marchands. Enfin, c’est ce que je comprends dans vos tableaux, mais peut-être que je me plante complètement, de toute façon si mon texte ne vous plaît pas vous n’aurez qu’à le foutre à la poubelle. Excusez-moi, je deviens agressif, c’est les mycoses... » Sous le regard effaré de Jed il commença à se gratter les pieds, furieusement, jusqu’à ce que des gouttes de sang commencent à perler. « l’ai des mycoses, des infections bactériennes, un eczéma atopique généralisé, c’est une véritable infection, je suis en train de pourrir sur place et tout le monde s’en fout, personne ne peut rien pour moi, j’ai été honteusement abandonné par la médecine, qu’est-ce qu’il me reste à faire ? Me gratter, me gratter sans relâche, c’est ça qu’est devenue ma vie maintenant : une interminable séance de grattage... »

Puis il se redressa, un peu soulagé, avant d’ajouter : « Je suis un peu fatigué maintenant, je crois que je vais aller me reposer.
— Bien entendu ! » Jed se leva avec empressement. « Je vous suis déjà très reconnaissant de m’avoir consacré tout ce temps » conclut-il avec la sensation de s’en être plutôt bien tiré.

Houellebecq le raccompagna jusqu’à la porte. Au dernier moment, juste avant qu’il ne s’enfonce dans la nuit, il lui dit : « Vous savez, je me rends compte de ce que vous êtes en train de faire, j’en connais les conséquences. Vous êtes un bon artiste, sans entrer dans les détails on peut dire ça. Le résultat, c’est que j’ai été pris en photo des milliers de fois, mais s’il y a une image de moi, une seule, qui persistera dans les siècles à venir, ce sera votre tableau. » n eut soudain un sourire juvénile, et cette fois réellement désarmant. « Vous voyez, je prends la peinture au sérieux... » dit-il. Puis il referma la porte.

Belle antiphrase que ce « Vous voyez, je prends la peinture au sérieux... », non ? Accentuée, même, par le point de suspension. Ceci après nous avoir parlé du portrait de « Ducon par Van Dyck » « appartenant à la Guilde des Marchands » - une référence à La guerre des étoiles et à son association de marchands au niveau galactique. Nous sommes dans la farce !

Les propos sur Picasso sont précédés de l’adjectif byzantinesques. Pas bizantins, byzantinesques, une litote amplificatrice à la place. Ambiguité possible, certes, sauf que le développement sur Van Dyck balaye tout.

Et cette référence au puzzle m’intrigue : « j’ai l’impression de répéter les motifs d’un puzzle » dit le personnage de Michel Houellebecq. ...Dora Maar vue comme un puzzle assemblé. Et dans la troisième partie, les photos du corps sauvagement assassiné de l’écrivain, éclaté en morceaux, lacérés, et les coulures de sang ne représentent qu’un « puzzle informe » pour l’inspecteur Jasselin, alors que pour Jed : « c’est curieux... » dit-il finalement « On dirait un Pollock[...] » « Qu’est-ce que ça représente en réalité ? »

Oui, un corps découpé en morceaux, c’est hideux !

« mais peut-être que je me plante complètement, de toute façon si mon texte ne vous plaît pas vous n’aurez qu’à le foutre à la poubelle. » paroles du personnage Houellebecq que je fais aussi miennes.

Jed-Houellebecq éclate en sanglots

Premier épisode : Jed vient de s’entretenir avec Beigbeder au sujet d’Olga.

S’embrouillant un peu, Jed finit par lâcher que oui, dans un sens, on pouvait dire qu’il était artiste.

« Ha ha haaaa !. .. », l’écrivain partit d’un éclat de rire exagéré, faisant se retourner une dizaine de personnes, dont Olga. « Mais oui, bien sûr, il faut être artiste ! La littérature, comme plan, c’est complètement râpé ! Pour coucher avec les plus belles femmes, aujourd’hui, il faut être artiste ! Moi aussi, je veux devenir ar-tis-te  ! »

Et de manière surprenante, écartant largement les bras, il entonna, très fort et presque juste, ce couplet du Blues du businessman :

J’aurais voulu être un artiiiiste Pour avoir le monde à refaire

Pour pouvoir être un anarchiiiiste Et vivre comme un millionnaire L..

Son verre de vodka tremblait entre ses mains. La moitié de la salle était tournée vers eux, maintenant. Il baissa les bras, ajouta d’une voix égarée : « Paroles de Luc Plamondon, musique de Michel Berger » et éclata en sanglots.

*

Deuxième épisode : Quelques pages avant la fin de la Première partie.

Une après-midi du début de novembre, vers dix-sept heures, il se retrouva en face de l’appartement qu’occupait Olga rue Guynemer.[...]Au loin, le soleil couchant illuminait les marronniers d’une extraordinaire nuance orangée, chaude - presque un jaune indien, se dit Jed, et involontairement les paroles du Jardin du Luxembourg lui revinrent en mémoire :

Encore un jour
Sans amour
Encore un jour
De ma vie

Le Luxembourg
A vieilli
Est-ce que c’est lui ?
Est-ce que c’est moi ?
Je ne sais pas

Comme beaucoup de Russes Olga adorait Joe Dassin, surtout les chansons de son dernier disque, leur mélancolie résignée, lucide. Jef frissonnait, sentait monter en lui une crise irréprescible et lorsque lui revinrent en mémoire les paroles de Salut les amoureux, il se mit à pleurer.

On s’est aimés comme on se quitte
Tout simplement, sans penser à demain
A demain qui vient toujours un peu vite,
Aux adieux qui quelquefois se passent un peu trop bien.

*


Pourquoi ces crises de larmes ?

Sont-elles seulement un effet de la satire évoluant en caricature et farce par son coté disproportionné par rapport à la situation ?

La première a lieu en présence de son ami Beigbeder. Devant un ami on peut se laisser aller. Surtout si on partage les mêmes fêlures d’adolescent que les filles ne voient pas.

Je suis comme un enfant qui n’a plus droit aux larmes

Michel Houellebecq
La Poursuite du bonheur

*

Est-il vrai qu’en un lieu au-delà de la mort
Quelqu’un nous aime et nous attend tels que nous sommes ?...
Est-il vrai que parfois les êtres humains s’entr’aident,
Et qu’on peut être heureux au-delà de treize ans ?
Certaines solitudes me semblent sans remède ;
Je parle de l’amour, je n’y crois plus vraiment
Les Particules élémentaires

*

Ce même soir il retrouva une photo prise à son école primaire de Charny ; et il se mit à pleurer. Assis à son pupitre, l’enfant tenait un livre de classe ouvert à la main. Il fixait le spectateur en souriant, plein de joie et de courage ; et cet enfant, chose incompréhensible, c’était lui. L’enfant faisait ses devoirs, apprenait ses leçons avec un sérieux confiant. Il entrait dans le monde, il découvrait le monde, et le monde ne lui faisait pas peur ; il se tenait prêt à prendre sa place dans la société des hommes. Tout cela, on pouvait le lire dans le regard de l’enfant... Le temps est un mystère banal, et tout était dans l’ordre, essayait-il de se dire ; le regard s’éteint, la joie et la confiance disparaissent. »
Les Particules élémentaires

*

During high school, Houellebecq spent hours by himself watching trains at the station next door. "I would get on them and go nowhere," he recalled. "Just get on, get off." He was frequently depressed. Beigbeder realized just how depressed one evening not long ago, when he popped a Moody Blues ballad into his CD player and saw Houellebecq burst into tears : "He started crying, crying. Finally he explained that at all the parties when he was 18, all the boys and girls slow-danced to this song, but he was alone and no one talked to him because he was ugly." Then again, Beigbeder said dryly, Houellebecq "loves pathetic — all his work is about being pathetic."
The New York Times Magazine
10 septembre 2000

Un soir Beigbeider réalisa l’ampleur de sa déprime quand il mit un Blues dans son lecteur de CD et vit Houellebecq éclater en sanglots : « Il commença à pleurer, pleurer. Finalement, il expliqua que lorsqu’il avait 18 ans tous les garçons et les filles dansaient ce slow dans les surprises-parties mais il restait seul, et personne ne lui parlait parce qu’il était laid »

*

La vallée de larmes de Beigbeder
une belle page de Un roman français :

Les soeurs Mirailh, assises sur le muret blanc au bord du chemin de fer, balançaient leurs jambes au soleil entre deux pluies d’été, pendant que je refaisais mes lacets en respirant l’odeur de terre humide. Mais elles ne me prêtaient guère attention : je croyais être rouge alors que j’étais transparent. Repenser à mon invisibilité me fait encore enrager, j’en ai tant crevé de tristesse, de solitude et d’incompréhension ! Je me rongeais les ongles, horriblement complexé par mon menton en galoche, mes oreilles d’éléphant et ma maigreur squelettique, cibles des moqueries à l’école. La vie est une vallée de larmes, c’est ainsi : à aucun moment de ma vie je n’ai eu autant d’amour à donner que ce jour-là, mais les filles du garde-barrière n’en voulaient pas, et mon frère n’y pouvait rien s’il était plus beau que moi. Isabelle lui montrait un bleu sur sa cuisse : « regarde hier je suis tombée de vélo, tu vois là ? tiens, appuie avec ton doigt, aïe, pas trop fort, tu me fais mal... »,

Nota : La récente édition de poche de Un roman français est publiée avec une préface de Michel Houellebecq.


Extraits

Présentation de l’éditeur

Cinq ans après La possibilité d’une île, Michel Houellebecq revient avec un grand roman qui raconte la vie de trois personnages masculins.
Certains y verront un retour aux thèmes d’Extension du domaine de la lutte et des Particules élémentaires, d’autres salueront un texte puissant, à la fois contemporain et profondément classique, d’une admirable maîtrise littéraire.

*

Si Jed Martin, le personnage principal de ce roman, devait vous en raconter l’histoire, il commencerait peut-être par vous parler d’une panne de chauffe-eau, un certain 15 décembre. Ou de son père, architecte connu et engagé, avec qui il passa seul de nombreux réveillons de Noël.

Il évoquerait certainement Olga, une très jolie Russe rencontrée au début de sa carrière, lors d’une première exposition de son travail photographique à partir de cartes routières Michelin. C’était avant que le succès mondial n’arrive avec la série des « métiers », ces portraits de personnalités de tous milieux (dont l’écrivain Michel Houellebecq), saisis dans l’exercice de leur profession.

Il devrait dire aussi comment il aida le commissaire Jasselin à élucider une atroce affaire criminelle, dont la terrifiante mise en scène marqua durablement les équipes de police.

Sur la fin de sa vie il accédera à une certaine sérénité, et n’émettra plus que des murmures.

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La carte et le territoire : les premières pages

L’art, l’argent, l’amour, le rapport au père, la mort, le travail, la France devenue un paradis touristique sont quelques-uns des thèmes de ce roman, résolument classique et ouvertement moderne.

*

La fin

L’oeuvre qui occupa les dernières années de la vie de Jed Martin peut ainsi être vue - c’est l’interprétation la plus immédiate - comme une méditation nostalgique sur la fin de l’âge industriel en Europe, et plus généralement sur le caractère périssable et transitoire de toute industrie humaine. [...] Ce sentiment de désolation, aussi, qui s’empare de nous à mesure que les représentations des êtres humains qui avaient accompagné Jed Martin au cours de sa vie terrestre se délitent sous l’effet des intempéries, puis se décomposent et partent en lambeaux, semblant dans les dernières vidéos se faire le symbole de l’anéantissement généralisé de l’espèce humaine. Elles s’enfoncent, semblent un instant se débattre avant d’être étouffées par les couches superposées de plantes. Puis tout se calme, il n’y a plus que des herbes agitées par le vent. Le triomphe de la végétation est total.

Le livre sur Amazon

Témoignages

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Formidable autoportrait (Les Inrocks)

On a tiré sur Houellebecq (Nouvel Obs)Par Bernard Géniès

La carte gagnante de Michel Houellebecq
, Le JDD, Bernard Pivot

Houellebecq : autosatisfaction glorieuse - Site officiel de Tahar Ben Jelloun...

La femme dans l’univers romanesque de Michel Houellebecq (pdf)

Un moment nu, Magazine Ring, par Marin De Viry.


[1le livre a 418 pages

[2Houellebecq a commencé par la poésie et un groupe musical avant de trouver le succès dans le roman

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