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« Et il avait raison, Van Gogh, on peut vivre pour l’infini » (Antonin Artaud)

Van Gogh, Artaud, Bacon

D 14 janvier 2017     A par Albert Gauvin - C 7 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Van Gogh, l’énigme de l’oreille coupée, une passionnante enquête diffusée sur arte le 14 janvier 2017 en complément à ce dossier (1ère mise en ligne le 30/11/10).

Van Gogh, l’énigme de l’oreille coupée

Comment et pourquoi Van Gogh s’est-il mutilé l’oreille un soir de décembre 1888 ? Dans le sillage de Bernadette Murphy, qui a rassemblé les pièces du puzzle, une enquête trépidante sur l’un des plus célèbres mystères de l’histoire de l’art.


Dans le journal. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Chacun a entendu parler de cette nuit du 23 décembre 1888 au cours de laquelle, à Arles, Vincent Van Gogh se plaça devant un miroir, attrapa un rasoir et se coupa l’oreille. À la suite de cet épisode tragique, la famille du peintre détruisit certains documents compromettants. Depuis, en l’absence d’éléments tangibles, des générations de chercheurs ont échafaudé des théories sur le déroulement des faits. Mais que s’est-il passé réellement ? Van Gogh s’est-il tranché l’oreille entière ou uniquement le lobe ? Que révèle cette automutilation sur son état mental ? Chercheuse indépendante installée en Provence, Bernadette Murphy a joué les détectives pendant cinq années pour reconstituer précisément le scénario du drame.
Au fil de ses investigations, elle a plongé dans l’intimité de l’artiste et recomposé son quotidien à Arles : ses amis, ses ennemis, ses œuvres majeures, la visite houleuse de Paul Gauguin, qui marqua un tournant dans sa vie, le bouillonnement de ses émotions… Ce documentaire captivant retrace les étapes clés de cette enquête minutieuse, qui a permis, pour la première fois, de faire la lumière sur cet incident en identifiant toutes les forces à l’œuvre, et de comprendre comment il a influencé la démarche artistique de Van Gogh. arte

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Bernadette Murphy, Van Gogh’s Ear : The True Story
Martin Bailey, Le nom de la mystérieuse femme qui a reçu l’oreille de Van Gogh révélée pour la première fois


Lettre du Docteur Félix Rey à Irving Stone (18 août 1930).
Van Gogh Museum. © 13 juillet 2016 [1]. Zoom : cliquez l’image.
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« Et il avait raison, Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini, il y a assez d’infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands génies, et si Van Gogh n’a pas pu combler son désir d’en irradier sa vie entière, c’est que la société le lui a interdit. »

Antonin Artaud, Van Gogh, Le suicidé de la société, février 1947.


L’oreille de Van Gogh

Par Philippe Sollers


Autoportrait à l’oreille bandée, 1889 [2].
Collection privée. Zoom : cliquez l’image.
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Regardez cet autoportrait de Van Gogh daté de janvier 1889, tête bandée à l’oreille coupée, bonnet de fourrure et pipe. Regardez bien ce regard. Il faut être aveugle comme un universitaire, qui plus est allemand, pour ne pas voir que Van Gogh célèbre ici une grande victoire sur tout le monde et lui-même. Vouloir que cet épisode sanglant soit le résultat d’une rixe avec Gauguin, lequel aurait blessé son camarade agité d’un coup de sabre, en dit long sur les fantasmes qui agitent les esprits lorsqu’il est question de Vincent. Cette toile sur fond rouge traverse le temps. Compte tenu de l’extravagant conformisme de notre époque, on devrait la retoucher, enlever la pipe, par exemple, et rajouter une oreille entière. Et surtout oublier que ce peintre, à jamais mémorable, est allé offrir son morceau de chair fraîche à une prostituée de bordel.

« L’oeil écoute », disait Claudel. L’oreille voit, dit Van Gogh, avant de verser son sang dans les blés, par un coup de revolver tiré sur tous les corbeaux de mauvais augure. « Suicidé de la société », dit Artaud, dans son fulgurant petit livre. Otage du Spectacle généralisé, doit-on maintenant ajouter. Cette histoire d’oreille ou de lobe tranché, dit encore Artaud, c’est « de la logique directe ». Mais la logique directe échappe au somnambulisme des spectateurs. Ils sont sourds, ils ne voient rien, ils jouent des rôles.

Prenons donc Van Gogh en 1881, à 28 ans, en Hollande. Il a une amitié de cinq ans avec un peintre local, Van Rappard. Il lui écrit beaucoup, il veut le sortir de l’académisme ambiant, le convaincre que la peinture conduit les hommes vers le large, qu’elle doit pourtant rester proche de la réalité la plus populaire, se méfier des « femmes de marbre » ou des « vipères glacées », bref aller humblement, avec ténacité et amour, vers la seule maîtresse possible : la nature. Correspondance passionnante, malgré les obstacles d’époque, aussi intéressante que les célèbres lettres à Théo.

« Les pasteurs disent que nous sommes des pécheurs, conçus et nés dans le péché. Bah ! je trouve que ce sont de sacrées bêtises. »

Seulement voilà : la bêtise est un monstre qui pourrait conduire au découragement et à la résignation. La résignation, dit Vincent, est ma « bête noire ». Le remède ? Aimer ce que l’on aime. « Un homme qui se soucie peu d’aimer ce qu’il aime se coule lui-même. » C’est très simple : vous n’aimez pas ce que vous aimez, donc vous coulez. Il y a d ailleurs deux sortes de morts : celle, lente et pénible, de l’académisme (qui aura raison de Van Rappard) ; et une autre, que l’on ne subit pas mais que l’on se donne, « en se pendant royalement à l’aide d’un noeud coulant ». Vincent n’est pas commode, il a des colères violentes : « Je déteste le scepticisme autant que la sentimentalité. » Pourtant, il a une conviction : les peintres doivent se soutenir les uns les autres, former une sorte de détachement militaire pour éclairer le réel. Il y aurait une histoire à écrire des amitiés contrastées de guerre entre artistes : Van Gogh-Gauguin, bien sûr, mais aussi Monet-Cézanne ou Picasso-Braque. Ils sont seuls, les clichés règnent, le vrai est pourtant là, à portée de la main. Les ennemis, on les connaît : les marchands, d’abord, les mauvais artistes ensuite (ils sont légion).

« Je préfère m’absorber dans la nature que dans le calcul des prix. »
« Evidemment, les riches marchands sont des gens braves, honnêtes, francs, loyaux et délicats, tandis que nous, pauvres bougres, qui dessinons à la campagne, dans la rue ou dans l’atelier, tantôt de grand matin, tantôt tard dans la nuit, tantôt sous le soleil brûlant, tantôt sous la neige, nous sommes des types sans délicatesse, sans bon sens pratique, sans bonnes manières. »

Au passage, cette notation extraordinaire :

« Ce qui subsistera en moi, c’est un peu de la poésie austère de la bruyère véritable. »

Avis à la foire arrogante de l’art contemporain qui n’en finit pas de vouloir saborder Venise :

« Dans une époque de décadence, pas d’ornementations, je vous prie ; il vaut mieux alors rechercher la communion intime avec "les vieux de la vieille" et ignorer le présent. »

Bacon, Etude pour le Portrait de Van Gogh III, 1957.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Vincent suit sa route, Bacon l’a parfaitement compris en le peignant en chemin. Il le répète : il n’a pas la moindre envie d’exposer, il faut que les choses se fassent sans bruit, comme d’elles-mêmes. Il n’a plus de relations avec les artistes, il se compare à Robinson Crusoé.

« Je passe pour un maniaque et un vilain drôle, à plus d’un point de vue. »
« Aujourd’hui, les peintres se plient à des considérations d’honorabilité que, pour ma part, je ne comprends pas très bien. »

Farouche, donc, comme Cézanne, mais avec une tendresse particulière pour l’une de ses modèles, Sien, prostituée qu’il recueille chez lui avec ses deux enfants.

« Elle n’a rien d’extraordinaire, c’est une simple femme du peuple qui personnifie pour moi quelque chose de sublime ; l’homme qui aime une femme tout à fait ordinaire et qui est aimé par elle est heureux, malgré le côté sombre de la vie » (Lettre à Théo).

Quant à l’enfant qui vient de naître, il est « très agréable, on dirait un " rayon d’en haut " descendu dans ma maison ». Ce n’est pas Van Gogh qui est inhumain ou fou, mais la société tout entière. Imagine-t-on Vincent, aujourd’hui, allant à l’inauguration d’un bazar d’art, se mêlant ainsi à une foule de banquiers et de faux artistes, accompagné d’une prostituée femme du peuple ?

Vincent insiste, l’époque lui paraît « fade ».

« On ne fait plus grande attention à des objets de grande valeur, on les regarde dédaigneusement, du haut de sa grandeur, comme si c’était du fatras, des immondices, des papiers de rebut. »

Cela me fait penser à Vivant Denon ramassant sur le trottoir le « Gilles » de Watteau après la Révolution, et le gardant précieusement chez lui, malgré l’avis négatif de David. Au fond, personne n’accorde la moindre importance à l’étrange peinture de monsieur Van Gogh. Il vaut très cher aujourd’hui mais, qui sait, il est peut-être « dépassé » ? Je ne peux m’empêcher encore de revoir cette puritaine éditrice américaine, à Francfort, feuilletant mon livre sur Picasso : « Picasso ? Old fashion ! » Vincent :

« Ce n’est que chez les initiés superficiels comme les marchands (sans aucune exception) qu’on est sûr de ne trouver ni sentiment, ni foi, ni confiance, mais uniquement et éternellement des vieilles scies : jugements superficiels, généralités, critique conventionnelle. »

Ainsi va le monde : refoulement, ignorance, indifférence, puis achat, sacralisation, rentabilisation, appropriation distraite. Vincent, dans ces années-là, aime beaucoup lire Dickens, ne sait pas que Baudelaire a eu lieu, trouve Manet « très fort », pense que Zola a des connaissances insuffisantes en matière de peinture et est plein de préjugés :

« Zola a ceci de commun avec Balzac qu’il ne comprend pas grand-chose à la peinture. »

C’est en 1947 qu’Antonin Artaud, dans « Van Gogh le suicidé de la société », met les choses au point. Contre « l’inertie bourgeoise » et la médiocrité toxique de la psychiatrie, il parle de la « force tournante » de la peinture de Vincent, de son « oreille ouverte », de sa force musicale, comme s’il était « l’organiste d’une tempête arrêtée ». Van Gogh contre la société du « crime organisé » ? On l’a vue à l’oeuvre au XXe siècle, cette société, mais, sous de multiples travestissements falsificateurs, elle n’en continue pas moins d’exister.

Philippe Sollers, L’Infini n° 108, automne 2009,
paru sous le titre « Van Gogh en toutes lettres » dans Le Nouvel Observateur du 18-09-09.

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Antonin Artaud à Ivry-sur-Seine, 1947. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

« Van Gogh le suicidé de la société »

Monsieur Van Gogh, Vous délirez
(1958) 1995
France Culture, Atelier de Création Radiophonique
de Janine Antoine et René Farabet
Texte : Antonin Artaud (1946-1947)
Voix : Alain Cuny
Musique : André Almuro

1. Générique 1:48

2. Aliénation et Magie Noire (1946) 7:27

Avec la voix d’Antonin Artaud

3. Van Gogh (Introduction) 14:00

4. Post Scriptum 6:36

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5. Le suicidé de la société (février 1947) 30:58
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Un fou, Van Gogh ?

Que celui qui a su un jour regarder une face humaine regarde le portrait de Van Gogh par lui-même, je pense à celui avec un chapeau mou.

Peinte par Van Gogh extralucide, cette figure de boucher roux, qui nous inspecte et nous épie, qui nous scrute avec un oeil torve aussi.

Je ne connais pas un seul psychiatre qui saurait scruter un visage d’homme avec une force aussi écrasante et en disséquer comme au tranchoir l’irréfragable psychologie.

L’oeil de Van Gogh est d’un grand génie, mais à la façon dont je le vois me disséquer moi-même du fond de la toile où il a surgi, ce n’est plus le génie d’un peintre que je sens en ce moment vivre en lui, mais celui d’un certain philosophe par moi jamais rencontré dans la vie.

Non, Socrate n’avait pas cet oeil, seul peut-être avant lui le malheureux Nietzsche eut ce regard à déshabiller l’âme, à délivrer le corps et l’âme, à mettre à nu le corps de l’homme, hors des subterfuges de l’esprit.

Le regard de Van Gogh est pendu, vissé, il est vitré derrière ses paupières rares, ses sourcils maigres et sans un pli.

C’est un regard qui enfonce droit, il transperce dans cette figure taillée à la serpe comme un arbre bien équarri.

Mais Van Gogh a saisi le moment où la prunelle va verser dans le vide, où ce regard, parti contre nous comme la bombe d’un météore, prend la couleur atone du vide et de l’inerte qui le remplit.

Mieux qu’aucun psychiatre au monde, c’est ainsi que le grand Van Gogh a situé sa maladie.

Je perce, je reprends, j’inspecte, j’accroche, je descelle, ma vie morte ne recèle rien, et le néant au surplus n’a jamais fait de mal à personne, ce qui me force à revenir au dedans, c’est cette absence désolante qui passe et me submerge par moments, mais j’y vois clair, très clair, même le néant je sais ce que c’est, et je pourrais dire ce qu’il y a dedans.

Et il avait raison, Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini, il y a assez d’infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands génies, et si Van Gogh n’a pas pu combler son désir d’en irradier sa vie entière, c’est que la société le lui a interdit.

Carrément et consciemment interdit.

Il y a eu un jour les exécuteurs de Van Gogh, comme il y a eu ceux de Gérard de Nerval, de Baudelaire, d’Edgar Poe et de Lautréamont.

Ceux qui un jour ont dit :

Et maintenant, assez, Van Gogh, à la tombe, nous en avons assez de ton génie, quant à l’infini, c’est pour nous, l’infini.

Car ce n’est pas à force de chercher l’infini que Van Gogh est mort, qu’il s’est vu contraint d’étouffer de misère et d’asphyxie, c’est à force de se le voir refuser par la tourbe de tous ceux qui, de son vivant même, croyaient détenir l’infini contre lui ; et Van Gogh aurait pu trouver assez d’infini pour vivre pendant toute sa vie si la conscience bestiale de la masse n’avait voulu se l’approprier pour nourrir ses partouses à elle, qui n’ont jamais rien eu à voir avec la peinture ou avec la poésie.

De plus, on ne se suicide pas tout seul.

Nul n’a jamais été seul pour naître.

Nul non plus n’est seul pour mourir.

Mais, dans le cas du suicide, il faut une armée de mauvais êtres pour décider le corps au geste contre nature de se priver de sa propre vie.

Et je crois qu’il y a toujours quelqu’un d’autre à la minute de la mort extrême pour nous dépouiller de notre propre vie.

Ainsi donc, Van Gogh s’est condamné, parce qu’il avait fini de vivre et, comme le laisse entrevoir ses lettres à son frère, parce que, devant la naissance d’un fils de son frère, il se sentait une bouche de trop à nourrir.

Mais surtout Van Gogh voulait enfin rejoindre cet infini pour lequel, dit-il, on s’embarque comme dans un train pour une étoile, et on s’embarque le jour où l’on a bien décidé d’en finir avec la vie.

Or, dans la mort de Van Gogh, telle qu’elle s’est produite, je ne crois pas que ce soit ce qui s’est produit.

Van Gogh a été expédié du monde par son frère, d’abord, en lui annonçant la naissance de son neveu, il a été expédié ensuite par le docteur Gachet, qui, au lieu de lui recommander le repos et la solitude, l’envoyait peindre sur le motif un jour où il sentait bien que Van Gogh aurait mieux fait d’aller se coucher.

Car on ne contrecarre pas aussi directement une lucidité et une sensibilité de la trempe de celles de Van Gogh le martyrisé.

Il y a des consciences qui, à de certains jours, se tueraient pour une simple contradiction, et il n’est pas besoin pour cela d’être fou, fou repéré et catalogué, il suffit, au contraire, d’être en bonne santé et d’avoir la raison de son côté.

Moi, dans un cas pareil, je ne supporterai plus sans commettre un crime de m’entendre dire : « Monsieur Artaud, vous délirez », comme cela m’est si souvent arrivé.

Et Van Gogh se l’est entendu dire.

Et c’est de quoi s’est tordu à sa gorge ce noeud de sang qui l’a tué.

*

6. Le suicidé de la société (suite) 25:42

*

Champ de blé avec corbeaux (1890) Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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7. Post Scriptum (Bis) 11:07


Antonin Artaud à Ivry-sur-Seine, 1947. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

8. Post Scriptum (Ter) 2:41

9. Les Malades et les Médecins (1946) 5:51

Avec la voix d’Antonin Artaud

10. Lettre de Van Gogh à son frère Théo (extraits) 13:11

Avec la voix du peintre Corneille [3]


A l’auberge, on s’inquiète...
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LIRE : Histoire d’un livre : Van Gogh le suicidé de la société d’Antonin Artaud

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Une exposition « Van Gogh / Artaud. Le suicidé de la société » se tient jusqu’au 6 juillet 2014 au Musée d’Orsay [4]. Une occasion de relire ce dossier (1ère mise en ligne le 30 novembre 2010).

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Antonin Artaud en 1947

Exposition Artaud/Van Gogh, Orsay, 2014. Zoom : cliquer sur l’image. Crédit : CristinadeMello. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Photographies instantanées de Denise Colomb (1902-2004).
Maison du docteur Delmas.

Cliquer sur la 1ère image pour agrandir

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La chambre d’Arles

Durée : 29 mn (1993).
Réalisation : Alain Jaubert. Octobre 1888.

Vincent Van Gogh, installé à Arles depuis quelques mois, peint sa chambre. L’espace semble fuir devant le pinceau du peintre. D’aucuns ont voulu y voir le signe de la folie qui devait emporter Van Gogh. La chambre a été détruite au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce numéro de « Palettes » tente de dépasser les explications multiples et variées élaborées autour du tableau, grâce à une reconstitution de la pièce où vécut Van Gogh.

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Voici la présentation de la chambre de Van Gogh à Arles dans l’émission d’Art d’Art, présentée par Frédéric Taddeï :

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Van Gogh par Bacon.
Catalogue MOMA 1959. ZOOM : cliquer sur l’image.
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BACON AVEC VAN GOGH

Philippe Sollers

Le peintre, après la catastrophe, est le plus exposé des humains avec le pape. Ils sont tous les deux brûlés, électrocutés, désorbités, calcinés. La peinture est impossible, sauf, peut-être, pour ce pauvre, ce clochard, ce sans-domicile-fixe, ce passant embourbé qui est aussi un dieu, mais un dieu misérable. Son ombre est du goudron, son chemin ne mène nulle part. Il sort d’un trou, d’une cavité inconnue, d’un volcan d’orbites. Il est en peine de corps. Il a survécu. Il s’obstine. Il est là quand même.

Bacon a compris la tragédie : Velasquez, Van Gogh. Innocent X et le suicidé de la société. Il faut passer à travers ce supplice, ce cri. « Ce n’est pas l’homme mais le monde qui est devenu un anormal. » Nous sommes désormais à l’époque du « crime organisé ». Artaud écrie ces lignes en 1947, et Francis Bacon, quelques années après, livre son diagnostic tranchant, quand d’autres vont se perdre dans l’abstraction ou la décoration de surface. Les peintres ont peur (sauf Picasso). Ils se gardent d’affronter la question de la nature devenue contre-nature, c’est-à-dire « le destin névrotique des choses ». Il faut être un monstre, une brute, un animal bondissant prédateur pour se tirer de cette sinistre affaire. Bacon a ce système nerveux-là. C’est un pilote de chasse. Il vient libérer le vieux Van Gogh qui poursuit sa route dans les décombres. « Un jour, la peinture de Van Gogh, armée de fièvre et de bonne santé, reviendra pour jeter en l’air la poussière d’un monde en cage que son cœur ne pouvait plus supporter. »

Artaud parle d’ « une force tournante, d’un élément arraché en plein cœur ». Pour que la tragédie puisse être dite sans boucher l’horizon, il faut cette force, et ce n’est pas par hasard que Bacon va la chercher chez Eschyle comme s’il était notre contemporain le plus immédiat. De même qu’Artaud voit dans Van Gogh l’« organiste d’une tempête arrêtée », de même Bacon le remet en marche sur une autre planète, la même, mais complètement transformée. Drôle de terre, drôle de sphère striée, « paysage sabré, labouré et pressé de tous les côtés par un pinceau en ébriété ». La forme persistera à travers le difforme. Le visage fondra sur vous comme sorti du néant, ce néant dont Artaud a raison de dire « qu’il n’a jamais fait de mal à personne ». Le théâtre de la cruauté est le seul qui ne soit pas criminel en dissimulation, exhibition, retards, atermoiements, manières, faux joli, alibis culturels, hystérie. L’inquiétant pape Van Gogh fume maintenant sa pipe depuis un sans-fond de disparition sèche. Il est peut-être enterré depuis longtemps dans des racines de sang, mais son chapeau jaune flotte toujours au-dessus des blés. La route est impraticable , c’est un fleuve en fusion, et on n’a jamais vu des arbres aussi inutiles ni une broussaille plus absurdement transformée en piscine. Pas de dehors, pas de dedans, tout est expulsé par un abrutissement ironique. Les temps ont changé, Bacon ne sera pas repris, il s’est évadé, il fera le fou tant qu’il voudra, il imposera sa vision, il vivra dans un foutoir réglé comme de la musique, forêt de pinceaux, de cartons, de photos. Science, élégance, violence. Oiseau précis, bec grec, lumineux, venimeux, généreux. L’opération Van Gogh est un exorcisme majeur, comme celui de Picasso avec les Ménines (encore Velasquez). Non, les peintres ne sont pas condamnés au martyre, ils ne sont pas là non plus pour devenir animateurs-décorateurs, mais pour imposer leur expérience . Pas de différence entre un homme de la préhistoire, avec ses mains négatives sur les parois des grottes, et Van Gogh ou Bacon dans son atelier. Il ne s’agit pas, en réalité, de tableaux, de « peintures », mais d’un acte de magie efficace absolument concentrée.

Artaud parle de « la frange ténébreuse insolite du vide montant d’après l’éclair ». Il pense que « qui ne sent pas la bombe cuite et le vertige comprimé n’est pas digne d’être vivant. » Il établit une étrange équivalence entre inertie et convulsion, comme si une certaine perception de l’infini se jouait entre ces deux pôles. Bacon, avec son regard de hibou ou de chouette a pris le risque de se retrouver dans Van Gogh. Grande épreuve, émouvante et tendre, dette, père sauvé et pardonné, Œdipe gardant ses yeux. Devant un des autoportraits de Van Gogh, Artaud a l’impression d’un « regard parti contre nous comme la bombe d’un météore, prenant la couleur atone du vide et de l’inerte qui la remplit ». Il ajoute : « J’y vois clair, très clair. Même le néant, je sais ce que c’est, et je pourrais dire ce qu’il y a dedans. » Ici, « je pourrais dire » signifie précisément qu’il dit, puisque trouver quoi que ce soit dans le néant est évidemment impossible. Ce qu ’il voit, pourtant, est un « Van Gogh en porte-à-faux sur le gouffre du souffle », et la possibilité pour un peintre d’être parfois un « formidable musicien ». Les Van Gogh de Bacon, eux, sont un hommage à cette musique.

En 1988, à Arles, pour le centenaire de la mort de Van Gogh, Bacon a réalisé une affiche avec introduction de son cube-cône caractéristique, ellipse de jambes agrippées par leur ombre, noir, rouge, sommet vert d’une planète du genre Terre, et deux flèches rouges pour bien marquer le coup. C’est aussi à Arles, en 314, qu’un concile a condamné les donatistes qui prétendaient faire dépendre la validité des sacrements de la sainteté de celui qui les administre. Erreur.

Philippe Sollers, Arles 2002. L’Infini 80, Automne 2002.


Francis Bacon dans son atelier par Henri Cartier-Bresson, 1952.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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Van Gogh vu par Bacon

par Alain Jaubert

Avec Philippe Sollers

Pour la première fois en France, la série des tableaux de Francis Bacon sur le thème des « Autoportraits de Van Gogh marchant sur la route de Tarascon » a été rassemblée et présentée au public, du 5 juillet au 6 octobre 2002. A l’occasion de l’exposition qui eut lieu à Arles, Arte proposait cette analyse.

«  Ce qui est intéressant, c’est de se demander pourquoi Francis Bacon a fait ces tableaux-là à ce moment-là, c’est-à-dire autour des années cinquante, en même temps qu’il venait de faire des crucifixions et qu’il attaquait l’autre personnage qui est pour lui essentiel à ce moment-là, c’est-à-dire le Pape, pas le pape en soi, mais "le Pape" de Vélasquez, Innocent X,... qu’il va mettre dans un état d’électrocution dans un cube, en cours de crise épileptique violente. »

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Voir aussi : Les passions de Francis Bacon
L’Atelier de Francis Bacon
Francis Bacon : « J’aime vivre dans le chaos ».

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FRANCIS BACON ET SES DOUBLES

Alain Jouffroy

Le visage de Francis Bacon était, à lui seul, un autoportrait de Bacon. Sculpté par l’alcool et la dépense qu’il a faite, toute sa vie, de la vie, ce visage portait tous les signes d’une existence violente, et souveraine. Une tête explosante et fixe. Une tête en coup de poing, dont le regard jetait des éclairs sur tout ce sur quoi tombaient ses yeux, un miroir, une palette, une chaise, un lit, une table, une ampoule suspendue à un fil, un simple angle de murs.

J’ai rencontré cet homme extraordinaire, à Londres d’abord, brièvement, puis à Paris, toute une nuit, où nous avons parlé jusqu’à l’aube en buvant beaucoup de vin. Tout ce que je puis dire, c’est que j’ai vite compris que Francis Bacon était double, comme le héros de Stevenson. Son atelier ressemblait à l’antre de Mister Hyde : le lieu de tous les crimes. Mais, dès qu’il sortait de sa salle de bain, il redevenait le docteur Jekyll impeccable, grand observateur et grand savant en toute chose — et grand dandy.

Les photographes, tous plus fascinés les uns que les autres par ce visage, ont prolongé son œuvre, en obéissant strictement à son aura. Chaque portrait photographique de Bacon constitue le double d’un tableau de Bacon. Cela était vrai, parfois, pour Picasso, plus encore pour Giacometti, mais c’est toujours vrai pour Bacon. L’œuvre de Bacon ne se limite donc pas à sa peinture, puisqu’elle envahit l’œuvre des photographes, et des plus grands d’entre eux : Daniel Farson, Cecil Beaton, Irving Penn, Bill Brandt, J.S. Lewinski, Edward Quinn, Harry Benson et Carlos Freire, combien d’autres encore ?

Le livre de John Edwards et de Perry Ogden : 7 Reece Mews dit tout sur l’antre de Mister Hyde : ce chaos de photographies maculées, jetées en vrac parmi les chiffons, les journaux illustrés, les caisses de bouteilles de blanc de blancs, les pots de couleurs et les pinceaux qui furent, tous, les instruments de son travail de réinvention totale de la peinture. On y reconnaît les débris d’un monde assailli, torturé et vaincu, les livres sur Vélasquez, sur Seurat et sur Picasso, mais aussi les essais de Karl Marx, toutes les lectures de cet homme en guerre permanente contre la société. La série de photographies que Perry Ogden a consacrées à ce lieu ressemblent à cet égard à un reportage de guerre.

Car c’est évidemment d’un grand combat qu’il s’agit ; d’un combat contre l’impossibilité qu’il y a à représenter un visage, un corps en mouvement, un coït. Mais ce boxeur qu ’évoquait aussi Bacon étaie d’abord un créateur et un passeur, un transgresseur de limites. Sans la photographie, pas de peinture photographique. Nulle cloison étanche entre les deux mondes, dont il a laissé, derrière lui, les portes aussi battantes que celles des bars d’un Far West imaginaire, où ce héros solitaire a vécu jusqu’au bout, comme Jean Genet, une aventure unique, à jamais inimitable.

Il promenait dans les rues de Londres, d’un air à la fois détaché et distrait, entre les pubs comme entre les murs, son regard ironique et cinglant, mais soudain si attentif, et même si tendre, une empathie constante le portait vers les autres , à l’in­térieur des autres, comme une flèche. Il fouaillait le réel comme Rimbaud fouaillait les langues . Sa délicatesse était aussi précise, aussi acérée que sa violence. Je l’ai vu, à Londres, contempler de dos un passant , immobile à un carrefour. Et ce fut soudain comme si le dos de cet inconnu, sanglé dans un trench-coat, entrait dans sa peinture, en faisait du même coup partie.

Puis, à Paris, sortant en trombe de son atelier de la rue de Birague pour rendre visite à son voisin, notre grand ami commun Velickovic, il se rapprochait de vous avec une gentillesse, une simplicité et une douceur inouïes. La finesse et l’agilité de ses petites mains rapides, une brusque nonchalance aussi, parfois, dans la pose, ses interrogations, ses douces, ses réflexions sur toute chose — et pas seulement sur la peinture — dessinaient autour de lui un cercle lumineux de concentration extrême, où l’on entrait, forcément, en état de complicité , comme si son intelligence étaie contagieuse.

De cela, d’habitude, les photographes ne savent ni ne peuvent rendre compte. Trop extérieurs à la pensée secrète et irréductible d’un individu, ils se contentent de l’approcher comme de la margelle d’un puits. Trop contemplatifs, incapables d’agir à l’intérieur de leur champ de vision, ils en restent à l’illustration du statu quo. Mais, avec Bacon, pris au piège de son aura, ils tombaient dans le puits, en discernaient en tout cas l’eau enfouie, le tourbillon central silencieux. Comme Van Gogh, qui le fascinait si fort qu’il en a capté, aussi bien qu’Artaud, les vibrations sismographiques, les rayonnements et les égarements cosmiques, Bacon était hanté par le réel comme par un cataclysme.

C’est la raison pour laquelle Bacon n’a cessé de ré-interroger la peinture des autres, celle de Velasguez, comme celle de Van Gogh, dont il a prolongé, exacerbé les découvertes et les fulgurances. La peinture ne lui suffisait pas. Il l’aimait pourtant avec passion, autant gu’il aimait la littérature. Mais elle ne lui suffisait pas plus que la littérature et la poésie n’ont suffi à Rimbaud, ou à Artaud. Il l’a donc violée, et certains de ses tableaux sont des crimes commis consciemment contre elle. Mais, en l’assassinant, il en a ressuscité le moteur et l’énergie. Cet ancien designer l’a sauvée de !’insignifiance, de la décoration et de la futilité ordinaires. Et ses tableaux sont parmi les seuls gui, ayant été peints au XXe siècle, sont à la hauteur de tout ce gui s’y est commis de plus horrible, et de plus excessif. C’est une peinture, tragique, de l’excès et du débordement. C’est pourquoi — on l’oublie — elle n’a pas été reconnue comme de la « vraie peinture » parmi les premiers peintres, les premiers critiques d’art et les premiers collectionneurs gui sont censés comprendre un nouveau peintre avant tout le monde, et mieux que tout le monde. C’est aussi pourquoi, en ce début de XXI’ siècle, elle résiste beaucoup mieux que la plupart des autres œuvres peintes du XXe : par son propre sens de l’excès, sa propre et incessante volonté de débordement.

C’est un fait, indépassé et indépassable jusqu’à présent : la peinture de Francis Bacon a changé non seulement l’histoire de la peinture moderne, mais l’histoire de la vue.

Sans parfois s’en rendre compte eux-mêmes, les plus grands photographes en ont vu leur objectif mis en crise. Le visage de Bacon crevait, chaque fois, l’écran de leur vision bidimensionnelle du monde. Les plus lucides d’entre eux en ont changé, après coup, leur manière d’aborder ce gue Lautréamont appelait le Grand objet Extérieur, gui déborde, de toute manière, cous les cadres à l’intérieur desquels les hommes tentent, désespérément et sans aucun succès, de l’enfermer, et de le ligoter.

Demeure une énigme : pourquoi l’œuvre de Bacon est-elle si physiquement, si puissamment présente, jusque dans les portraits que les photographes ont fait de lui ? Je défie quiconque de répondre vraiment, c’est-à-dire poétiquement, à cette question.

Alain Jouffroy, L’Infini 80, Automne 2002.


Francis Bacon dans son studio par Cecil Beaton, 1960.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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L’exposition « Van Gogh vu par Bacon »

Cet événement majeur s’est tenu à Arles dans le Palais de Luppé, siège de la Fondation, à deux pas de la route qu’empruntait hier Van Gogh. Cet ensemble n’a jamais été réuni depuis 1957, date d’une exceptionnelle présentation à la Hanover Gallery de Londres. Il est aujourd’hui dispersé à travers le monde, parmi les plus grands musées : Tate Gallery à Londres, Arts Council Collection à Londres, Centre Pompidou à Paris, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden à Washington entre autres, ou dans des collections privées.

Au cours de l’été 1888, Van Gogh séjourne à Arles, il peint son tableau "Autoportrait sur la route de Tarascon" disparu au cours des bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, au Musée de Magdebourg à Dresde.

Van Gogh, Autoportrait sur la route de Tarascon, 1888 Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Bacon mémorise ce tableau d’après une reproduction en couleurs. Cette image le fascine. Son immense admiration pour Van Gogh prend alors toute son ampleur dans la série qu’il exécute entre 1951 et 1957.

La série

Cliquer sur la 1ère image pour agrandir

Voir également la série des PAPES : crédit : all-art.org/art_20th_century.

LIRE : Jürgen Schilling, Études pour un portrait de Van Gogh par Francis Bacon (2005)

***

Voir en ligne : LA GALERIE DE VINCENT VAN GOGH



Critiques

Le testament d’Artaud

par Cécile Guilbert

Il faut craindre le public cultivé comme la peste. Bien davantage que la cohorte chaque jour plus nombreuse des illettrés. Car l’ignorance crasse mais claire de ces derniers, dépourvue des prétentions de ceux qui croient tout connaître et n’avoir plus grand-chose à apprendre quand l’expérience prouve chaque jour le contraire, possède au moins les mérites de l’innocence.
Engeance particulièrement redoutable, le critique « professionnel » incarne à merveille cette (im)posture de surplomb où l’ignorance travestie par le masque du savoir dissimule sous l’empathie la pulsion basique du meurtre.
C’est ainsi que mutiler à mort l’art sous couvert de la culture est aujourd’hui l’une de ces opérations quotidiennes et multiples qui nous submergent et nous empoisonnent, au même titre que la pollution de l’air, l’infection des aliments ou la falsification des statistiques.
Confronté de son temps à semblables manoeuvres de « jivarisation » quoique sous des formes très différentes, Artaud, lui, n’hésitait pas à utiliser le terme bazooka d’« envoûtement ». Mais il est vrai qu’il n’avait peur de rien quand beaucoup ont encore peur de lui. La preuve ? L’indifférence générale qui accueille aujourd’hui la réédition de son Van Gogh le suicidé de la société [5].

Si les livres capitaux pouvaient dangereusement osciller sur les tables des libraires comme des grenades dégoupillées, nul doute que ce volume fiévreux flanquerait à coup sûr par terre les piles voisines. Et s’il était possible que de tels livres se métamorphosassent illico en torches, celui-ci suffirait sans doute pour foutre le feu à toute la boutique.
Fruit de l’étrange délire d’une raison comme toujours extralucide et paranoïaque (la paranoïa des « hautes natures », dit Artaud), ce brûlant brûlot offre un curieux dispositif : un texte sans titre, suivi de deux pages de post-scriptum, puis d’un autre texte intitulé « le suicidé de la société » auquel s’ajoute un second post-scriptum...
Mais quelle importance ? Prenez-le, lisez-le, et voici qu’aussitôt ses phrases rouge sang grondent et se lèvent comme des insurrections, tels les étendards de l’armée sans âge de ces « suicidés de la société » qui ont pour nom Baudelaire, Poe, Nerval, Nietzsche, Kierkegaard, Hôlderlin, Lautréamont, Van Gogh bien sûr, et Artaud lui-même — chacun ayant incarné à sa façon une « funèbre et révoltante histoire de garrotté d’un mauvais esprit ».

Là, justement, les esprits dits forts s’affolent. Qu’est-ce que ces histoires d’« opérations d’alchimie sombre », de « grandes passes d’envoûtement globaux » et de « vampirisme » peuvent bien vouloir dire ?
Eh bien, qu’une lutte à mort a lieu, entre par exemple un ordre social « tout entier basé sur l’accomplissement d’une primitive injustice » et « les investigations de certaines lucidités supérieures ». Entre les médecins, via « les conciliabules puants des familles », et les prétendus « malades ». Entre « l’humanité de singe lâche et de chien mouillé » et « le timbre supra-humain, perpétuellement supra-humain » que ces corps singuliers font sonner. C’est-à-dire entre deux délires dont le plus délirant n’est pas celui qu’on croit. En d’autres termes une « scission humaine de fond » a lieu : celle d’un corps particulier, d’une vie ne recoupant pas exactement l’existence générique et punie pour cette raison d’être même.
On l’aura compris, Artaud n’écrit pas sur Van Gogh : il est Van Gogh. Et s’il semble comparer le docteur Gachet d’Auvers-sur-Oise avec les docteurs Ferdière ou Latrémolière de Rodez, ce n’est évidemment pas aux fins d’historiciser son propre cas et celui du peintre mais bien pour faire sentir à travers le temps l’incarnation d’un tropisme identique :

« Il y a dans tout psychiatre vivant un répugnant et sordide atavisme qui lui fait voir dans chaque artiste, dans tout génie, devant lui, un ennemi. »

Van Gogh, Vieux souliers aux lacets Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.
automne 1886.

Ce qui fascine Artaud chez Van Gogh ? Son génie à « passionner la nature et les objets ». Sa révélation de l’Etre par les moyens de la « pure peinture » — l’Etre saisi en « pure énigme » qui « vient en avant de la toile fixe » et dont Artaud pointe l’« oubli » en le désignant comme

« cette force d’inertie dont tout le monde parle à mots couverts et qui n’est jamais devenue si obscure que depuis que toute la terre et la vie présente se sont mêlées de l’élucider ».

On pense évidemment à Heidegger, lequel n’a médité un tableau qu’une seule fois dans son oeuvre et comme par hasard un tableau signé Van Gogh [6].
Là, il faut lire (boire, ai-je envie de dire) les extraordinaires phrases d’Artaud comme autant de pépites en prise directe avec le geste du peintre,

« avec la couleur saisie comme telle que pressée hors du tube, avec l’empreinte, comme l’un après l’autre des poils du pinceau dans la couleur, avec la touche de la peinture peinte, comme distincte de son propre soleil, avec l’i, la virgule, le point de la pointe du pinceau comme vrillée à même la couleur, chahutée, et qui gicle en flammèches »...

La peinture est un opéra sensible, une musique « remise à même la vue, l’ouïe, le tact, l’arôme ». Mais elle est aussi la révélation la plus vraie de la nature, ne serait-ce que parce que le motif ouvre la porte d’une réalité permanente possible. Artaud insiste beaucoup là-dessus :

« Van Gogh est peintre parce qu’il a recollecté la nature, qu’il l’a comme retranspirée et fait suer, qu’il a fait gicler en faisceaux sur ses toiles, en gerbes comme monumentales de couleurs, le séculaire concassement d’éléments, l’épouvantable pression élémentaire d’apostrophes, de stries, de virgules, de barres dont on ne peut plus croire après lui que les aspects naturels ne soient faits. »

Tiré à trois mille exemplaires en 1947, Van Gogh le suicidé de la société obtint le prix Sainte-Beuve de l’essai en janvier 1948. Deux mois plus tard, son auteur était retrouvé mort au pied de son lit.
La légende veut qu’il l’ait rédigé en état de choc, après avoir visité l’exposition du Hollandais qui se déroulait à l’Orangerie au début de l’année 1947.
Comment ne pas songer à Proust qui, un an avant sa mort, en 1921, sortit de sa réclusion pour aller voir l’exposition Vermeer du Jeu de Paume et rédigea à son retour l’épisode célèbre de la mort de son double Bergotte, défaillant comme lui devant « le petit pan de mur jaune » ?

« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, martelait l’interné de Sainte-Anne, de Ville-Évrard, de Rodez et d’Ivry, que pour sortir en fait de l’enfer. »

Gageons qu’Artaud a enfin atteint le Paradis.

Cécile Guilbert, La Revue des Deux Mondes, juillet 2001.
Repris dans Sans entraves et sans temps morts, Gallimard, 2009.

***


Van Gogh vu par Bacon

par Philippe Dagen

En 1956, Francis Bacon a quarante-six ans. En dépit de cet âge, sa notoriété ne fait que commencer à s’étendre hors de Grande-Bretagne. En 1953, pour la première fois, il a exposé dans une galerie new-yorkaise. En 1954, il a été présenté à la Biennale de Venise en compagnie de Ben Nicholson et de Lucian Freud. En 1956, donc, la Hanover Gallery de Londres, alors sa galerie, lui fait part de son désir de montrer ses tableaux récents l’année suivante. Jusqu’à ce point du récit, témoins et historiens sont d’accord.

La suite est plus controversée, selon que l’on s’en tient à une version noble ou triviale. La noble affirme que le peintre irlandais profita de la circonstance pour rendre hommage à l’un de ses maîtres, Van Gogh, en choisissant l’une de ses toiles comme thème pour une série de variations. La triviale, on l’a entendue de la bouche de Bacon, quelques années avant sa mort, lors d’un déjeuner à Londres : pris de court, racontait-il alors, ne sachant comment satisfaire Erica Brausen, impétueuse directrice de la Hanover Gallery, n’ayant que fort peu d’ ?uvres à lui fournir, il aurait cherché l’inspiration dans ses livres et l’aurait trouvée dans la reproduction d’un Van Gogh détruit pendant la seconde guerre mondiale, l’Autoportrait sur la route de Tarascon de 1888. D’après la photo, il se serait enfin mis au travail. Tel était son récit, que confirme en partie un propos rapporté par John Russell en 1971. Bacon lui aurait déclaré :

« J’avais toujours aimé ce tableau — celui qui a brûlé en Allemagne pendant la guerre — et, comme rien d’autre n’avait marché, j’ai eu l’idée de tenter quelque chose là-dessus. »

La phrase a le mérite de concilier à peu près les deux versions. Les "Van Gogh" de Bacon seraient à la fois l’aveu d’une prédilection intime et une commande que le peintre se serait passée à lui-même pour que l’exposition programmée se fasse à la date prévue. Elle se fit. Elle eut, à en croire les témoins, une inauguration assez chaotique, d’autant plus que la peinture était si fraîche que les vêtements des visiteurs étaient menacés de finir barbouillés de vert et de rouge.

Aujourd’hui, les couleurs sont sèches et les oeuvres protégées par des vitres. Elles appartiennent presque toutes à des musées, qui ont accepté de les prêter, si bien que sept des huit variations exécutées par Bacon sont réunies à Arles. Il n’en manque qu’une, propriété d’un intraitable collectionneur privé établi en Suisse. S’y ajoutent deux Hommages à Van Gogh, l’un de 1960, l’autre de 1985, ce dernier ayant été peint à la demande de Yolande Clergue pour l’ouverture de la Fondation Van Gogh.

Réunir ces peintures, dispersées en 1957, n’avait jamais été tenté : l’exposition a quelque chose d’historique. On y voit comment un artiste peut se projeter dans un autre, parce qu’il se sait absolument d’accord avec lui sur l’essentiel : les raisons qui les ont faits peintres, malgré leurs contemporains, malgré la plus élémentaire prudence. Van Gogh s’était représenté marchant vite, son matériel de peintre sur le dos et à la main, coiffé d’un chapeau de paille, sur une route, entre deux arbres, devant un champ de blé et une prairie. Ses dominantes étaient l’ocre, le bleu et le jaune, posés en touches séparées ou plates, tantôt à la Signac, tantôt à la Gauguin. Dans les Bacon, il y a un homme — ou une ombre humaine —, le chapeau de paille plat, les deux arbres et le sac à dos. Le noir, l’outremer, le vert et le rouge sont projetés sur la toile avec des gestes brutaux, mélangés, écrasés, flagellés.

Les formes et l’espace sont pris de contractions. Les arbres se tordent et saignent. Les visages deviennent des grimaces de carnassiers. Le peintre allant sur le motif devient un fantôme perdu dans un paysage de catastrophe. La leçon est claire : tout peintre, s’il se veut à la mesure du monde, ne peut qu’être ce fantôme qui cherche à tenir debout parmi les désastres. Sinon, il fait de la décoration. Ce spectre s’appelle Van Gogh ou s’appelle Bacon : deux noms pour le même destin, deux noms de « suicidés de la société ». Bacon lecteur d’Artaud ? Evidemment.

Que les variations de l’Irlandais ne ressemblent que de très loin à l’autoportrait du Hollandais est logique : Bacon n’imite pas, il s’approprie un autoportrait de Van Gogh pour en déduire son autoportrait à lui, légèrement déguisé, profondément allégorique. Chaque variation a sa direction particulière : du côté de la nuit, du délire, de l’attente, de la mélancolie ou de l’abandon. Les gestes sont plus ou moins violents, le paysage plus ou moins bouleversé, l’éclat solaire plus ou moins aveuglant. En raison de ces différences de tonalité, on pourrait appeler cette série "Histoire du peintre".

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Van Gogh par Bacon, 1960
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Autoportrait à l’oeil blessé, 1972

Elle a sa conclusion un peu plus tard, en 1960. Sans raison apparente, Bacon revient à Van Gogh. Il se saisit des autoportraits à l’oreille coupée. Devant un cadre rouge, il place un Van Gogh à la tête bandée, fumant sa pipe, coiffé d’un bonnet bleu-vert, presque un bonnet de fou. L’oreille manque, naturellement. Mais un oeil, le droit, manque aussi : l’orbite vide est tachée de rose et cernée de blanc. Où retrouve-t-on la même mutilation ? Dans l’Autoportrait de Bacon dit à l’oeil blessé. On y retrouve aussi les chairs meurtries, le nez écrasé, la bouche molle. Et le même ?il gauche, furieux, mauvais, cruel — l’oeil du peintre toujours vivant.

Philippe Dagen, Le Monde, juillet 2002.

*

Francis Bacon sur la route de Van Gogh

Henri-François Debailleux

Francis Bacon n’avait jamais vu en vrai l’Autoportrait sur la route de Tarascon peint par Vincent Van Gogh durant l’été 1888, lors de son séjour à Arles. Et pour cause : le tableau fut détruit par le feu au Kaiser Friedrich Museum de Magdebourg, bombardé en 1945. Il n’en connaissait qu’une reproduction en couleurs. Grand admirateur de Van Gogh, il était fasciné par cette image troublante, cette silhouette de l’artiste errant sur la route avec tout son barda de peintre, son chapeau de la couleur du champ de blé, en arrière-plan, et son ombre noire (son double sombre), très forte, au premier plan.

« J’avais toujours aimé ce tableau. Et comme rien d’autre n’avait marché, j’ai eu l’idée de tenter quelque chose là-dessus. J’ai toujours préféré le Van Gogh des débuts, mais ce personnage hanté sur la route me paraissait convenir tout à fait, à ce moment-là ­ tel un fantôme de la route, pourrait-on dire »

confiera Francis Bacon [7]. Au printemps 1956, il s’attaque donc à la première des huit toiles qu’il va réaliser ­en peu de temps, un peu plus d’un an ­ d’après cet autoportrait. Elles seront exposées en 1957, à la Hanover Gallery de Londres, en faisant sensation compte tenu du sujet, de la touche et des couleurs expérimentés par Bacon. Depuis cette date, la série n’avait jamais été montrée dans son ensemble.

Pathos. L’exposition Van Gogh vu par Bacon, sous-titrée « La série des Van Gogh sur la route de Tarascon », les rassemble donc pour la première fois en France. Elle est organisée à l’initiative de David Alan Mellor (professeur d’histoire de l’art à l’université de Sussex en Grande-Bretagne) et de Yolande Clergue (présidente et fondatrice de la Fondation Vincent Van Gogh, située tout près de la fameuse route précitée) qui sont, pour l’occasion, partis à la pêche dans diverses collections privées et publiques (Tate Gallery et Arts Council Collection à Londres, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden à Washington, Centre Pompidou à Paris...) pour reconstituer l’unité de cette série de toiles. Celles-ci, lourdes de pathos, présentent l’intérêt de montrer Bacon sous un jour peu habituel et même sous une lumière étonnante dans son oeuvre, celles du Sud, du soleil, violente comme en témoignent les contrastes marqués et les nombreuses couleurs crues, presque en excès, des jaunes, des bleus, des rouges (on est loin de la tendance plutôt monochrome que l’artiste pratiquera par la suite). Une violence qu’on retrouve d’une part dans la touche, vive, nerveuse, balayant la surface du tableau à grands coups de pinceau ; et d’autre part dans le mouvement qui en résulte avec dominante de grandes diagonales, comme autant de lignes de fuite, de fausses profondeurs qui construisent l’espace et lui donnent cette géométrie inquiétante, pleine de mystère et de tragique.

Enfin, le traitement de la matière, souvent épaisse, chargée (là encore très différente de l’aspect lisse caractéristique de l’artiste) augmente encore l’aspect expressionniste tourmenté, dramatique (avec les tons sombres) de la série, dans laquelle le portrait de Van Gogh, aussi bien le visage que le corps, devient prétexte à un travail sur la forme et le difforme. Et à une réflexion sur le portrait, l’autoportrait et plus exactement sur le portrait d’un autoportrait. [...]

Henri-François Debailleux, Libération du 3 septembre 2002.

***

Portfolio

  • Autoportrait à l'oeil blessé, 1972
  • Van Gogh par Bacon, 1960

[2Si vous avez regardé le documentaire d’arte, Van Gogh, l’énigme de l’oreille coupée, vous savez maintenant, d’après le témoignage du Dr. Rey, que c’est l’oreille gauche que Van Gogh s’est tranchée.

[3Le 12 janvier 1975, l’écrivain Max-Pol Fouchet rendait aussi hommage à Van Gogh et à Artaud. Les extraits de la correspondance de Van Gogh étaient lus par Roger Blin.

[4Réservez votre entrée et, sur place, armez-vous de patience, il y a un monde fou.

[5Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, Éd. Gallimard, L’Imaginaire, 1974,2001.

[6Il s’agit des Vieux souliers aux lacets qu’Heidegger analyse dans L’Origine de l’oeuvre d’art, 1935-36, dans Chemins qui mènent nulle part, Gallimard. Jacques Derrida analyse également ce tableau et les différentes interprétations dont il a fait l’objet dans La vérité en peinture (1978). Voir ici. A.G.

[7Francis Bacon, de John Russel, 1971.

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7 Messages

  • Pierre Vermeersch | 26 août 2023 - 11:40 1

    Ci-joint, l’image de référence à notre message du 20 août 23.

    JPEG - 970.2 ko

  • Pierre Vermeersch | 20 août 2023 - 22:13 2

    « Je me sens la tête sereine, absolument, et les coups de brosse me viennent et se suivent très logiquement ».
    La logique de son acte dont nous fait part Van Gogh, c’est celle qui, à partir de la rencontre de la brosse et du support, ouvre le chiasme phénoménologique (touchant-touché) au croisement de l’intensif et de l’extensif, de l’infini actuel et de l’infini potentiel. Elle se développe, disjointe de la déductivité selon une écriture de type borroméen.
    C’est ainsi que se reconnait la structure de l’espace du plafond baroque dont la floculation des corps est le vecteur de l’infini actuel (symétrie d’échelle). Elle fait écran à l’infini potentiel de l’espace géométral albertien, qui pourtant l’enveloppe.
    Nous en donnons l’illustration en appliquant l’image du plafond de Sainte Ignace sur celle de l’Escalier d’Auvers. Et, nous ajoutons en son centre l’image de l’attracteur étrange de Mandelbrot, soit l’expression de la structure de son effet.
    Nous renvoyons à notre article de Ligeia n° 161-164, Van Gogh la raison du symptôme.

    Voir en ligne : http://theoriedelapratique.hautetfo...


  • Albert Gauvin | 20 janvier 2020 - 21:37 3

    JPEG - 111.3 ko
    Self portrait, 1889.

    Après six ans d’analyses et d’incertitude, les experts ont établi que « Self Portrait » avait été peinte à la fin de l’été 1889.
    LIRE ICI.


  • D.B. | 25 octobre 2017 - 21:03 4

    La passionnante enquête de Bernadette Murphy désormais publiée chez Actes Sud.

    JPEG - 90.2 ko

  • Pierre Vermeersch | 19 septembre 2017 - 18:02 5

    Dans son essai, Strindberg et Van Gogh (p.199), Karl Jaspers cite l’extrait d’une lettre du peintre adressée à Théo à la fin de son séjour à l’asile de Saint-Rémy de Provence.
    « Je te dis, pour le travail, je me sens la tête sereine absolument et les coups de brosse me viennent et se suivent très logiquement. »
    « ..les coups de brosse.. » , l’intensité du tact sur la consistance du support, soit l’épreuve en la quelle l’objet de la pulsion scopique, le regard, recouvre le chiasme phénoménologique touchant/touché (Cf. Notre message, Klein d’œil, sur la note d’Albert Gauvin, Sur des œuvres de tiers- la sainte réalité- vie de Siméon Chardin). Ce qui équivaut à la torsion du plan projectif qui en passe par l’infini. (Cf. Notre message, Marcel Duchamp topologue, sur la note d’A. G., Marcel Duchamp l’anartiste.)
    « .. me viennent.. », le peintre se réfère à une causalité extérieure à sa propre décision.
    « .. et se suivent très logiquement.. », la sérialité des inscriptions relève d’une contrainte qui supporte leur articulation, telle la mise en ordre des lettres d’une formule, expression d’une loi.
    Jean-Claude Milner, dans L’œuvre claire (p.141) relève que le borroméanisme est le mathématique disjoint de la déductivité.
    Ainsi, Van Gogh mis à l’épreuve de la consistance de sa touche eut-il l’intuition de la topologie de l’acte pictural. En effet, à partir de la fin de son séjour à Saint-Rémy, sa peinture fait montre de la visibilité du littéral à travers la consistance de la touche qui fait corde (Cf. Notre message, Shitao l’Unique trait de pinceau, sur la note d’A. G., Shitao, l’unique) .


  • A.G. | 30 septembre 2016 - 13:42 6

    Deux toiles de Van Gogh retrouvées en Italie

    Les tableaux avaient été dérobées en 2002 au musée Van-Gogh d’Amsterdam.


    « Congrégation sortant de l’église réformée de Nuenen », par Vincent Van Gogh (1853-1890).
    Huile sur canevas. Désormais au Musée Van Gogh.

    Zoom : cliquez l’image.
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    Deux toiles de Vincent Van Gogh, volées au Musée Van-Gogh d’Amsterdam en 2002, ont été retrouvées par la police italienne à Naples, dans le cadre d’une opération contre le crime organisé, a annoncé le Musée Van-Gogh d’Amsterdam.

    Les tableaux, identifiés par la presse italienne comme Vue de la mer à Scheveningen (1882) et la Congrégation quittant l’église réformée à Nuenen (1884), ont été retrouvés après avoir été cachés dans une des maisons d’un traficant de drogue international, à Castellammare di Stabia, près de Naples, a indiqué The Guardian. Elles ont été retirées de leur cadre, mais sont en bon état.


    « Vue de la mer à Scheveningen », de Vincent van Gogh, 1882.
    Huile sur canevas. A voir désormais au musée Van Gogh, à Amsterdam.

    Zoom : cliquez l’image.
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    « Nous n’en avons pas cru nos yeux », a expliqué un fonctionnaire de police à la Repubblica. L’authenticité des toiles a été confirmée par un expert du Van-Gogh Museum. Ce vol est dans le « top 10 » des « casses artistiques » sur le site du FBI : les cambrioleurs sont passés par le toit du musée, évitant ainsi une partie du dispositif de sécurité. Deux suspects ont été condamnés en 2004, sans que la police ne parvienne à retrouver les toiles.

    Des dizaines de suspects liés à la Camorra

    La police financière italienne n’a pas encore officialisé la découverte, mais doit tenir une conférence de presse vendredi pour dévoiler certains résultats dans des procédures visant des dizaines de suspects liés à la Camorra, la mafia napolitaine.

    Le ministre italien de la Culture, Dario Franceschini, a expliqué que la découverte était extraordinaire. « Le résultat de ces enquêtes confirme l’intérêt des organisations criminelles pour les œuvres d’art, dont ils se servent comme investissement et comme ressource financière », a-t-il annoncé dans un communiqué.

    Guillaume Tion, Libération, 30-09-16.