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Sur les dieux grecs (Heidegger, Parménide et l’hiver 42/43)

D 16 décembre 2012     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Frédéric de Towarnicki et Martin Heidegger photographiés par Alain Resnais en 1945 [1]. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


Dans la dernière livraison de L’Infini (n° 121, Hiver 2013), Philippe Sollers répond à des questions de François Meyronnis et Yannick Haenel. Le titre de l’entretien : Sur les dieux grecs. Sollers relit et commente à cette occasion le Parménide de Heidegger issu des cours donnés par Heidegger à l’université de Fribourg-en-Brisgau lors de l’hiver 1942/1943. Il s’interroge sur ce que Heidegger appelle l’expérience de « l’initial », du « commencement » et « la déesse Vérité » [2]

Que Sollers revienne une fois de plus, à travers Heidegger, sur le Poème de Parménide — qu’il préfère appeler «  un poème de pensée » plutôt que Poème didactique (comme le veut la tradition que suit Heidegger) — qui s’en étonnera ? La question de l’être et du non-être n’est-elle pas présente dans toute son oeuvre et déjà, explicitement, au centre de la conférence de Sollers sur Cézanne prononcée en 1991 à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris ?

Parménide dit, dans une mise en scène à laquelle je vous renvoie, une chose qui a l’air toute simple, où j’entends ce que je vois dans les tableaux de Cézanne, je n’ai pas trouvé mieux pour vous les rendre sensibles par la parole ce soir : « L’être est ; le non-être n’est pas. »

Ne la retrouve-t-on pas, centrale, dans La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin, le film réalisé la même année avec Laurence L’Allinec ?

Dans la vision pensante et mobile de Parménide, la Porte menant à l’être qui est la même chose que la pensée, s’annonce par un afflux féminin : cavales, jeunes filles, déesses. Le verrou, grâce aux « caressants propos », va s’ouvrir « un petit instant », faisant basculer les battants dans un « large espace ». Les gonds de bronze pivotent. Le char s’engouffre à toute allure dans cet intervalle, la Déesse reçoit « avec bienveillance » celui qui a osé emprunter cette voie hors des sentiers communs. Il va savoir et connaître « le coeur exempt de tremblement de la vérité bellement circulaire ». L’être est. Il est
« non-né, indestructible,
tout d’une seule masse,
inébranlable, non-à-terminer,
tout-entier-tout-à-la-fois-présent,
un et d’un seul tenant ».
L’être est, tandis que le non-être, indicible et impensable, n’est pas. Toute la pensée et toute l’histoire de la philosophie se jouent en ce lieu.

Puis, à nouveau, en 2000, dans les entretiens avec Benoît Chantre de La Divine Comédie ?

Il se révèle que « l’Être est » et que le « non-Être n’est pas ». Comme il faut toujours que nous ayons une pincée d’humour dans ce que nous disons, je me rappelle qu’après la projection du film sur Rodin, une journaliste célèbre — dont je ne donnerai pas le nom [3] — a cru pouvoir écrire, dans un magazine, qu’on entendait des choses du genre : « L’Être est, le non-Être n’est pas. » Son commentaire ironique a été simplement : « Certes », comme s’il s’agissait d’une évidence. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Oui, et alors ? On dit que l’Être est et que le non-être n’est pas, et cela étonne comme une évidence, alors que rien n’est moins évident. Seulement, avec cette pensée, on a produit des bibliothèques entières, et notamment ce que l’on peut considérer comme l’histoire de la philosophie.

Et encore, en 2003, dans Illuminations : A travers les textes sacrés ?

À l’autre bout du monde grec, on trouve Parménide d’Élée, plus jeune qu’Héraclite et son apparent opposé. Parménide est l’auteur d’un poème, De la nature, aujourd’hui disparu dans son ensemble, malgré de nombreux fragments. A-t-on vraiment dit quelque chose de lui [...] ?
Cavale
1. n.f. (lat. cavalla). Poét. Jument.
2. n.f. Arg. Evasion d’une prison - En cavale : en fuite (dict. Larousse).
Cavale est aussi le titre d’une nouvelle publiée par Sollers qui deviendra le début de L’étoile des amants [4].
On oublie trop souvent à mon goût que l’illumination de ce poème de Parménide est d’abord confiée à un transport mené par des juments.
Ai-je tort d’entendre en même temps cette phrase de Rimbaud, extraite du poème Ornières (mot que l’on retrouve chez Parménide au vers 21) ?
« Même des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d’ébène, filant au trot des grandes juments bleues et noires. »

C’est aussi une des clefs qui ouvrait, il y a plus de trente ans, la porte de Paradis.

voix fleur lumière écho des lumières cascades jetés dans le noir

Et la séquence mettant en scène les trois Parques ou Moires, n’entre-elle pas en résonance avec la « Moïra » de Parménide, la mauvaise destinée, la « Moire ennemie » [5] ? Il y a, à nouveau, un chemin tortueux, un carrefour, des bifurcations, une porte-tambour, un verrou, un vide noir, scellé, mis sous clef, des clefs qui ouvrent et qui ferment, toute une serrurerie [6] :

lachésis passé clotho présent atropos futur avenir rosée des fécondités les voilà tournants les cercles veinés poker roulette imposée les billets bariolés volent les âmes se précipitent et choisissent sans se regarder quenouille bobinage et rembobinage serpent souris rossignol singe sage casino mortel du foiré sombre et tortueux est le chemin de l’hadès bifurcations carrefours épingles cheveux pour nourrice porte tambour vertu vice cocyte phlégéton tartare marée noire à styx pétrole d’antar pics rochers soufrés lacs entrelacs en haut sont les bienheureux en bas les galeux et tout ça se poigne et se meut se renoue fluvial vénéneux se remue glacé du vaseux dégestion peau pink du sous-terre méli-mélo des viscères loterie crasseuse entassée les voilà les genoux serrés parques moires avec leurs trois pieds chevilles charnières bandées [...]

On peut se tromper de chemin, la porte peut se refermer, on peut se retrouver dans le noir, les ténèbres (le narrateur s’interpelle ou t’interpelle sans complaisance) :

quel con tu es de t’être comme ça laissé entuber mener par le bout du nez un désir pourquoi pas encore un désir et encore un autre désir et puis encore un autre petit désir rien qu’un petit ni vu ni connu encore un peu de plaisir progressivement insensiblement fermement et puis clac trop tard contrat signé verrou tiré sort réglé panneau refermé in pace te voilà lourd dam tâtonnant aveugle dans le noir du noir ténèbres murées vapeur noire sans limites au-delà de la main levée vous voyez ça d’ici les doigts tentant d’attraper tout près quelque chose et tout autour rien que le vide noir sans fin et encore sans fin et pourtant sournoisement scellé mis sous clef... (Paradis, folio, p. 233-234) [7]

Il y a toujours deux voies : celle des cavales, de la lumière, de l’être et de la « déesse Vérité », celle des mauvaises moires, des ténèbres et du non-être. C’est ce que découvrent les voyageurs de l’être à travers le temps.

*


« aïon temps doublé rusé sacrés grecs
on vit toujours dans leur orbe ouranos kronos thémis...
 »
Paradis, folio, p. 120.

Sur les dieux grecs

C’est donc en lien direct avec ces textes qu’il faut lire aujourd’hui Sur les grecs. Le rapprochement que Sollers faisait avec Rimbaud en 2003 est ici encore précisé :

Rimbaud est le jeune homme du poème de Parménide, le kurios. A-t-il eu des prédécesseur ? On ne le sait pas. Des successeurs ? On les cherche. Osons-le : c’est peu probable. Cela relève de l’impossible.

L’Impossible, c’est évidemment au texte d’une Saison en enfer qu’il faut penser, où Rimbaud, passant du « je » au « nous » avant de revenir au « je » («  Comme Parménide, Rimbaud parle à la première personne », disait Sollers dans Illuminations), écrit : « m’étant retrouvé deux sous de raison — ça passe vite ! — » « je vois que mes malaises viennent de ne m’être pas figuré assez tôt que nous sommes à l’Occident. » « Philosophes, vous êtes de votre Occident. »

Quant au « jeune homme », au kurios [8], il s’agit aussi de la traduction convenu du tétragramme biblique YHWH que l’on traduit par « Seigneur » (cf. Evangile de Matthieu), et qu’il nous faudrait sans doute ici traduire, selon Rimbaud, par « Le Prince ». Rimbaud :

Le Prince était le Génie. Le Génie était le Prince. (Conte, dans Illuminations)

C’est en Français (en français) que Sollers lit le Grec Parménide (le grec de Parménide) lu par l’Allemand Heidegger. Un Français qui, ayant lu Rimbaud, soixante dix ans après Heidegger, peut en appeler à une Raison nouvelle (qui n’a plus rien à voir avec l’ancienne « ratio », celle du « principe de raison », mais avec le « logos » grec [9]).

C’est comme cela qu’il faut comprendre les mots par lesquels Sollers conclut son entretien :

Je ne vois, dans l’histoire récente, qu’un seul athée parménidien : Sollers. Cela donne la mesure de l’obscurantisme ambiant.
Avoir la possibilité d’avancer sur le chemin qui mène à la déesse, c’est ne pas avoir besoin d’être en train d’y croire. La rencontre avec la déesse est une formidable éclosion de la raison (je souligne). Du logos, si vous préférez. Celui qui est reçu n’est pas forcément un croyant. En tout cas, se tenir près de la déesse, entouré par les filles du soleil, cela vous change de la bousculade humaine. Et que dit la déesse ? "L’Être est, le Non-Être n’est pas" [10].
 »

Sollers rappelait en commençant les mots de Heidegger :

Nous ne pensons pas encore, et c’est la seule chose que nous puissions penser. Partir du pas encore, c’est la voie insolite que propose ici le philosophe. Cela convient-il toujours, soixante dix ans après ? A-t-on avance depuis 1942, au-delà du pas encore ? Rien n’est moins sûr.

Rien n’est moins sûr. Mais on peut quand même « tenir le pas », « tenir le pas gagné » du « pas encore », s’il s’agit, à loisir, de « posséder la vérité dans une âme et un corps » :

Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. (Adieu, dans Une Saison en enfer)
*

Revenons au début de l’entretien Sur les dieux grecs. Il a son importance qui risque de passer inaperçue, même si Sollers insiste, comme à l’accoutumé, sur l’importance des dates :

Faisons attention aux dates. Le Parménide de Heidegger résulte de cours prononcés à l’université de Fribourg-en-Brisgau durant l’hiver 1942-1943. Dès le début, Heidegger nous fait remarquer que deux mille cinq cents ans se sont écoulés depuis le commencement de la pensée occidentale. Nous lisons ces cours en français soixante-dix ans après qu’ils ont été prononcés dans les dernières années, les plus terribles, du régime hitlérien. Nous sommes en pleine guerre mondiale, et la bataille fait rage sur le front russe. On se bat à Stalingrad. En décembre 1941, les Japonais ont attaqué Pearl Harbour. Les puissances de l’Axe — le Japon et l’Allemagne — se battent à la fois contre les Soviétiques et contre les Américains. Heidegger s’exprime donc au milieu d’une véritable convulsion historique. C’est depuis cette convulsion qu’il interroge le poème de Parménide, que je ne nommerai pas, comme lui, un « poème didactique », mais un poème de pensée. Le bruit et la fureur, voilà des mots faibles pour désigner ce qui se passe ; la démence et l’horreur, ces mots ne sont pas davantage à la hauteur du cataclysme.
Nous sommes, dans cet hiver 42-43, dans un moment du temps — de l’histoire — qui décide de ce qu’on appelle la « pensée occidentale ».
Le destin de cette pensée est envisagé à partir d’une langue et d’un pays, l’Allemagne, en train de sombrer dans une catastrophe abyssale. Heidegger dit :
« Nous ne pouvons penser l’essence de la vérité que si nous nous avançons jusqu’aux confins de l’étant en son tout. Nous apercevons alors qu’un moment historique est proche, dont le caractère unique ne se détermine en aucun cas seulement ni d’abord à partir du monde qui est et en lui de notre propre histoire. Il n’"y va" pas seulement de l’être et du non-être de notre peuple historique, il n’"y va" pas seulement de l’être ou du non-être d’une "civilisation européenne", car en tout cela il y va toujours et seulement de l’étant. Antérieurement à tout cela, et de façon initiale, la décision porte sur l’être et le non-être eux-mêmes, l’être et le non-être dans leur essence, dans la vérité de leur essence. Comment l’étant pourrait-il être sauvé et abrité dans le libre espace de son essence aussi longtemps que l’essence de l’être demeure indécidée, non questionnée, voire oubliée ? »
Le point de départ de Heidegger est que nous n’avons plus de rapport avec l’essence de la vérité, et pas davantage avec nous-mêmes. Nous ne savons plus qui nous sommes. Nous ne pensons pas encore, et c’est la seule chose que nous puissions penser. Partir du pas encore, c’est la voie insolite que propose ici le philosophe. Cela convient-il toujours, soixante-dix ans après ? A-t-on avancé, depuis 1942, au-delà du pas encore ? Rien n’est moins sûr. C’est pourquoi on a tout intérêt à se mettre à l’écoute d’une pensée qui, en Grèce, il y a deux mille cinq cents ans, et en Allemagne, il y a soixante-dix ans, énonce l’« essence de l’histoire ». Elle dit :
« L’essence de l’histoire qui, parce qu’elle est l’histoire de l’être et que l’être ne s’éclaircit que de façon soudaine, n’accède à son être propre que dans la soudaineté initiale des commencements. L’histoire, accordée à l’essence initiale de l’éclaircie de l’être, est l’envoi qui toujours à nouveau et seul destine l’étant à un déclin, le faisant sombrer dans des cèlements durables. Conformément à ce destin règne à présent le déclin, le soir de ce gui a émergé de façon initiale. Le pays que cette histoire fait entrer dans son espace de temps pour l’y abriter est l’Occident, suivant le sens initial dans l’histoire de l’être, de ce mot. »

Vous n’êtes qu’au seuil de la porte. Elle n’est qu’entrouverte. Il y a bien d’autres choses dans Sur les dieux grecs car les questions de François Meyronnis et Yannick Haenel sont longues, précises et pointues. La suite est dans L’Infini 121 (en vente dans toutes les bonnes librairies)...

*


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Buste de Parménide
Velia (anciennement Elée), Italie.
*


Qu’est-ce qui se joue, historiquement, en cet hiver 1942-1943 ?
Les «  égarés du nihilisme planétaire », pour reprendre l’expression de Sollers, n’y-a-t-il rien à leur enseigner ? Sans céder au «  fantasme pédagogique », peut-être faut-il cependant leur rappeler quelques faits et donner à voir.

Le hasard fait que le jour même où je lisais l’entretien Sur les Grecs, la chaîne Arte programmait un documentaire sur le fameux hiver 1942-1943. Après d’autres documentaires que j’ai eu l’occasion de signaler aux lecteurs de pileface, dont je n’oublie pas qu’ils n’ont pas connu cette période à bien des égards exemplaire de ce que fut la France moisie, (cf. La France des camps, 1938-1946, « En France à l’heure allemande », sans oublier l’incontournable Shoah de Claude Lanzmann), voici Hiver 42/43, l’espoir change de camp. C’est un documentaire allemand. Les premiers plans montrent un beau sapin, la veille de Noël 1942, au QG du Führer. Il y a exactement soixante dix ans.

*

Hiver 42/43, l’espoir change de camp

réalisé par Mathias Haentjes et Nina Koshofer

L’hiver 1942-1943 marque le tournant de la Seconde Guerre mondiale. Une saison charnière racontée par huit témoins originaires de plusieurs pays belligérants.

Entre novembre 1942 et mars 1943, l’Histoire bascule. Les troupes américaines débarquent en Afrique du Nord, la Wehrmacht occupe la zone libre française, et à Stalingrad, l’Armée rouge stoppe la progression des forces nazies. Des événements abondamment illustrés, commentés et mis en perspective par des témoins de l’époque et des archives personnelles.

“Le soir en se couchant on se dit qu’on ne se réveillera plus”, écrit dans son journal le consul de Suisse à Cologne, en novembre 1942. Au-dessus de lui, dans le ciel, des avions britanniques déversent des cargaisons de bombes. Au même moment, sur une plage d’Alger, Jean Daniel, étudiant entré dans la Résistance et futur fondateur du « Nouvel Observateur », attend dans la pénombre l’arrivée des navires alliés. A des milliers de kilomètres de là, une jeune Russe de Stalingrad aperçoit les premiers chars allemands pénétrer dans le centre-ville.

Novembre 1942 est le quatrième hiver d’un conflit mondial qui s’éternise. Mais c’est aussi le moment où le cours de la guerre s’inverse. Pour rendre compte de ce tournant décisif, les réalisateurs de ce documentaire n’ont pas choisi un récit historique classique, où les dates se déroulent sur une frise connue d’avance. Plus intéressés par la manière dont les événements ont été vécus subjectivement, ils ont eu l’excellente idée de croiser les souvenirs de huit personnalités réparties dans différents pays d’Europe.

L’historien Marc Ferro évoque ainsi son arrivée en zone libre, à Grenoble. En novembre 1942, il est loin du théâtre de la guerre, et n’imagine pas encore la victoire qui se dessine ailleurs. L’écrivain Andrea Camilleri, créateur du fameux commissaire Montalbano, décrit le retour des blessés dans sa ville natale, Porto Empedocle, et le pessimisme naissant des Italiens. La philosophe hongroise Agnes Heller se souvient de sa vie paisible à Budapest.

Ce récit choral, en multipliant les points de vue, donne un aperçu tout à fait inédit de la guerre. L’actualité du conflit, sa présence, devient beaucoup plus palpable, grâce à un judicieux choix d’archives, dont certaines sont colorisées. On voit les soldats de la Wehrmacht qui se baladent en touristes dans les rues parisiennes, les jeunes Anglais qui se pressent dans les dancings pour oublier les bombardements. Le film s’appuie aussi sur des journaux intimes d’une grande qualité littéraire. Il tisse avec une rare intelligence l’histoire individuelle et la grande Histoire. Mieux qu’un manuel.

Jean-Baptiste Gournay, teleobs.

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*

[1Cahiers de l’Herne, 1983.

[2Cf. ma note du 07-02-11, Heidegger, Parménide.
J’avais déjà esquissé une approche de cette question en février 2012, à la suite de la publication du roman de Sollers L’Éclaircie, dans Le regard des dieux grecs, puis, en octobre dernier, à propos d’un autre cours de Heidegger un peu antérieur à son cours sur Parménide, repris dans Concepts fondamentaux (1941), dans la perspective d’une relecture d’un autre penseur antésocratique, Anaximandre, et de ce que Heidegger dit de « l’infini » (l’« apeiron ») dans Le dire initial de l’être dans la parole d’Anaximandre.

[3Il s’agit de Françoise Giroud. Sollers cite à nouveau cette anecdote dans Sur les Grecs.

[4

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Le Monde, été 2001.

[5Sur laquelle Heidegger méditera dans Qu’appelle-t-on penser ? (partie de son cours non prononcée que l’on trouve dans Essais et conférences).

[6Une serrurerie, des clefs qui ouvrent et ferment, « à double sens », sur lesquelles Gérard Guest a, lui aussi, mis l’accent dans son séminaire, notamment dans sa séance du 17 décembre 2011, séance où, notons-le, Guest analyse le début du poème, le rapport entre le jour et la nuit, le rôle des « filles du soleil » (séquence 4), ce que Sollers reproche à Heidegger de ne pas avoir assez fait.
Il serait intéressant d’analyser de plus près le dialogue "à distance" entre Sollers et Guest à propos de la lecture de Heidegger et de Parménide... Gérard Guest ne relevait-il pas dans une note passée inaperçue de L’Infini 95 (« Heidegger : le danger en l’être », Été 2006) :

... la belle méditation qu’il [Sollers] consacre à ce que nous aimerions appeler l’« aître féminin » de l’humanité — situant ainsi d’emblée en lui (avec elles) au cœur de l’Être —, dans « Femmes et femmes », in : Erich Lessing & Philippe Sollers, Femmes. / Mythologies, Éditions de l’Imprimerie Nationale, Paris 1994, pp. 27-28. — [Texte repris dans : Philippe Sollers, Éloge de l’Infini, Gallimard, Paris, 2001, pp. 266-285]. — Cette manière de conjoindre la pensée du « danger en l’Être » à la méditation de l’« aître féminin », celui des « Femmes », de ce qui pourrait bien en être « le Secret » (voir « "Femmes"... "Le Secret" », dans Éloge de l’Infini, op. cit., pp. 816-826), n’est pas une mince contribution à ces « plus hautes lumières » qui font cruellement défaut à notre temps. S’aventurer ainsi à envisager l’« aître féminin », au risque de la seule méthode qui y soit propre : cheminer à même l’énigme —, voilà qui bel et bien ressortit à l’expérience de la pensée.
Il nous plaît ici de le remarquer, y soupçonnant à l’œuvre une autre voie d’accès à ce dont il s’agit. (L’Infini 95, p. 16)

[7Parménide :

« Jeune homme, toi qui viens ici, accompagné
De cochers immortels, portés par des cavales
Salut ! car ce n’est pas une Moire ennemie
Qui t’a poussé sur cette voie (hors des sentiers
Qu’on voit communément les hommes emprunter).

[8Parménide, mot à mot : « Jeune homme [ὦ] [κοῦρος], toi qu’accompagnent [συνάορος] d’immortels [ἀθάνατος] cochers [ἡνίοχος], toi qui parviens [ἱκάνω] à notre [ἡμέτερος] demeure [δώ] par les juments (cavales) [ἵππος] qui [ὅς] te [σύ] portent [φέρω], salut [χαῖρε] ».

Dans la traduction de Jean-Paul Dumont (citée par Sollers dans Illuminations) :

« Jeune homme, toi qui viens ici, accompagné
De cochers immortels, portés par des cavales
Salut ! »

Signalons la traduction du grand helléniste Jean Bollack décédé le 4 décembre 2012 : Jean Bollack relit Parménide.

[9Cf. Heidegger, Le principe de raison (Der Satz vom Grund), Gallimard, 1962. Notamment le chapitre L’être, le fond et le jeu (p. 222-243).

Puisqu’il s’agit, non seulement de poser la question de l’appartenance de l’être et de la ratio, mais de la poser en termes d’histoire de l’être et en remontant aux origines, nous ne pourrons le faire que si nous pensons, comme les Grecs l’ont fait (c’est Heidegger qui souligne), et la question et ce qu’elle vise.
Le chemin que notre question doit suivre il été tracé d’avance par l’attention et l’écoute que nous avons données au principe de raison. C’est pourquoi nous sommes remontés de la raison (Grund) à la ratio. Mais la ratio parle en latin de Rome, et non en grec, et il ne nous suffit pas d’entendre le mot pour être en mesure de poser notre question sur le terrain de l’histoire de l’être et en remontant aux origines. Ou bien, malgré tout, le mot romain ratio nous parlerait-il aussi en grec ? En fait, il en est bien ainsi. Car de son côté ratio, dans l’histoire de la pensée, est une traduction, c’est-à-dire une transmission. De même que la ratio à deux sens nous est transmise dans les termes fondamentaux de la pensée moderne Raison et raison, de même c’est un mot grec, λόγος, qui nous parle dans le substantif romain ratio. Si donc il s’agit d’écouter le principe de raison, accentué de la seconde manière, dans le contexte de l’histoire de l’être et aussi en mode originel, nous ne l’entendrons de la sorte que si nous l’énonçons en grec : τό αύτό έστιν είναι τε καί λόγος : Le Même (est) είναι et λόγος. A vrai dire une proposition ainsi formulée ne se rencontre nulle part chez les penseurs grecs. Elle n’en indique pas moins la direction que la pensée grecque a reçue de la dispensation de l’être et ceci d’une façon qui fait pressentir les époques ultérieures de l’histoire de l’être. A propos de la question qui vient d’être précisée, il nous faut maintenant demander : dans quelle mesure nous parle, dans le mot grec λόγος, une appartenance reliant ce qu’il signifie à l’être, à l’είναι ? Ce dernier terme, qui correspond au latin esse et à l’allemand sein, veut dire « s’étant approché, déployer son être en une présence » (an-wesen). Expliqué au sens du mot grec, « être » veut dire : ap-paraître dans le non-occulté [Je souligne]. s’approcher et briller, et, brillant ainsi, durer et demeurer. (p.228-229)

[10Dans Sur les grecs, après avoir rejeté l’alternative entre théisme et athéisme, et encore plus la mollesse de l’indifférentisme, Sollers écrit :

l’athéisme est une faribole. [...] Si on gratte un peu, le discours athée n’est jamais rationnel, c’est-à-dire, en l’occurrence, dépendant d’une expérience de la vérité au sens grec.

Il disait déjà dans le film Empreintes :

J’ai une foi indubitable, mais je ne suis pas sûr de la partager avec qui que ce soit. Ni théisme, ni athéisme et encore moins indifférentisme. La preuve de dieu est dans l’esthétique. Tous ceux qui se passent d’esthétique pour croire en dieu sont des imbéciles, des sourds et des aveugles..

Sollers est-il le seul athée parménidien ? Ce serait oublier que Marcelin Pleynet a écrit... Le Parménide. Stanze, chant V. Premier mouvement dont un extrait a été publié dans Le Polygraphe, n°9/10, octobre 1999.
Que l’on trouve dans le film Vita Nova de Marcelin Pleynet et Florence D. Lambert une autre porte (et même plusieurs), une clef, une déesse (et même deux) :

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Picasso, Baigneuse ouvrant une cabine de plage, 1928.
Photogramme du film Vita Nova.

Et que Pleynet remarque, dans Giacommetti. Le jamais vu, que Le chariot que Giacometti sculpta en 1950, évoque irrésistiblement le début du Poème de Parménide.

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