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Sollers / Zagdanski : Dieu et le Diable

D 22 juillet 2013     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Au lecteur

« Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! »

« Personne n’est plus catholique que le Diable. »

« il est plus difficile d’aimer Dieu que de croire en lui. Au contraire, il est plus difficile pour les gens de ce siècle de croire au diable que de l’aimer. Tout le monde le sent et personne n’y croit. Sublime subtilité du Diable. »

Charles Baudelaire

***

La récente polémique ouverte par Philippe Sollers à l’encontre de Stéphane Zagdanski et sa prétendue « mauvaise vie » et la réaction véhémente manifestée à cette occasion par ce dernier sur sa page Facebook [1], m’ont incité à regarder de plus près — sur textes — les positions de l’un et de l’autre sur la question... du Mal, de Dieu et du Diable.
Les archives que Zagdanski met généreusement à la disposition des lecteurs sur son site « Paroles des jours », m’en ont fourni l’opportunité. Un débat de 1995 — que je connaissais mais n’avais plus bien en mémoire — montre que, sur cette question épineuse et propice à la... division, les différences d’approche entre les deux écrivains ne datent pas d’aujourd’hui, mais que les convergences (eh oui !) ont bel et bien existé. Ne succombons donc pas à la tentation de lancer l’anathème ou de condamner l’hérétique. Abandonnons le terrain piégé (diabolique ?) et peu productif pour la pensée, des attaques ad hominem et, même s’il est vrai que, souvent, « le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes », essayons de privilégier, sans ironie (quoique), le dialogue prôné il y a peu à Assise : écoutons et lisons.
Le 19 décembre 1995 donc, Philippe Sollers et Stéphane Zagdanski sont invités à une Conférence au Temple de l’Église Réformée de l’Étoile à Paris. Le thème proposé par les organisateurs est : « Pourquoi Dieu nous tente-t-il ? » Non pas : pourquoi le Diable, mais pourquoi Dieu nous tente-t-il ?
Dans son intervention, après avoir « supposé Dieu » (hypothèse qui ne va pas de soi), Sollers médite sur le passage de l’Évangile de saint Matthieu dit de « Jésus au désert ». Or c’est une méditation ancienne, filmée in situ par Jean-Paul Fargier en 1983 dans Sollers au pied du Mur (Itinéraire de Paradis à Jérusalem), que Sollers reprendra, en la développant considérablement, vingt-six ans plus tard dans une conférence intitulée Du Diable (le 18 novembre 2009, au Collège des Bernardins). Signe, s’il en fallait, d’une profonde et cohérente « perdurance » de sa pensée.
Comme vous le verrez, après l’intervention du catholique Sollers, l’écrivain féru de culture hébraïque Zagdanski commencera son exposé en saluant celui de Sollers — qui était alors, c’est vrai, son éditeur [2] — par « ça va tout à fait dans le sens de ma réflexion sur Satan »... et développera son analyse sur « l’impatience du diable » — qui est aussi son « impudence » et son « impudicité » — à partir de sa lecture de la Bible, et notamment de Job, avec une actualisation bienvenue, via Debord.
Tout cela va très vite.
Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire.


Delacroix, La Lutte de Jacob avec l’Ange, 1855-1861 (détail).
Église Saint-Sulpice de Paris. Photo A.G., 7 novembre 2019. ZOOM : cliquer sur l’image.
GIF
*


« Pourquoi Dieu nous tente-t-il ? »

1. Présentation (11’16)

*

2. Intervention de Philippe Sollers (22’19)

«  Supposons Dieu...
C’est de toute évidence un événement d’écriture.
 »
«  La tentation au désert, saint Matthieu, IV. »

*

3. Discussion (4’26)

*

4. Intervention de Stéphane Zagdanski (24’26)

Impatience du Diable

« Écoutez, c’est étrange, parce que on n’avait absolument pas préparé, Philippe Sollers et moi, cette intervention ; et finalement, ça va tout à fait dans le sens de ma réflexion sur Satan... »
« Si on a tendance à imaginer spontanément que la tentation est l’oeuvre du diable, il se trouve que dans l’Ancien Testament, la grande affaire de tentation, hormis l’épisode du jardin d’Éden, c’est celle de Job, où le moins qu’on puisse dire c’est que Dieu et le diable se donnent la main. » [3]

*

5. Questions (1’19)

« L’éjaculation : une courte prière émise avec ferveur »
Comment Dieu et Satan peuvent-ils être à la fois distincts et complémentaires ?

*

6. Intervention de Sollers (8’42)

«  Pour aller dans le sens de ce que vient de dire de très important Zagdanski...
Il se peut bien que Dieu soit mort.
Il y a là-dessus un passage tout à fait important de Nietzsche [4] que commente Heidegger [5].
 »
«  Le Bien est le Mal. Dieu est le Diable. »

*

7. Intervention du pasteur Alain X... (10’55)

« La Bible s’est constituée sur cette idée qu’il y a un Dieu et un seul Dieu. »

*

8. Quelle est la grande tentation ? (29")

*

9. Troisième intervention de Sollers (8’’58)

«  Ma position n’est ni celle d’un théisme, ni celle d’un athéisme, ni encore moins d’un indifférentisme. »
«  Le Diable tue-t-il au nom de Dieu ? C’est probable. »
«  La Bible comme secours logique. »

*

10. A nouveau Stéphane Zagdanski (2’11)

A propos du bonheur.

*

11. Question à Philippe Sollers (3’11)

«  Le XXIe siècle sera une reprise du XVIIIe siècle ou rien. Il est fort possible que ce soit rien. »
«  Dieu étant mort, le Diable a le champ libre. »
«  Le Mal, finalement, est peut-être le spirituel. »

*

12. Conclusions par les organisateurs (8’41)

L’articulation entre Dieu et Satan : qui tente l’autre ?
Entre la tentation et le désir ?
La véritable tentation, c’est la volonté de puissance.
« Tu ne découvriras pas la nudité de ton père, de ta mère »...
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique).
Le Diable — l’Adversaire — vient quand on cesse d’y croire.

*


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Delacroix, Job tourmenté par les démons
1620 (d’après Rubens).

Impatience du diable

« Pourquoi Dieu nous tente-t-il ? »

par Stéphane Zagdanski [6]

C’est une bonne question [7].
Si on a tendance à imaginer spontanément que la tentation est l’oeuvre du diable, il se trouve que dans l’Ancien Testament, la grande affaire de tentation, hormis l’épisode du jardin d’Éden, c’est celle de Job, où le moins qu’on puisse dire c’est que Dieu et le diable se donnent la main.
Le Talmud commente la phrase de Dieu à Satan : Tu m’incites à le perdre sans motif. (Job 2:3) : « Si cette phrase ne faisait pas partie du Texte, on n’oserait pas l’énoncer : Dieu ressemble ici, si l’on peut dire, à un homme qui se laisse influencer. »
Cette question de la tentation, dans Job, est dédoublée, comme si Dieu, tenté par le Diable, renvoyait en écho cette tentation vers Job pour s’en débarrasser ou l’annuler, ou la mettre elle-même, la tentation, à l’épreuve de sa propre efficacité.

Commençons par remarquer qu’une bonne partie de la problématique de la tentation se ramène, dans le livre de Job, à celle du regard. L’oeil, les yeux, le regard reviennent tout le temps :

« Quand cesseras-tu d’avoir le regard sur moi ? Quand me laisseras-tu le temps d’avaler ma salive ? » (7:19)
« Mais les yeux des méchants seront consumés. » (11:20)
« Il m’attaque et me perce de son regard. » (16:9)
« Dieu secourt celui dont le regard est abattu. » (22:29)
« J’avais fait un pacte avec mes yeux, et je n’aurais pas arrêté mes regards sur une vierge. » (31:1)

S’agissant de Béhémot : « Ses yeux sont comme les paupières de l’aurore. » (41:10)
Ou encore, ce verset très obscur, dont la traduction est hypothétique (ce qui reste vrai de tous les versets) : « On invite ses amis au partage du butin, et l’on a des enfants dont les yeux se consument. » (17:5).

Le discours de Sophar de Naamah, au chapitre 28 — chapitre d’autant plus primordial que sa place exacte dans le texte est contestée —, tourne autour de l’invisibilité de la sagesse, opposée au regard qu’on peut porter sur les richesses du monde. C’est un enseignement musical qui profère des vérités irreprésentables, puisque, si on décompose le nom de cet ami de Job, tsophar hanaamati, on obtient le cortège suivant : le « sifflet » (tsaphar), le « hurlement de sirène » (tsophar), le « matin » (tsépher), la « couronne » (tsépher — qui rappelle στεφανος, la « couronne » en grec), « agréable » (naham), « charmant », « aimable », « mélodie » (nehima — telle Noémie, la « Mélodieuse »), « timbre de voix » (nehima), etc.

Le diable est au contraire ce qui vous en veut de détourner votre regard. Le diable est au principe de l’impudeur, ce ressentiment qui intime de croire à ce qu’il exhibe. Cessez de croire un instant à la société, et le diable se fera société pour pourchasser votre incrédulité. Le diable est ainsi toujours du côté de la crédulité maximale.
Pour le dire autrement, si Dieu nous tente, le diable nous attente. Il est un attentat permanent au principe même de la pudeur — c’est-à-dire du regard qui se détourne.

Dieu nous tente parce qu’il nous attend, et s’il nous attend, c’est qu’il nous précède en ses oeuvres, comme au désert la colonne de nuée devance les Hébreux dans leurs pérégrinations. Dieu attend, Dieu est temps (c’est aussi pour cela que Dieu n’est pas tendre) et cette tension du temps, cette tentation de l’attente se distingue de l’attentation, c’est-à-dire de l’impatience.
Le diable, lui, est impatience. Les attentats, le fanatisme, sont des convulsions de l’impatience. Le diable nie que les choses arrivent quand on ne les attend pas. Il est la négation du messianisme, cette puissance perpétuelle d’inattendu.
Que teste Dieu à travers notre patience ? En définitive notre vitesse. Paradoxalement, l’impatience est lenteur. Dieu, lui, est substantiellement rapide.
On pourrait choisir des milliers d’illustrations de cette rapidité, dans le judaïsme, mais celle qu’a inauguré le christianisme est aussi assez parlante, puisque le Christ est à la fois le fils et le père de sa mère. Difficile de trouver raccourci plus fulgurant...
Voici un exemple juif, parmi tant d’autres, de la célérité de Dieu. Le Talmud, en commentaire de ce passage de Job : Lui qui m’assaille par une tempête, qui multiplie sans raison mes blessures (9:17), enseigne : « Job blasphème en parlant de tempête, et Dieu lui répond par la tempête. Job s’adresse à Dieu en ces termes : “Souverain du monde, peut-être un vent de tempête est-il passé devant Toi, qui T’aura fait confondre Job avec Ojeb (« ennemi »).”
Dieu lui répond par une tempête : L’Éternel répondit à Job du milieu de la tempête (Job 38:1)... Dieu parla ainsi à Job : « J’ai créé une grande quantité de cheveux sur la tête de l’homme / jeu de mots entre Sa’ara (« cheveu ») et Se’ara (« tempête »)/, et à la racine de chaque cheveu j’ai créé un follicule, afin qu’il n’y ait jamais deux cheveux nourris par le même follicule ; car si cela se produisait, les yeux humains seraient privés de lumière. Je n’ai pas confondu un follicule avec un autre : pourrais-je confondre Job avec Ojeb ? »

Examinons un autre cas d’intense crédulité : la mort. La mort n’existe qu’autant que l’on n’y croit pas. Cessez de croire à la mort, et elle risque fort de s’acharner sur vous, sur vos descendants plus précisément (c’est le cas de Job), puisque c’est par la procréation qu’on s’imagine immortel. Telle est toute la démonstration du Christ. Il a dû mourir pour ne pas avoir rendu de culte à la mort. Ce n’est pas la même chose de croire en la mort et de lui rendre un culte. L’humanité ne croit pas à la mort, veut ne pas croire à la mort (toute la logique du Spectacle est dans ce déni renforcé : l’image sert à cacher la mort, mais la mort n’est que l’envers de l’image, elle avance masquée, elle avance numérisée plus exactement), or l’humanité ne cesse de lui rendre culte sur culte, ce qui est logique puisque cette incroyance n’est que l’autre face de la crédulité. La mort qui n’existe pas (au sens où Dieu existe), n’étant que le reflet de la crédulité la plus extrême, s’est mise en travers du Christ — par le biais de la tentation — qui se détournait d’elle (en ressuscitant Lazare, par exemple).
Tout cela orchestré par Dieu, qui n’a tenté le Christ que parce qu’il était son fils, cas unique, jusqu’à preuve du contraire, dans l’Histoire. Sinon Dieu s’en fout. Il serait d’une grande crédulité de s’imaginer que Dieu passe son temps à nous tenter — il a autre chose à faire.
C’est sans doute pour marquer cette indifférence de Dieu que le Notre Père exprime, plutôt que « Ne nous tente pas » : « Ne nous soumets pas à la tentation... ».

Un autre enjeu crucial dans Job est celui de la procréation, puisque c’est à travers ses enfants que Job est d’emblée mis à l’épreuve, et que ses enfants « renaîtront » en quelque sorte, à la fin, lorsque ses épreuves s’achèvent. Ce ne sont bien sûr pas les mêmes enfants qui meurent au début et sont engendrés à la fin, mais le texte est si succinct à ce propos que c’est comme si la procréation des uns au dernier chapitre compensait l’atroce perte des autres au premier, au même titre que les troupeaux et les richesses de Job qui lui sont « rendus » en conclusion.
On peut lire un épisode de tentation au moyen de la procréation, dans la Bible, c’est, au premier Livre de Samuel, l’histoire de Hanna et de Pennina, femmes d’Elkana. Pennina exaspère sa rivale stérile, Hanna, afin de mettre sa foi à l’épreuve, explique le Talmud. Cette petite histoire de stérilité et de rivalité intéresse d’autant plus le christianisme que le fils que Dieu va enfin accorder à Hanna est Samuel, qui oindra le premier « messie » David, dont Jésus comme on sait descend. Ce commentaire du Talmud est accompagné d’un autre selon lequel Satan s’inquiétait de ce que Dieu, favorisant Job, risquait d’oublier l’amour d’Abraham. C’est ainsi pour « servir le ciel » qu’il convainquit Dieu de le laisser tenter son gâté serviteur. Et le Talmud conclut de manière comique que « lorsque R. Aha ben Jacob fit ce commentaire à Papounia, Satan vint lui baiser les pieds ».

Ce qui nous ramène au diable.
Non seulement le diable est au principe de l’impudeur, mais l’impudicité du diable ne s’est jamais autant manifestée que dans et par le Spectacle, soit ce qui s’exhibe de force pour contrecarrer l’invisibilité musicale des lettres.
L’impudence, le cynisme de l’impudeur (Diogène se masturbe en public) triomphent aujourd’hui dans l’industrie pornographique, dont le film porno n’est en un sens que la partie visible. Or qu’est-ce qui caractérise le film porno ? quel en est le leitmotiv ? L’éjaculation visible. La pornographie est diabolique au sens où elle vise à prouver l’irréalité spectaculaire du principe de procréation. La loi symbolique du film porno, c’est la non-procréation onaniste, puisque le héros y éjacule toujours de visu. Rien de plus répétitif qu’une copulation, et l’éjaculation impudique du film porno est là pour montrer que tout peut aussi bien se faire en pleine lumière. Son inverse est, de ce point de vue, ce qu’on appelait autrefois la jaculation, soit la prière issue de l’intimité nocturne.
Ce dont la pornographie doit nous convaincre, c’est en réalité que la procréation peut et doit se faire à la lumière artificielle.
Pourquoi le diable s’en prend-il à la procréation naturelle (ce qui est le vrai crime d’Onan, non pas tant la masturbation que le refus de procréer) ? Parce qu’un génie peut apparaître n’importe quand.
Mallarmé l’a énoncé, dans un merveilleux sonnet théologique de sa jeunesse : « Et de ce qu’une nuit, sans rage et sans tempête / Ces deux êtres se sont accouplés en dormant (tout est là ! Le génie peut jaillir du sommeil de la bêtise...), / Ô Shakespeare et toi Dante, il peut naître un poète. » [8]
Autant dire que la procréation artificielle et toutes ses techniques ne sont que des avatars de la censure. Si ces techniques ont été inventées, si elle se multiplient et sont légion aujourd’hui, c’est afin d’empêcher et de juguler la naissance possible, aléatoire, évidemment rarissime, d’un Shakespeare ou d’un Dante !

Le diable a horreur du vide. Là où la crédulité manque, là où elle fait défaut, le diable se manifeste, fait mille efforts pour pallier cette déperdition.
Comme quoi l’idée que le diable serait du côté de la femme (la Tentation incarnée) est absurde, parce que s’il est bien un sujet de crédulité millénaire, c’est la femme, ce que démontre l’affaire du péché originel ou l’histoire de Samson. Le diable n’en viendrait donc à se faire femme que pour tenter qui aurait miraculeusement cessé de croire en elles. Bon, ça a bien pu arriver à divers saints au cours de l’histoire, mais comme tout le monde le sait les saints ne courent pas les rues.
Aristophane, dans L’Assemblée des Femmes, montre précisément que si des femmes se mettaient à organiser sérieusement leur propre parthénogénèse politique, l’impudicité aussitôt s’en mêlerait, de toute l’intensité de son idéologie diabolique. Praxagora en effet s’écrie : « J’entends faire de la ville un seul foyer, en brisant toutes les clôtures, sans aucune exception : qu’on puisse aller et venir, de tous chez tous ! »
Ce qui permet de mieux saisir la parenté entre l’idéologie du voyeurisme universel qui règne sur internet par webcams interposées, et celle de la procréation artificielle et du clonage que les laboratoires promeuvent d’ores et déjà à l’échelle planétaire.
Leo Strauss, dans La cité et l’homme, a noté l’éminente parenté entre L’Assemblée des femmes et La République de Platon ; il explique à ce sujet que le comique réside, chez Aristophane comme chez Platon, dans une certaine impossibilité traitée comme possible.
Tel est le sens du rire si fréquemment associé au diable. Le rire du diable réalise l’impossible. La Société du Spectacle, où le divertissement s’impose comme tyrannie du rire froid, n’est elle-même que cet impossible réalisé, autrement dit la Mort qui, après avoir commencé par représenter la vie en même temps qu’elle l’imbibait, a fini par en absorber toute la substance, pour prendre parfaitement sa place. « Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. » écrit Debord dans La Société du Spectacle. C’est aussi en ce sens qu’il parle d’« actuel temps gelé ».
Or on se souvient à ce propos que le neuvième et dernier cercle de l’Enfer chez Dante, où sont les traîtres et où gît Lucifère, est glacé.
« Je vis encore mille visages violacés de froid ; depuis ce temps je tremble et le ferai toujours, à voir des eaux gelées. »
À croire qu’il y a quelque chose de proprement glacial au coeur de l’attentation. Ainsi, au Purgatoire, la Sirène à laquelle Dante rêve — et les sirènes, on le sait bien depuis Homère, sont des noyaux pétrifiés et sonores de tentation — est-elle engourdie par le froid. Dante, pour la faire parler et chanter, doit la réchauffer de son regard intérieur, sa « pensée transmutée en rêve ». C’est un des plus beaux épisodes du Purgatoire ; Dante s’endort, échappant à la tentation froide, il s’assoupit sous le tiède bercement de sa propre pensée. Non seulement Dante, nouvel Ulysse selon l’hypothèse de Borges, résiste à la tentation froide, mais il la combat par sa propre tentation chaude. Mallarmé confirme cette distinction entre tentation froide et tentation chaude dans un sonnet, celui-là même que le narrateur de la Recherche envisage de faire graver sur une Rolls offerte à Albertine :

« À des glaciers attentatoire
Je ne sais le naïf péché
Que tu n’auras pas empêché
De rire très haut sa victoire »

On notera qu’« attentatoire », au singulier, désigne le « naïf péché », qui attente aux glaciers et triomphe par le rire.

D’Aristophane à Dante en passant par Debord, la distinction se précise, donc, entre deux sortes de tentation : la chaude, musicale, et la froide, visuelle.

« Dieu tente mais n’induit pas en erreur », énonce Pascal. Impossible rendu possible, le diable, lui, se révèle, bien d’avantage qu’un dérèglement des sens, une erreur de logique. Il torture la raison et nous induit en erreur. Et il triomphe en cette fin de siècle, ère de grandes, fâcheuses, calamiteuses inductions en erreur. Ainsi, en langage scientifique, l’« induction », à l’origine un terme de logique (remonter des faits à la loi, des cas singuliers à une proposition plus générale), désigne à la fois un certain mode d’avortement, un certain stade de la fécondation in vitro et, en chirurgie, l’induction d’une anesthésie, le « stade où commence l’endormissement ».
Évacuation, fécondation et endormissement artificiels, à nos corps défendants, voilà les grandes lignes du programme d’induction par lequel le diable règne aujourd’hui sur tant d’esprits.
Ces grandes lignes peuvent d’ailleurs se décliner en une légion de petites tentations annexes, dont sainte Thérèse d’Avila énumère dans son Autobiographie quelques unes parmi les plus déroutantes, « toutes sous couvert de zèle pour la vertu ».
« C’est l’oeuvre du démon qui semble se servir des vertus que nous avons pour autoriser selon ses moyens le mal qu’il poursuit » dit-elle. Telle est la logique de l’illogique, toujours d’une parfaite actualité après tant de siècles.
On peut ainsi nommer la tentation du prosélytisme, « désirer pour tout le monde une grande spiritualité dès qu’on commence à goûter la paix et les avantages qu’elle procure » ; la tentation de la sollicitude : « la peine que nous causent les péchés et les fautes que nous voyons chez les autres » ; la tentation de la sécheresse : sainte Thérèse conseillait aux novices de chercher à « vivre joyeuses et libres », pour éviter de tomber dans la tentation de sécheresse, « certaines personnes s’imaginant qu’elles vont perdre leur ferveur à la moindre inadvertance » ; la tentation de ne pas lire : « Le démon s’installa sur mon livre pour m’empêcher de finir ma prière », raconte la sainte ; la tentation de l’exhibitionnisme : « Je suppliais Dieu, par une prière spéciale, de dévoiler mes péchés à toute personne qui croirait voir quelque chose de bien en moi... »
Et dans Le livre des fondations, sainte Thérèse donne en quelque sorte la clé qui permet de ne pas succomber à la tentation : « Méfions-nous de tout ce qui nous prive du libre usage de la raison, car ce n’est pas ainsi que nous gagnerons la liberté d’esprit... »

Ce conseil est d’une grande acuité aujourd’hui, à l’aube de l’an 2000, où tout semble permis mais où le libre usage de la raison n’a jamais été si menacé.
« L’âme, pour avancer, doit non seulement marcher, mais voler. »
Le meilleur moyen de résister à tant de tentations ? Le détachement :
« La sûreté, pour l’âme qui fait oraison, c’est de se désintéresser de tout et de tous, de ne s’occuper que d’elle-même et de contenter Dieu. » Pourtant les choses ne sont pas si simples. De même qu’il y a tentation et tentation, il y a tentation de la tentation.

Le diable en effet est étymologiquement du côté de la division (διάβολος, « qui désunit »), soit de la zététique, de l’analyse (ανάλυσις, « dissolution »). Il semble ainsi qu’on puisse, par le biais du diable, retrouver la logique. Il s’agit en somme de parvenir à séduire la séduction, à tenter la tentation, tel Dante réchauffant la Sirène pour la faire chanter.
Le diable, au fond, est lui-même assez peu doué en tentation ; il ne parvient pas à tenter la tentation — diviser la division est le propre du divin —, il est condamné à en rester à la tentation simple — n’oublions pas que le diable, archange rebelle, est aussi déchu.
Au fond, le diable n’est pas assez agile pour diviser la propre question qu’il est lui-même.
« Le démon », dit encore sainte Thérèse dans Le chemin de la perfection, « redoute les âmes décidées, il sait par expérience qu’elles lui nuisent beaucoup, que tout ce qu’il tente pour leur nuire tourne à leur profit et celui du prochain ; il y perd. »
La tentation de la tentation est donc une véritable guerre, et comme toute guerre, elle se remporte par l’usage de la ruse (ce que Tchouang Tseu appelle « faire voir son vide »), ce que le père Élisée des Martyrs (qui connut saint Jean de la Croix et fut le premier carme déchaussé du Mexique) nomme le « mouvement d’élévation anagogique », manière « la plus facile, plus avantageuse et plus parfaite de vaincre les vices et les tentations, d’acquérir et gagner les vertus » :

« Car, grâce à l’élévation, l’âme se rend absente de là, se présente à son Dieu et s’unit à lui, laissant le vice ou la tentation et l’ennemi frustré dans son projet, ne trouvant plus qui frapper ; car l’âme, étant plus là où elle aime que là où elle anime, s’est divinement dérobée à la tentation. L’ennemi ne trouve plus où frapper, il a perdu sa proie. »

Combattre le vice par le vide, l’induction en erreur par l’usage du sens, c’est aussi ce que préconise saint Jean de la Croix, dans La montée du Mont-Carmel : « Avec la liberté d’esprit, on surmonte aisément les tentations. » Et dans La nuit obscure il va jusqu’à expliquer que la tentation mène à la sagesse :

« Parce que si l’âme n’est tentée, exercée et éprouvée par des travaux et tentations, elle ne peut aiguillonner le sens jusqu’à la Sagesse. »

Une dernière remarque.
Dans la Bible, l’attente va avec la tente. La Tente d’assignation est en effet en hébreu celle du « rendez-vous » avec le divin.
La tente est également l’objet de la pudeur mobile des Israélites, puisque, enseigne le Talmud, pendant les quarante années qu’ils passèrent au désert, les ouvertures de leurs tentes n’étaient volontairement pas placées en face l’une de l’autre, afin que nul ne soit tenté de se mêler des affaires d’autrui.

Quand on sait que la tente, en grec, est aussi une scène (σκηνή), et, par extension, le mensonge (la fiction théâtrale) et le cadavre (le corps est la « tente » — σκηνος — de l’âme), on imagine les enjeux métaphysiques que le mot recèle.

Si Heidegger écrit que « la parole est la demeure de l’être », on peut affirmer sans risque que la tente est celle de l’écrivain. La tente est une tour d’ivoire qui se déplace, et qui vaut son pesant d’or (Pindare : « La Muse allie à l’or le blanc ivoire » septième Néméenne), c’est-à-dire, théologiquement parlant, son pesant d’heures.

Dieu est la tente de qui sait l’attente. En un sens, Dieu n’a rendez-vous qu’avec les écrivains. Dieu ne tente que les écrivains. Parcourez n’importe lequel de ces gros volumes du Talmud qu’on dirait dérobés à une bibliothèque de Brobdingnag ; on a envie de savoir ce que racontent ces drôles de caractères carrés bizarrement agencés. Voilà bien un objet venu du monde de la tentation chaude. Pour un écrivain, pour un être passionné d’écriture, je trouve que c’est un objet tentant, non ?

Pour conclure, je citerai saint Paul (I Corinthiens 10:13), qui était σκηνοποιόσ de profession, c’est-à-dire qu’il fabriquait des tentes à Corinthe pour gagner sa vie : « Nul n’est tenté au-delà de ce qu’il peut supporter. »
Ainsi, en toute logique, est grandement tenté qui a démontré de grandes aptitudes.

Stéphane Zagdanski [9]

***


Sollers au désert :
« Qu’est-ce qui se passe dans la tentation ? »

En 1983, Jean-Paul Fargier filme Philippe Sollers « au pied du mur », à Jérusalem. Vers la fin du film, Sollers est dans le désert ; il s’interroge sur la tentation de Jésus. Il n’est pas inutile de revoir la séquence avant de lire la suite [10].

***


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Bandeau du n° 111 de la revue L’Infini, Été 2010

Présentation

Le 18 novembre 2009, Philippe Sollers est invité au Collège des Bernardins à Paris. Nous ne sommes plus cette fois à Jérusalem ni dans un Temple protestant, mais « dans un lieu historique, lieu édifié par les fils de saint Bernard de Clairvaux », là même où, un an auparavant, le 12 septembre 2008, le pape Benoît XVI, a fait un long discours sur « les origines de la théologie occidentale et les racines de la culture européenne » [11]. Sollers est venu parler « du Diable », de son rôle tel qu’il est raconté dans les Évangiles, notamment l’Évangile de Matthieu et celui de Jean, et de la tentation.
Cette intervention a été publiée dans le n° 111 de la revue L’Infini (Été 2010), numéro qui porte en bandeau l’inscription « Du Diable », une manière comme une autre de nous signifier que, pour entrer dans « l’infini », il faut aussi en passer par ce curieux personnage (négation de la négation qu’est « l’Esprit qui toujours nie »). Le numéro comporte d’ailleurs un autre article de Sollers consacré au « diabolique Melville » [12] et un long entretien De la conversation criminelle [13] où on peut lire :

«  L’Enfer c’est un spectacle, c’est attirant, c’est du cinéma ».

Le texte de la conférence de Sollers est précédée d’une photographie de Sophie Zhang représentant la Vierge Marie, la partie droite de l’Annonciation de Donatello qui se trouve à Santa Croce à Florence. Le hasard (?) fait que j’étais à Santa Croce le 2 mai 2010 et que j’ai pu admirer, moi aussi, cette Annonciation. La voici, dans toute la splendeur colorée et la grâce légère de son drapé. Cette Marie, finalement si ordinaire, la main droite sur le coeur, la gauche tenant un livre ouvert, semble surprise et effrayée par l’Annonce qui lui est faite. Quel meilleur antidote au Diable ? On lisait déjà dans Paradis II :

« eh bien je dis que dans tout ça la vierge marie me va me repose qu’elle dit la vérité de la glose à savoir qu’il n’y a pas à s’obstiner comme ça côté chair côté pondule enflammée opposée à phallustuyère qu’enfin on peut en sortir de ce machinal enfer des enfers il n’y a qu’à s’arrêter net ne plus y toucher déclarer ça dépassé démodé grossier pas pensé il n’y a qu’à s’en libérer physique et psychique embrayer sur son pneumatique ah oui je sais c’est dur c’est très dur la sortie du sac à l’ordure » [14]

« Du Diable » : c’est par le « Ave Maria » que commence le propos de Sollers.

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Donatello, Annonciation, Santa Croce, Florence

Du Diable

Pour aborder ce personnage qu’on appelle le Diable, nous allons voir quels sont ses appellations et ses rôles multiples et fondamentaux dans l’histoire telle qu’elle est racontée par les Évangiles. Je les relis, et je suis saisi chaque fois par la beauté concentrée de ces quatre récits.

J’irai, après les tentations au désert, chez Matthieu 16 et chez Jean 8, 35, où Satan, le Diable, joue un rôle tout à fait révélateur. Je voudrais d’abord vous dire que je crois qu’il faut nous dessaisir de trop d’érudition, de trop de connaissances, pour aller si possible — je vous parle en écrivain et en romancier — sur la force de ce qui se passe là comme révélation.

Un autre dessaisissement, beaucoup plus difficile, parce que l’érudition est quasiment un peu lanternante maintenant, doit avoir lieu par rapport à la représentation généralisée, que je vais appeler cinéma. Dès qu’on fait du cinéma avec ça, et Dieu sait s’il y en a, si vous êtes devant ces textes, ces récits, comme si vous assistiez à un film, attention, c’est fini. Le Diable, en l’occurrence, l’a fort bien compris, puisque vous n’avez que ça sur les écrans à longueur du temps, Anges et démons, Dan Brown, etc., tout cela serait du cinéma au fond. Le texte s’y prête mais s’y refuse. Il dit autre chose qui n’est pas filmable.

Donc, je crois que nous devons être présents d’une façon nouvelle à cette histoire et que, pour être tout à fait présents, il faut que nous n’ayons pas trop de connaissances, nous empêchant de lire la chose elle-même, et que nous ne soyons pas fascinés par la société du spectacle, puisqu’il faut l’appeler par son nom. Pour être présents, je vous propose d’aborder les prières fondamentales, le Notre Père, le Je vous salue Marie, par quoi nous sommes encore catholiques, il faut s’accrocher à cela, et je pense que un : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ; deux : qu’il faut parfois prier dans le secret. C’est très bien de dire nous, mais avant de dire nous il faut savoir si un je est là.

Supposez qu’au lieu de dire Je vous salue Marie — c’est magnifique — les prières sont magnifiques — vous disiez : Je te salue Marie, pleine de grâce : une petite transgression, je dirais même érotisante, d’autant plus que si vous récitez le Je vous salue Marie, vous êtes tout simplement — il faut oser le penser — dans la position de l’Archange. L’italien le fait : Ave Maria, piena di grazia, il Signore è con te. Tu sei benedetta fra le donne e benedetto è il frutto deI tua seno. Vous changez de nature au deuxième paragraphe : prega per noi peccatori, adesso e nell’ora della nostra morte. Tantôt vous êtes archange, tantôt vous êtes mortel. Je parle des formidables annonciations que vous avez à peu près partout en Italie [15]. Les artistes, en effet, ont vécu ça de façon tout à fait profonde. C’était des commandes, dit-on. Des commandes qu’ils ont détournées de façon personnelle sublime : annonciations, crucifixions, résurrections, ascensions, assomptions. Je constate que presque plus personne ne sait de quoi il est question, mais comment peut-on écouter de la musique sacrée sans savoir ce que Jean-Sébastien Bach a dans la tête, ou Mozart ? Comment peut-on regarder un tableau plein de langues de feu, sans savoir ce qu’est la Pentecôte ? Eh bien, nous en sommes là. Faites l’expérience d’interroger tout simplement, par exemple, sur l’Immaculée Conception. En général, on croit qu’il s’agit de l’Incarnation, etc. Là, je ne parle plus en tant que catholique, je parle d’une cécité et d’une surdité organisées quant à l’art lui-même ou à la poésie dans son essence. Rien que cette infirmité instituée me rendrait catholique.

Essayez donc, pour vous-mêmes, de vous mettre à la première personne dans ces prières avant de prier en public, puisque nous c’est public d’une certaine façon. De même, essayez donc de changer l’imparfait en présent, par exemple dans l’Évangile de Jean, je me suis permis de le faire dans un livre, et je vous assure que ça fait quelque chose, n’est-ce pas, de mettre le présent :
« Au commencement est le Verbe / Et le Verbe est avec Dieu et le Verbe est Dieu / Il est au commencement avec Dieu », etc.

Vous récitez ça au présent, un certain nombre de fois pour demander comment l’imparfait vous a retiré la signification profonde, transtemporelle, du texte. C’est à peu près la même chose dans la prière même que je vais prendre, puisque tentation il y a, vous récitez ça peut-être sans y penser suffisamment, et alors mettez-vous dans le secret, votre intériorité parlant à la première personne, avant de dire notre, parce que le nous décharge de beaucoup de questions. Je le mets en question, un instant, pas trop, parce que je ne vais pas contester le culte, mais enfin : Notre Père — c’est bien beau de dire que tout le monde a le même, mais est-ce qu’il y a un je intense dans cette question ? — Mon Père qui es aux cieux, et Ne me soumets pas à la tentation, c’est mieux. Nous sommes là dans la question de la tentation, autrement dit, comme vous savez, dans l’épreuve. Nous allons trouver ça au début de Matthieu tout de suite. Ne me soumets pas à la tentation.
Vous vous rappelez sans doute que pendant très longtemps, et j’ai connu des personnes âgées qui en souffraient lorsque ça a été modifié, on disait : Ne nous laisse pas succomber à la tentation. Là le piège est constant, parce que si je succombe à la tentation, ça veut dire que Dieu m’a laissé succomber. C’est sa faute au fond, pas la mienne. De même si je dis Pardonne-moi mes offenses comme je pardonne — ou remets les dettes —, comme je pardonne à ceux qui m’ont offensé — je fais un pas, je crois, parce que pardonne-nous, les offenses ne sont pas les mêmes, elles sont très diverses, et ce sont les miennes qui comptent d’abord. Et Libera nos a malo, délivre-moi du Mal, du Malin, on est en plein dans la question que je soulève.

Ne nos inducas in tentationem. Ne m’induis pas en tentation. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ne nous mets pas à l’épreuve. Ne me mets pas à l’épreuve. Un psychanalyste doit entendre cela d’une certaine façon.

La première chose à faire ce serait de voir comment dans chaque langue constituée on peut opérer une percée fondamentale. Avec le latin c’est faisable. C’est pour ça qu’il faut réintroduire un peu de latin, c’est une langue qui n’est pas sacrée, mais qui a un passé sacramentel énorme. Avec l’hébreu, c’est autre chose, vous pouvez jouer, faire des permutations avec les lettres, etc. l’arabe aussi s’y prête, ce sont des langues sacrées, ça veut dire que vous pouvez jouer avec, changer la signification.

Et ne nos inducas in tentationem... Voyez par où on est passé. Inducas, c’est quand même clair. Ne nous laisse pas succomber est une erreur dramatique. J’ai connu des gens qui récitaient comme ça, ma mère par exemple, qui était très choquée qu’on lui enlève son « ne me laisse pas succomber », c’était une femme charmante et très drôle — et, au cas où elle aurait succombé dans la vie, ce qu’à Dieu ne plaise, je pense qu’elle se serait dit que Dieu l’avait laissée succomber. Il y a des tas de gens qui ont récité ça pendant des siècles. Ne nous soumets pas, c’est plus clair. Parce que qu’est-ce que ça veut dire ? Ne m’éprouve pas.

Donc je fais de celui ou de celle qui risquerait d’être spectateur ou spectatrice d’un événement qui aurait eu lieu on ne sait pas très bien quand, c’est contesté constamment, quelqu’un qui se met en position d’éprouver cet événement. Dans Matthieu vous avez, après la liste des générations, le moment où Joseph assume la paternité légale de Jésus, la prédication de Jean-Baptiste, c’est-à-dire de la Vox damantia in deserto, de la voix qui clame dans le désert.

Dès le début de sa conférence, Sollers rappelle qu’il est «  écrivain, romancier » et que c’est en tant que tel qu’il lit les Évangiles. C’est d’une certaine parole qu’il va être question et non d’une énième représentation cinématographique. «  Le texte s’y prête mais s’y refuse. Il dit autre chose qui n’est pas filmable », déclare Sollers. C’est vrai.
Une exception est cependant toujours possible. Cette exception — que Sollers salue d’ailleurs à plusieurs reprises dans ses écrits [16] —, s’appelle L’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo (Pierre et Paul) Pasolini. Le film, réalisé en 1963-1964, est dédié « au glorieux Pape Jean XXIII » et a reçu le Grand prix de l’Office catholique du cinéma. Pasolini a d’abord pensé confier le rôle du Christ à un poète (idée de génie quant à ce qu’il en est de l’importance accordée à la « parole » dans ce que Pasolini appellera « cinéma de poésie »). Evgueni Evtouchenko, Allen Ginsberg, Jack Kerouac et Luis Goytisolo sont contactés, mais refusent. Le Christ est finalement interprété par Enrique Irazoqui, un jeune étudiant espagnol. Tous les acteurs sont des non professionnels (vous, moi) que Pasolini fait ensuite doubler par des comédiens. C’est sans doute cela qui rend le film si proche de nous, qui fait qu’il nous parle si fortement aujourd’hui encore. Autant de raisons qui m’ont autorisé à "illustrer" les propos de Sollers, sans, je crois, les trahir, par certains extraits du film [17].

Séquence 1 : Le baptême de Jésus

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Premier baptême, qui est celui de Jésus. Vous remarquerez à quel point le Baptiste insiste dans sa vitupération — il n’y a pas d’autre mot — contre les Pharisiens et les Sadducéens qui sont pour lui, dit-il : « une engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la Colère prochaine ? » Le Royaume de Dieu est proche, « produisez donc un fruit digne de repentir, et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : "Nous avons pour père Abraham." »
Ce point est important puisque nous aurons en Jean 8, 35, l’épreuve entre cette question d’Abraham et la question du Christ. Avant qu’Abraham fût, Je suis. C’est le blasphème le plus effrayant qui ait été prononcé dans un contexte religieux précis. Jésus est d’abord baptisé, nous passons de l’eau à la possibilité du feu pour plus tard, je suppose que la plupart d’entre vous ont été baptisés, et peut-être n’y pensent-ils pas suffisamment. Ne voyez pas ça cinématographiquement, la colombe, la voix. Le Père s’exprime par la voix, il n’apparaît pas, il parle.

« Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l’eau ; et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. »

L’Esprit est à l’œuvre là, à partir de maintenant. L’Esprit, ruah, en hébreu, le souffle, descend.

« Et voici qu’une voix venue des cieux disait "Celui-ci est mon fils bien-aimé, qui a toute ma faveur." »

Attention, la question du Fils est posée, et il y a quelqu’un qui, semble-t-il, en est tout de suite averti, c’est précisément le Diable. Ce qui va le conduire à un certain nombre d’actions.

Vous savez mieux que moi que c’est une bataille de références bibliques. Le Diable est très féru de Bible et, comme l’a rappelé Benoît XVI il n’y a pas si longtemps, le Diable est un grand logicien, et n’est pas du tout un mauvais théologien. On pourrait même envisager le Diable très bien installé dans la théologie, pourquoi pas ?

Je vais reprendre, mais je vais d’abord aux papes, et je vous rappelle quand même l’Entretien sur la foi que vous avez lu, j’espère, du cardinal Ratzinger :

« On aurait du mal à oublier l’écho immense — et non pas seulement ironique, mais parfois même rageur — suscité par un pape, Paul VI, quand, dans l’allocution prononcée lors de l’audience générale du 15 novembre 1972, il revint sur ce qu’il avait déclaré le 29 juin précédent à la basilique Saint-Pierre, faisant alors allusion aux conditions de l’Église et confiant ceci : "J’ai la sensation que, par quelque fissure, la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu." »

Vous connaissez cette référence lourdement exploitée par tout le monde, y compris par le cinéma. Alors, oui, Paul VI croyait, je cite

« en quelque chose de surnaturel, et de contre-nature venu dans ce monde précisément pour ruiner, étouffer les fruits du Concile œcuménique et empêcher l’Église d’éclater en hymne de joie, en répandant le doute, l’incertitude, la problématique, l’inquiétude et l’insatisfaction ».

C’est clair.

J’ai lu quelque part que l’Église de France était désormais mal représentée au Vatican. Paraît-il. C’est peut-être en France que le Diable a la plus grande influence, après tout. Aux États-Unis c’est déjà pas mal, et ailleurs ça n’en finit pas.

Paul VI :

« Le Démon est l’ennemi numéro un, c’est le tentateur par excellence. Nous savons ainsi que cet être obscur et troublant existe vraiment et agit encore. »

Être obscur et troublant, c’est quand même un ange qui n’a pas pu se tenir dans la vérité. Qu’est-ce que ça veut dire ? Le drame n’est pas seulement humain. On n’est pas dans la sociologie, ou dans la théologie sombrant dans la sociologie, maladie de notre temps. C’est un drame divin, qui touche l’homme en un point très précis, lorsque Dieu décide de se faire homme. Factus est. De se faire en Fils. Ce qui dégage aussitôt la troisième Personne qui va être extraordinairement opérante par la suite, le Saint-Esprit.

Il faut s’habituer à penser le Diable comme une force personnelle angélique. Ce ne sont pas des histoires inventées pour faire peur aux enfants. Il paraît qu’on ne parle plus de l’enfer et du Diable. Je trouve ça étrange. Du même coup on ne pourra plus parler de résurrection, les deux censures étant exactement connexes.

Alors, Paul VI, un an avant sa mort :

« Qu’on ne s’étonne pas si notre société se dégrade et si l’Écriture nous avertit sévèrement que "le monde entier gît (au sens péjoratif du terme) sous le pouvoir du Malin", celui que l’Écriture elle-même appelle "le Prince de ce monde". »

Il y aurait un Prince de ce monde, figurez-vous. Là encore le problème c’est que la littérature, si j’appelle les écrivains qui se sont occupés de ça, c’est-à-dire de leur problème personnel avec cette affaire, je ne vais plus en finir, je ne suis pas là pour vous faire défiler qui vous voulez, Baudelaire, Dostoïevski, Rimbaud, Une saison en enfer, relisez ça. Je ne vais pas non plus rester longtemps sur Victor Hugo, avec La Fin de Satan, Dieu, Le Pape, c’est-à-dire des textes en alexandrins. J’ai essayé, avant de venir vous voir, de me remettre à Hugo, je me suis endormi très vite. Un coup de Dante m’a réveillé illico. Dostoïevski est particulièrement au courant parce que, vous vous rappelez les porcs, Les Possédés, Les Démons... Il faut en effet se faire à l’idée qu’un grand nombre d’écrivains à travers le temps, Dante, le premier, enfin un des premiers, je veux dire par la poésie, ont saisi la présence du Diable comme s’opposant au rythme même de l’Esprit. Le Diable tient à détruire systématiquement l’accès au poétique. Le processus est en cours.

Si vous vous occupez d’art, c’est la même chose, la misère poétique et la misère de l’art de notre temps sont tout de même extraordinairement intéressantes.

Il vaut mieux croire au Diable pour savoir lire la poésie et la littérature en général.
Le terme de littérature devrait d’ailleurs être abandonné. Saint-Simon, Pascal, ou d’autres, n’avaient pas l’impression de faire de la « littérature ». Qui dit qu’il fait de la poésie ou qu’il est poète, vous pouvez tourner la page tout de suite. Il s’agit d’avoir ou pas une certaine expérience métaphysique, qui passe à travers le langage. Voilà ce qu’on peut dire à mon avis de plus exact. Je n’ai pas dit expérience religieuse, mais ce n’est pas sans rapport pour autant que, dans la perversion de la métaphysique qui nous est infligée, la question religieuse se pose aussi. La religion catholique a des tas de problèmes d’adaptation, et le Pape l’a dit très bien, il n’y a qu’à faire une association humanitaire. On est dans le monde de la dévastation, c’est tout. Il faut savoir si l’on tient le coup par rapport à ça, ou pas. C’est pour ça que je propose de mettre la révélation évangélique au présent et de la vivre intensément soi-même. Le Diable a été très célèbre au XIXE siècle, c’était vraiment sa rédemption sociale. C’est inscrit dans une sorte de cheminement vers le progrès. Le Diable est progressiste, c’est évident. Et Dieu est réactionnaire, c’est évident aussi.

L’Église dit : vous avez raison de croire que le Diable est une force absolument personnelle. Alors là on revient aussi aux expériences « littéraires », par exemple, la lettre de Flaubert à Baudelaire : « Je sens un relent de catholicisme dans vos Fleurs du Mal. » Et Baudelaire répond — c’est courageux de sa part — :

« Oui, absolument, même si toutes les forces conjuguées du XIXe siècle veulent me faire changer d’avis ».

Baudelaire, un des plus grands, sinon le plus grand poète français, a eu cette formule — qui comprendra ça aujourd’hui ? — :

« Personne n’est plus catholique que le Diable. »

Pour détruire le catholicisme, il faut des moyens extraordinaires, j’allais dire techniques.

Le Prince de ce monde, je vous signale ses noms divers. Satan veut dire « obstacle », nous allons voir ça en Matthieu 16 avec Pierre. C’est le Père du mensonge, « homicide dès le commencement ». C’est l’Accusateur, le Calomniateur, le Prince de la division, etc. Vous vous rappelez que l’Accusateur est constant dans Job, bien sûr. L’Accusateur, le Calomniateur, montre que l’homme a besoin d’un avocat. Et ce sera le Paraclet, si vous acceptez ce tribunal suprême.

Toujours dans l’Entretien sur la foi de Ratzinger, ceci : Chaque fois qu’on a évoqué l’identité de ce personnage considérable, qui est là à la manœuvre —

« chaque fois, ce furent des cris et des protestations et, curieusement, justement dans ces journaux et de la part de commentateurs auxquels devrait importer bien peu la réaffirmation d’un aspect d’une foi qu’ils déclarent refuser en bloc. Dans leur perspective, l’ironie aurait pu s’expliquer, mais pourquoi la colère ? »

Oui, au fait, pourquoi la colère ?

Dans le même essai, il y a un professeur d’exégèse à l’université de Tübingen qui se permet de dire « adieu au Diable ». Le nom n’est pas cité. « Il avait voulu dès le titre dire adieu au Diable. » C’est joli, ça — « et d’ailleurs, c’est une anecdote qu’il m’a contée en riant de bon cœur » — je ne sais pas si c’est si drôle que ça — « ce volume lui fut remis par son auteur à l’occasion de la petite fête entre professeurs organisée pour le saluer après qu’il eut reçu sa nomination à l’université de Regensburg. La dédicace du livre disait ceci : « A mon cher collègue, le professeur Joseph Ratzinger, auquel il me coûte bien plus de dire adieu que de dire adieu au Diable. » Ce doit être Hans Küng [18], dont l’activité diabolique ne vous échappe pas dans la presse, encouragée constamment dans Le Monde. Je lis Küng avec délice, mais je crois qu’il n’est absolument pas conscient, et je ne sais pas pourquoi il continue à se déclarer catholique, c’est un des mystères de cette affaire. Pourquoi continue-t-il à se dire catholique et à exiger que l’Église aille dans le sens d’une sociologie moderne ? Ça m’échappe totalement. Et Dieu sait que, moi, je vis à ma façon, je n’observe aucun précepte religieux d’aucune sorte, je ne suis pas dans cette pratique, mais ma pratique qui est tout entière tournée vers l’écoute de ce qui est dit me conduit à une éthique assez stricte. « Adieu au Diable » ? Bon, écoutez, passons.

L’autre réflexion qui m’intéresse ici, c’est, je cite Ratzinger :

« La question de la mort n’est qu’effleurée ; la plupart du temps, elle ne l’est que pour s’interroger sur la manière d’en retarder la venue, ou pour en rendre les conditions moins pénibles. Le sens eschatologique ayant disparu chez de nombreux chrétiens, la mort a été entourée de silence, de peur, ou bien d’efforts pour la minimiser. »

Évidemment, la mort, c’est très difficile d’en parler avec qui que ce soit, là encore je pourrais vous faire jouer toute la bibliothèque où elle occupe, la mort — et le Diable, c’est pareil —, une place tout à fait essentielle.

« Le scripturisme, dit Ratzinger à l’époque, d’origine protestante a pénétré jusque dans la théologie catholique, d’après lequel il est affirmé que ne seraient pas suffisants ni suffisamment clairs les textes explicites de l’Écriture relatifs à cet état que la Tradition a appelé "purgatoire". Le terme est peut-être tardif, mais il est manifeste que la réalité a été crue d’emblée par les chrétiens ».

J’aime bien les choses amusantes : « Calvin, le réformateur de Genève, fit fouetter une femme surprise en prière sur la tombe de son fils et, selon lui, coupable de superstition. » C’est charmant. Maintenant on fait fouetter les femmes, en islamisme dur, si elles mettent un pantalon. Vous me direz que ce n’est pas le même Dieu. En effet mais, enfin, c’est bizarre qu’on en arrive à toutes ces sottises.

Séquence 2 : La tentation de Jésus au désert

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Jésus est emmené au désert par l’Esprit. L’Esprit s’occupe tout de suite de lui. « Il jeûne durant quarante jours et quarante nuits. » Essayez donc de jeûner pendant quarante jours et quarante nuits. Le chiffre quarante est symbolique, bien sûr, quarante ans dans le désert, etc., et en effet le Diable est là, pour savoir si vraiment le Fils de Dieu s’est fait homme. Si c’est un illuminé, la chose sera vite liquidée. Mais est-ce que le Fils de Dieu est un homme ? Vous savez que ça fait encore question. Pour ça il faut des preuves. Jeûnez donc pendant quarante jours et quarante nuits, vous aurez faim. Vous aurez faim au point que — le scandale de la faim sur la planète est quand même suffisamment hurlant —, si vous jeûnez quarante jours et quarante nuits, vous verrez que votre corps réclamera à cor et à cri — ventre affamé n’a pas d’oreilles — une nourriture. « Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains. » Réponse : « Ce n’est pas de pain seul que vit l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

Vous avez sur le même plan la manne dans le désert, l’eucharistie future, et c’est à la parole qu’est confié le soin de dire ce qui reste fondamental dans l’être humain, même s’il est hors d’état de vivre. Il meurt de faim, après tout. Quarante jours, vous me direz, ce n’est pas grand-chose. Essayez. Là nous avons déjà une bataille d’écrits, nous sommes dans le Deutéronome, le Diable est un grand lecteur du Deutéronome. C’est drôle. Après ça, c’est : « Jette-toi en bas », du sommet du Temple. « Car il est écrit... » — parce que le Diable parle de ce qui est écrit — « il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre ».

Là, c’est très intéressant, car c’est une sorte de piège au vertige de toute-puissance, au suicide aussi. Si c’est le Fils de Dieu, il y aura des anges, mais si c’est un homme, il va s’écraser en bas du Temple. Alors la réponse : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » Voilà, ça c’est important, tu ne le mettras pas à l’épreuve, tu ne demanderas pas un signe, ce sera le signe de Jonas plus tard, il n’y en aura qu’un seul, mais là, nous sommes, en écho, sur la révolte des Juifs contre Moïse parce qu’ils ont soif. Il faut que le prophète aille frapper un rocher d’où sorte de l’eau. Vous avez des miracles, je suis désolé d’insister, en effet, tour cela conduit à des miracles, encore un mot tabou, parce que, dès que l’épreuve va être terminée, les miracles vont affluer. Les miracles, en général, ce sont des guérisons spectaculaires, les aveugles voient, les sourds entendent, etc., ça guérit. Et puis après, vous avez la dernière tentation en haut de la montagne, « le Diable lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire et lui dit : "Adore-moi, et je te donnerai tout ça." » Réponse : « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, et à Lui seul tu rendras un culte. »

« Alors le Diable le quitte. » Ça ne veut pas dire qu’il s’en va tout à fait, parce qu’il va revenir. Après ça, les miracles. Je passe et je vais tour de suite à l’apparition de Satan en train de jouer un tour bien à lui à Pierre. Le trône de Pierre est d’ailleurs marqué par deux événements, il y a celui-là que je vais lire, et puis il y a un coq qui a chanté trois fois. Donc nous sommes là toujours dans des questions d’identité : « Pour vous, qui suis-je ? » — je passe sur la réponse à Philippe qui est saisissante, « Montre-nous le Père, et ça suffit. » « Comment, tu me vois, et tu ne vois pas le Père ? » En effet. « Qui suis-je ? » Pierre dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » En réponse Jésus lui dit : « Tu es heureux Simon, fils de Jonas, car cette révélation t’est venue non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Voilà la fondation de l’Église, mais juste après, comme c’est étrange, Pierre a de quoi quand même être content, il est en direct dans une révélation avec le Père qui est dans les cieux. Cela me fait toujours penser, cette histoire de paternité, à la formule fameuse de James Joyce : « La paternité consciente n’existe pas pour l’homme. C’est un état mystique et apostolique allant du seul engendreur au seul engendré. » Encore quelqu’un qui a beaucoup réfléchi à toutes ces choses capitales, notamment à propos de Shakespeare.

Donc, « Jésus commence de montrer à ses disciples — je mets le présent — qu’il lui faut s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter », voilà ce qu’il leur dit. Pierre alors, et pourtant c’est le même qui, au chapitre précédent, a entendu ce qu’on lui a dit, il a eu cette révélation, il a fait une profession de foi admirable, « et Pierre le tire à lui, pour le — j’adore la traduction ici — pour le morigéner ». Comme c’est joli, morigéner ! On morigène des enfants. C’est Pierre qui se met comme ça, à morigéner le Fils de Dieu. C’est quand même extraordinaire comme pulsion, il lui dit : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera pas. » Voilà, tu ne vas pas mourir et ressusciter ! Et, réponse du Christ, Il se retourne, et Il dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! » Pierre est possédé, c’est la réflexion d’un possédé. « Passe derrière moi, Satan ! Tu me fais obstacle » — obstacle en effet c’est Satan en hébreu — « car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Il avait la pensée de Dieu juste avant, et il ne l’a plus juste après. Écoutez, Pierre a droit à toute notre considération.

Je finis, trop vite malheureusement, sur Jean 8, 35, c’est tout à fait crucial, c’est la fameuse controverse avec les Juifs à propos d’Abraham. « Ce que j’ai vu chez mon Père » — là, le Fils qui s’exprime, l’Esprit est là, la troisième Personne est déjà là, mais ne peut être libérée que si le Fils meurt et ressuscite, sans quoi il n’y aura pas le Saint-Esprit. C’est quand même capital de comprendre ça, ou alors on ne comprend rien à la Trinité. Lisez le De Trinitate de saint Augustin, par exemple. Ça a mis longtemps à arriver, la Trinité, c’est comme les dogmes virginaux, ça a mis très longtemps, l’Immaculée Conception, l’Assomption [19]. Plus à contre-courant, on ne fait pas mieux.

Les Juifs lui disent : « Notre père, c’est Abraham. » Jésus leur dit : « Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham, or maintenant vous cherchez à me tuer. » J’insiste beaucoup sur le fait que tout ça a l’air d’avoir été oublié, ce Fils de Dieu, écoutez, son heure n’est pas venue mais, enfin, il est toujours en train d’être possiblement assassinable. Il faut le lapider, supposez qu’il ait été lapidé, la question était réglée, les Romains ont dû s’appuyer le travail, et on en parle encore, mais ne rentrez pas dans un film, la question est très importante, parce que c’est celle du biopouvoir finalement, qui est donc particulièrement exposée. Ils lui disent : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution », c’est-à-dire de l’idolâtrie, etc., « Nous ne sommes pas nés de la prostitution » — en effet —, « nous n’avons qu’un seul Père : Dieu. » Est-ce que c’est tout à fait la même position quant au Père ? Eh non. Jésus répond : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti, et que je viens ; je ne viens pas de moi-même. » Comment ça ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qui est ton père ? Qui est ta mère ? etc. La croyance biologique est violemment avouée. Réponse : « C’est lui qui m’a envoyé. Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ? C’est que vous ne pouvez pas entendre ma parole. Vous êtes du Diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il est homicide dès le commencement, n’étant pas établi dans la vérité » — ou n’ayant pas pu se tenir dans la vérité, ne pouvant pas, maintenant, se tenir dans la vérité.

Là, écoutez, il faudrait continuer par la question du néant, je vous renvoie, si vous avez le temps de lire Schelling, au traité de 1809 sur l’essence de la liberté humaine et au commentaire de Heidegger qui s’impose, à une époque où le mal était vraiment exponentiel. « La richesse abyssale de l’être, écrit Heidegger à Sartre, s’abrite dans le néant essentiel. » Sartre avait autre chose à faire, en 1945, que de s’intéresser à la richesse abyssale de l’être qui se tient dans le néant essentiel, et puis d’abord qu’est-ce que le néant essentiel ? Qu’est-ce que le néant ? Et qu’est-ce que l’être ? Nous n’allons pas en sortir de sitôt.

Tout de même, on pourrait dire la chose suivante : c’est que le Diable, eh bien, il ne peut pas accepter de se tenir dans la richesse abyssale de l’être, puisqu’à ce moment-là il faut accepter qu’elle soit abritée par le néant. D’où, « Ich bin der Geist der stets verneint », « je suis l’esprit qui toujours nie ». Il nie parce qu’il ne peut pas faire l’épreuve du néant. Ça a l’air paradoxal mais, si vous voulez, on y reviendra, et je vous parlerai de ce que dit Schelling du démoniaque :

« La plus haute corruption est en même temps la plus spirituelle, et avec elle disparaît tout ce qui est naturel, même la sensibilité et jusqu’au plaisir lui-même, celui-ci se change en cruauté et le mal diabolique et démoniaque est encore plus étranger à la jouissance que le bien. »

Démonstration par le XXe siècle.

« Le mal est même à certains égards le spirituel le plus pur, car il mène la guerre la plus acharnée contre tout ce qui est être et il tendrait même à renverser ce qui fait le fond de la création. »

Heidegger ajoute :

« L’erreur n’est pas un défaut d’esprit, elle est une perversion de l’esprit. C’est pourquoi l’erreur peut être suprêmement spirituelle et demeurer cependant une erreur. »

C’est la terreur qui est là visée, car seul le spirituel pur peut produire la terreur. C’est le démoniaque qui terrorise.
Le Mal est en Elohim, dit Lautréamont de façon sublime. C’est pour ça qu’il faut revenir à Schelling. Parce que le Diable, indubitablement, ne s’est pas tenu dans la vérité de Dieu, mais il fait partie de Dieu. Le cardinal Newman est parfait là-dessus [20]. Dieu est là dans cette affaire sous une forme qu’on oublie trop vite.

Je continue : « Parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas. Qui d’entre vous me convaincra de péché ? Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu ; si vous n’entendez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu. » Au passage, je vous signale qu’on l’accuse de guérir toujours avec l’aide des démons, mais si le démon est divisé, son règne est terminé. « En vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » Qu’est-ce que c’est que ça ? Il s’agit d’une proposition que vous trouvez, à jet continu, dans la Gnose. Lisez l’Évangile de Thomas, apocryphe si on veut.
« Il ne connaîtra pas la mort. » Alors, les Juifs lui disent : « Maintenant nous savons que tu as un démon. Abraham est mort, les prophètes aussi, et tu dis : Si quelqu’un garde ma parole, il ne goûtera jamais de la mort. » Là je crois qu’on est vraiment au cœur du sujet. En effet. « Es-tu donc plus grand qu’Abraham, notre père qui est mort ? » Notre père qui est mort. Comme c’est curieux ! On entend là une proclamation névrotique aiguë, celle de l’obsessionnel, par exemple. Notre père qui est mort. C’est beau ! « Les prophètes aussi sont morts, qui prétends-tu être ? » Jésus répond : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien, c’est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites : "Il est notre Dieu", et vous ne le connaissez pas, mais moi, je le connais ; et si je dis "Je ne le connais pas", je serais semblable à vous, un menteur. Mais je le connais et je garde sa parole. Abraham, votre père, exulta — exulte (mettez le présent) — à la pensée qu’il voyait mon jour. »

C’est dans le temps, si vous voulez, mais ce qui arrive au temps avec cette affaire n’est pas le récit cinématographique. Mettez-vous bien dans le présent, c’est une question de temps, vous allez voir pourquoi. Abraham a vu mon jour, il fut dans la joie. Il est dans la joie. Oui, pourquoi pas ? Regardez l’objection suprême : « Tu n’as pas cinquante ans et tu as vu Abraham ? » Voyez la pulsion mortifère chronophagique. C’est-à-dire : on est né, on va mourir et puis voilà. Et alors ? On va même fabriquer des corps humains de plus en plus, et qui mourront. Et alors ? On les remplacera. Et alors ? Si ce n’est pas le décret du Diable, ça ?

« En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, Je Suis. » Là vraiment c’est le comble. Je Suis, c’est le nom de Dieu révélé à Moïse dans le buisson qui brûle sans se consumer, ce qui est très bien parce qu’il y a du feu dans tour ça. « Ils ramassent alors des pierres pour les lui jeter, mais Jésus se dérobe et sort du Temple. » Ça va continuer, parce que c’est le blasphème suprême. Le Fils de Dieu va être rayé de la vie terrestre. Vous voyez que le débat fondamental porte sur la vérité, la vie, la mort, le Temps.

Philippe Sollers,
Collège des Bernardins, 18 novembre 2009
.
L’Infini 111, Été 2010.

*



Recommençons depuis le début.

Au Lecteur

La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d’une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C’est l’Ennui ! L’oeil chargé d’un pleur involontaire,
II rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère !

*


Dieu sait quoi

En 1994, Jean-Daniel Pollet tourne Dieu sait quoi, un film en hommage à Francis Ponge [21]. Après avoir cité des extraits de Méditerranée (réalisé avec Sollers, 1963), il cite un extrait d’un autre film, Contretemps (1988), dans lequel Sollers, après avoir effectué un signe de croix, lit Les Litanies de Satan de Baudelaire (on voit aussi sur l’écran de télévision quelques images du lépreux de L’ordre, 1974 [22]).

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*


Les Litanies de Satan

Charles Baudelaire

O toi, le plus savant et le plus beau des Anges,
Dieu trahi par le sort et privé de louanges,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

O Prince de l’exil, à qui l’on a fait tort,
Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines,
Guérisseur familier des angoisses humaines,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits,
Enseignes par l’amour le goût du Paradis.

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

O toi qui de la mort, ta vieille et forte amante,
Engendras l’Espérance, - une folle charmante !

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut
Qui damne tout un peuple autour d’un échafaud,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui sais en quels coins des terres envieuses
Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi dont l’œil clair connaît les profonds arsenaux
Où dort enseveli le peuple des métaux,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi dont la large main cache les précipices
Au somnambule errant au bord des édifices,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui, magiquement, assouplis les vieux os
De l’ivrogne attardé foulé par les chevaux,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui, pour consoler l’homme frêle qui souffre,
Nous appris à mêler le salpêtre et le soufre,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui poses ta marque, ô complice subtil,
Sur le front du Crésus impitoyable et vil,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Toi qui mets dans les yeux et dans le cœur des filles
Le culte de la plaie et l’amour des guenilles,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Bâton des exilés, lampe des inventeurs,
Confesseur des pendus et des conspirateurs,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

Père adoptif de ceux qu’en sa noire colère
Du paradis terrestre a chassés Dieu le Père,

O Satan, prends pitié de ma longue misère !

*


« Il faut parfois prier dans le secret » dit Sollers dans Du Diable. Pour conclure, cette prière qui clôt Les Litanies de Satan :

Prière

Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science,
Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal [23].

*

Voir aussi L’enfer des femmes là-bas, vidéo-conférence de Philippe Sollers à l’Institut du Monde Anglophone (Paris), le 22 juin 2001. Il y est question de l’Enfer tel que Rimbaud l’a vu, de sa sortie éventuelle, du Paradis et de Dante. La première séquence aborde le poème Au lecteur de Baudelaire ; la deuxième séquence le poème Bénédiction (« ce retournement du "Je vous salue Marie" »).

« Montage » réalisé le 22 juillet 2013, complété le 25 juillet et le 2 août.

***

[1Cf. Ma note du 19 juillet, Sollers/Zagdanski : la guerre... de mots ?. Kiksékakomencé ? Hum, hum... Relisez « Hubble/Sollers » dans Pauvre De Gaulle !

Zagdanski met aussi des documents intéressants (correspondances) dans Sollers versus Zagdanski (c’est gratuit et libre d’accès). Blog désormais clos (le 23-07-13) et remplacé par celui-ci : Zagdanski devant ses calomniateurs qui marque un tournant (le 24-07-13).

[2De Zagdanski sont publiés dans la collection L’infini :
Céline seul, 1993 ; Le Sexe de Proust, 1994.
Puis : Les Intérêts du temps, 1996 ; et Miroir amer, 1998 (extrait de Miroir amer).
Sur Les intérêts du temps et Miroir amer, lire : Philippe Forest, Textes extraits du recueil d’essais intitulé De Tel Quel à l’Infini, Allaphbed 2. pdf .

[3Voir le texte écrit plus bas.

[4Il s’agit du §125 du Livre III de Le gai savoir, (1882). Pour mémoire :

L’insensé (Der tolle Mensch). — N’avez-vous pas entendu parler de cet homme fou qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! » — Comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l’un. S’est-il égaré comme un enfant ? demandait l’autre. Ou bien s’est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S’est-il embarqué ? A-t-il émigré ? — ainsi criaient et riaient-ils pêle-mêle. Le fou sauta au milieu d’eux et les transperça de son regard. « Où est allé Dieu ? s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué, — vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon ? Qu’avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le vide ne nous poursuit-il pas de son haleine ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas sans cesse venir la nuit, plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? N’entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous rien encore de la décomposition divine ? — les dieux, eux aussi, se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau — qui effacera de nous ce sang ? Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d’inventer ? La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux pour du moins paraître dignes des dieux ? Il n’y eut jamais action plus grandiose, et ceux qui pourront naître après nous appartiendront, à cause de cette action, à une histoire plus haute que ne fut jamais toute histoire. » — Ici l’insensé se tut et regarda de nouveau ses auditeurs : eux aussi se turent et le dévisagèrent avec étonnement. Enfin il jeta à terre sa lanterne, en sorte qu’elle se brisa en morceaux et s’éteignit. « Je viens trop tôt, dit-il alors, mon temps n’est pas encore accompli. Cet événement énorme est encore en route, il marche — et n’est pas encore parvenu jusqu’à l’oreille des hommes. Il faut du temps à l’éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions, même lorsqu’elles sont accomplies, pour être vues et entendues. Cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné, — et pourtant c’est eux qui l’ont accompli ! » — On raconte encore que ce fou aurait pénétré le même jour dans différentes églises et y aurait entonné son Requiem æternam deo. Expulsé et interrogé il n’aurait cessé de répondre la même chose : « A quoi servent donc ces églises, si elles ne sont pas les tombes et les monuments de Dieu ? »

Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, Livre III, §125, traduction Henri Albert.

[5Martin Heidegger, « Le mot de Nietzsche "Dieu est mort" », dans Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1962 (p. 173-219 de ma vieille édition).
Heidegger : « il faut bien pourtant se demander si ce mot n’est qu’une idée d’illuminé, d’un penseur dont on sait fort exactement qu’il a fini par devenir fou, ou bien si Nietzsche ne prononce pas plutôt la parole qui, tacitement, est dite depuis toujours dans l’Histoire de l’Occident déterminée par la Métaphysique. » (p. 178. Je souligne)
Cette Histoire de l’Occident est celle du nihilisme :
« Le nihilisme est bien plutôt pensé en son essence, le mouvement fondamental de l’Histoire de l’Occident. Il manifeste une telle importance de profondeur que son déploiement ne saurait entraîner autre chose que des catastrophes mondiales. Le nihilisme est, dans l’histoire du monde, le mouvement qui précipite les peuples de la terre dans la sphère de puissance des Temps Modernes. » (p. 180)
« Le nihilisme au sens nietzschéen du mot ne recouvre donc aucunement l’état de fait purement négatif qu’"on ne peut plus croire au Dieu chrétien de la révélation biblique" [...] » — « Une vie non chrétienne peut bien adhérer au christianisme et s’en servir comme facteur de puissance, de même que, inversement, une vie chrétienne n’a pas nécessairement besoin du christianisme. Voilà pourquoi un dialogue fondamental avec le christianisme n’est nullement, ni absolument, une lutte contre ce qui est chrétien, pas plus qu’une critique de la théologie n’est du même coup une critique de la foi, que la théologie est censée devoir interpréter. » (p. 181)

[6Conférence faite au Temple de l’Église Réformée de l’Étoile, en décembre 1995.

[7Le sujet de la conférence était imposé.

[8Mallarmé, « Parce que de la viande... », 1862. NDLR.

[14Paradis II, Gallimard, 1986, p. 39-40.

[15Dans Paradis II le narrateur, après avoir décrit « la meilleure annonciation », « celle de ghirlandaio san gimignano 1482 marron-rose ou plutôt violette voilette » écrit : « voilà la négation de la négation de la négation l’irruption de la légation négation dans la négation [...] nous avons ici et ici seulement l’introduction de l’infini dans le fini le comble du viol » (Gallimard, 1986, p. 34 et 35. Je souligne).

L’Annonciation attribuée à Ghirlandaio semble être de son beau-frère Sebastiano Mainardi.

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De Ghirlandaio cette autre Annonciation :

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Ghirlandaio. L’annonciation (1486-90)

[16Par exemple, dans Illuminations.

[17La version française du film respecte la lettre de l’Évangile de Matthieu. C’est pourquoi je l’ai choisie plutôt que la version originale (quitte à perde la musicalité de l’italien).

[18En réalité il s’agit de Herbert Haag 1915-2001), un proche ami de Hans Küng, le livre est d’ailleurs paru dans la collection « Theologische Meditationen" (« Méditations théologiques »), dirigée par Hans Küng.

[19381 : premier concile de Constantinople - « Saint-esprit consubstantiel au Père » - Credo de Nicée-Constantinople (empereur Théodose Ier, Grégoire de Nazianze contre Démophile).
1854 : Immaculée Conception de Marie, dogme établi par une bulle pontificale Ineffabilis Deus de Pie IX). Il signifie que Marie, mère de Jésus de Nazareth, fut conçue sans le péché originel.
1950 : Assomption de Marie, dogme établi par la constitution apostolique Munificentissimus Deus de Pie XII. Il signifie que Marie, mère de Jésus de Nazareth, est montée au ciel avec son corps, suivant en cela l’apocryphe La Mort de Marie (source : wikipedia).

[20Sur John Henry Newman, cf. Julia Kristeva, Moi-même et mon Créateur.

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5 Messages

  • Albert Gauvin | 2 janvier 2021 - 11:25 1

    En compagnie de l’historien Robert Muchembled, Jean-Noël Jeanneney évoque les métamorphoses de la figure du Mal à travers l’histoire.


    Saint Augustin et le Diable, par Michael Pacher (env. 1471).
    ZOOM : cliquer sur l’image.
    GIF

    Première diffusion : le samedi 16 décembre 2000.

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    Nous allons ce matin parler du diable, avec Robert Muchembled, professeur à Paris XIII, qui vient de faire paraître une passionnante Histoire du diable (2000).

    Voici un quart de siècle, on pouvait se demander si Lucifer n’était pas en passe d’abandonner l’Occident. Roger Caillois écrivait en 1974 : «  ce siècle peut passer pour celui de la disparition ou tout au moins de l’éclipse ou de la métamorphose de l’Enfer. » Mais avec une prudence prémonitoire, Caillois ajoutait aussitôt : « chasser l’enfer, il revient au galop.  »

    Et de fait, en cette fin de siècle on est frappé par deux phénomènes. D’abord, l’Église catholique a réaffirmé vigoureusement l’existence du Malin, par la voix de Paul VI en 1972, puis de Jean-Paul II en 1994 et en 1998, et elle a défini un nouveau rituel des exorcismes, en multipliant les prêtres chargés de cette fonction. Je vous étonnerai peut-être en vous disant qu’ils sont passés de 15 à 120 en France.

    Il se peut que cette insistance renouvelée sur la figure de Satan traduise en fait une volonté de reconquête des esprits, tentés récemment, et en particulier aux États-Unis – c’est le second phénomène frappant de notre époque –, par de multiples sectes et doctrines ésotériques construites autour de pratiques satanistes.

    ARCHIVES SONORES
    Extrait du film « La beauté du diable » de René Clair en 1950, avec Michel Simon.
    Chanson « L’âme au Diable » de Léo Marjane, 1943.
    Extrait des "Actualités de 13h" présentées par Yves Mourousi, sur France Inter, le 19 septembre 1974.
    Extrait du film « Les visiteurs du soir » de Marcel Carné, avec Jules Berry dans le rôle du diable, 1942.
    Chanson « Thank you Satan » de Léo Ferré, 1961.
    Extrait d’une interview de l’abbé Pierre, à propos de Satan, en 1985.
    Chanson « La Java du Diable » de Charles Trenet, 1955.

    BIBLIOGRAPHIE
    Robert Muchembled, Une histoire du diable (XII-XXe siècle), Seuil, 2000.
    François Champion et Martine Cohen, Sectes et démocratie, Seuil, 1999.

    Crédit Concordance des temps


  • A.G. | 24 novembre 2017 - 14:48 2

    Dans ce dossier, il est beaucoup question de la « tentation ». Vaste question théologique qui est à nouveau posée par la décision de changer les paroles, en français, du Notre Père. La nouvelle traduction qui entrera en vigueur le 3 décembre prochain, après des débats de plusieurs décennies, propose en effet de remplacer la formule du Notre Père — « Ne nous soumets pas à la tentation » — par celle-ci : « Ne nous laisse pas entrer en tentation », plus fidèle au texte grec. Ceux qui, comme moi, ont appris, dans leur enfance, le Notre Père, en latin, avec la formule : « Ne nos inducas in tentationem » ( qu’on traduisait par « Ne nous laissez pas succomber à la tentation »), s’interrogent (et pas seulement sur le passage du vouvoiement au tutoiement depuis longtemps en vigueur) : que l’on remonte du latin au grec (καὶ μὴ εἰσενέγκῃς ἡμᾶς εἰς πειρασμόν), pourquoi pas, mais si les Evangiles ont été écrits en hébreu, que devient la formule ? Je ne connais pas l’hébreu et je ne me souviens pas avoir lu quelque chose sur ce sujet dans les livres éblouissants de Bernard Dubourg sur L’invention de Jésus.
    Je lis dans un article sur Les racines du Notre Père chrétien dans les prières juives :

    « "Et ne nous laisse pas entrer en tentation"
    Ne nous livre pas au pouvoir du péché, de la transgression, de la faute, de la tentation ni de la honte. Ne laisse pas dominer en nous le penchant du mal .
    Prière du matin ; Berakhoth 16b, 17a, 60b ; Sanhedrin 107a. »

    En attendant d’être éclairé sur ce point (par Stéphane Zagdanski ? Par Olivier P. Thébault ?), laissons la parole au frère dominicain Jocelyn Dorvault, auteur de « Notre Père (pour ne plus rabâcher) » (Cerf, 2017), qui, interviewé par La Croix, explique l’histoire, les raisons, et les limites aussi de cette nouvelle traduction.

    « La nouvelle traduction du Notre Père ne résout pas le problème théologique »

    Pourquoi une nouvelle traduction de la prière du Notre Père  ?

    Fr. Jocelyn Dorvault  : La formule en usage jusqu’ici – « Ne sous soumets pas à la tentation » – fait débat depuis son adoption. De nombreux croyants se reconnaissent gênés, des théologiens ont écrit à ce sujet (1). Si les évêques de France l’ont adoptée – en 1966 et à une courte majorité –, c’est surtout dans un souci œcuménique. Les protestants estimaient en effet que celle qui était utilisée jusque-là – « Ne nous laissez pas succomber à la tentation » – était trop éloignée du texte.

    Mais de fait, demander à Dieu de ne pas « nous soumettre à la tentation » pose plusieurs problèmes. Le premier est lié au mot tentation qu’on aurait pu traduire plutôt par épreuve, qui est plus large. Plus que de nous épargner toute tentation devant une pâtisserie, ce que nous demandons à Dieu, c’est de nous sauver alors que, submergés par l’épreuve, nous sommes guettés par la désespérance qui peut nous faire perdre la foi.

    Le problème est surtout de savoir si Dieu a part avec le mal qui nous frappe. L’idée selon laquelle il peut nous soumettre à l’épreuve pour nous endurer ou nous purifier existait dans le judaïsme antique. Saint Paul lui-même la reprend dans ses épîtres, et cette conception théologique continue à courir aujourd’hui, même si elle est loin d’être majoritaire.

    Déjà, l’apôtre Jacques mettait en garde contre ce qu’il considérait comme une erreur  : « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise  :’Ma tentation vient de Dieu’. Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne », écrit-il dans sa lettre (1, 12-14). En guérissant l’aveugle de naissance, Jésus lui-même avait récusé toute corrélation entre le mal qui nous frappe et notre péché. Dieu n’a rien à voir avec le mal  !

    Bref, la traduction adoptée depuis 1966 n’a jamais fait l’unanimité. En 2004, les orthodoxes ont été les premiers à l’abandonner. La Conférence des évêques de France, elle, a décidé d’en changer en 2012  : l’année suivante, la nouvelle traduction a été approuvée par Rome, et sa mise en application a été décidée pour décembre 2017. Il ne s’agit donc pas d’une décision opportuniste  !

    L’idée de « changer » une prière aussi fondamentale pour les chrétiens que le Notre Père semble difficile à accepter par certains. Pourquoi  ?

    J. D.  : En réalité, comme on vient de le voir, l’Église l’a déjà retraduite plusieurs fois. C’est d’autant plus normal que nous n’avons aucun accès à la prière de Jésus telle qu’elle est probablement sortie de sa bouche. On suppose que Jésus l’a prononcée en araméen, mais nous ne disposons que de deux témoignages différents, qui sont eux-mêmes des traductions en grec. L’Écriture Sainte est, déjà, en elle-même, un processus de traduction, et donc d’interprétation.

    Ainsi dans sa version du Notre Père, Matthieu ajoute des éléments qu’on ne retrouve pas chez Luc. Ou bien il choisit, par exemple, le mot « dettes », évocateur pour des juifs, alors que saint Luc, qui s’adresse à un public païen, a préféré « offenses » qui fait plus clairement le lien avec le péché. Chacun traduit de la manière qui lui paraît la plus appropriée pour être sûr que le message va passer.

    Les chrétiens acceptent l’idée de revoir la traduction des Évangiles, parce que ces derniers sont en eux-mêmes une réécriture de l’histoire de Jésus, dans une perspective théologique, utilisant le langage du mythe, de la poésie, de la parabole… Ils ne constituent pas des récits historiques au sens où on l’entend aujourd’hui, ce sont plutôt des témoignages. Cette manière de les lire est une grande chance  : elle nous empêche un rapport idolâtre au texte. Nous restons libres de le traduire et de le retraduire, et d’en proposer de nouvelles interprétations qui continuent à faire sens pour aujourd’hui.

    Pourquoi avoir choisi la formule « Ne nous laisse pas entrer en tentation »  ? Règle-t-elle le problème théologique  ?

    J. D.  : La nouvelle formule retenue par les évêques de France reste fidèle au texte grec et elle a l’avantage de minimiser la responsabilité de Dieu dans l’épreuve qui nous frappe. Ce n’est plus Dieu qui est la source du mal. Mais elle a l’inconvénient de ne pas la faire disparaître complètement non plus  : nous lui demandons de nous éviter d’entrer dans la tentation. Mais, alors, si on y entre, cela signifie-t-il qu’il l’a permis et voulu  ?

    L’autre problème théologique, c’est qu’elle nous fait demander à Dieu de venir à l’encontre de notre liberté  : la formule sous-entend que l’homme serait naturellement porté vers le péché et que Dieu devrait entraver sa liberté pour lui éviter d’y succomber. Mais non, l’homme est naturellement porté vers le bien et c’est le mal qui le dénature  ! Jésus ne cesse, dans l’Évangile, de nous inviter à la liberté intérieure et de nous dire que Dieu nous fait confiance…

    Personnellement, je pense donc que le résultat n’est pas complètement satisfaisant. Mais aller plus loin aurait nécessité de prendre plus de distance avec le texte grec (comme le faisait la version d’avant le Concile). Nous sommes dans une tension ancienne entre fidélité au texte, reçu de la tradition, et liberté de l’interprétation.

    En tout état de cause, ce dont nous devons nous souvenir, quelle que soit la traduction choisie, c’est que Dieu n’est jamais du côté du mal mais toujours de celui qui souffre. La prière du Notre Père ne peut pas vouloir dire que Dieu nous soumet à quelque chose qui nous blesse, ou qui nous tue.

    Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner, La Croix du 24 novembre 2017.

    (1) dont notamment la thèse de Jean Carmignac, Recherches sur le « Notre Père » (Éd. Letouzey et Ané, 1969), publiée quelques années plus tard dans une version raccourcie  : À l’écoute du « Notre Père » (Éd. F.X. de Guibert, 1984)
    (2) Parmi les Églises catholiques francophones, certaines ont précédé le mouvement, comme la Belgique et le Bénin dès la Pentecôte.

    Notre Père en grec

    Πάτερ ἡμῶν ὁ ἐν τοῖς οὐρανοῖς,
    ἁγιασθήτω τὸ ὄνομά σου,
    ἐλθέτω ἡ βασιλεία σου,
    γενηθήτω τὸ θέλημά σου,
    ὡς ἐν οὐρανῷ καὶ ἐπὶ τῆς γῆς•
    τὸν ἄρτον ἡμῶν τὸν ἐπιούσιον δὸς ἡμῖν σήμερον•
    καὶ ἄφες ἡμῖν τὰ ὀφειλήματα ἡμῶν,
    ὡς καὶ ἡμεῖς ἀφίεμεν τοῖς ὀφειλέταις ἡμῶν•
    καὶ μὴ εἰσενέγκῃς ἡμᾶς εἰς πειρασμόν,
    ἀλλὰ ῥῦσαι ἡμᾶς ἀπὸ τοῦ πονηροῦ.

    En latin et en hébreu, à Jérusalem.


    En latin et en hébreu, à Jérusalem.
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  • A.G. | 18 juin 2017 - 14:43 3

    5 choses à savoir sur le Diable
    Le diable existe-t-il ? Les déclarations du patron des jésuites, considérant Satan comme un "symbole", ont agité une partie de la cathosphère mondiale. Il nous a donc semblé judicieux de vous refaire, sur le sujet, le bagage de connaissances minimales.
    Lire l’article de François Reynaert (L’OBS, 18 juin 2017). pdf


  • A.G. | 13 juin 2017 - 12:58 4

    Satan existe-t-il vraiment ? La question divise l’Eglise catholique


    Le pape François et Arturo Sosa, le supérieur général des jésuites, lors d’une rencontre au Vatican.
    Observato Romano - AFP. Zoom : cliquez l’image.
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    Le diable n’est pas qu’une vue de l’esprit, pour le pape Français. Pour le nouveau supérieur général de l’ordre des jésuites, il ne s’agit au contraire que d’une figure symbolique inventée par les hommes.

    Si Dieu existe, alors pourquoi pas le Mal ? Pourquoi les guerres, pourquoi les génocides ? Lorsque ces questions réapparaissent dans les débats internes à l’Eglise catholique, note Le Figaro, la controverse ne passe pas inaperçue. Surtout quand elle oppose le père Arturo Sosa, nouveau supérieur général des jésuites et le pape François, lui-même issu de cet ordre.

    Dans une interview accordée le 31 mai au quotidien espagnol El Mundo, le prêtre vénézuélien ne voit en Satan qu’une figure symbolique.

    "Nous, les chrétiens, nous croyons que nous sommes faits à l’image de Dieu, parce que Dieu est libre. (...) Nous avons créé des figures symboliques, comme le diable, pour exprimer le mal", affirme ainsi Arturo Sosa, le nouveau supérieur général de la Compagnie de Jésus.

    Pour lui, l’idée du diable est la question du libre arbitre. "De mon point de vue, le mal fait partie du mystère de la liberté. Si l’être humain est libre, il peut choisir entre le bien et le mal. Nous, les chrétiens, nous croyons que nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu, parce que Dieu est libre, mais Dieu choisit toujours de faire le bien parce qu’il est toute bonté. Nous avons créé des figures symboliques, comme le diable, pour exprimer le mal", insiste Arturo Sosa.

    Le pape sur une ligne radicalement différente

    François, et l’opposition entre les deux est d’autant plus symboliquement importante qu’il est le premier pape jésuite de l’histoire, est d’un avis opposé. Elu en 2013, il lançait le 30 octobre 2014 : "À cette génération, et tant d’autres, on a fait croire que le diable est un mythe, une image, une idée, l’idée du mal. Mais le diable existe et nous devons lutter contre lui. C’est ce que dit Saint-Paul, ce n’est pas moi qui le dis ! La parole de Dieu le dit. Mais pourtant, nous n’en sommes pas vraiment convaincus."

    La position papale semble plus conforme à la tradition jésuite, en référence au débat qui les opposa aux jansénistes sur la question de la grâce. Mais surtout le "pape noir" comme est traditionnellement nommé le chef des jésuites, est connu pour son engagement politique à gauche.

    BFMTV


  • A.G. | 5 août 2013 - 10:53 5

    Satan, dans le Livre de Job, n’est pas un nom propre mais un nom commun (« le satan »). Il signifie l’obstacle, l’opposant, l’accusateur, l’adversaire.
    Dans L’Évangile de Marc, Jésus demande au démon : « Quel est ton nom ? » Réponse : « Mon nom est légion, car nous sommes nombreux. » (V, 9)
    Dans l’Avertissement à Éloge de l’infini (2001), Sollers dénombre les figures contemporaines de cette légion :

    Ignorants, mondains, populistes, politiciens véreux, employés d’édition gâteux, journalistes mafieux, clergé intellectuel haineux, universitaires fumeux, avant-gardistes foireux, académiciens vitreux, médiatiques pressés graveleux, apocalyptiques bilieux, moralistes rancuneux, sexualisés piteux, sociologues plâtreux, militants abrutis et joyeux de la laideur publicitaire générale, nihilistes, déprimés, affairistes, familialistes, fanatiques de l’autodestruction programmée ou maniaques en tout genre...

    Puis :

    Vous en faites trop, me dit soudain l’Adversaire. Quand dormez-vous ?
    Bonne question. Mais ce serait trop lui demander de lire [...] Et puis quoi encore ! Comme si l’Adversaire était là pour lire ! Il est même convaincu qu’il peut s’en passer. C’est sa force, qui paraît invisible. Il ne faut pas la surestimer.

    Il ne faut pas surestimer la force l’Adversaire ! Peut-être y-a-t-il encore des «  musiciens de la vie ». Cet article a été consulté, et — qui sait ? — peut-être lu, plus de 800 fois depuis sa récente mise en ligne.