4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » SUR DES OEUVRES DE TIERS » Le Japon et Fukushima : Paroles d’artistes et Parole politique : la (...)
  • > SUR DES OEUVRES DE TIERS
Le Japon et Fukushima : Paroles d’artistes et Parole politique : la décision de rejet des eaux contaminées à la mer

"Dans l’oeil du désastre. Créer avec Fukushima"

D 18 avril 2021     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


GIF

Dix ans après Fukushima, le Japon annonce qu’il va rejeter les eaux polluées et radioactives dans l’océan Pacifique. Elles sont actuellement stockées dans d’immenses citernes.

Dis ans après Fukushima, Michaël Ferrier a publié en ce début d’année ; un ouvrage collectif qu’il a dirigé : « Dans l’œil du désastre – créer avec Fukushima » qui donne la parole à des artistes japonais de la « génération Fukushima ». Ils disent ce qu’a changé pour eux la catastrophe du 11 mars 2011, aussi bien que, de manière plus large, dans leur façon d’être au monde et de le concevoir. Les entretiens et l’iconographie réunis forment un corpus exceptionnel.

D’une part, le choc du contingent, celui d’un gouvernement japonais, qui ne peut continuer indéfiniment à construire de nouvelles citernes pour y stocker les eaux polluées et radioactives,
D’autre part, le travail de réflexion d’artistes sur leur art impacté par Fukushima, c’est la confrontation que nous vous proposons.

Partie 1 : Le Japon va rejeter l’eau de Fukushima à la mer
Partie 2 ; Extrait du livre de Michaël Ferrier

GIF
PARTIE 1
Le Japon va rejeter l’eau de Fukushima à la mer
GIF
GIF

Le Japon va rejeter à la mer, après traitement, de l’eau issue de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima (nord-est), a annoncé mardi le Premier ministre Yoshihide Suga, malgré l’opposition que rencontre ce projet.

Cette décision met un terme à sept années de débats sur la manière de se débarrasser de l’eau provenant de la pluie, des nappes souterraines ou des injections nécessaires pour refroidir les coeurs des réacteurs nucléaires entrés en fusion après le gigantesque tsunami du 11 mars 2011.

GIF

Environ 1,25 million de tonnes d’eau contaminée stockées

GIF

L’eau sera rejetée «  après s’être assuré qu’elle est à un niveau (de substances radioactives, NDLR) nettement en-dessous des standards de sécurité  », a déclaré M. Suga, ajoutant que le gouvernement japonais prendrait «  des mesures  » pour empêcher que cela ne nuise à la réputation de la région.

Environ 1,25 million de tonnes d’eau contaminée sont actuellement stockées dans plus d’un millier de citernes à proximité de la centrale nucléaire accidentée il y a dix ans dans le nord-est du Japon.
Une décision était d’autant plus urgente que les limites de la capacité de stockage de l’eau sur place pourraient être atteintes dès l’automne 2022.

GIF

Le tritium, une substance radioactive qui ne peut être filtrée

GIF

L’eau destinée à être relâchée dans cette opération, qui devrait prendre plusieurs années, a été filtrée à plusieurs reprises pour être débarrassée de la plupart de ses substances radioactives (radionucléides), mais pas du tritium, lequel ne peut pas être éliminé avec les techniques actuelles.
Cette option, privilégiée au détriment d’autres scénarios, comme une évaporation dans l’air ou un stockage durable, est notamment très contestée par les pêcheurs et les agriculteurs de Fukushima qui redoutent que cela ne dégrade davantage l’image de leurs produits auprès des consommateurs.
«  La gestion de l’eau contaminée est une question qu’on ne peut pas éviter  » dans la reconstruction à Fukushima, avait déclaré M. Suga la semaine dernière après sa rencontre avec le dirigeant de la Fédération des coopératives de pêche du Japon, vent debout contre le projet.

GIF

Une «  décision complètement injustifiée  » fustige Greenpeace

GIF

Le gouvernement «  nous a dit qu’il ne rejetterait pas l’eau (à la mer, NDLR) sans l’adhésion des pêcheurs  », a déclaré mardi Kanji Tachiya, responsable d’une coopérative locale de pêche à Fukushima, juste avant l’annonce de la décision.
«  Maintenant, ils reviennent là-dessus et nous disent qu’ils vont rejeter l’eau, c’est incompréhensible  », a-t-il ajouté.
«  Le gouvernement japonais a une fois de plus laissé tomber les gens de Fukushima  », a réagi mardi Greenpeace, fustigeant une «  décision complètement injustifiée de contaminer délibérément l’océan Pacifique avec des résidus nucléaires  ».
L’organisation environnementale a répété son appel à poursuivre le stockage de l’eau jusqu’à ce que la technologie permette de la décontaminer complètement.

GIF

Soutien américain

GIF

Début 2020, des experts commissionnés par le gouvernement avaient recommandé le rejet en mer, une pratique déjà existante au Japon et à l’étranger sur des installations nucléaires en activité.

«  Il y a un consensus parmi les scientifiques sur le fait que l’impact sur la santé (d’un rejet en mer de l’eau tritiée, NDLR) est minuscule  », a déclaré à l’AFP Michiaki Kai, professeur et expert des risques des radiations à l’université des sciences de la santé d’Oita (sud-ouest du Japon).

L’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) plaide aussi pour l’option d’une dilution en mer.

«  Nous prenons la décision (du gouvernement) au sérieux  », a déclaré mardi Tomoaki Kobayakawa, le patron de Tepco, s’engageant à prendre «  des mesures pour empêcher que des rumeurs néfastes ne circulent  » à l’encontre de l’agriculture, des forêts, de la pêche et du tourisme locaux.

Les voisins du Japon, avec qui Tokyo entretient des relations houleuses sur fond de contentieux historiques, ont manifesté leur mécontentement.

La Chine a qualifié mardi «  d’extrêmement irresponsable  » l’approche du Japon qui «  va gravement nuire à la santé et à la sûreté publiques dans le monde, ainsi qu’aux intérêts vitaux des pays voisins  ».

La Corée du Sud a exprimé de «  vifs regrets  » après cette décision qui représente «  un risque pour l’environnement maritime  ».

Le gouvernement américain, allié de Tokyo, a cependant exprimé son soutien à l’opération, notant que le Japon avait «  pesé les options et les effets, avait été transparent dans sa décision et sembl (ait) avoir adopté une approche en accord avec les normes de sûreté nucléaire internationalement reconnues  ».

Crédit : Ouest France

GIF

PARTIE 2
Paroles d’artistes : Extraits du livre de Michaël Ferrier
GIF

Couverture : Ohmaki Shinji, Liminal Air – Black Weight, 2012. Cordes de nylon. Photo Nagare Satos.
GIF

Table des matières


ZOOM : cliquer l’image
GIF

ZOOM : cliquer l’image
GIF

La préface de Michaël Ferrier

PREFACE

LES ARTISTES SONT L’ŒIL DU CYCLONE
MICHAËL FERRIER

Vendredi 11 mars 2011, en début d’après-midi, la vibration des fenêtres. Dans quelques instants, un séisme de magnitude 9,1 - l’un des plus forts jamais enregistrés depuis que les instruments de mesure modernes existent - va ébranler le Japon de manière dévastatrice, suivi d’un tsunami pouvant dépasser les 30 mètres, s’infiltrant jusqu’à une dizaine de kilomètres à l’intérieur des terres, saccageant tout sur son passage : en quelques minutes, c’est tout un pays ; le Tôhoku (Nord-Est), qui est ravagé, et notamment les trois préfectures de Fukushima, d’Iwate et de Miyagi. Infrastructures, habitations, populations, tout est noyé, balayé, emporté. Enfin, une catastrophe nucléaire déchaînée - quatre explosions dans la centrale, trois fusions de cœurs - qui provoque des rejets radioactifs extrêmement importants, dans l’air, dans la terre et dans la mer, semant la panique jusqu’au plus haut sommet de l’État.

Six cents kilomètres de côtes ravagées, des centaines de milliers de personnes évacuées ou fuyant le pays (le plus grand exode de populations depuis la Seconde Guerre mondiale), et plus de dix-huit mille morts : les pertes humaines sont lourdes, le bilan économique désastreux. C’est le séisme le plus onéreux de l’Histoire. Mais la destruction des écoles, des commerces, des logements, des industries, la dévastation des terres arables et des fermes aquatiques, tout cela n’est rien encore : malgré les sacrifices immenses consentis, toute une partie de la région vit encore aujourd’hui dans la hantise de ce qu’on peut appeler une véritable lèpre radioactive, qui crée des dommages à proprement parler incalculables, à la fois invisibles et irréversibles. L’événement que nous nommons « Fukushima » - et que les Japonais appellent le plus souvent le « 11 Mars », désignation dans laquelle le séisme et le tsunami gardent toute leur place, accompagnés d’une catastrophe nucléaire qui n’est toujours pas terminée [1] - a profondément secoué l’archipel japonais et continue d’y imprimer sa marque de manière tangible aussi bien que pernicieuse, spectaculaire et imperceptible.

Aujourd’hui, des murs de béton de 14 mètres de haut censés résister à d’autres tsunamis défigurent le littoral sur plus de 400 kilomètres [2]. Pendant ce temps, des centaines de milliers de tonnes d’eau contaminée, issues des circuits de refroidissement d’une centrale toujours incandescente, continuent de s’accumuler sur le site en voie de saturation, que le gouvernement prévoit de rejeter à la mer un jour ou l’autre, toute honte bue, au grand dam des défenseurs de la nature mais aussi des professionnels du tourisme et de la pêche. De gros sacs noirs remplis de terre radioactive ponctuent le paysage du Tôhoku, lui donnant un aspect sinistre et menaçant. Dix ans après, plus de quarante mille réfugiés du nucléaire ne peuvent ou ne veulent toujours pas rentrer chez eux. La décontamination est un chantier sans fin, à la fois limité géographiquement (on ne peut décontaminer la mer ni les forêts) et interminable dans le temps. Enfin, malgré les mesures sanitaires et les efforts des agriculteurs, le riz, le poisson et les légumes de Fukushima suscitent toujours auprès des consommateurs une grande suspicion : le mal est fait.

Devant ce désastre, le monde de l’art a d’abord semblé tétanisé. Confusion, désarroi, sidération : les artistes que nous avons interrogés témoignent presque tous du sentiment d’ impuissance totale », ( ) qu’a d’abord provoqué cette catastrophe à la fois classique (s éisme, tsunami) et inhabituelle (nucléaire). Mais après les premiers moments de chaos sont apparus progressivement de multiples signes de résistance et de renouveau. De ce point de vue, les entretiens réunis ici forment un corpus exceptionnel : pour la première fois, des artistes japonais de renommée internationale entrent en dialogue avec des artistes et des chercheurs français, dans leur langue ou dans la nôtre, et disent ce qu’a changé pour eux l’événement du 11 mars 2011, aussi bien dans leur pratique artistique que, de manière plus large, dans ce qu’ils perçoivent de la société japonaise. Ce livre suit deux grands principes : d’abord il ne s’intéresse qu’à des artistes visuels, parce que le : sujet de la représentation littéraire ou de la compréhension philosophique de « Fukushima » - qui appellera d’autres développements - a déjà été traité par ailleurs [3], et parce que cette catastrophe, dont une composante essentielle est désormais la contamination radioactive, pose de manière cruciale le problème de sa visibilité. Dès lors, la catégorie « artistes visuels » est une expression commode pour désigner des personnes travaillant tour à tour - et parfois en même temps - dans des domaines aussi variés que la peinture, la sculpture cinéma, la vidéo ou la photographie, les installations, la performance artistique et même le théâtre, tous ayant affaire, sur des supports variés et de manière parfois très différente, au problème toujours central de la représentation (représentation artistique, cinématographique, photographique, théâtrale). Sans prétendre à l’exhaustivité, l’ensemble que nous présentons aujourd’hui donne à voir et à entendre, avec une acuité et dans une extension inédites jusqu’à présent, ceux que l’on nomme parfois les artistes de « la génération Fukushima ».

Le deuxième principe est de laisser la parole aux artistes eux-mêmes : il s’agit de réfléchir à partir d’exemples concrets, et en tendant l’oreille aux créateurs, sur ce que Fukushima fait au monde de l’art et, par-delà, au monde lui-même. Notre livre s’ouvre donc avec dix artistes japonais (« Paroles d’artistes », interrogés par Amandine Davre, Clélia Zernik et moi-même. Venus d’horizons variés (Tokyo, Niigata, Gifu, Osaka,Tolède, Kawasaki, Hyôgo, Fukuoka), ayant vécu à l’étranger ou bien au contraire n’ayant jamais quitté le Japon, travaillant avec des techniques et des matériaux très divers, ces artistes offrent une palette relativement large d’opinions et de sensibilités qui aident à comprendre la complexité du phénomène, mais aussi l’ampleur des transformations qu’il a suscitées ou qu’il a accélérées. Pour mieux les mesurer, nous y avons adjoint un entretien avec un célèbre critique d’art japonais, Sawaragi Noi, « Du monde flottant au monde tremblant », qui permet de saisir Fukushima dans son optique propre et non uniquement à partir d’une perspective française, européenne ou occidentale.

Une série de photographes s’interroge ensuite sur les différents moyens possibles pour « donner à voir Fukushima », entre les « exercices de soustraction » de Thierry Girard, les « ratages » (splendides) de Minato Chihiro et les « chronoradiogrammes » d’Hélène Lucien et Marc Pallain, qui entendent chacun à leur manière « révéler l’invisible » de la catastrophe ou, à tout le moins, en trouver un équivalent photographique (« Paroles de photographes »). Les mêmes questions se retrouvent posées par des cinéastes (« Paroles de cinéastes »)  : qu’ils soient documentaristes (Gil Rabier, Claude-Julie Parisot, Watanabe Kenichi), ou à mi-chemin entre le documentaire etla fiction (Suwa Nobuhiro, interrogé par Élise Domenach [4]), tous oscillent significativement entre le désir de « Filmer Fukushima » et le constat - tout à la fois impossible et stimulant - qu’il faut apprendre à « Filmer ce qu’on ne peut pas filmer ».

Enfin, la dernière partie aborde un domaine trop peu mis en valeur : celui de la représentation de Fukushima au théâtre (« Paroles de dramaturges »). En quoi l’accident nucléaire de Fukushima renouvelle-t-il la lecture des mythes et dialogue-t-il à distance avec les Tragiques grecs ? Comment les dramaturgies contemporaines peuvent-elles nous aider à comprendre les catastrophes et particulièrement ce qui se passe à Fukushima ? De quelle manière, à quelles conditions et dans quelles limites le théâtre d’aujourd’hui peut-il être un théâtre politique ? Brigitte Mounier (Compagnie des Mers du Nord), Jacques Kraemer (Compagnie Jacques Kraemer, questionné par Bénédicte Gorrillot), Yoann Moreau (Compagnie Jours Tranquilles) et Bruno Meyssat (Compagnies Théâtres du Shaman), qui ont tous quatre proposé des représentations de Fukushima sur des scènes variées (Avignon, Lausanne, Montreuil, Paris ... ), rappellent la place centrale du théâtre dans la réflexion sur les rapports entre l’art et la démocratie.

Pour conclure, le philosophe Hervé Couchot propose un court essai sur ce qu’il nomme « l’inesthétique » de Fukushima’ : dépassant la seule problématique de la représentation de l’invisible (qui, pour importante qu’elle soit, n’est pas la seule ni peut-être la plus féconde pour parler de Fukushima), il en vient à questionner le rôle du spectateur et le statut même de l’œuvre d’art au temps de Fukushima : « qu’est-ce qu’une œuvre d’art imprésentable et qui ne peut être vue par personne du point de vue des conditions de possibilité d’une esthétique ? Peut-elle être encore qualifiée d’ œuvre d’art ? »

Tels sont les questionnements parfois vertigineux auxquels nous conduit « Fukushima ». Les artistes sont, on le sait, des sismographes particulièrement sensibles : face à la triple catastrophe de Fukushima, ils jouent résolument avec d’anciennes frontières, qu’ils contribuent à remettre en question, de vieilles oppositions binaires qui structurent encore trop souvent notre horizon épistémologique, entre la documentation et la fiction, le travail personnel et l’action collective, le domaine artistique et le champ scientifique. Cette interrogation sur les valeurs et les usages de l’art, et sa place dans un monde de plus en plus « catastrophé », fait écho à des questions qui travaillent le contemporain bien au-delà des frontières de l’art, et que vient de poser à nouveau la pandémie de Covid-19 : celles de l’expertise scientifique, du diagnostic médical ou de la représentation politique par exemple. Entre la repolitisation de la sphère artistique (partielle, variable, mais indéniable), ses nouveaux modes de narration ou d’exhibition, sans oublier ses modalités de financement, en lien avec sa lutte renouvelée contre les différentes formes de censure qui font apparaître des modèles alternatifs (financement participatif, artiste-curateur, artiste-entrepreneur, artiste-chercheur, artiste-éducateur), elles nous invitent à penser l’art au niveau de sa création mais aussi de sa diffusion et de son exposition, étranges termes polysémiques, pouvant renvoyer aussi bien à l’art qu’à la radioactivité, et à repenser à la fois ses modalités de présentation, de circulation et de participation.

Une dernière remarque, mais non la moindre : insistons pour finir sur la beauté de nombre de ces œuvres, dont on pourra se faire une idée grâce aux 125 illustrations que nous proposons dans ces pages. C’est un grand herbier d’images, qui suscite à la fois la réflexion et la délectation. Qui a vécu dans les régions tropicales le sait : il existe, au cœur des pires cyclones, une zone de vents calmes et de temps éclatant, troublée occasionnellement par quelques rafales, mais où il n’y a pas de précipitations et où le ciel bleu est visible à travers le voile radieux des nuages. Phénomène singulier : on l’appelle l’ œil du cyclone. Les artistes sont l’oeil du cyclone. Vents violents, pluies torrentielles, vagues dévastatrices se déchaînent tout autour : ils restent calmes dans la tourmente et font apparaître, au centre de la circulation cyclonique, une zone provisoire de discernement et d’émerveillement, d’autant plus délicate qu’elle est fragile, d’autant plus précieuse qu’elle est précaire.

Michaël Ferrier

Éditions Thierry Marchaisse : www.editions-marchaisse.fr

Entretien de Michaël Ferrier avec le groupe Gaijin San

Extraits du livre ponctués d’extraits d’entretien avec le groupe Gaijin San, basé au Japon :
Dans cet épisode « Gaiden numéro 4 », le groupe reçoit Michaël Ferrier, écrivain et professeur à l’université Chuo de Tokyo.

À l’occasion des dix ans de la catastrophe nucléaire de Fukushima, il nous en parle à travers son livre d’entretiens d’artistes japonais et français qui disent comment l’événement a influencé leur art.
L’équipe Gaijin San : Vincent (@Vince_Tokyo), Emilie (@EMontessus) et Nicolas (@Ryo_Saeba_3).

Podcast Gaijin San : Introduction

GIF

Le Clou qui dépasse. Entretien avec Chim-Pom


Les six membres de Chim-Pom, 2019 . © Chim-Pom. Photo : Yamaguchi Seiha
ZOOM : cliquer l’image

Podcast Gaijin San : Michaël Ferrier à propos de Chim-Pom

GIF

L’art peut sauver le monde. Entretien avec Kawakubo Yoi

GIF

Le tremblement des valeurs. Entretien avec Ohmaki Shinji


OHMAKI SHINJI. Echoes Re-crystallization, 2012. Poudre de cristal, correcteur blanc, marbre. Photo : Nagare Ken, Museum of Fine Arts, Gifu.
ZOOM : cliquer l’image
GIF
Né dans la préfecture de Gifu en 1971 dans une famille de marchands de textiles, Ohmaki Shinji a étudié la sculpture à l’université des arts de Tokyo (Geidai), où il est désormais maître de conférences dans le département de sculpture. Après avoir été sélectionné en l’an 2000 pour exposer son travail Opened Eyes Closed Eyes (Les yeux ouverts, les yeux fermés), à l’exposition publique du gouvernement métropolitain de Tokyo (Tokyo Wonder Wall, 2000), Ohmaki a multiplié les expositions personnelles à travers le Japon et à l’étranger. Que ce soit sous la forme d’installations, de peintures ou de sculptures, ses œuvres ont pour ambition de remettre en question les perceptions de l’espace et de la beauté. Ohmaki a reçu de nombreux prix comme, en 2015, le Grand Prix Enku ou, en 2017, le prestigieux prix Takashimaya, qui récornpense « l’artiste qui représente le plus haut niveau de l’ art et du design japonais ».

Depuis la catastrophe de 2011, et à cause d’elle, il a quitté Tokyo et vit désormais dans la ville côtière de Miura, à deux heures au sud de la capitale, dans une maison située juste en face d’un port de pêche, qu’il a constrite lui-même avec l’aide d’un artisan charpentier traditionnel japonais.

Michaël Ferrier

Podcast Gaijin San ! Michaël Ferrier à propos de Ohmaki Shinji

GIF

OHMAKI SHINZI, Liminal Air – Space-Time, 2015. Tissu, ventilateur, lumière.
Photo : Shinji Ohmari Studio
Exposition Simple Forms : Contemplating Beauty, Musée d’Art Mori, Tokyo
ZOOM : cliquer l’image
GIF

CLÉLIA ZERNIK  : Je crois savoir que vous avez arrêté de travailler pendant un petit moment en 2011, au moment de la catastrophe de Fukushima. Avec recul, avez-vous l’impression qu’il y a eu un vrai changement dans votre pratique artistique à la suite de cet événement ?

Une dérive, ou une transformation ?

OHMAKI SHINJI : Juste après le 11 Mars, je ne pouvais plus créer aucune œuvre. Je me suis demandé ce que je pourrais faire et aussi pourquoi le faire : en effet avec le tremblement de terre, le paysage créé par les hommes avait été dévasté, réduit à néant en un seul instant. Selon moi, un acte créateur a toujours un rapport avec le fait de se battre contre la nature pour laisser une trace éternelle et, peut même être un moyen de célébrer la sagesse des hommes. C’est cette croyance qui s’est effondrée le 11 Mars, et qui m’a laissé dans un état de grande incrédulité. Avec Fukushima, j’ai tout de suite senti que quelque chose de précieux avait été détruit, et que nous aurions désormais à reconstruire nos propres valeurs. Tout le monde était concerné : pourquoi vivre et pourquoi travailler, pourquoi créer, il fallait à nouveau se poser toutes ces questions.

J’avais une exposition à faire au musée en plein air de Hakone [5] et pendant six mois j’ai pensé à la manière dont je pouvais faire face à cet événement. Avant Fukushima, je pensais toujours à la question de la mort, parce que je pensais que dans l’architecture du monde actuel, la mort était devenue invisible : nous avions perdu la conscience de la mort. Avant Fukushima, je pensais que les hommes mouraient, que les choses mouraient, que l’espace mourait. Mais après Fukushima, je me suis aperçu que la réalité était bien différente : tout ce en quoi nous avions cru n’était pas vrai, la situation était complètement bouleversée. J’ai donc ressenti le besoin de m’interroger à nouveau sur la mort. L’espace par exemple ne meurt pas, il revient à la nature. J’ai ainsi été amené à une nouvelle approche de la mort, une nouvelle manière de la regarder : la mort n’est pas simplement une destruction, un moment où l’on passe de quelque chose à rien, mais un processus circulaire, où quelque chose peut renaître et créer un monde nouveau.

J’ai donc créé trois œuvres pour le musée de Hakone, trois installations [6]. Et cette nouvelle approche de la mort s’est incarnée dans l’œuvre qui s’appelle Echoes-Re-crystallization [7], où le spectateur peut voir des choses mortes ressuscitées par la lumière.

La deuxième, c’est une évocation de la pluie noire, avec Black Weight [8]. C’est une œuvre faite de cordes noires, où j’ai essayé de capturer l’ombre comme une substance : un travail qui visualise la relation entre une masse d’ombre dans l’espace et les spectateurs qui passent dans cette ombre comme des silhouettes, et font ainsi l’expérience personnelle de la pression qu’elle exerce et de la force de la gravité.
Enfin, troisième étape, la plus importante pour moi, c’est Liminal Air - Space-Time  [9], pour montrer comment une étoffe peut être vue de différentes manières : un tissu monte et il descend, il peut aussi s’arrêter et retomber d’un seul coup, en fonction du ventilateur, provoquant une fluctuation des frontières qui divisent l’espace. Lorsque les gens regardent le tissu, ils peuvent être surpris par ses mouvements, qui vont à l’encontre de leurs attentes car il ne bouge pas en fonction de la gravité. Peut-être que certaines personnes auront l’impression que le temps passe vite et d’autres, au contraire, qu’il ralentit. Elles vont expérimenter des contradictions par rapport à leurs attentes, certaines de leurs notions, établies à partir de la gravité, seront ébranlées. En perturbant les sensations, j’espère rendre le spectateur plus sensible, à travers son propre corps, aux domaines du temps et de l’espace, et à la manière dont certaines valeurs peuvent être décomposées et recréées.

Au Japon, il y a eu le mouvement Mono-ha [10]• Les gens de Mono-ha voulaient regarder les choses d’une manière différente, mais moi je voudrais les regarder d’une autre manière encore : les choses peuvent toujours apparaître autrement.

MONO-HA ET MUJÔ
DU MATERIALISME A L’IMPERMANCE

CLÉLIA ZERNIK Pouvez-vous préciser, par rapport au Mono-ha ?

OHMAKI SHINJI  : Oui, je vais un peu préciser ce qui me différencie de Mono-ha. Les gens de Mono-ha vivaient dans une époque d’abondance : ils héritent d’une période assez riche du Japon, sur le plan économique, et ils travaillent sur la valeur des choses, avec humour et de manière très intéressante. Ils essaient de transformer la matière mais en gardant la matérialité des choses. Quant à moi, j’ai pris conscience que je ne peux pas faire confiance aux choses. Soudain, la chose n’est plus la chose, on ne peut pas l’attraper, avoir de prise sur elle : son existence est changeante, elle peut même être remise en question. Le papier n’est plus le papier, il peut être changé par la lumière par exemple : la dimension spatiale, la dimension temporelle, la matière elle-même peuvent être transformées. C’est sur ce point que je me différencie de Mono-ha.

CLÉLIA ZERNIK : C’est une vraie remise en question de la matière, ce n’est pas simplement une modification du rapport que nous avons avec les objets.

OHMAKI SHINJI  : Pour Mono-ha, la matière, les choses ne disparaissent jamais. Elles peuvent changer mais elles ne disparaissent pas. Pour moi, elles peuvent disparaître.

CLÉLIA ZERNIK On est dans l’évanouissement effectivement.

OHMAKI SHINJI J’ai la notion de mujô (l’impermanence) [11], que les Mono-ha n’ont pas. Dans mes œuvres, la matière peut changer entièrement, et les relations entre ces différents états de la matière sont complexes. Il y a des rapports inexplicables, des transformations des transmutations…

GIF

OHMAKI SHINJI, ECHOES / INFINITY MOMENT AND ETERNITY, 2016, 1900 X 2185 X 420 CM,
PHOTO : ITO TETSUO COMITÉ D’ORGANISATION DE LA TRIENNALE D’AICHI 2016, MUSÉE PRÉFECTORAL D’ART D’AICHI

ZOOM : cliquer l’image
GIF

Pour les Mono-ha, les choses sont matière, matériau. Pour moi, les choses sont existence [12]. On le comprend tout de suite quand on voit les œuvres de Suga Kishio [13]. Pour les Mono-ha d’aujour d’hui, les choses sont toujours des matériaux : par exemple, quand un arbre devient· une table, pourmoi, c’est une perte.

CLELIA ZERNIK  : Et cette idée de perte, d’ évanouissement qu’on voit dans vos œuvres, est-ce qu’elle est proprement liée à l’expérience du 11 Mars ?
OHMAKI SHINJI  : Oui, indéniablement. Avant Fukushima, la notion de mujô comptait déjà beaucoup pour moi. Depuis très longtemps, depuis que je suis entré à l’université et que j’ai commencé mes sculptures, mes recherches s’orientaient en ce sens. On le voit dans mon installation Echoes-Infinity [14] (2002) par exemple, où avec le temps, les fleurs s’estompent et disparaissent, comme les humains, comme toute chose vivante.
Mais après Fukushima, la notion de mujô est devenue plus forte. Je l’ai vécu comme un effondrement et la notion de perte est devenue très importante pour moi. Ce désastre n’est pas l’ œuvre du ciel, c’est l’ œuvre de l’homme. En 2010 déjà, j’avais fait cette expérience à cause de la reconstruction de la ville : l’endroit où j’avais habité pendant longtemps avait disparu. À ce moment, j’ai pris conscience que les hommes peuvent refouler ou même effacer leur propre mémoire.
CLÉLIA ZERNIK : La question de destruction/reconstruction est très présente dans l’histoire du Japon.

Plutôt que de Mono-ha, est-ce que vous vous rapprocheriez alors davantage de l’ukiyo-e, le monde flottant ? Ce monde flottant, qui était aussi très imprégné du sentiment de la fugacité des choses...

OHMAKI SHINJI  : Quand vous me parlez de monde flottant, je pense tout de suite à l’architecture japonaise : par exemple le sanctuaire d’Ise, qui est rebâti tous les vingt ans. Dans mon propre pays natal, Gifu, il y a la ville de Shirakawa : c’est une région où il neige beaucoup, et les matériaux des toits sont donc changés chaque année. À l’origine, ce lien entre la nature et l’être humain était très présent dans la vie de tous les jours. J’avais cette sensation dans l’enfance, mais elle s’est perdue à l’université, au moment où les activités sociales prennent le dessus sur tout ! Mais je m’en sens toujours très proche : de temps en temps, cette conscience de l’enfance devient plus claire et je sens que le sentiment japonais est plus proche de la menace de la nature que de l’ ukiyo-e.

[…]

TECTONICS

GIF

OHMAKI SHINJI, Flotage, 2015, sérigraphie sur acrylique, exposition solo TECTONICS. MIND SET ART CENTER TAIPEI
ZOOM : cliquer l’image
GIF

OHMAKI SHINJI  : Dans Tectonics, j’ai pour ainsi dire essayé de réaliser une « structure interne ». Dans les profondeurs de la terre, sur tous les continents, les plaques tectoniques se heurtent et se mélangent pour créer une nouvelle carte, un peu comme dans un puzzle, ou dans un Rubik’s Cube, mais de manière plus compliquée De la même façon, des cubes bougent à l’intérieur d l’être humain, dans la multitude de nos scènes intérieures, à une vitesse de plus en plus grande : ces heurts entraînent des changements, des mélanges ou des développements fondamentaux de la conscience. Ils révèlent aussi notre isolement ou nos limites. Ce n’est pas seulement une question d’ omote et ura[17], l’endroit et l’envers, c’est une question de structure. Pour moi, le mot « structure » convient mieux que le mot « strate ». C’est ce point de vue structurel que j’ai voulu atteindre avec Tectonics. J’ ai voulu créer la carte d’aujourd’hui.

A bien y réfléchir, c’est le cas du Japon mais aussi de l’Asie. Aux Philippines par exemple, il y avait une structure proprement asiatique mais après la guerre, elle s’est progressivement aplatie et a disparu. La cuisine philippine traditionnelle a ainsi été complètement .anéantie. Si vous demandez ce qu’est la cuisine nationale, tout le monde va répondre la cuisine espagnole. Et si vous voulez acheter un vêtement traditionnel, il faut aller le chercher chez les peuplades des montagnes, on ne peut pas en acheter en ville. Au Japon également, lamentalité japonaise s’est occidentalisée. Par exemple, les codes de politesse ne sont plus respectés à cause de la globalisation. On continue à utiliser des expressions comme « Utsukushi Nihon  » : « le beau pays Japon » - 1, mais ce ne sont plus que des mots, la réalité n’existe plus. J’exprime là un regret spirituel. Avec l’occidentalisation, la globalisation qui avance... comment dire ? C’est la richesse du monde qui s’effondre. En Europe, on a gardé dans une certaine mesure une structure historique : tout le monde habite dans un espace historique, même si cela comporte des inconvénients. Mais au Japon, à cause de la guerre et pour des raisons économiques, on a progressivement abandonné cet espace : la beauté, la vertu, le sens esthétique du Japon, nous en avons perdu conscience, et c’est à mon sens la chose plus regrettable.
[…]

GIF

OHMAKI SHINJI, MEMORIAL REBIRTH 2011 Photo : Sato Akira Contemporary Art Center, Art Tower Moto
ZOOM : cliquer l’image
GIF


OHMAKI SHINJI : Pour le projet de bulles de savon de Kesennuma, Memorial Rebirth [15] : à l’origine, c’est une entreprise de recyclage qui a vendu des poubelles et gagné de l’argent grâce au tremblement de terre, qui m’a sollicité en 2015. Je me sentais un peu coupable, j’ai donc voulu encore une fois m’associer à la communauté : j’ai proposé l’idée de Memorial Rebirth, une collaboration avec les écoles et les gens du coin, ceux qui participaient à la reconstruction, sur les lieux mêmes des logements temporaires qui abritaient les réfugiés. On se réunissait autour d’un verre et j’écoutais les histoires variées qu’ils avaient à raconter. J’ai beaucoup appris de cette expérience. J’ai mené ce projet à bien en plusieurs endroits : cette année, j’avais l’intention de le faire à Kamaishi[21], mais beaucoup d’amuseurs de la télévision sont venus participer, des chanteurs, etc. Le projet est devenu très différent et j’ai pensé qu’il valait mieux arrêter. Mon but n’était pas de faire du divertissement, mais de collaborer gratuitement avec les habitants.

Comme je vous l’ai dit, juste après le 11 mars 2011, je ne pouvais plus rien créer, je me sentais perdu et j’ai beaucoup réfléchi pour l’exposition du musée en plein air de Hakone. Je voulais faire quelque chose de nouveau, mais les idées ne venaient pas. Je ne cessais d’y penser. C’est alors que j’ai entendu parler d’un bâtiment qui avait une forme ronde, comme un ventre maternel, mais qui comprenait aussi un accès à l’extérieur. Je m’y suis rendu plusieurs fois : le matin comme le soir, une lumière très vive y entrait à Bots. J’ai trouvé que cela faisait ressortir les ombres et j’ai été très impressionné par ce contraste : il en émanait une force sombre, invisible. Je me-suis dit que c’était ce genre d’œuvre qu’il fallait faire. C’est ce qui m’a donné l’idée des cordes de nylon noires dans Black Weight. Elles incarnent l’idée qu’on peut aller dans un espace mort, passer au-delà et revivre. Le fait qu’il y avait aussi un accès à l’ extérieur a également beaucoup compté. Dans ce bâtiment, me suis-je dit, l’espace se présente à la fois comme une mobilisation de la mort et de la vie : en le parcourant, on meurt et on revient, on expérimente un passage entre le monde d’ici-bas et le monde de l’au-delà. C’est cette structure de l’espace qu’il me fallait retrouver.

[…]

CLELIA ZERNIK : Une dernière question : auriez-vous un souvenir personnel, quand vous pensez à Fukushima, quelque chose qui reste, pas forcément traumatique d’ailleurs, une sorte d’’image qui s’associe au tremblement de terre.

OHMAKI SHINJI  : Une image ? Une image qui revient dans ma tête. Je n’ai pas d’image bien arrêtée du tremblement de terre mais je ressens plutôt le tremblement denos propres valeurs. Quand j’ai subi ce tremblement de terre, j’étais dans un bâtiment très haut et j’ai essayé de transporter mes œuvres dans ce bâtiment, mais ça tremblait énormément ! Ce n’est pas très clair, mais je sens que j’ai gardé quelque chose de cette expérience, quelqne chose en rapport avec le tremblement des valeurs elles-mêmes,

Entretien réalisé par Clélia Zernik.
Traduit du japonais et annoté par Michaël Ferrier.

Eloge de la cellule. Entretien avec Nawa Kôhei


NAWA KÔHEY, PIXEL DOUBLE DEER, Installation
Exposition Kôhey Nawa / Trans, Cheongdam, Séoul, 2012
Courtesy of Arario Gallery (Séoul) and Scai The Bathouse
ZOOM : cliquer l’image
GIF

GIF

NAWA KÔHEY FOAM, 2018, INSTALLATION
Photo : Omote Nobutada | Sandwich
Exposition Fukami – une plongée dans l’esthétique japonaise
Courtesy of Hôtel Salomon de Rotschild. Paris
ZOOM : cliquer l’image
GIF
GIF

Retour dans les lieux avec Michaël Ferrier

GIF

KAWABUBO YOI, IF THE RADIANCE OF A THOUSAND SUNS WERE TO BURST AT ONCE IN THE SKY IV. Film argentique irradié par des sols contaminés, 2019 © Kawakubo Yoi
ZOOM : cliquer l’image
GIF

LA LUMIERE DE MILLE SOLEILS

AMANDINE DAVRE  : Quel message souhaitez-vous transmettrre au public avec cette série de photographies impressionnées par la radioactivité, s’il en existe un ?

KAWABUBO YOI : Le titre de ces photographies, If the radiance of a thousand suns were to burst at once into the sky (« Si la lumière de mille soleils devait exploser d’un seul coup dans le ciel), provient du commentaire du physicien américain. Robert Oppenheimer, également connu sous le nom du père de la bombe atomique », qui a dirigé le projet Manhattan, après le succès du premier test atomique dans le Nouveau-Mexique.. Cette phrase prononcée par Oppenheimer fait référence à une citation tirée d’un passage prophétique de l’Ecriture sanskrite Bhagavad-Gita.
Avec cette série, je souhaitais que les gens prennent conscience des dangers de se prendre pour Dieu pour un mode d’énergie plus « efficace », qui pourrait changer le cours de l’histoire humaine. En effet, la radiation nucléaire affecte directement nos gènes, les modifiant d’une manière jamais expérimentée par l’être humain. Je souhaite que cette notion ne soit pas délivrée de manière journalistique, qui peut être facilement absorbée, consommée et finalement oubliée, mais de manière plus lente, plus méditative et réfléchie, qui puisse durer plus longtemps que le journalisme, tant que l’art existe.

Finalement, il me semble que les retombées nucléaires elles-mêmes sont comme une métaphore de la société de consommation, qui, pour la recherche de la productivité, de l’efficacité et du profit, choisit le chemin tragique du nucléaire. Comme toutes les tragédies grecques, plus le protagoniste sera beau, plus la chute sera profonde et douloureuse, et plus la catharsis du spectateur sera forte ; bien entendu, s’il reste un spectateur après une hypothétique catastrophe nucléaire.

oOo

[1A ce sujet, voir le texte très éclairant de la sociologue japonaise Mori Chikako, « De quoi Fukushima est-il le nom ? - Réflexions sur la catastrophe du 11/3 er son exotisation » (2012), paru dans le journal Le Monde sous le titre « Fukushima ne doit pas être le nom du désastre nucléaire », disponible en ligne.

[2Voir le film de Marie Limon, La Grande Muraille du Japon (Kami Productions/ Ushuaia TV, 2018).

[3Voir Penser avec Fukushima, sous la direction de Christian Doumer et Michaël Ferrier, Nantes, Éditions nouvelles Cécile Dcfour, 2016. Ouvrage disponible en ligne.

[4Voir Élise Domenach, Fukushima en cinéma. Voix du cinéma japonais, The University of Tokyo center For Philosophy, Uchiro Book, vol. 10, 2015.

[5Le musée en plein air de Hakone (en japonais : Chôkoku no mori bijutsukan, le musée de la Forêt des sculptures) est le plus grand parc de sculptures du Japon : ouvert en 1969, il propose sur 70 000 m2 un millier d’œuvres venues du monde entier (dont une centaine en plein air), avec des réalisations de Bourdelle, Calder, Dubuffet, Henry Moore, Rodin, Niki de Saint Phalle et un pavillon entier consacré à Picasso.

[6Il s’agit de l’exposition Sonzai no shômei (Preuve d’existence), qui s’est tenue au musée en plein air de Hakone en 2012, composée des trois installations suivantes : Echoes-Re-crystallization, Black Weight et Liminal Air.

[7Echoes-Re-crystallization (2012) est une installation qui reprend une œuvre intitulée Echoes-Crystallization, exposée au musée d’Art de la préfecture de Gifu en 2009 : sur un sol pavé de marbre faiblement éclairé sont représentées des fleurs et des plantes (des espèces menacées, selon Ohmaki), tracées à la poudre de cristal et au correcteur liquide.

[8Black Weight (2012) est une installation composée de cordes de nylon noir formant une masse noire rectangulaire d’un fort volume (320 x 1080 x 540 cm, pour une salle de 380 x 1440 x 900 cm) : le spectateur peut choisir de longer, de contourner ou de passer en dessous de l’ œuvre. La « pluie noire » désigne un phénomène observé notamment à Hiroshima et Nagasaki : la pluie tombant après le bombardement est noircie par les cendres et les poussières radioactives. Voir à ce sujet le roman d’Ibuse Masuji, Pluie noire (1965, traduit du japonais par Takeko Tamura et Colette Yugué, Gallimard, 1972), adapté au cinéma par Imamura Shôhei en 1989.

[9Liminal Air - Space-Time (2015) est une installation où une grande pièce de tissu blanc (3,20 m de haut, 8,60 m de large et 5 m de profondeur) est exposée dans une pièce (4300 x 7000 x 12423 mm). Sous l’effet d’un ventilateur, la grande gaze très fine et très légère flotte devant le spectateur.

[10Mono-ha (« l’École des choses ») est un mouvement artistique majeur de l’art contemporain japonais, qui a commencé à la fin des années 1960 et s’est poursuivi jusqu’au milieu des années 1970. Les membres de Mono-ha (Lee Ufan, Sekine Nobuo, Takamatsu Jirô, etc.) utilisent des matériaux comme la pierre, le bois, le papier, le coton, des plaques de fer ou de la paraffine et visent à recréer l’art en revenant à la chose, au matériau brut, repoussant la tendance ami-artistique qui avait été le courant dominant de l’art d’avant-garde japonais jusque-là. Voir Japon des avant-gardes : 1910-1970. Paris, Centre Georges Pompidou, 1986 ; Catherine Carrein, Japon 1970 : Matière et perception : le Mono-ha et la recherche des fondements de l’art, catalogue du musée d’Art moderne, Saint-Étienne, 1996 ; et Michael Lucken, L’Art du Japon au vingtième siècle : pensée, formes, résistances, Paris, Hermann, 2001, « Mono-ha et la révélation de l’objet », p. 215-227.

[11 Mujô « est un concept bouddhique dont le sens originel est lié à la philosophie indienne [...] : ce qui n’est pas constant, ou caractère périssable, de roue phénomène composé. Lors de son introduction au Japon, l’accent est placé sur la notion d’éphémère qui prend au-delà de l’aspect philosophique ou religieux, lié au bouddhisme, toute une dimension esthétique. [ ... ] Profondément intégrée dans l’esthétique japonaise, cette notion bouddhique d’impermanence va trouver un écho renouvelé dans la pratique des artistes, architectes, designers et paysagistes contemporains. » Murielle Hladik, Vocabulaire de la spatialité japonaise, sous la direction de Philippe Bonnin, Nishida Masatsugu et Inaga Shigemi, Paris, CNRS éditions, 2013, entrée « Mujô : l’impermanence, sur cette notion, plus complexe qu’on ne la présente souvent, voir Ce qu’on appelle l’impermanentde Kobavashi Hideo (1942), traduit par Ninomiya Masayuki dans La Pensée de Kobayashi Hideo  : un intellectuel japonais au tournant de l’histoire, Genève/Paris. Librairie Droz, 1995.

[12Ohmaki fair un jeu de mots entre « matériau  » (sozai) et existence » .(sonzai).

[13, Suga Kishio, artiste japonais né en 1944 est un des membres emblématiques du mouvement Mono-ha. Voir, en anglais. Ashley Rawlings, Kishio Suga : Temporary Boundaries, Timeless Situations, Los Angeles, Blum Poe, 2013.

[14Echoes Infinity (depuis 2002) est une série d’installations composées de divers matériaux (roche, feutre, pigments. tapis, lumières fluorescentes, tissu... ), où l’espace est entièrement parsemé de motifs de fleurs multicolores et, dans certaines versions, ponctué par un ou plusieurs pilie (constitués de toile, pigments narurels, nouveaux pigments, boîtier en acrylique). Comme dans la plupart des installations d’Ohmaki, les spectateurs peuvent y déambuler et interagir avec l’ œuvre.

[15Memorial Rebirth (depuis 2008) est une performance artistique où Ohrnaki met en place jusqu’à une cinquantaine d’appareils pouvant produire chacun 10000 bulles de savon par minute, transformant ainsi une rue ou une ville entières en un paysage de bulles de savon lumineuses. Inauguré à la Triennale de Yokohama en 2008, ce « matsuri artistique » s’est transformé en un relais, investissant au fil des ans de nouvelles villes (Tokyo, Gifu, la mer intérieure du Japon, Brisbane... ) et des lieux différents : écoles, parcs, jardins...

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document