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Sollers : la montagne et la souris

Paradis, Vision à New York

D 15 mars 2023     A par Michaël Nooij - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Cher Viktor, suis tombé sur cette critique de Paradis – que je soumets pour une éventuelle publication ? Amitiés !
M.N.

Qui ne se souvient du critique Angelo Rinaldi à la plume acérée, trempée dans un savant mélange de vinaigre et de pili-pili, virtuose dans l’art de l’éreintage et de la férocité, "d’une verve dévastatrice, que l’humaine cruauté retient de préférence" (Jean-François Revel) ? Ses billets dans L’Express de 1976 à 1998, quand ce magazine avait encore du poids, étaient attendus et redoutés, très redoutés. L’homme avait du style, un humour grinchant, une verve d’aristocrate intraitable à qui on la fait pas, incorruptible, d’une exigence sans faiblesse. Aujourd’hui il siège à l’Académie française, marié à Hector Biancotti également immortel - on n’entend plus guère parler du Corse féroce.

Dans "Service de Presse", un choix des chroniques littéraires de L’Express préfacé par Jean-François Revel, édition Plon 1999, Angelo Rinaldi s’en prend en 1981 avec délectation à Philippe Sollers qui vient de faire paraître "Paradis" et "Vision à New York". Pour ce que ça vaut, voici son éreintage en règle, curiosité à garder en mémoire.

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A propos de Angelo Rinaldi

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Angelo Rinaldi

Ange-Marie Rinaldi dit Angelo Rinaldi (1940-) est né le 17 juin 1940, à Bastia, dans une famille de paysans. Écrivain et journaliste, a été reporter et chroniqueur judiciaire en province, avant de devenir critique littéraire, après la publication de La Maison des Atlantes qui obtint le prix Femina (1972). Il a publié une quinzaine de romans et un recueil de chroniques, recevant pour l’ensemble de son œuvre le prix Prince Pierre de Monaco.

Élu à l’Académie française, le 21 juin 2001.

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La critique d’Angelo Rinaldi

D’un côté, un texte sans ponctuation, ni blancs ni paragraphes - encore moins de sens discernable ou de pouvoir d’incantation, pathos-chewing-gum qui se veut un roman. De l’autre, des entretiens de l’auteur avec un faire-valoir américain, M.David Heyman, qui ne tiennent pas les promesses d’une préface brillante : ils sont, à la fois, une confession à la Sacha Guitry où les livres remplaceraient les femmes ; une mode d’emploi dudit roman aussi approprié qu’une clef à molette pour ouvrir une boîte à sardines, et une célébration sans retenue de soi-même.

Qui pensera jamais plus de bien de M. Philippe Sollers, animateur depuis vingt ans de la revue Tel Quel, que M. Sollers lui-même ? Les meilleurs esprits l’y ont d’ailleurs encouragé : Aragon et Mauriac à ses débuts, quand il travaillait dans la demi-teinte, à mi-chemin de René Boylesve [1] et de Rosemonde Gérard [2] ; et, hier encore, le si séduisant Roland Barthes, qui, certes, ne passera pas à la postérité en raison de ses complaisances amicales. Il n’hésiterait pas à placer un précédent ouvrage "à l’extrémité d’une chaîne millénaire qui part, en Occident, d’Homère". Dans ces conditions, la colline de Chaillot est peut-être excusable de se prendre pour l’Everest.

En tout cas, il serait trop facile, pour bâcler la corvée et se venger d’avoir mariné dans le plus poisseux ennui, d’offrir un échantillonnage de ces proses représentatives d’une "avant-garde" qui a toutes les rides de son âge. Un directeur de café-théâtre à court de saynètes y trouvera son miel sans peine. M. Sollers et son exégète recruté à New York campent d’irrésistibles Vadius et Trissotin [3] en train de dépiauter le sonnet d’Oronte [4] Pour être plus moderne - Laurel et Hardy, tête-bêche sur le divan de Freud, se psychanalysent mutuellement à la sauvette.

On se permettra cependant de suggérer un découpage. On tient, en effet, un bon départ dans la comédie si l’on commence, à propos d’une enfance bordelaise, par la découverte "qu’il y a une différence absolue entre l’Atlantique et la Méditerranée". Si l’on enchaîne aussitôt sur ce fait de Résistance - le refus de chanter Maréchal nous voilà à la maternelle - et si l’on n’oublie pas la phrase : "J’ai profondément choqué le sentiment national." Elle est une allusion à l’amertume qui submergea les parrains illustres quand le filleul se détourna d’un romanesque délicat pour s’enfoncer dans la théorisation à outrance dispensant de créer.

La jeunesse ferait sans doute de l’événement un usage cruel, mais quand les années ont attendri le cœur, on se défend mal d’éprouver un certain sentiment de tristesse devant ces parades de la vanité et de la pédanterie, exécutées au pied du berceau d’un chef-d’œuvre mort-né. M. Sollers et son compère, on dirait la mère et la nounou qui, ne sachant quelle vérité affreuse est enveloppée dans les langes et les rubans, échafaudent des projets d’avenir pour le petit prodige. Elles l’imaginent déjà à Polytechnique. Nous soupçonnons, nous, qu’il finira demain au pilon, au cimetière où s’entassent les curiosités littéraires, dans l’allée baroque où s’effritent les tombes jamais plus visitées des "zutistes" et du sâr Péladan [5].

En réalité, ce qui nous est proposé de lire, mais en filigrane, dans ces deux ouvrages, c’est le bilan d’un groupe qui eut son importance et l’enlisement d’une carrière qui eut son petit éclat. Point n’est besoin d’attendre que se réalise le souhait de M. Heyman - qu’une thèse soit consacrée à l’histoire de Tel Quel - pour constater que la revue servit surtout à répandre la gloire de son fondateur. Les personnes du meilleur monde n’y collaboraient pas sans avoir payé leur dû de compliments. Moyennant quoi, il leur était permis de défendre, en un méritoire et juste combat, Artaud, Bataille et Sade. À travers les successifs changements de direction, les virages lof pour lof [6], une permanence : la louange du maître. Lequel en est un, à coup sûr, si c’est une prouesse que d’exister dans la conscience des autres, entre la rue Jacob et la rue de Rennes, pour avoir supprimé les virgules, et une réussite que de faire croire que la glose a plus d’importance que la création. On conçoit que des non-artistes s’arrangent d’un tel crédo.

Comme s’il était possible de commenter Ezra Pound avec le vocabulaire d’un portier d’hôtel s’adressant à des touristes étrangers, on aura souvent ironisé sur le byzantisme et l’obscurité de Tel Quel. Il eût été plus juste de mettre en cause, dans les débats que la revue alimentait - et qui étaient en parfait accord avec la stérilité, l’esthétique du brimborion [7] et le formalisme des années 60 -, une trop grande simplicité dans le maniement des sciences qu’elle abordait.

Connaissait-il à fond son sujet ? On en doutait. N’empêche que chaque rédacteur, avec l’assurance d’un Pic de La Mirandole et l’âpreté d’un commissaire stalinien, tranchait d’un tout, face à un auditoire de bas-bleus terrorisés, qui, semblables au Valentin de la vieille chanson, ne lâchaient cependant pas la rampe malgré les cahots et les embardées dans tous les sens : le "nouveau roman", la linguistique, l’économie, la biologie, le structuralisme, le marxisme et juqu’au "cégétisme". En Mai 68, toute honte bue.

Pourvu qu’il ait l’impression d’être en selle, M. Sollers saute sur la première haridelle qui se présente. Maintenant désarçonné, il découvre l’Amérique et la Bible. On n’ira pas le reprocher à qui fera dans la Chine du sanglant Mao un voyage de M. Perrichon [8] idéologue. On se contentera d’observer que le frégolisme [9] fait, de l’ancien révolutionnaire des lettres, le pendant de M. Edgar Faure sur la cheminée du salon parisien. Encore si, par la suite, il se maintenait au niveau d’un cacique du radicalisme habile à perdurer... Mais aujourd’hui, quand chaque numéro de Tel Quel s’ouvre sur une de ses photos, contient à la fois une de ses interviews et un chapitre du roman en cours de rédaction, on craint plutôt la proche résurrection de Ferdinand Lop, qui, naguère, à Saint-Germain-des-Prés, allait de table en table proposer une brochure rassemblant des textes de son cru et des articles en sa faveur.

Ainsi vont, à Paris, les destins et les carrières. C’est strictement sous cet angle que Paradis et Vision à New York méritent d’être examinés. Pour la littérature, le lecteur voudra bien se reporter, plus loin, aux chroniques, dues, cette semaine, à des confrères d’un enviable talent.



[1René Boylesve, auteur de "La jeune fille bien élevée", "Mademoiselle Cloque", "La Leçon d’amour dans un parc", Académie française, mort en 1926

[2Rosemonde Gérard, poétesse, comédienne qui a écrit les fameux vers

Et comme chaque jour je t’aime davantage,
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain

[3*Vadius et Trissotin : les deux pédants dans "Les Femmes savantes"

[4le sonnet d’Oronte : dans "Le Misanthrope".

[5sâr Péladan : occultiste français 1858 - 1918

[6lof pour lof : ce virement de bord s’effectue lorsque l’on navigue aux allures portantes (largue ou grand largue) et que l’on désire changer d’amure.

[7petit objet de peu de valeur

[8Monsieur Perrichon : comédie en quatre actes d’Eugène Labiche

[9frégolisme : métamorphose ou transformation rapide en accéléré

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2 Messages

  • Thelonious | 19 mars 2023 - 19:24 1

    Réécrire (se) dit-il
    Dans son très fallacieux article écrit à la six-quatre-deux, M. Rinaldi trace, à l’aide de quelques phrases mal choisies, un tableau ridiculement faux de l’oeuvre de Philippe Sollers.
    (Phrase extraite et détournée de la Vraie vie de Sebastian Knight, de Vladimir Nabokov)


  • Albert Gauvin | 15 mars 2023 - 22:22 2

    Lorsque Rinaldi a sorti Service de presse, Le Monde avait publié un article au titre éloquent Rinaldi, l’ère du ressentiment. Cela en disait long sur l’époque (et en ce qui concerne le ressentiment, ça n’a fait qu’empirer). L’article concluait :

    Finalement, Angelo Rinaldi aura été l’un des symptômes les plus passionnants d’une époque, en exprimant la haine de la pensée qui s’est développée dans les années 70 et qui a continué dans la France mitterrandienne, stigmatisant la « stérilité », l’« esthétique du brimborion » et le « formalisme des années 60 ».

    L’Express a toujours détesté Sollers. Rinaldi a ouvert la voie, d’autres ont suivi du temps du Barbier de service. Souvenez-vous de l’air de la calomnie chez Beaumarchais :

    Bartholo : Singulier moyen de se défaire d’un homme !
    Bazile : La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens prêts d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse ! ... D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, on ne sait comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil ; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ?

    Concernant Paradis, dans son Histoire de Tel Quel, Philippe Forest écrit fort justement :

    ... la bataille de Paradis se livre d’abord sur le terrain de la critique littéraire. Le dossier de presse du livre est impressionnant. Il n’est peut-être pas d’autre roman qui, au cours de la décennie passée, ait suscité une telle avalanche d’articles, d’entretiens, de commentaires. Quotidiens et magazines consacrent au livre des pages entières. Toutes les « signatures » cèdent à l’irrépressible besoin de réagir à l’événement : Angelo Rinaldi dans L’Express, Jacqueline Piatier dans Le Monde, Georges Suffert dans Le Point, Françoise Xenakis dans Le Matin, Jean-Paul Enthoven dans Le Nouvel Observateur, Jean-Jacques Brochier dans Le Magazine littéraire, etc. On dresse des bilans et l’on règle des comptes. Car ce tumulte critique — s’il est en soi déjà un succès — a souvent les apparences d’un déchaînement assez sauvage. La critique est pour le moins partagée face à l’incompréhensible Paradis et au déroutant Sollers. Les deux pages que Le Monde consacre au livre traduisent, bien cet embarras. Hubert Juin y relate « l’étonnante aventure de la revue Tel Quel », Jacques Cellard dénonce la « fuite en avant » de Sollers. L’enthousiasme de Denis Roche est réel mais narquois. L’auteur de Louve basse n’ira pas à Canossa, il ne suivra pas le romancier de Paradis jusque dans son éloge furieux du catholicisme. (cité dans Paradis II en vidéo)

    J’ai recueilli quelques-uns de ces articles — et d’autres — dans Tout est paradis dans cet enfer.