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Contretemps de Jean-Daniel Pollet

avec Philippe Sollers et Julia Kristeva

D 1er octobre 2012     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Jean-Daniel Pollet


« CONTRETEMPS. n. m. 1. Circonstance, évènement imprévus qui vont à l’encontre de ce que l’on projetait ; empêchement, ennui, incident. Un contretemps fâcheux. — A contretemps : mal à propos, d’une manière inopportune. 2. MUS. Procédé rythmique consistant à attaquer un son sur un temps faible et à le faire suivre d’un silence sur un temps fort. » (Le Petit Larousse illustré)

Il n’aura échappé à personne que Pileface avait été l’objet, ces derniers jours, de nombreux contretemps fâcheux. Mais il est d’autres contretemps, dont celui-ci qui, bien qu’imprévu, est plutôt heureux.

Le 23 septembre, je trouve dans le courrier de Pileface ce message de Boris Pollet, artiste plasticien et fils de Jean-Daniel Pollet :

Connaissez-vous l’existence de Contretemps de Jean-Daniel Pollet ?

Contretemps - Réalisation Jean-Daniel Pollet

France - 1988 - 110 min - 35 mm. Titre original.
Résumé : Jean-Daniel Pollet a rassemblé dans ce collage des extraits de certains de ses précédents films ainsi qu’un reportage de Jean Baronnet. Sur ces images il donne la parole à Philippe Sollers et Julia Kristeva qui se livrent à des réflexions sur le temps, le travail, la lumière et le cinéma.
Générique. Scénario : Jean-Daniel Pollet. Texte : Philippe Sollers, Julia Kristeva. Image : Jean-Daniel Pollet, Alain Levent. Musique : Antoine Duhamel. Montage : Françoise Geissler. Interprétation : Philippe Sollers, Julia Kristeva, Raimondakis, Leila Geissler, Boris Pollet, Claude Melki, Maria Loutrakis. Production : Ilios Films, La Sept.

pensez-vous intégrer cela à la base de donnée... ?
Cordialement
Boris Pollet

*

S’ensuit un échange de mails (extraits)...

Le 24 septembre 2012 00:05

Cher Boris Pollet,

Je connais l’existence de Contretemps, mais, hélas, je n’ai pas vu le film. Existe-t-il une version en DVD ? Si oui, pourriez-vous m’en indiquer la référence ? En avez-vous une version numérique ? C’est bien volontiers que Pileface l’intégrerait à sa base de données. J’ai sous les yeux la belle critique de Laurence Giavarini publiée dans le n° 431/432 des Cahiers du cinéma en mai 1990. Elle pourrait être jointe au dossier. En attendant, je répare l’omission en l’intégrant à la filmographie.

Bien cordialement
Albert Gauvin

*

Le 24 sept. 12 à 10:30

Cher Albert Gauvin,

Contretemps n’est pas encore édité en DVD, mais cela est prévu, après un premier coffret qui tarde à sortir ! [...]

Pour l’heure je monte une association Loi 1901

« Les amis de Jean-Daniel POLLET »

Article 2 - Objet

Cette association a pour objet de rassembler, conserver, protéger, faire connaître et valoriser l’œuvre cinématographique de Jean-Daniel POLLET. Elle contribue également à susciter et à promouvoir toute initiative permettant d’y parvenir avec les moyens dont elle dispose. Par ce travail, elle vise enfin à réunir celles et ceux qui s’intéressent à cette œuvre, en France comme à l’étranger.

Philippe Sollers accepte d’en être membre d’honneur... Cela me touche au coeur.
L’assemblée constitutive aurait lieu en Octobre.

Peut-être aurons nous le plaisir de faire connaissance, une fois !
Auriez vous la gentillesse de me faire parvenir une copie ou un scan de cet article des cahiers que je n’ai pas.
Merci.

Dans un autre mail, Boris Pollet m’apprend que Jean-Paul Fargier sera le vice-président de l’association et que Gérard Leblanc en sera « membre de base ». Qui a lu nos différents dossiers sur J.-D. Pollet n’en sera pas surpris. A suivre...

oOo


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Boris Pollet. D’après photogrammes du film Méditerranée de Jean Daniel Pollet (1963).

L’Indien

par Philippe Sollers

Je ne connais pas de cinéastes aussi à contre-courant que Jean-Daniel Pollet, à l’opposé de tout ce qui définit le spectacle, ses clichés, son hypnose, ses vedettes lassantes, ses prix, ses pompes, son bruit navrant d’illusion. S’il donne à voir aujourd’hui un film qui s’appelle Contretemps, ce titre vaut comme le résumé de sa vie ou un manifeste. Au fond, il n’a jamais cessé de vouloir contrer le flux des événements, soit par une ironie dansante (pourvu qu’on ait l’ivresse), soit par une méditation intense sur des mondes disparus (Méditerranée). Il y a probablement du mystique spontané chez ce garçon têtu comme dix mille moines tibétains égarés dans la production des images. Ses bobines sont des mandalas. Du coup, son art ne ressemble à aucun autre et on hésite à qualifier ce qui sort de sa caméra. Des films ? Des volumes d’apparitions, plutôt, larges, profonds, obsédants, où chaque détail, chaque scène, a l’air d’avoir été repris à la peinture par une vision intérieure des plans, des couleurs. Pollet a des fanatiques. j’en suis. L’expérience, avec lui, de Méditerranée m’en a davantage appris, autrefois, que n’importe quelle drogue, n’importe quel voyage. Aux dernières nouvelles, il paraît qu’il veut s’occuper d’un de mes romans, Les Folies françaises. S’il le fait, ce ne sera pas de la tarte. Mais au moins serai-je sûr que ce livre aura été lu [1]. Dans sa folie, justement, Pollet est un des seuls individus raisonnables dans le monde dément du cinéma-dry. Dernier des Mohicans, libre et sauvage.
Qu’est-ce qu’il a que les autres n’ont pas ? Du goût.

Publié dans Jean-Daniel Pollet, Gérard Leblanc, L’Entre Vues, 1998.

Photogramme Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Philippe Sollers dans Contretemps :

« La damnation, c’est d’être obligé de se répéter, dans les limites d’un corps qui a été condamné à ne réitérer que le même geste ou la même pensée très limitée. Le paradis, en revanche, c’est la répétition mélodique ou musicale de la joie qu’il y a à se répéter, dans l’illimité. »
*


Contretemps

Jean-Daniel Pollet
1988, France 110 min, Ilos Films

Comme une relecture de son œuvre, “ luttant contre le temps ”, Jean-Daniel Pollet a rassemblé des extraits de ses films et un reportage de Jean Baronnet. Il donne la parole à l’écrivain Philippe Sollers et à la philosophe Julia Kristeva.

*

Dans l’intervalle, j’ai retrouvé le premier compte-rendu de Contretemps publié dans Le Journal des Cahiers du Cinéma, n° 94, juillet-août 1989 (Cahiers n° 422), à l’occasion de la projection du film au festival de Pesaro. Jean-Daniel Pollet, « (qui par un sinistre hasard avait été victime d’un contretemps) » (renversé par un train en avril 1989, il restera paralysé), n’avait pu s’y rendre. Dans L’Entre Vues, le dialogue entre Jean-Daniel Pollet et Gérard Leblanc [2], on peut lire à propos du livre : « Au départ, il s’agissait de concevoir, rapidement, une plaquette pour le festival de Pesaro, où Contretemps avait été invité. La commande fut honorée mais, très vite, nous n’avons pu tenir dans ses limites... » Autre contretemps.

Le Journal des Cahiers du Cinéma, juillet-août 1989

Pollet accomplit une œuvre de destruction et de recomposition de ses œuvres précédentes. À partir de scènes de Méditerranée, de L’Ordre, etc. ainsi que d’un film de Jean Baronnet, il crée un nouveau film où toutes les images antérieures entrent dans un autre jeu, tournoyant, grandiose, spiralé. [...] C’est encore le texte de Sollers, la musique de Duhamel, mais cette fois Sollers et Duhamel sont dans le film, qui, dans son mouvement de spirale, reprend, recommence, comme la houle [...] dans un incessant va-et-vient, le combat contre le temps. Sollers, Duhamel et Kristeva sont pris dans ce mouvement, toujours recommencé, ce va-et-vient entre le texte de Sollers en voix off qui dit ce que les images disent, texte et images se relançant à tour de rôle, perpétuelle reprise, litanies, contre le temps. La question serait « de savoir s’il y a une chance d’échapper au temps ». [...] Et Pollet filme la joie de la fête, des danses, des gestes amples et repris (lisser sa chevelure, tourner dans la danse), comme si le bonheur était répétition musicale et mélodique [...], comme si le bonheur était apprentissage du plaisir de la musique et de la danse.

Colette Mazabrard, Cahiers du cinéma, juillet-août 1989.

*


Les Cahiers du Cinéma, mai 1990

CONTRETEMPS. Que peut-il y avoir de commun entre un temple en ruine ouvert sur le ciel, une. fille brune se coiffant, la mise à mort d’un taureau l’arène, deux femmes triant des graines, un arrêt sur la parole de Julia Kristeva ou celle de Philippe Sollers ? Quoi de commun, sinon le temps qui passe dans chaque plan, suscite le regard sous les différentes espèces de la contemplation, de l’impatience, de l’attente, la douleur, la fascination ? Quel quelle justification, hors ce regard conduit d’une image l’autre, dans l’ordre hasardé d’un jeu de photos que l’on feuillette, promené entre les accrocs de telle ou relie perception de la durée, les retards imposés à chaque élément de la série de séquences hétérogènes qui fait le film ? Sa construction en contrepoint diffère en effet le désir de la mort du taureau dans telles images de chant ou de pousse le visage découvert, en attente de soi, d’une jeune fille contre la race dévorée d’un lépreux — un présent, une promesse contre une brutale avance de la décomposition des corps qui rend soudain celle-ci incroyablement visible, ici, maintenant. obstacle : autrement dit contretemps même de ce film qui est de montage, en un sens absolu. La matière, c’est à dire les matières du film : car le contrepoint fait vibrer les uns près des autres des plans extraits de films anciens de Pollet (Méditerranée, L’Ordre, Bassae), quelques séquences nouvelles où l’on voit et l’on entend Sollers et Kristeva, une dizaine d’images empruntées à Skitloussa de Jean Baronnet. Le contretemps est donc ce battement d’images et de sons fabriqués à différentes époques, et le montage d’abord démontage pour l’orchestration nouvelle d’un rythme en forme de fugue ; spirale de ce qui avance dans la rupture et la répétition, par gonflements successifs. Comme le pouvoir rythmique de la lumière, de l’éclairage que l’on fait palpiter sur Sollers s’adressant à la caméra.
Poursuivons sur les suggestions du titre : dans « contretemps », il y a lutte contre le temps. On luttera donc, en faisant trace bien sûr ; c’est la fonction des retours d’images, ce glissement obstiné du regard sur les colonnes ruinées du temple de Bassae, ces cercles que fait le taureau blessé sur lui-même, ces d’enfants tournant pour la caméra sans la quitter yeux. Il faut lutter contre le temps dans la mesure où il est perte, effondrement, disparition visibles dans l’espace, les corps, sur la terre et les pierres : toute femme vêtue de noir et qui file est une Parque. Cela, cette douleur, est très exactement ce que le cinéma peut voir et montrer. Par ailleurs, une trace est une perte. On perd du temps à montrer le temps. Cette dépense peut être légère, rythme là encore, envolée « loin du noir océan de l’immonde cité » — « dis-moi, ton cœur parfois s’envolera-t-il, Agathe ? » (Moesta et errabunda). Pollet associe la dépense de temps à un mouvement perpétuel, au gaspillage d’une parole qui ne s’arrête jamais (qui mieux que Sollers, plus gaiement, aurait envie d’en témoigner ?) où, sur un mode plus dans le long face-à-face avec le visage du lépreux plus minérales d’être montrées en noir et blanc, alors qu’elles viennent d’un film en couleur, L’Ordre), dans l’abandon à l’effroi de sa voix rauque. Un des moments les plus envoûtants du film.

Quand on est à contre-temps, on est au plus près du temps. Que la répétition soit refrain (Les Litanies de Satan) ou encadrement (comme dans Moesta et errabunda où un même vers ouvre et ferme chaque strophe, la gonflant ainsi de la suivante) ; elle est un intervalle. Si bien que la déconstruction (et la reconstruction) qu’opère Contretemps prend le sens d’un déplacement — du centre (Méditerranée signifie bien « au milieu des terres ») vers les marges, vers les points les plus fragiles de la durée, au bord des sons, des images, des époques. Le démontage est en fait un renversement. Pollet choisit de placer à la frontière, de construire la durée de son film sur des points de fracture. Pratique de musicien qui sait que le temps fort qui suivra le temps faible (contretemps) ne peut être qu’un silence. Être dans le temps, c’est être entre les temps.
En dernier lieu le mot désignera, c’est évident, le cinéma lui-même, et d’abord la dépense que c’est de s’arrêter dans une salle obscure, de perdre son temps (et son argent !) et à regarder un film, accepter de faire cette « rencontre bordée de solitude" (l’expression est de Kristeva). Et à plus forte raison quand un film « se fait sentir » comme celui de Jean-Daniel Pollet, long et lent (s’il se fait sentir, on le « sent passer ») — point limite où le cinéma se donne pour ce qu’il est en dehors même de toute fiction consolatrice.

Laurence Giavarini, Cahiers du cinéma 431-432, mai 1990.

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Pollet et Godard

Il n’y a pas que des contretemps. Dans le cadre des « rencontres du cinéma documentaire » qui se dérouleront du 4 au 12 octobre à Montreuil, le cinéma Georges Méliès [3], programme Trois jours en Grèce de Jean-Daniel Pollet (1990, 90 min)

Synopsis :
Carnet de voyage. Un itinéraire grec très personnel, rencontre d’êtres et de lieux chers au cinéaste à l‘époque de la Guerre du Golfe : images de Delphes, de Bassae... de la Grèce antique mais aussi images d’actualités, de télévision... images d’aujourd’hui...

La projection sera suivie de : Le Corps et la caméra, le cinéma de Jean-Daniel Pollet, Entretien avec Jean-Luc Godard (2012, 40 min [4])

Synopsis :
Jean-Luc Godard raconte l’influence du cinéma de Jean- Daniel Pollet sur son propre travail [5].

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Les films de Jean-Daniel Pollet sur Pileface

Méditerranée (1963)
Bassae (1964)
Le Horla (1967)
L’ordre (1974)
Pour mémoire (la forge) 1978)
Dieu sait quoi (1994)

Sur Jean-Daniel Pollet

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Corridas

Boris Pollet

Réalisé en Provence, été 2007.
D’après des photogrammes du film Méditerranée de Jean Daniel Pollet (1963).

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Boris Pollet, Corrida 1, été 2007.
Réalisé en Provence.
D’après photogrammes du film Méditerranée de Jean Daniel Pollet (1963).
Acrylique et pigment sur toile coton épais, (110X158cm) sans châssis.
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Corrida 2.
Acrylique et pigment sur toile coton épais, (110X158cm) sans châssis.
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Corrida 3.
Acrylique et Pigments sur toile épaisse en coton 110 X 141 cm.
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Corrida 4.
Acrylique et Pigments sur toile épaisse en coton 110 X 141 cm.

Le site expérimental de Boris Pollet

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Philippe Sollers

« quelle corrida entrée du taureau par les cornes masse brille tendue patatras il file sur les barrières il donne du front sur le bois c’est le moment joyeux de la course capes jaunes roses véroniques virevoltes et plis sevilla danseur à genoux... le tueur se fend et se dresse pointe pieds angle d’œil fermé acier profilé poing d’épée le rayon tranche il fait nuit éclair noir laser dans la nuit on dit qu’à ce moment-là certains éjaculent coup de grâce au cœur nuqué » (Paradis, 1981, p. 261-262)

« Tous les jours sont pour moi dimanche », disait l’artiste anarchiste Marcel Duchamp. Que dirait-il aujourd’hui, en pleine bêtise fanatique ? Peut-être ceci, via internet, envoyé à Picasso et Hemingway : « Assez de préjugés archaïques ! Revenons vite à l’ancien savoir-vivre espagnol : messe catholique le matin, corrida l’après-midi, bordel le soir. »

Philippe Sollers, dimanche 23 septembre 2012, Venise, 20h00

***

[1Le projet de film n’obtiendra pas l’avance sur recettes.

Jean-Daniel Pollet, dans Tours d’horizon (Editions de l’oeil, 2004) :

« — Les Folies françaises.
— Ah oui, ça c’est un film que j’ai eu très, très envie de faire, qui était très au point, scénario fini et que je regrette énormément. »

« Sollers.
— Beaucoup d’admiration, beaucoup d’amitié, et malheureusement trop peu de collaboration, en particulier ces Folies françaises que je regrette tant. »

[2Éditions de l’Œil, 1998.

[3Cinéma Georges Méliès, centre commercial de la Croix-de-Chavaux, Montreuil. Métro Croix-de-Chavaux - ligne 9. Le programme.

[4Production/Distribution : POM Films
Entretien inédit réalisé à l’occasion de l’édition du second coffret DVD Jean-Daniel Pollet par POM Films.

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