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Jacques Rivette et Diderot avec Anna Karina

D 30 janvier 2016     A par Viktor Kirtov - C 6 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le réalisateur français Jacques Rivette s’est éteint vendredi 29 janvier à l’âge de 87 ans lit-on ici. Ailleurs, du bout des lèvres : « l’âge, puis la maladie, avaient eu raison de la frénésie qui depuis sa jeunesse rouennaise l’animait » (L’Obs. du 29/01). Ces circonvolutions de langage disent encore le tabou de la mort.

Le cinéaste était l’un des plus influents de la Nouvelle Vague, ce courant cinématographique de la fin des années 50 qui réunissait François Truffaut, Jean-Luc Godard, Eric Rohmer ou Claude Chabrol.


Jacques Rivette
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Anna Karina
La Religieuse de Jacques Rivette, 1966

Dans les premières années de sa carrière de réalisateur, un film le révéla au grand public : « Suzanne Simonin, La Religieuse de Diderot », film jugé alors scandaleux, blasphématoire vis-à-vis de la religion catholique, comme si la censure religieuse était la même qu’au temps de Diderot, plus de deux siècles plus tôt [1]. Le film de 1966 ne sortira en salle qu’après un an de tergiversations de la censure qui autorisera finalement le film avec la mention « interdit aux moins de 18 ans ». Il avait abordé un autre tabou de son époque : montrer dans son film une religieuse lesbienne.

C’est parce que ce film est un des premiers de Jacques Rivette que nous mettons l’accent sur lui, aussi parce qu’il illustre l’approche cinématographique de la Nouvelle Vague, qu’il révèle par le scandale qui l’entoura ce qu’était l’état des mœurs de la société du moment, mais aussi parce que son héroïne est Anna Karina, une égérie magnifique de cette Nouvelle Vague, découverte par Jean-Luc Godard dont elle fut l’épouse pendant trois ans avant de tourner « La Religieuse », et que ce film est une adaptation du livre de Diderot. Autant de résonances avec les thèmes abordés dans ce blog.

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Jacques Rivette sur le tournage de "Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot"
© Kobal The Picture Desk / AFP

En 1995, Jacques Rivette livrait à Libération sa conception du cinéma :


Un film est une chose organique. C’est un organisme comme n’importe quel corps. Les corps sont plus ou moins harmonieux, mais ce qui est important, c’est qu’ils marchent, je veux dire : qu’ils soient autonomes, vivants, avec leurs défauts et éventuellement leurs infirmités.


Suzanne Simonin, La Religieuse de Diderot

Jacques Rivette à propos de La Religieuse (INA)

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Synopsis

Tirée d’un roman de Diderot, l’histoire au XVIIIe siècle, d’une jeune femme cloîtrée malgré elle dans un couvent. Censurées, quelques scènes libertines retardèrent à l’époque, la sortie de ce film.

« LA RELIGIEUSE » DE DIDEROT

L’histoire originale est celle d’une religieuse du couvent de Longchamp,Marguerite Delamarre, dont tous les salons parisiens parlèrent beaucoup en 1758. La jeune Marguerite avait été enfermée dans ce couvent par ses parents, contre son gré. Marguerite, en rébellion, avait intenté une action en justice. Un ami du salon de Madame d’Epinay avait plaidé sa cause (en vain).

A partir de ce fait divers, Diderot et ses amis se mirent, par jeu, à imaginer ses aventures et inventèrent un personnage fictif, Suzanne Simonin, dont ils racontèrent les mémoires.

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La critique TV de Télérama du 22/08/2015

Genre : tempête dans un bénitier.

C’est l’un des cas de censure les plus célèbres du cinéma français. L’adaptation du roman de Diderot fut interdite pendant plus d’un an pour son contenu jugé blasphématoire envers l’Eglise, avant de sortir en salles à l’été 1967, moyennant une interdiction aux moins de 18 ans et un carton au prégénérique précisant que les moeurs religieuses décrites étaient d’un autre temps. Censure idiote (comme souvent la censure), car la tragédie de Suzanne Simonin, cloîtrée dans un couvent au XVIIIe siècle contre sa volonté, n’a guère de quoi scandaliser les grenouilles de bénitier.

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Dessin de Folon de l’époque
illustrant le conflit de la jeune religieuse et aussi la censure

Rivette et son coscénariste Jean Gruault ne pourfendent pas le catholicisme en tant que tel, mais son dévoiement dans l’intégrisme et la coercition, contraire au message d’amour même du Christ. Aux sévices imposés par la terrifiante soeur Sainte-Christine, La Religieuse oppose ainsi l’humanité de la mère supérieure madame de Moni, consciente du calvaire que vit Suzanne. Et évoque à plusieurs reprises la foi sincère de la jeune femme (bouleversante Anna Karina), dont le seul tort est de vouloir vivre libre.

La mise en scène dépouillée illustre l’enfermement par des décors austères, des images récurrentes de grilles, la présence quasi constante de murs gris sur lesquels vient buter l’héroïne. C’est le film le plus classique de Rivette, mais pas le moins surprenant. Guettez la présence obsédante du vent qui siffle et des tic-tac amplifiés des horloges, l’usage inattendu d’un tambour iranien dans la bande-son, les stridences de la musique qui évoquent le cinéma japonais : le fantastique n’est pas loin...
Samuel Douhaire

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La lettre de Jean-Luc Godard à André Malraux

Signée Jean-Luc Godard
et ce PS : Lu et approuvé par François Truffault, obligé de tourner à Londres, loin de Paris, « Farenheit 451 », température à laquelle brûlent les livres.

Crédit ; Le Nouvel Observateur du 6 avril 1966

Transcription de la lettre

6 avril 1966

Votre patron avait raison. Tout se passe à un niveau vulgaire et subalterne… Heureusement, pour nous, puisque nous sommes des intellectuels, vous, Diderot et moi, le dialogue peut s’engager à un échelon supérieur. Je ne suis pas tellement sûr d’ailleurs, cher André Malraux, que vous compreniez quelque chose à cette lettre. Mais comme vous êtes le seul gaulliste [2] que je connaisse, il faut bien que ma colère tombe sur vous.

Et après tout, ça tombe bien. Étant cinéaste comme d’autres sont juifs ou noirs, je commençais à en avoir marre d’aller chaque fois vous voir et de vous demander d’intercéder auprès de vos amis Roger Frey et Georges Pompidou pour obtenir la grâce d’un film condamné à mort par la censure, cette gestapo de l’esprit. Mais Dieu du Ciel, je ne pensais vraiment pas devoir le faire pour votre frère, Diderot, un journaliste et un écrivain comme vous, et sa Religieuse, ma sœur…

Aveugle que j’étais ! J’aurais dû me souvenir de la lettre [3] pour laquelle Denis avait été mis à la Bastille… Ce que j’avais pris chez vous pour du courage ou de l’intelligence lorsque vous avez sauvé ma Femme mariée de la hache de Peyrefitte, je comprends enfin ce que c’était, maintenant que vous acceptez d’un cœur léger l’interdiction d’une œuvre où vous aviez pourtant appris le sens exact de ces deux notions inséparables : la générosité et la résistance. Je comprends enfin que c’était tout simplement de la lâcheté…

Si ce n’était prodigieusement sinistre, ce serait prodigieusement beau et émouvant de voir un ministre UNR en 1966 avoir peur d’un esprit encyclopédique de 1789…

Rien d’étonnant à ce que vous ne reconnaissiez plus ma voix quand je vous parle, à propos de l’interdiction de Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot, d’assassinat. Non. Rien d’étonnant dans cette lâcheté profonde. Vous faites l’autruche avec vos mémoires intérieures. Comment donc pourriez-vous m’entendre, André Malraux, moi qui vous téléphone de l’extérieur, d’un pays lointain, la France libre ?

Jean-Luc Godard

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Déjà le 7 juillet 1746...
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Le 7 juillet 1746, le Parlement de Paris condamne un livre à être « lacéré et brûlé, comme scandaleux, contraire à la religion et aux bonnes moeurs », Le volume est faussement publié à La Haye, « aux dépens de la Compagnie », et il circule sous le manteau, sans nom d’auteur. Ce dernier a 33 ans, et fera beaucoup parler de lui par la suite. Il s’appelle Denis Diderot, son livre s’intitule « Pensées philosophiques », et il porte sur la page de titre cette inscription en latin : « Ce poisson n’est pas pour tout le monde . » En effet, et la censure l’a vite compris, comme elle le comprendra devant le plus dangereux des livres : l’ « Encyclopédie ».
Pour tous ceux qui, à l’époque, complotent pour un changement d’ère, Diderot est « le Philosophe ». Drôle de philosophe, aussi éloigné des saints de la profession ancienne que des bavards sociaux d’aujourd’hui. L’auteur des « Bijoux indiscrets », de « la Religieuse », du « Neveu de Rameau », de « Jacques le fataliste » est d’abord un tourbillon en acte. Il est partout et nulle part, c’est une effervescence incessante. […]

Ph. Sollers
Le Nouvel Observateur N°2407-2408 du 23 décembre 2010.

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La version originale de La Religieuse

En 1760, Diderot (1713-1784) commence la Religieuse, roman sous forme de mémoires rédigés à la première personne, qu’une religieuse échappée du couvent adresse au marquis de Croismare pour solliciter son aide. Il s’agit en fait d’une mystification de ses amis (dont Diderot) qui voulaient attirer de nouveau à Paris le marquis qui s’était retiré chez lui en Normandie. Diderot ne reprend la rédaction qu’en 1780, pour une publication en feuilleton, entre 1780 et 1782, dans la Correspondance littéraire ; mais, se souvenant de ses déboires passés avec la censure, il ne le fera jamais paraître en œuvre intégrale de son vivant : la première édition, posthume, date de 1796. Le sujet naît donc d’une mystification, d’un canular, et l’humour est bel et bien présent dans l’œuvre ; néanmoins, on y trouve sans doute aussi la trace de l’histoire personnelle de Diderot, qui échappa à la prêtrise à laquelle on le destinait, mais dont le frère deviendra chanoine – les relations conflictuelles des deux frères se nourrissant de leurs dissensions en matière de religion –, et dont la sœur, probable modèle de Suzanne, mourra, fort jeune, au couvent.

La critique des institutions religieuses est donc un élément central de La Religieuse : une « effrayante satire des couvents » - la formule est de Diderot. Cet aspect est repris par Jacques Rivette lors de son adaptation du roman au cinéma, en 1966, et continua à faire scandale, entraînant la censure du film, et une polémique assez vive entre défenseurs de l’Église d’un côté, intellectuels et artistes défendant la liberté du cinéaste à aborder ce sujet de l’autre. Qu’en est-il de la portée de cette œuvre aujourd’hui, alors que l’Église a perdu de son influence, mais cherche à s’imposer dans certains débats de société, comme on l’a vu récemment avec le débat du mariage pour tous ? Au-delà de la critique de l’institution des couvents qui a perdu de son actualité par rapport à 1966, demeure une réflexion sur la liberté, à travers le statut des femmes, hier comme aujourd’hui.


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L’intégrale du texte de Diderot (pdf) par l’excellente Bibliothèque électronique du Québec

Manuscrit de La Religieuse à la BnF.

Crédit : d’après zerodeconduite.net

La censure du film

Les archives TV en gardent la mémoire et nous restituent le climat de l’époque :

Anna Karina et Jean-Luc Godard

Evocation sur RTL

par Jean-Alphonse Richard
Publié le 15/07/2015



Crédit Image : AFP / STR - ZOOM... : Cliquez l’image.
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Jean-Luc Godard fait alors un peu de critique de films et tourne des courts métrages. Après lui, le cinéma ne sera plus jamais le même. Toute jeune, la Danoise ne parle que trois mots de français. Elle va devenir aussi célèbre que la petite sirène de Copenhague. La croisée des destins de Jean-Luc Godard et Anna Karina s’est faite autour d’une publicité pour les savons Palmolive. Il tombe en arrêt devant le mannequin. Elle a 17 ans. Elle vient de débarquer du Danemark. Il la retrouve et lui propose un tout petit rôle, dévêtu, dans son premier long métrage qu’il bricole tant bien que mal. Elle refuse. Le film s’appelle À Bout de Souffle. Anna Karina — son nom de mannequin que lui a donné Coco Chanel [4] — n’y figure pas.

Six mois après, Godard la rappelle pour un nouveau rôle, I’invite au Café de la Paix et la séduit. C’est le début d’une parenthèse enchantée entre le metteur en scène et sa muse. La Nouvelle Vague va les porter au plus haut durant trois ans. Une éternité.

Le Petit Soldat, Une Femme est une Femme, Vivre sa vie. Anna Karina vit et tourne avec Godard, ce réalisateur qui n’aimerait pourtant pas les femmes. Godard, solitaire, secret, peu présent. Mais il lui a tout appris : parler français, jouer, briller.

La petite Danoise n’a rien de Bardot, mais elle est tellement moderne qu’elle devient elle aussi une idole des sixties. Elle l’aime. Mais avec Godard, la vie à deux dure le temps d’un éclair. Trois ans ensemble, trois petits films encore, puis le divorce. Son cinéma ne sera plus tout à fait le même.

L’égérie de la Nouvelle Vague va chanter pour Gainsbourg qui lui écrit une comédie musicale qui porte son prénom.

Anna Karina et Jean-Luc Godard emprunteront désormais des chemins parallèles. Des routes sur lesquelles on ne se croise pas, mais où on finit toujours par se retrouver.

(Chronique mise en ondes par Grégory Caranoni)

Crédit : RTL

Interview par Thierry Ardison (1987)

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Extrait de l’émission Bains de minuit en 1987. Thierry Ardisson reçoit le réalisateur Jean-Luc Godard et l’actrice Anna Karina, qui ne se sont pas revus depuis 20 ans. Ils sont assis côte à côte, à parler cinéma évidemment, mais aussi des choses intimes comme ce qu’ils ressentent en se revoyant après tant d’années. Au point qu’Anna Karina finit par quitter le plateau les larmes aux yeux, face au franc-parler bien connu de Godard. Pour mieux revenir et montrer une touchante complicité avec lui.

Crédit : INA


Autres films de Jacques Rivette

Tout au long de la carrière de Jacques Rivette, l’actrice Bulle Ogier occupera une place de choix. Il l’a fait tourner dans son film fleuve L’amour fou (1969) jusqu’à Ne touchez pas la hache en 2007.


Bulle Ogier, Jacques Rivette lors du tournage de L’amour fou, 1969
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Il a aussi fait tourner Emmanuelle Béart dans La Belle Noiseuse qui a reçu le Grand prix du jury au festival de Cannes en 1991. Comme aussi Sandrine Bonnaire dans Jeanne la Pucelle et Secret défense… ou Jane Birkin dans "L’Amour par terre", et d’autres...


Jacques Rivette (à droite) posant avec Michel Piccoli et Emmanuelle Béart lors de la présentation de "La Belle Noiseuse", au Festival de Cannes, en mai 1991. Le film a obtenu le Grand Prix du jury. (AFP / JACQUES DEMARTHON)
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Jacques Rivette avec Jane Birkin sur le tournage de "L’Amour par terre".(1984)
(Collection Christophel) - ZOOM... : Cliquez l’image.
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Jacques Rivette lors de la présentation de "Va Savoir" au Festival de Cannes 2001.
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[1Diderot a commencé l’écriture de La Religieuse en 1760

[2En 1966, Charles De Gaulle est Président de la République française.

[3Diderot, Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient.

[4Anna Karina, de son vrai nom Hanne Karin Bayer

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6 Messages

  • Jean-Jacques Manzanera | 19 juin 2017 - 16:24 1

    Merci pour ces documents supplémentaires.
    Je crois que votre blog va avoir fort à faire en matière de cinéma ces mois-ci d’abord avec la parution chez Potemkine du coffret Eustache ( Une sale histoire + Le jardin des délices) qui a tant à voir avec les réflexions que mène Ph Sollers et ceux avec qui il dialogue.
    Vous devriez faire un sort à la sortie de Out one toute récente , geste cinématographique insensé et impensable actuellement malgré le numérique qui devrait théoriquement favoriser ces potentiels.
    Retrouver Péguy sous la houlette de l’excellent B Dumont ne manquera pas de sel certainement, si j’en crois les premiers retours fiables.
    N’oublions pas trop la littérature en soi et pour soi avec les relectures de Perec qu’induit la publication d’un très beau coffret Pléiade.
    Bien cordialement à tous et longue vie au blog.


  • Viktor Kirtov | 9 avril 2017 - 18:04 2

    Merci JJM pour votre commentaire et l’intérêt que vous portez à ce blog.
    Et c’est vrai que Balzac a nourri son cinéma bien au-delà de la Belle Noiseuse que nous avions mis en avant dans notre choix iconographique. Jacques Rivette dans un entretien avec Les Inrocks du 19/03/2007 y commentait sa découverte et son intérêt pour Balzac :

    ENTRETIEN Avec Ne touchez pas la hache, d’aprèsLa Duchesse de Langeais, vous adaptez pour la troisième fois Balzac (après Out 1 et La Belle Noiseuse). Vous êtes-vous immergé dans son œuvre quand vous l’avez découverte ?

    Jacques Rivette – J’ai découvert Balzac au début des années 50 grâce à Eric Rohmer. A l’époque, on se voyait beaucoup. Il avait eu un jour cette phrase, qui m’avait extrêmement frappé : “Si on veut être cinéaste, il faut absolument avoir lu Balzac et Dostoïevski”. Bien entendu je n’en avais rien fait (rires). Mais Eric Rohmer était notre gourou. Alors, immédiatement, j’ai essayé de me plonger dans l’œuvre de Balzac, mais je n’y arrivais pas. J’avais La Comédie humaine en entier, mais par quelque bout que je la prenne, elle me tombait des mains. Et puis j’ai découvert Une ténébreuse affaire, un roman peu connu. Je l’ai lu d’une traite. Et ça m’a donné une clé invisible, dont je ne sais même pas comment elle a fonctionné. L’important, c’est qu’ensuite j’ai pu me plonger dans l’œuvre. C’est un auteur qu’il ne faut pas forcer, il faut prendre son temps. Et surtout, il faut le lire mot à mot. Chaque mot est important chez Balzac.

    Pourquoi êtes-vous revenu à lui cette fois ?
    Au départ, j’étais parti sur le désir de faire un autre film avec Jeanne Balibar. […]Dès que j’ai parlé du projet à Jeanne, elle s’est montrée intéressée, et c’est elle qui a suggéré que le rôle masculin, son adversaire en quelque sorte, pourrait être interprété par Guillaume Depardieu. Il a accepté. Et puis le film ne s’est pas monté financièrement, donc on l’a abandonné. J’étais embêté, parce j’avais vu une ou deux fois Jeanne et Guillaume ensemble et j’avais constaté que le couple fonctionnait. Donc, avec Pascal et Christine, on s’est dit : cherchons dans toute la littérature une histoire pour Jeanne et Guillaume. Les deux auteurs qu’on a gardés ont été Henry James et Balzac. On a d’ailleurs assez peu dit combien James comptait pour moi : par exemple, dans La Belle Noiseuse, il y a au moins autant d’éléments qui viennent du Chef-d’OEuvre inconnu de Balzac que des Carnets de James. Mais finalement on a choisi La Duchesse de Langeais.

    Il existe une disparité entre le jeu, hérité du théâtre, de Jeanne Balibar et celui, moins élaboré techniquement, plus emporté, de Guillaume Depardieu.

    Tout à fait. Ils correspondaient complètement aux deux personnages tels que Balzac les décrit, eux-mêmes très différents l’un de l’autre. Montriveau est un bloc, avec une idée fixe. La duchesse est un abîme d’interrogations. Les deux personnages ne peuvent a priori pas se rencontrer. Je n’ai eu qu’à constater cette différence dans leur approche du jeu et reconnaître que ça marchait comme ça. Un comédien, ce n’est pas quelqu’un qu’on manipule. Si le film fonctionne, c’est grâce à ce rapport entre Jeanne et Guillaume comme comédiens.

    Crédit : Entretien réalisé par Jean-Marc Lalanne et Jean-Baptiste Morain
    lesinrocks.com


    VOIR LA BANDE ANNONCE DU FILM
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    Dans Le Monde du 27/03/2007, Jean-Luc Douin note aussi :


    Entre Rivette et Balzac, c’est une vieille histoire. Le goût des sociétés secrètes et des ténébreuses affaires, chez le cinéaste, que l’on trouve dès son premier film, Paris nous appartient (1960), que l’on repère ensuite dans Out One (1971), Le Pont du Nord (1982), Secret défense (1998), explique sa fascination pour l’Histoire desTreize tissée par le romancier, dont La Duchesse de Langeais est l’un des trois volets.

    Crédit : lemonde.fr

    Pour une analyse plus en profondeur des rapports Rivette-Balzac on pourra se reporter à l’étude de Francesca Dosi : « Balzac et Rivette : l’énigme d’une rencontre ».

    Elle y note :


    Les dates des trois oeuvres inspirées, de manière plus ou moins affirmée, de La Comédie humaine, nous montrent que Rivette s’attaque a Balzac à une vingtaine d’années de distance, ce qui témoigne d’une méditation constante sur l’écrivain, d’une imprégnation diffuse qui s’élabore dans la longue durée puisqu’elle occupe un arc temporel de presque soixante ans, voire plus si on considère les nombreux motifs balzaciens disséminés, en toile d’araignée, sur la totalité de son oeuvre, jusqu’à former un tissu référentiel puissant et élaboré.

    L’intégrale de cette étude très fouillée ICI (pdf)

    oOo


  • Manzanera | 8 avril 2017 - 20:23 3

    Cher Philippe,
    C’est par le biais de J Henric que j’ai découvert votre précieux blog et je ne peux que pour encourager à persévérer dans cette (autre) belle voie tant la forme brève est aussi stimulante que dense ici.
    Sur Rivette , très bel hommage et richesse inouie de documentation (texte comme iconographie : je ne connaissais pas le dessin de Folon) dont le cinéphile invétéré que je suis remercie l’amateur plus épisodique de cinéma que vous êtes.
    Le Rivette grand lecteur de Balzac m’aurait semblé aussi un bel objet de réflexion de votre part.
    Bien cordialement et admirativement, JJM


  • Albert Gauvin | 6 février 2016 - 10:51 4

    Un article synthétique de l’Encyclopédie Universalis sur Jacques Rivette, signé Joël Magny. Lire ici.


  • V. Kirtov | 4 février 2016 - 16:47 5

    Suite au message de Michaël Nooïj à propos de la religieuse Jeanne de Lestonnac :

    « De son vivant, Michel de Montaigne parla de sa nièce en ces termes : ‘’Très pieuse, d’humeur joyeuse, intelligente et belle, la nature en avait fait un chef d’œuvre, alliant une si belle âme à un si beau corps et logeant une princesse en un magnifique palais’’  »
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    Le livre sur amazon.fr

    Montaigne, un homme de goût donc, qui appréciait le corps des femmes.
    Ce que confirme sa biographie – élément que l’on ne nous apprend pas à l’école, enseignement qui s’est limité pour moi au Montaigne « sérieux », auteur des Essais où la gaudriole et les reflexions sur la plastique des femmes n’abondent pas. Encore que le chapitre 5 du livre III qui a échappé à mon cursus aurait mérité une beaucoup plus grande attention de ma part. Montaigne s’y confie de façon très intime, et de ses goûts alimentaires, et de ses pratiques amoureuses. Sur 40 pages de l’édition de poche !
    Oui, - avec les limites de son temps quant à l’égalité des femmes, et leur rôle dans la société -, Montaigne était un fervent admirateur du sexe faible. Et c’est bien lui qui écrivit ; « Qu’a fait aux hommes l’acte génital qui est si naturel, si nécessaire et si légitime pour que nous n’osions pas en parler sans honte. »

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    Voltaire termina ses vieux jours dans les bras de sa nièce, Mme Denis.
    Peut-être Montaigne aurait-il aimé aniciper cet illustre exemple avec Jeanne de Lestonnac, sa propre nièce, au si beau corps ? Mais Montaigne n’a rien écrit d’autre …pour donner corps à cette hypothèse !
    D’ailleurs, sinon une nièce, il avait une « fille d’alliance » en la personne de Marie de Gournay, une femme de lettres, une très jeune femme, « inconditionnelle, admiratrice, vibrante et passionnée qui projette son amour sur le penseur », ainsi la présente-t-on dans une pièce de théâtre la mettant en scène avec Montaigne, au théâtre des Mathurins, C’était il y a quelques années déjà, à l’approche des années 2010.
    Le titre de la pièce : « Montaigne ou Dieu que la femme me reste obscure ».
    Le mystère demeure encore aujourd’hui.
    Et c’est bien ainsi,
    Là où il n’y a plus de mystère, il n’y a plus de recherche …et plus de plaisir.


  • Michaël Nooij | 2 février 2016 - 16:16 6

    À propos de religiosité féminine, l’Église fête aujourd’hui le 2/0/2/2016 Jeanne De Lestonnac, née à Bordeaux en 1656, nièce de Montaigne, ce même Montaigne qui se rend en pèlerinage à Notre-Dame de Lorette

    De son vivant, Michel de Montaigne parla de sa nièce en ces termes :
    « Très pieuse, d’humeur joyeuse, intelligente et belle, la nature en avait fait un chef d’œuvre, alliant une si belle âme à un si beau corps et logeant une princesse en un magnifique palais »

    wikipedia.org/wiki/Jeanne_de_Lestonnac
    levangileauquotidien.org/main.php ?language=FR&module=saintfeast&id=1705&fd=0