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Ciel de Sollers par Jean-Hugues Larché

Une lecture de La deuxième vie

D 18 mars 2024     A par Jean-Hugues Larché - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Ciel de Sollers

Une lecture de La deuxième vie

Reprenons par la fin. Un soleil noir. Ce sont les trois derniers mots écrits en pensant à Georges Bataille et à un livre de Julia Kristeva, sa femme, qui l’accompagne dans son ultime départ et écrit la postface de cet ultime opus. Un astre éclaire le monde sans illusion depuis le tréfonds de l’univers. Tréfonds signifie aussi intimité. Ici, l’intimité finale, signifie entrer dans la matière noire.

Revenons au début, J’aime les insomnies de trois heures du matin. L’esprit vif de Sollers l’éveillé ne dort jamais, lui qui avait le don de s’endormir n’importe où. Il n’a jamais voulu s’ennuyer pour ne pas faire le mort par avance et a lu avec la plus grande concentration l’entièreté de la bibliothèque. Grand lecteur, grand écrivain, grand penseur et grand vivant, le soleil en homonyme, le jour en grand beau temps et la nuit en temps perdu ou retrouvé pour la pensée. Il a traversé cette alternance de ténèbres et de lumières avec la haute conscience du néant de l’univers, la grande affaire d’établir un Paradis sur terre comme son modèle, Voltaire, et, en libre catholique, de parier avec Pascal ou les théologiens, pour l’incroyable.

Dans ce recueil de cinquante pages en dix-huit courts chapitres, Comme le ciel est grand, indulgent et vaste ! est ma phrase préférée. La gratuité, la profusion intense, le repos et le silence de ce ciel-là, on ne peut qu’imaginer y monter en sainteté immédiate. Comme ce ciel est indulgent, aimant et limpide et comme il est aussi étendu qu’une Deuxième Vie. Cette nouvelle vie fait penser à La vita nova de son cher Dante ! Sollers relira sur son lit d’hôpital la Divine comédie dans la traduction de Jacqueline Risset. Le ciel n’est jamais assez vaste pour contenir toute la beauté du monde et l’esprit d’un homme qui pense. C’est vers ce ciel-là que Sollers m’a toujours paru tendre et vouloir une confrontation ironique avec le soleil.

Le grand Phil comme on dit le grand Will a marqué son temps par sa lucidité hors pair, sa joie et son opiniâtreté au plus près de la littérature (terme qui lui paraissait suspect). Il a surtout pratiqué la pensée en exégète digne de Nietzsche. Avec quelques amis, nous l’avons suivi à la ligne près, au mot qui résonnait juste, à la couleur pointée de ses voyelles (chères à Rimbaud). Sollers qui ne manquait pas de puissance, a tenu le coup face à l’idée de sa disparition comme le prouve la Deuxième Vie. Cette puissance de feu lui venait de sa lucidité face au néant, de la nuit si nulle et du jour en feu afin de toucher au plus près à l’éternité, ici et maintenant.

L’intégration du mot connard en ultime autodérision et imprécation dénonciatrice de la vulgarité reste très éloignée de l’esprit aristocratique qu’il a revendiqué à l’instar de Nietzsche ou du terrible De Maistre. Depuis sa disparition, les commentaires ont peu insisté sur sa subversion fondamentale, à décrypter malgré son apparente intégration chez Gallimard. Où il a poursuivi une œuvre rigoureuse, érudite, provocatrice et enjouée. Yannick Haenel précise le feu des phrases de la Deuxième Vie et a appuyé sur le rire de Sollers. Sollers éditeur a pris dans son sillage les meilleures plumes de son temps, notamment Jean-Jacques Schuhl.

L’ultime citation de La Deuxième Vie est tirées du penseur qui l’a le plus impressionné par sa réflexion ontologique. Elle signifie que la puissance s’effondre si elle n’a plus que le néant face à elle-même. Ainsi finit la puissance ! Sollers, seul, a dit que l’unique critique radicale du nazisme avait été produite depuis l’intérieur par Martin Heidegger. Le grand Philippe a radiographié sa part de néant avec une gravité certaine mêlée d’une joie inextinguible. Finissons par le commencement puisque avec l’œuvre de Sollers tout recommencera. L’exergue de cet ultime livre est de Sade, tiré de Juliette ou les prospérités du vice, aventures de la plus turbulente femme imaginée. En syllogisme actif, cette belle énergie accomplie assure calmement : Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir.

En connivence au tableau que Picasso peint à 88 ans, il y a au seuil du passage terminal, une étreinte en esprit avec Julia Eva, en œil assombri et irruption d’énergie noire. Sollers délivre (jeu de mots avec délivrance et livres) un dernier message, celui de savoir mourir. Parce qu’il a su comme d’aucun, vivre à la lettre près. Cet apprendre à mourir, digne de Montaigne, nous aidera, le temps qui nous est imparti, à vivre plus librement l’art des phrases, les mots qui insufflent et le ciel impassible.

Jean-Hugues Larché,
Le 17 mars 2024

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