La rose de la raison dans la croix du présent

Cimetière d’Ars en Ré. La tombe de Sollers. Quelqu’un(e) y a déposé quelques roses rouges.
Photo A.G., 29 juin 2023. ZOOM : cliquer sur l’image.

La rose de la Raison dans la croix du présent.
Photo A.G., 29 juin 2023. ZOOM : cliquer sur l’image.

Pourquoi une « rose sculptée » ? Écoutez ce que Sollers déclarait au micro de rfi, le 28 mars 2019 [1].

Et, de manière encore plus précise, dans cet entretien du 15 avril 2021 avec Laure Adler à propos de « la Rose-Croix, signal ésotérique facile à entendre ».

Il y a un ésotérisme de Dante qu’a analysé René Guénon. Peu de lecteurs se sont intéressés à l’ésotérisme de Sollers. J’en ai tenté une première approche, en avril 2021, dans Sollers, Mozart et l’ésotérisme. Il vous est loisible de vous y reporter. Il y était aussi question de la franc-maçonnerie.

Je ne retiens ici que la séquence où Sollers évoque les questions de l’alchimie, des mutations et de la "résurrection" qui doivent interpeller « quelqu’un qui a envie de se réveiller et de ne pas mourir dans l’ignorance. »

Sollers écrit dans Un vrai roman, ses Mémoires (2008, Folio, p. 253) :

« J’ai la plus vive sympathie pour la franc-maçonnerie, dont j’ai tendance à idéaliser la nature, m’intéressant peu, je l’avoue, à sa fonction sociale, mais beaucoup à son enseignement intérieur. De même que j’ai parlé à Rome, à Saint Louis-des-Français, et devant des Dominicains, du catholicisme de Joyce, j’ai planché en loge, avec plaisir, sur Dante, Casanova et Mozart, au point de m’entendre dire qu’après tout "il y avait des maçons sans tablier". Une affiliation ? Pourquoi pas, mais manque de temps. »

Le numéro 340 d’Humanisme (août 2023), la revue des francs-maçons du Grand Orient de France, consacre un article à Philippe Sollers.

 

Le secret de Philippe Sollers

par Charles Conte

Philippe Sollers fut-il franc-maçon ? Décédé le 5 mai, il est inhumé au cimetière d’Ars-en-Ré, sur l’île charentaise. Il y possédait une maison où il se réfugiait lorsqu’il quittait son bureau en forme de tanière chez Gallimard. Sur sa tombe, il a fait inscrire, bien avant son décès, une phrase de Georg Friedrich Hegel, en forme de croix et de rose : « La Rose de la Raison dans la Croix du Présent ». Un rosier, de la variété Pierre de Ronsard se trouve tout près…

Philippe Sollers a joué avec la vie comme avec la littérature. Il a, d’une certaine façon, toujours été masqué : son vrai nom est Philippe Joyaux. Sollers est un pseudonyme bricolé à partir du latin « sollus » et « ars » (« tout entier art »). Dans son roman « Portrait du joueur », pour partie autobiographique, il a donné au narrateur le nom de Philippe Diamant. En littérature, fut-il un bourreau de travail ou un feu follet ? Les deux. Son premier roman «  Une curieuse solitude » (Livre de poche) est salué par François Mauriac comme par Louis Aragon. Il jonglera plus tard d’une toute autre façon avec les mots dans ses livres et avec les auteurs dans ses revues « Tel quel  » puis « L’Infini  ». A la fois éloigné des honneurs et couvert d’honneurs. Maoïste ? Peut-être un temps. Pro USA ? Peut-être aussi. Un temps. Si loin, puis si proche de nous, Français et Européens…

Catholique alors ? Élevé chez les jésuites après ses études secondaires, il sera renvoyé. Il s’affirmera plus tard comme catholique. Du point de vue culturel, il l’était à coup sûr… comme beaucoup d’athées ! Philippe Sollers est touché par la bénédiction qui lui est donnée par Jean-Paul II (« un saint ») lorsqu’il lui offre son livre sur Dante. Il le traitera de « baleine blanche » dans son livre « Le Secret » (Folio) qui abonde en charges anticléricales… tout en restant fasciné par le personnage. Reprenant le symbole Rose-Croix, Sollers fut-il franc-maçon comme il fut catholique ? A la fois impliqué et hérétique ?

Philippe Sollers a effectué une valse-hésitation sur les parvis d’un de nos temples. Olivier Bouigue, fut un des fondateurs de la Loge Thétys, en référence à la faille géologique où est née la mer méditerranée, qui travaille suivant le très symbolique Rite Ancien et Primitif de Memphis Misraïm. Vénérable de Thétys, Olivier Bouigue invite Philippe Sollers à une Tenue blanche fermée. C’était le 13 décembre 2002, dans le grand Temple Groussier du Grand Orient. L’invité est brillantissime sur le thème choisi : « Casanova, homme libre… ». Celui-ci aurait été franc-maçon et Rose-Croix. Lors des agapes suivant la tenue, Philippe Sollers se montre à la fois informé, intéressé par une éventuelle initiation… et durablement insaisissable. Il ne passera pas sous le bandeau. Lisons pourtant son œuvre…

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Prodigieux Joseph de Maistre (entretien avec Ph. Sollers)

Il se confiera dans un texte étonnant : « Éloge d’un maudit », consacré un franc-maçon de haut vol et parfait réactionnaire : Joseph de Maistre ! Il conclut ainsi son texte :

« Il y a des moments où la certitude et le dogme ont leur charme, qu’on croyait aboli. Sur le plan de la raison raisonnante, Maistre a eu tort. Il n’a rien vu, bien au contraire, de la régénération qu’il annonçait. Il est mort en 1821 à Turin (date de naissance de Baudelaire), et il est enterré dans l’église des jésuites, à deux pas du saint suaire contesté et du lieu d’effondrement de Nietzsche. Ces trois points triangulaires me font rêver ».

Notre écrivain consacre un livre à un personnage moins sulfureux : « Mystérieux Mozart  » (Folio). Il montre avec pertinence sa stature européenne qu’il compare à celle de Shakespeare. Avec une profondeur humaine allant bien au-delà de celle d’un simple et agréable compositeur et musicien. La franc-maçonnerie autrichienne de l’époque est constamment évoquée, de même que sa compréhension par Mozart :

« Quant à la portée métaphysique de la maçonnerie, tout indique qu’il la comprenait mieux que personne de même qu’il n’y a jamais eu de catholique comme lui ».

Ce jugement impliquant que Sollers mesure lui-aussi « la portée métaphysique de la maçonnerie »… et que son catholicisme atypique est comparable à celui de Mozart…

Picorons dans un autre livre, déjà évoqué : « Le Secret ». Un roman mettant en scène un agent secret ayant prévu dans une note interne la tentative d’assassinat de Jean-Paul II par un Turc. Et devenu suspect pour cela. On trouve au fil de ce livre une profonde réflexion sur la nature du secret, un thème sur lequel nous planchons souvent :

« J’aime écrire, tracer des lettres et des mots, l’intervalle toujours changeant entre les lettres et les mots, seule façon de laisser filer, de devenir silencieusement et à chaque instant le secret du monde ».

Un ouvrage qui reste à lire de près…

Peut-être pouvons-nous établir un parallèle avec Hegel cité par Sollers sur sa propre tombe. L’appartenance de Hegel à la franc-maçonnerie n’est pas prouvée. Mais il a lui a consacré un texte remarquable « Lettres à Constant ». L’écrivain français n’est-il pas dans la même situation que le philosophe allemand ?

Mystérieux Sollers…

Charles Conte, Humanisme, n°340.

 

« L’appartenance de Hegel à la franc-maçonnerie n’est pas prouvée. » Ce n’est pas l’avis de Sollers et de Jacques D’Hondt, grand lecteur de Hegel.

Hegel secret

« Qui a pensé la Révolution Française ? Hegel et ses amis du séminaire de Tübingen (Hölderlin et Schelling, Hölderlin qui est venu à Bordeaux, je vous le rappelle…). Sur ce point, les livres sur Hegel du regretté Jacques d’Hondt, disparu il y a trois ans, m’ont passionné. Ces jeunes Allemands étaient enthousiastes de la Révolution Française sous sa forme girondine (et non jacobine). Ce qui me touche, car les Girondins sont un peu mon parti politique. Je me sens donc tout à fait en affinité avec eux sur ce point-là. » — Philippe Sollers, novembre 2015 [2].

Sur Hegel, figure centrale du roman de Sollers Mouvement (2016), et la franc-maçonnerie, LIRE : Jacques D’Hondt, Hegel secret. Recherches sur les sources cachées de la pensée de Hegel (1ère édition : 1968. Réédité en 1985).

Extrait :

 

Hegel détenait la pierre philosophale, il changeait immédiatement en or précieux toutes les espèces vulgaires qu’on lui confiait.
L’évocation de quelques antécédents parcellaires de l’Hégélianisme fera mieux resplendir sa richesse propre. Elle soulignera davantage encore la puissance et l’originalité d’une philosophie capable d’absorber et de dépasser avec la même aisance les systèmes les plus majestueusement composés et les intuitions rapsodiques glanées dans des œuvres inégales.
De cette confrontation, Hegel ne sortira ni bouleversé, ni amoindri. Simplement, sous un éclairage insolite, son portrait se teintera de quelques nuances nouvelles, imprévues.
Quant aux écrivains qu’il remarqua, Hegel leur rend mille fois le maigre secours qu’il en reçut.
Grâce à lui, les voici sortis de l’ombre, tout éblouis, croyant à peine à cette chance tardive et inespérée. L’ambition littéraire les dévorait, autrefois. N’en doutons pas, elle reprendra de l’appétit, elle leur donnera vite de l’arrogance.
Efforçons-nous de les contenir dans les limites de leur modeste rôle. C’est pour les sources des fleuves, non pour les hommes, que vaut la coutume : elles seules prennent le nom du dieu qui daigna se pencher sur elles.
L’événement décisif, dans la vie de tous ces auteurs, c’est la Révolution française. Hegel a choisi de consulter des témoins qui furent en même temps des complices : Volney, Rabaut de Saint-Étienne, Louis-Sébastien Mercier, Bonneville, adeptes d’une Franc-Maçonnerie « cosmopolitique », ralliés au mouvement « girondin ».
Nous découvrirons facilement les liens de Hegel lui-même avec cette Franc-Maçonnerie, et nous comprendrons alors certains de ses écrits, inexplicables sans ce recours.

« En 1831, à 61 ans, Hegel, alors en pleine gloire, meurt du choléra à Berlin. J’ai encore dans ma poche trois feuilles de lierre cueillies sur sa tombe. Elles vivent, elles respirent, elles surplombent le monde. C’était un beau matin d’automne, et le soleil filtrait à peine jusqu’à ce coin sombre. J’ai seulement noté la date : un 22 octobre. [...]

"Que notre mission soit désormais de préserver, d’annoncer, de confirmer sa doctrine !" » [3]

La tombe de Hegel à Berlin.
Quelqu’un(e) y a déposé quelques roses rouges.
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