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Réaction de Sollers à la couverture du Point...

Entretien avec Sébastien Le Fol

D 28 février 2019     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »
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Le 28 janvier 1999, Philippe Sollers publiait dans Le Monde une tribune qui provoqua un tollé. Prenant la défense du « libéral-libertaire » Daniel Cohn-Bendit, alors candidat aux élections européennes, l’écrivain fustigeait la France qui déteste « les Allemands, les Anglais, les juifs, les Arabes, les étrangers en général, l’art moderne, les intellectuels coupeurs de cheveux en quatre, les femmes trop indépendantes ou qui pensent, les ouvriers non encadrés et, finalement, la liberté sous toutes ses formes ». Vingt ans plus tard, c’est Alain Finkielkraut qui est l’objet d’insultes antisémites de la part d’un homme proche de l’islamisme radical. Est-ce cela la France moisie en 2019 ? L’auteur de « Femmes » relit sa tribune à la lumière des gilets jaunes.

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Le Point : Comment avez-vous réagi à la couverture du « Point » du 21 février, en référence à votre tribune parue dans « Le Monde » de janvier 1999 titrée « La nouvelle France moisie ?

Philippe Sollers : La France n’est plus moisie, elle est liquéfiée. Lorsque j’ai écrit ce texte dans Le Monde, il y a tout juste vingt ans, comme vous le soulignez, nous étions à la veille d’un changement d’ère : les attentats du 11 Septembre, l’échec de Jospin à la présidentielle qui annonçait l’effondrement de la gauche… Le Front national était cantonné à Vitrolles et à Marignane, à l’époque. Aujourd’hui, il représente plus de 11 millions de voix. La misère était sous le tapis. Elle ressort aujourd’hui avec une force particulière. Cette misère n’est pas seulement économique et sociale, mais aussi spirituelle. Il y a un profond ennui en France qui explique en partie les gilets jaunes. N’oubliez pas que nous sommes le pays de la Révolution, la seule qui ait existé. La France s’est diluée dans la planétarisation. Que dit l’Eglise catholique ? Elle est obligée de s’occuper de ses homosexuels, si j’en crois un livre qui vient de paraître sur le sujet. Ajoutez à cela un changement de cap de l’Histoire. Le coup d’Etat de Macron, qui commence à être aimé comme Bonaparte puis haï. Voilà l’état des lieux.

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Dans votre texte, vous preniez la défense de Daniel Cohn-Bendit, cible selon vous de « la France moisie ». Vingt ans plus tard, c’est Alain Finkielkraut qui est victime d’insultes antisémites…

Que nous soyons passés d’un anarchiste libertaire à un académicien français, c’est tout dire ! La haine est là. Au vieil antisémitisme français est venu s’ajouter l’islamisme. Marc Weitzmann montre très bien tout ça dans son livre « Un temps pour haïr ».

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Une partie de la gauche n’est-elle pas gangrenée par l’antisémitisme ?

L’antisémitisme de la gauche est ancien. Lisez Proudhon. Mais il n’y a plus de gauche. Bernard Cazeneuve s’émeut : la gauche risque de disparaître. Mais elle a disparu !

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En 1999, le texte « La France moisie » avait été critiqué. Mais on ne vous avait pas menacé dans la rue, non ?

Jean-François Kahn avait lancé une fatwa contre moi. J’attaquais Péguy, rendez-vous compte ! Et je défendais le point de vue libéral-libertaire, quelle horreur ! On m’a même qualifié de maurrassien !

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Etes-vous plus pessimiste qu’il y a vingt ans ?

Le moisi, c’était le bon temps ! On pouvait encore espérer un petit nettoyage.

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La France voltairienne que vous aimez est-elle en train de disparaître ?

Les gens ne lisent plus. Et puis, il y a autre chose : la mémoire s’efface. Ma femme, qui est psychanalyste, me dit que de nombreux patients sont incapables de se remémorer un passage qu’ils viennent de lire. Seul l’immédiat existe encore.

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Alain Juppé quitte la mairie de Bordeaux, ville chère à votre cœur, pour le Conseil constitutionnel. Il dénonce un « esprit public devenu délétère ». Son retrait ne sonne-t-il pas le glas de la modération en politique ?

Juppé a eu une vie politique impitoyable. Récemment, je lui ai écrit pour lui demander s’il avait validé cette histoire de financiers chinois de Hongkong qui ont acheté de grands crus du bordelais pour les rebaptiser « Lapin impérial », « Antilope tibétaine »… Il vient de me répondre. Sa lettre ne manque pas d’humour. Avec lui, c’est une certaine droite qui s’efface. On dit que la droite a gagné la bataille des idées. Il est difficile de trouver un grand intellectuel de droite.

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Philippe Sollers est écrivain. Son nouveau roman, « Le nouveau » (Gallimard, 144 p., 14 €), paraîtra le 7 mars – lire la critique de Jean-Paul Enthoven.


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Il y a vingt ans, « La France moisie »
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Le 28 janvier 1999, l’écrivain publiait dans « Le Monde » une tribune où il fustigeait le retour d’une certaine France. Assurément, pas la sienne. Extrait.

« Elle était là, elle est toujours là, on la sent, peu à peu, remonter en surface : la France moisie est de retour. Elle vient de loin, elle n’a rien compris ni rien appris, son obstination résiste à toutes les leçons de l’Histoire, elle est assise une fois pour toutes dans ses préjugés viscéraux. Elle a son corps, ses mots de passe, ses habitudes, ses réflexes. Elle parle bas dans les salons, les ministères, les commissariats, les usines, à la campagne comme dans les bureaux. Elle a son catalogue de clichés qui finissent par sortir en plein jour, sa voix caractéristique. Des petites phrases arrivent, bien rancies, bien médiocres, des formules de rentier peureux se tenant au chaud d’un ressentiment borné. (…)
(…) La France moisie, rappelez-vous, c’est la force tranquille des villages, la torpeur des provinces, la terre qui, elle, ne ment pas, le mariage conflictuel, mais nécessaire, du clocher et de l’école républicaine. C’est le national social ou le social national. Il y a eu la version familiale Vichy, la cellule Moscou-sur-Seine. On ne s’aime pas, mais on est ensemble. On est avare, soupçonneux, grincheux, mais, de temps en temps, la “Marseillaise” prend à la gorge, on agite le drapeau tricolore. On déteste son voisin comme soi-même, mais on le retrouve volontiers en masse pour des explosions unanimes sans lendemain. (…)
Ce n’est pas sa souveraineté nationale que la France moisie a perdue, mais sa souveraineté spirituelle. Elle a baissé la tête, elle s’est renfrognée, elle se sent coupable et veut à peine en convenir, elle n’aime pas l’innocence, la gratuité, l’improvisation ou le don des langues. (…) »

Le Monde, 28 janvier 1999, repris dans le recueil de Philippe Sollers « Eloge de l’infini » (2001).

Crédit : www.lepoint.fr

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