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Sollers définitif, par Pascal Louvrier

D 18 mars 2024     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


De toutes les critiques, sur le dernier roman de Sollers La Deuxième Vie, il me semble qu’il faut distinguer celle que vient d’écrire Pascal Louvrier, auteur de Philippe Sollers entre les lignes.

Sollers définitif

Pascal Louvrier - 17 mars 2024


Philippe Sollers, 1958.
© AFP. ZOOM : cliquer sur l’image.
La Deuxième Vie, le roman posthume de Philippe Sollers. Rien de nouveau sous le soleil de Sollers, me direz-vous, sauf que, cette fois-ci, le soleil est noir.

La Deuxième Vie est l’ultime roman de Philippe Sollers. Entrée en littérature, comme on entre en religion, avec Une curieuse solitude, roman paru en 1958, Sollers, né Joyau (sic [1]), en 1936, aura écrit jusqu’à son dernier souffle. La pensée reste précise, le style efficace, sans pathos ni lyrisme. Les fulgurances demeurent. Le joueur a eu la force, malgré le corps en déroute, de s’asseoir à la table du Temps, de battre les cartes et de les distribuer. Une nouvelle fois, les fées, qui aiment l’écrivain d’après André Breton [2], un expert en la matière, lui offrent un jeu parfait. L’ennemi face à lui n’a pas changé, il est seulement plus puissant et mieux organisé. Il se nomme le nihilisme. Il a été combattu par Nietzsche, Heidegger, Bataille, « Les Voyageurs du Temps », compagnons de route de Sollers. C’est un ennemi protéiforme, sacrément malin. Il faut en permanence le confondre. De très rares contemporains de l’auteur de Paradis, l’ont aussi dénoncé. On ne cesse de les louer aujourd’hui, malgré leur aigreur qui finit par indisposer le lecteur de nature plutôt optimiste. Sollers, dans chacun de ses livres, a indiqué les chemins clandestins à suivre afin de préserver l’homme personnel en liberté. Il convient de les relire avant la dissolution finale. Son roman posthume, fractionné en pensées incisives et brûlantes, rappelle que la Société, ce « Gros Animal » aux pouvoirs devenus illimités, travaille à l’effacement de votre nom. Elle est aidée dans sa tâche destructrice par la révolution des ordinateurs numériques, le féminisme social échevelé, la sexualité sous contrôle de la Technique, «  l’océan maléfique » des mères, «  la connerie conformiste », la falsification permanente de l’Histoire, le mensonge institutionnalisé, l’esprit de vengeance poussé au-delà de toute mesure. Rien de nouveau sous le soleil de Sollers, me direz-vous, sauf que, cette fois-ci, le soleil est noir. Du reste, la dernière phrase de l’écrivain est la suivante : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir. » Un peu déroutant, quand on connaît la passion de Sollers pour la lumière salvatrice de Venise et de de Ré.

Dans sa postface, Julia Kristeva, son épouse depuis août 1967, révèle que cette maxime est écrite le 10 mars 2023. Il est alors de retour chez lui, après un long séjour à l’hôpital des Invalides où il a demandé à relire la traduction par Jacqueline Risset du chant XXXIII du Paradis de Dante. Comme l’écrit Julia Kristeva, à propos de l’ouvrage dantesque, il s’agit d’un « hymne à l’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles » [3]. L’amour, thème majeur dans la première vie de l’écrivain. Les lettres à Dominique Rolin, sa « passion fixe », l’attestent. Dans La Deuxième Vie, les femmes qui ont compté pour lui, notamment sa drôle de sœur, sont rassemblées sous le prénom d’Eva. On peut ici penser que c’est un signe adressé à Krist-Eva – merci Lacan.

Dans un cahier d’écolier à la couverture verte – un Clairefontaine ? – Sollers tente de prendre de vitesse la mort en écrivant à chaque fois que la maladie le laisse souffler. L’enjeu : continuer d’évoquer la Deuxième Vie. Car elle est là depuis toujours ; elle est contiguë à la première. Julia tente de le prouver à coup de citations extraites des livres de Sollers. Résumons : il s’agit d’une « Pensée en acte » pour défier la « société finale », dans le but d’être encore capable «  de penser notre mort  ». Une nouvelle fois la Technique (l’intelligence artificielle) est pointée du doigt, car « elle déréalise la mort au fur et à mesure qu’elle épargne la souffrance de mourir  », souligne avec pertinence Julia Kristeva. L’actualité avec le projet de loi sur « l’aide à mourir » donne raison, de façon éclatante, à Sollers. Le crâne de Yorick n’a pas été placé par hasard dans le cinquième acte d’Hamlet. Shakespeare est un précieux « Voyageur du Temps ». Cet ultime roman, court, trop court, mais abouti, nous donne la clé métaphysique de l’œuvre de l’auteur de Femmes.

Dans La Deuxième Vie, la saine colère n’est pas absente. Sollers ne s’épargne pas. Il fait son autocritique et se traite même de «  connard  », ce qui réjouira les peine-à-jouir qui ne le lâchent pas d’une semelle. Il s’en prend encore à Michel Houellebecq, chantre de la panne coïtale. Il attaque également Annie Ernaux. Extrait : «  Enfin, une vieille dame française, écrivaine, Prix Nobel de littérature, se souviendra, au bord des larmes, de l’épicerie familiale, en disant qu’elle n’écrit que pour ‘’venger sa race et sa classe’’. Tout va donc dans la bonne direction, puisque les victimes sont récompensées. » Et l’homme, sur le point de devenir « corps glorieux », d’ajouter : « En douter vous désigne immédiatement comme conservateur élitiste, et signifie que votre famille, quelle qu’elle soit, n’aurait pas dû exister. »

Sollers m’a confié un jour qu’il avait la durée pour lui. J’ajoute que sa devise, dans un monde n’ayant aucun sens, était : « postulez posthume  ». Pour l’écrivain Sollers, tout commence donc. Les romans, genre dont il a explosé les limites, sont là. La petite communauté inavouable est présente. Déjà elle s’active. Venise reste la plaque tournante privilégiée. Sollers, dans La Deuxième Vie, ne lui accorde que quelques lignes. Mais, on l’a dit, le cœur était sur le point de lâcher, et l’essentiel était d’arriver « là où je devais aller. » Pourquoi se réunir à Venise, sur les Zattere ? Pour le singulier catholicisme vénitien. Ce « corps glorieux » qui, jusqu’au bout, sera resté fidèle à l’institution, poursuit sa mission. Laquelle ? Sollers : « Il aime qu’elle n’ait ni but ni raison, qu’elle ait lieu uniquement pour avoir lieu. »

Causeur, 17 mars

Pain et vin

« La communauté inavouable » dont parle Louvrier, c’est bien sûr une allusion à Maurice Blanchot, le Grand Inquisiteur, et à toutes les métafamilles (et ça fait du monde ! Cf. La communauté inavouable). Sollers définitif ? En attendant de nouveaux inédits (combien d’archives secrètes encore inconnues sans parler de la correspondance ?). Quant à moi qui en suis à ma cinquième lecture d’un roman dont, sous l’évidence apparente, chaque phrase interroge et doit être interrogée et non simplement paraphrasée, voici ce que j’écrivais le 14 mars avec un petit montage en forme d’hommage posthume.

« Il n’y a rien d’incompréhensible.
La pensée n’est pas moins claire que le cristal. » Ducasse, Poésies II.


Pain et vin.
© A.G., 14 mars. ZOOM : cliquer sur l’image.

« Le pain est fruit de la terre, mais il est cependant béni par la lumière,
Et c’est du Dieu tonnant que vient la joie du vin. » Hölderlin, Pain et vin.

Ducasse et Hölderlin ne sont pas cités dans La Deuxième Vie. Mais on sait l’importance qu’ils ont eu pour Sollers dans sa première vie.

Mieux vaut lire et relire, et attendre.

« L’attente est l’élément fluide du dieu extrême. Vous êtes sur un lit d’hôpital, et, en même temps, à vingt mille lieues sous les mers. Vous êtes mort cent fois, et vous êtes en pleine forme. Plus vous vieillissez, plus vous rajeunissez. Ne vous demandez pas pourquoi, c’est une loi. Le dieu nouveau est infinitésimal, et très peu miséricordieux pour celles et ceux qui le trouvent grand ou supérieur au monde. Son testament n’existe pas, il ne recommande rien sauf l’attente. Si vous ne l’attendez pas, il ne viendra pas. S’il vient, c’est sous la forme d’un ajustement massif. Il était donc là puisqu’il est là, juste, évident, irréfutable. » (Le Nouveau, Gallimard, p. 113. C’est moi qui souligne. Cf. Le dieu extrême)

Je note le mot « ajustement », souligné par Sollers dans La Deuxième vie (p. 22) et dans la belle postface de Julia Kristeva (p. 70).

« La révélation la plus positive de la Deuxième Vie consiste à percevoir, de façon la plus éblouie, l’ajustement du monde. Tout est différent, mais tout se tient au millimètre près, dans un emboîtage parfait. L’ancien Dieu aura été un prodigieux ajusteur.

Je comprends pourquoi je suis devenu un spécialiste des contiguïtés. »

Sollers, écrivain, n’est-il pas justement, lui aussi, un prodigieux ajusteur ?


[1« Remarquez, j’aurais pu m’appeler joyaux. Au pluriel. » Portrait du Joueur, Gallimard, 1984, p. 224. A.G.

[2Cf. L’aimé des fées. A.G.

[3Cf. Dante à Florence. A.G.

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2 Messages

  • Jean-Michel Lou | 22 mars 2024 - 22:06 1

    le dernier mot de Sollers est celui de Nerval : "ne m’attends pas ce soir, car la nuit sera blanche et noire"
    la comparaison s’arrête là... ou bien ?


  • Rabbé helene | 18 mars 2024 - 09:37 2

    Bonjour
    À propos d’Ernaux Sollers a ecrit " une vieille femme française " et non "une vieille dame française "
    Cela correspond mieux à sa pensée.
    Cordialement