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De l’avantage d’être en vie

Mathieu Terence

D 23 mai 2017     A par Albert Gauvin - Olivier Rachet - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



De l’avantage d’être en vie
Collection L’Infini, Gallimard
Parution : 06-04-2017


« Une sagesse est à opposer au nihilisme. Une sagesse échappant à ses prédicats morbides, à son hypnose consumériste et à sa dangereuse frustration. On peut aspirer à un savoir universel, à prendre le contre-pied des expertises des spécialistes qui focalisent sur les détails du phénomène au point de lui faire dire l’inverse de ce qu’il accomplit. On peut cultiver son second souffle et rompre son isolement en partageant la joie d’une vie délivrée du conditionnement mélancolique, une vie véridique. On peut célébrer l’avantage d’être en vie. »

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Entretien avec Mathieu Terence


Mathieu Terence.
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De l’avantage d’être en vie (Gallimard) est le dernier essai de Mathieu Terence. Le philosophe nous parle des esprits chagrins, héritiers de la mélancolie qui a saisi l’Occident à partir du XIXe siècle. Les esprits chagrins sont ceux qui se complaisent dans le spleen, fascinés par le génie du malheur. Ils se fardent de cette cosmétique du misérabilisme. Une philosophie de vie à laquelle l’écrivain n’adhère pas. Pourquoi ne pas embrasser la vie avec bonheur ?
Mathieu Terence nous rappelle l’avantage d’être en vie.

Lecthot : Quand avez-vous couché vos pensées philosophiques pour la première fois sur le papier ? Comment avez-vous procédé pour l’écriture de ce livre ?

Mathieu Terence : J’ai commencé à tenir des carnets quand j’avais 12-13 ans, et je n’ai pas cessé depuis. Ce sont ces notes qui initient chacun de mes livres. Mais De l’avantage d’être en vie a eu une genèse particulière. Il a été écrit, à partir de cet « écrit » générique, en deux semaines, entre un Noël et un Jour de l’An bien particuliers pour moi. En reprenant les Diapsamalta de Kierkegaard, j’ai remarqué que la tonalité des notes était, bien que belle, systématiquement mélancolique. J’ai commencé par retourner ces fragments, à la manière d’un Lautréamont, et puis je me suis peu à peu laissé prendre au jeu en rédigeant une sorte de manuel de résurrection spirituelle par temps de mort sophistiquée. 89 épiphanies, considérations et plaisanteries mêlées.

L : Avez-vous déjà été un esprit chagrin ?

M. T. : Oui. Je viens de la mélancolie et du désespoir. Le livre parle d’ailleurs de l’histoire de la mélancolie. Au cours du XIXe siècle, le sentiment de la mélancolie naît dans le monde occidentalisé. Il connaît aujourd’hui son moment globalisé. Il a connu des mutations, qui à la suite du nihilisme totalitaire des camps de la mort puis d’Hiroshima comme possibilité de suicide atomique, ont donné dans les mœurs la déprime sous Prozac ou sous shopping (parfois conjugués) de notre glorieux quotidien… J’ai donc en effet été l’enfant, et plutôt l’ado en réalité, de mon temps. Désabusé, j’ai trop longtemps trouvé la beauté dans ce qui est sombre, l’absolu dans la mort, avec cette impression que l’intensité ne pouvait pas exister en dehors du léthal.
Si je me suis à présent délivré de cela, c’est à la suite d’un saut ichtyen comme l’appelle John Cowper Powys, en dehors de mes déterminations historiques et biographiques. Mon livre est d’ailleurs, je crois, vitaminé d’exemples qui prouvent qu’on n’a pas à paraître pessimiste pour être lucide, sentimentale pour être sensible, désespéré pour être profond. Il tend à démontrer qu’on rentre sans doute dans une autre phase historique et même anthropologique qui fait succéder à « la fin de tout » la fin de la fin. En tous cas c’est mon intuition que je convertis en une espèce de pari pascalien. Chaque début de siècle a son effervescence, conditionnant une possibilité nouvelle. À mon échelle, j’ai essayé d’écrire à la fois, la généalogie puis le règne du nihilisme dans les mentalités, et un bréviaire destiné à proposer un exemple d’évasion de la nasse plaintive et démoralisée de l’individualisme uniformisé.

L : Si vous deviez donner un seul avantage à être en vie, quel serait-il ?

M. T. : Cela peut paraître dérisoire, mais avoir conscience d’être au monde, essayer de déployer cette conscience de l’univers par la connaissance, est pour moi un privilège. Nous sommes les seules créatures à savoir que nous existons, à savoir que nous savons. C’est un vertige qui me semble inexorable. Se savoir infime est la première expérience de l’infini. Voilà tout ce qui éveille ma curiosité, permet mon plaisir, m’incite à la création.

L : Vous avez une manière abrupte de parler des esprits chagrins, qui selon vous sont sujets aux aigreurs de l’amertume. On a l’impression que vous vous adressez directement à eux, avec le désir de les réveiller. Vouliez-vous les bousculer ?

M. T. : C’est vrai qu’il y a un côté immature chez l’esprit chagrin que je m’amuse à raisonner avec une rudesse proportionnelle à sa suffisance, au systématisme de son incitation à la peine. Il est compliqué d’avoir l’air intelligent en faisant preuve de joie. Mais en ne craignant pas de passer pour ce qu’on appelle un « imbécile heureux », il me semble qu’on évite à coup sûr le sort largement plus pathétique de l’imbécile malheureux. Il y a un grand avantage social à se plaindre de l’existence : on passe plus inaperçu, on éveille moins de jalousie, on est admis. La plupart des livres qui paraissent témoignent de cette cosmétique du misérabilisme. Les gens écrivent pour être validés socialement, ce qui est à mon avis un contresens désormais. Le meilleur moyen d’être célébré, c’est d’écrire son petit témoignage sinistré ou sinistrant. On est héroïcisé par la victime — physique, sentimentale, sexuelle, politique — qu’on est. La peine sincère de quelqu’un me touche, mais l’esprit chagrin, c’est la pose avantageuse du malheur. Une désertion et une collaboration avec l’esprit de l’époque. Ma proposition, aux antipodes de l’euphorie crispée comme de son endroit la déprime lymphatique, est une apologie de la vie, de son tragique et de son miracle, de la danse qu’elle peut-être de sa première à sa dernière minute.

Propos recueillis par Marine Rolland Lebrun, lecthot.

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Europe 1 Social Club

Frédéric Taddei, 24/04/17. Extraits.

1. Mathieu Terence

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2. Échange avec Alexandra Laignail-Lavastine qui vient de publier Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir (Ed. du Cerf).

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Entre grâce et nihilisme

par Olivier Rachet

« Mon âme est si lourde que nulle pensée ne peut la porter, que nul essor ne peut l’élever dans l’éther. » C’est par ces mots que s’ouvrent et se ferment – que s’ouvrent en se fermant – les Diapsalmata que rédige Kierkegaard, en 1843. Du nom de ces intermèdes musicaux intercalés dans la lecture des psaumes. Une âme en peine, à l’image de la génération romantique atteinte d’un mal du siècle devenu fer de lance de toute jeunesse ayant substitué à l’ambition de conquérir le monde l’apitoiement de n’en avoir pas la force. Mathieu Térence, dans un essai joyeusement intitulé De l’avantage d’être en vie prend, déterminé, le contre-pied de ces aphorismes et autres pensées de malheur. L’auteur reconnaît avoir privilégié, lors de ses lectures adolescentes, ces chantres du nihilisme que sont Schopenhauer ou Cioran, ces pourfendeurs de la simple joie de vivre, de l’opulence richesse de celui qui sait se contenter non du peu mais du plein logé au cœur même du vide.

Les formes courtes, fragmentaires ont toujours la force d’une démonstration sans équivoque. Non seulement elles font feu de tout bois mais logent leurs flèches acérées dans la noirceur complaisante d’une nature si peu humaine. Il y a du Nietzsche dans cette volonté de savoir et d’accroître en nous la puissance de vie, autre nom pulsionnel de la création ou de la santé maladive. Une lucidité dans la joie, le plus beau des courages dont Joubert disait qu’il était « celui d’être heureux ». Les prophètes de malheur sont légion, les contempteurs de la vie se réjouiront toujours des erreurs qui seront les vôtres. Récitez-vous alors ce mantra sollersien inépuisable : « Je me suis fait un principe de mes erreurs et de ce moment j’ai connu la félicité ».

Je me suis fait un principe de mes erreurs et de ce moment j’ai connu la félicité

De quoi la vie est-elle alors le nom ? Mathieu Térence regarde en direction de son enfance et de son adolescence : du pays Basque à la forêt de Fontainebleau d’où prit naissance une école picturale où l’érotisme était conçu comme un agrément de l’esprit et une récréation du corps. Sans malice aucune, sans esprit de vengeance ou de ressentiment. Je suis un corps érotique sans cesse renaissant, une métamorphose en acte. L’auteur fait signe aussi en direction des cosmogonies d’Hésiode, de Lucrèce et d’Ovide chez lesquels la transformation est l’autre nom de la vie. C’est dans l’acceptation sereine et souveraine à la fois du caractère protéiforme de la vie – et plus généralement de la matière – que réside la clef musicale de la création. Faire de sa vie une œuvre d’art et non une contemplation narcissique et dépressive, marque de fabrique d’une contemporanéité qui a substitué au culte du sensible la croyance dans le progrès technologique et l’asservissement de tout esprit critique. On entend résonner la voix de La Fontaine au détour de ces aphorismes mélodiques délivrés comme un antidote par l’auteur, une voix revêtue d’un nouveau corps amoureux :

« J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout : il n’est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique. »

Olivier Rachet, olrach.overblog, 19 mai.


Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et de sa soeur la duchesse de Villars.
École de Fontainebleau. Musée du Louvre. Zoom : cliquez l’image.
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Mathieu Terence a publié récemment

Le transhumanisme est un intégrisme


Collection Essais
112 pages - oct. 2016

Le transhumanisme a inspiré beaucoup de livres. Pour et contre. Il fallait Mathieu Terence pour en dévoiler l’imposture. Pour en dénoncer l’aberration. Pour démonter ce mythe ultime de la religion du progrès. Avec humour et gravité. Avec style et prophétisme.
Sources, théories, moyens financiers, relais médiatiques, réseaux d’influence : voici, tel qu’en lui-même, le mirage high-tech et mortifère de l’idéologie libérale mondialisée. Car, sous cette fausse promesse de puissance et d’immortalité, se cache la disparition du corps, du visage, de la parole et de tout ce qui confère sa véritable infinité à la finitude humaine.
Cet intégrisme, jusque-là, ne disait pas son nom.
C’est chose faite. Mieux qu’un pamphlet, un bréviaire de résistance.
Écrivain à l’oeuvre déjà forte d’une quinzaine d’ouvrages, saluée par la critique et la presse, Mathieu Terence a été couronné par l’Académie française pour ses nouvelles.

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LIRE AUSSI :
Mathieu Terence, Deux hérauts de notre temps, L’Infini 115, été 2011
Mathieu Terence, La Renaissance, l’inattendue, L’Infini 119, été 2012
Mathieu Terence, Les trois nihilismes, L’Infini 138, hiver 2017.

Fabien Ribery, La pensée de jouvence de M. le béni, fou de joie
BHL, Bonjour, monsieur Terence

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