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Jean Genet sans censure : les Romans et poèmes en Pléiade

Inédits

D 9 juin 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Jean Genet
Romans et poèmes

Édition d’Emmanuelle Lambert et Gilles Philippe
avec la collaboration d’Albert Dichy

Parution le 29 avril 2021
Bibliothèque de la Pléiade, n° 656
Achevé d’imprimer le 15 Mars 2021
1648 pages, rel. Peau, 104 x 169 mm

Prix de lancement 65.00 € jusqu’au 30 09 2021

Ce volume contient

Notre-Dame-des-Fleurs - Miracle de la rose - Pompes funèbres - Querelle de Brest - Poèmes - Journal du voleur - L’Enfant criminel, Fragments - En marge des œuvres de Jean Genet.

Présentation

Après le théâtre de Jean Genet, la Pléiade propose ses romans et ses poèmes. L’écriture de ces textes se concentre sur une période remarquablement brève : six années, de 1942 à 1948. Découvrant Notre-Dame-des-Fleurs en février 1943, Cocteau s’exclame : « c’est le grand événement de l’époque. Il me révolte, me répugne et m’émerveille. » Deux ans plus tard, à la lecture de Pompes funèbres, il y revient : « C’est le génie même. Et d’une liberté si terrible que l’auteur se met hors d’atteinte, assis sur quelque trône du diable dans un ciel vide où les lois humaines ne fonctionnent plus (deviennent comiques). » L’apparition de Genet dans le monde littéraire fait figure de déflagration. Dans son œuvre se donne à voir « l’envers du monde » : un univers, serti dans une langue où se côtoient le langage le plus ordurier et un pur style classique, dans lequel des hommes chargés de crimes aspirent à une certaine sainteté.
La plupart des œuvres inscrites au sommaire du volume étaient connues par la version qu’en proposent les Œuvres complètes de Genet, qui commencent à paraître chez Gallimard en 1951. Mais le texte de ces volumes avait été révisé, soit par Genet, soit avec son assentiment, de manière à atténuer certains éléments sexuels et politiques. La présente édition revient systématiquement au texte des premières publications clandestines. Ces versions n’étaient jusqu’à présent accessibles au grand public que pour Pompes funèbres et pour Querelle de Brest. Ce volume est donc l’occasion d’une redécouverte, spectaculaire et radicale, des œuvres romanesques de Genet.

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Emmanuelle Lambert & Gilles Philippe - "Pléiade" Jean Genet

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Emmanuelle Lambert : «  L’œuvre de Jean Genet vous oblige à chercher qui vous êtes  »

Vendredi 21 Mai 2021

Alain Nicolas

Les poèmes et les romans de l’écrivain paraissent dans la Pléiade dans leur version originale, sous la direction d’Emmanuelle Lambert et Gilles Philippe. Pouvoir les lire tels qu’il les a écrits permet de revivre le choc causé lors de leur irruption en 1940 dans une littérature qu’il allait marquer durablement. Entretien.

Publier dans une collection très patrimoniale la poésie et les ­romans de Jean Genet pourrait acter de l’intégration au panthéon littéraire d’un auteur devenu, à l’époque des gender studies (« études de genre  ») et des études décoloniales, bien inoffensif. Prendre en main ce volume qui rassemble ses premières œuvres, qui ont choqué ou ébloui ses contemporains, c’est au contraire s’exposer à la brutalité de ces textes violents écrits dans une langue d’une beauté peu commune. Emmanuelle Lambert a codirigé avec Gilles Philippe cette édition qui restitue les écrits tels qu’ont pu les recevoir leurs premiers lecteurs. Elle revient sur la rupture qu’a été l’apparition de Genet dans la France des années 1940 et sur l’empreinte de son œuvre chez les créateurs d’aujourd’hui.

Genet est-il un classique  ?

Emmanuelle Lambert  : Si on considère la trace que Genet a laissée chez les autres créateurs, les écrivains et les poètes d’abord, il est incontestablement un classique. La Beat generation américaine s’est emparée du personnage du Journal du voleur. On peut aussi penser au cinéma avec Rainer Werner Fassbinder et Divine, à la poésie et à la chanson avec Patti Smith et Étienne Daho, à la pop culture avec David Bowie, ou encore à un écrivain comme Pierre Guyotat. Il a incendié le XXe siècle.

Genet annonce les mouvements qui redéfinissent les identités sexuelles, mais il les annonce avec beaucoup d’avance.

Il a inspiré des mouvements, des tendances. Ses thématiques ne se sont-elles pas banalisées  ?

Emmanuelle Lambert : Il faut se reporter à l’époque où ses premières œuvres sont écrites, les années 1942-1943. Faire apparaître un personnage comme Divine, un travesti prostitué avec tout l’apparat dont Genet était capable, était d’une audace incroyable. Je ne crois pas qu’il se soit banalisé. Il s’est imposé. Il a fait un geste qui a sidéré ses contemporains, un geste politique. Il ne l’a pas fait dans un but politique  : il ne faut pas faire de Genet le militant des droits des homosexuels qu’il n’était pas. Mais son corps était politique, et la manière dont il l’exposait était nécessairement politique. Mettre sur le devant de la scène, en l’héroïsant, cette sexualité, la vie des travestis, des prostitués, de ceux qu’on peut appeler plus globalement les «  coupables  », car rejetés par la société, était un geste d’une puissance transgressive immense. Il annonce les mouvements qui redéfinissent les identités sexuelles, mais il les annonce avec beaucoup d’avance.

Genet n’est-il pas l’enjeu de luttes territoriales entre ceux qui veulent en faire une icône queer, un objet purement littéraire ou un emblème de toutes les révoltes  ?

Emmanuelle Lambert : Ce que nous avons fait Gilles Philippe et moi était de ne pas le cantonner dans un territoire. Nous avons essayé de comprendre ce que l’apparition de Genet a engendré chez ceux qui l’ont reçu, comme Cocteau, par exemple. Il est très difficile, de toute façon, de l’assigner à une place. L’œuvre de Genet n’est pas univoque. Elle s’accommode avec réticence d’un discours militant qui peut, et doit, pour être efficace, l’être. Lui n’a cessé de se déplacer. Et son œuvre n’a cessé de se déplacer avec lui. Elle réfléchit l’idée même de la place inversée dans la société. C’est celui qui est à l’envers dans la société, et qui le dévoile. Cette œuvre peut se promener partout. Mais il est indéniable que Genet fut décisif pour imposer l’idée même d’une figure homosexuelle dans la littérature. Quand on regarde la réception de Journal du voleur, son dernier roman mais le premier publié officiellement, la critique parle avant tout de l’homosexualité.

Il envoie une sexualité massive, brutale, presque masochiste, et dans une langue d’une beauté et d’une pureté éblouissantes.

LA SUITE DE L’ENTRETIEN DANS L’HUMANITÉ

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Journal du Voleur, 1948, extrait.

Deux photographies de l’identité judiciaire ont été retrouvées. Sur l’une d’elles j’ai seize ou dix-sept ans. Je porte, sous un veston de l’Assistance publique, un chandail déchiré. Mon visage est un ovale, très pur, mon nez est écrasé, aplati par un coup de poing lors d’une bagarre oubliée. Mon regard est blasé, triste et chaleureux, très grave. J’avais une chevelure épaisse et désordonnée. En me voyant à cet âge, mon sentiment s’exprima presque à haute voix :
« Pauvre petit gars, tu as souffert. »
Je parlais avec bonté d’un autre Jean que moi-même. Je souffrais alors d’une laideur que je ne découvre plus dans mon visage d’enfant. Beaucoup d’insolence — j’étais effronté — me faisait aller dans la vie cependant avec aisance. Si j’étais inquiet, il n’en paraissait rien d’abord. Mais au crépuscule, quand j’étais las, ma tête s’inclinait, et je sentais mon regard s’appesantir sur le monde et s’y confondre ou rentrer en moi-même et disparaître, je crois qu’il connaissait ma solitude absolue. Quand j’étais valet de ferme, quand j’étais soldat, quand j’étais au dépôt des Enfants assistés, malgré l’amitié et quelquefois l’affection de mes maîtres, j’étais seul, rigoureusement. La prison m’offrit la première consolation, la première paix, la première confusion amicale : c’était dans l’immonde. Tant de solitude m’avait forcé à faire de moi-même pour moi un compagnon. Envisageant le monde hors de moi, son indéfini, sa confusion plus parfaite encore la nuit, je l’érigeais en divinité dont j’étais non seulement le prétexte chéri, objet de tant de soin et de précaution, choisi et conduit supérieurement encore qu’au travers d’épreuves douloureuses, épuisantes, au bord du désespoir, mais l’unique but de tant d’ouvrages. Et, peu à peu, par une sorte d’opération que je ne puis que mal décrire, sans modifier les dimensions de mon corps mais parce qu’il était plus facile peut-être de contenir une aussi précieuse raison à tant de gloire, c’est en moi que j’établis cette divinité — origine et disposition de moi-même. Je l’avalai. Je lui dédiais des chants que j’inventais. La nuit je sifflais. La mélodie était religieuse. Elle était lente. Le rythme en était un peu lourd. Par lui je croyais me mettre en communication avec Dieu : c’est ce qui se produisait, Dieu n’étant que l’espoir et la ferveur contenus dans mon chant. Par les rues, mes mains dans les poches, la tête penchée ou levée, regardant les maisons ou les arbres, je sifflais mes hymnes maladroits, non joyeux, mais pas tristes non plus, graves. Je découvrais que l’espoir n’est que l’expression qu’on en donne. La protection, de même. Jamais je n’eusse sifflé sur un rythme léger. Je reconnaissais les thèmes religieux : ils créent Vénus, Mercure, ou la Vierge.
Sur la deuxième photo j’ai trente ans. Mon visage s’est durci. Les maxillaires s’accusent. La bouche est amère et méchante. J’ai l’air d’un voyou malgré mes yeux restés très doux. Leur douceur d’ailleurs serait presque indécelable à cause de la fixité que m’imposait le photographe officiel. Par ces deux images je puis retrouver la violence qui alors m’animait : de seize à trente ans, dans les bagnes d’enfants, dans les prisons, dans les bars ce n’est pas l’aventure héroïque que je recherchais, j’y poursuivais mon identification avec les plus beaux et les plus infortunés criminels. Je voulais être la jeune prostituée qui accompagne en Sibérie son amant ou celle qui lui survit afin, non de le venger mais de le pleurer et de magnifier sa mémoire.

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Jean Genet lit un extrait du "Journal du voleur"

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Gallimard, 1949, reproduit dans le catalogue de l’exposition Jean Genet, l’échappée belle, Mucem / Gallimard, 2016, lu par Albert Dichy.
Lecture des textes du catalogue de l’exposition Jean Genet, l’échappée belle par les commissaires de l’exposition, Albert Dichy et Emmanuelle Lambert, et les auteurs Philippe Artières, Patrick Autréaux, Arno Bertina et Sonia Chiambretto,

Lecture organisée avec la librairie du Mucem

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