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Hugo et Laferrière : deux écrivains japonais

par Michaël Ferrier (Tokyo Time Table)

D 23 mai 2019     A par Viktor Kirtov - Michaël Ferrier - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Bonjour,

Deux textes inattendus, décalés et nous l’espérons stimulants, dans cette nouvelle livraison de Tokyo Time Table.

Tout d’abord un Victor Hugo insolite mais révélateur : l’immortel auteur de Notre-Dame de Paris, qui a connu ces dernières semaines un regain d’intérêt dû aux dramatiques événements que l’on sait, est connu jusqu’au Japon, comme l’expliquera un texte évoquant notamment l’étonnante adaptation en manga de certains de ses écrits. Que peuvent bien nous apprendre ces reprises, en chansons, en BD et en mangas, sur la puissance de l’imaginaire hugolien et son projet à la fois poétique et politique ? Gare au "Hugo Super Deformed" venu du Japon : sans être forcément infidèle à son lointain modèle, il décoiffe !...

Le deuxième texte est l’entretien que nous a accordé l’écrivain haïtien Dany Laferrière sur son amour du Japon : l’auteur de Je suis un écrivain japonais (Grasset, 2008) y explique sa relation avec certains écrivains, classiques ou contemporains (Mishima, Tanizaki, Murakami Ryû, Yamada Eimi, Ishikawa Takuboku...), nous dévoilant du même coup certains aspects de son art romanesque (humour, mélange et collage, écriture du montage et du mixage).

Bonnes lectures !

Michaël Ferrier,
pour le site Tokyo Time Table

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SUR HUGO LE MALENTENDU : CHANSON, BD, MANGA
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« Chansons, BD, mangas – il y a un intérêt à la fois théorique, humain, littéraire et, dirais-je, proprement hugolien, à porter son attention sur ces « savoirs assujettis », ces savoirs naïfs, ces savoirs hiérarchiquement inférieurs. Oui, c’est un geste typiquement hugolien que d’étudier ces formes dites mineures et de tâcher de les coupler avec le savoir de l’érudition, de laisser la parole à ce savoir différentiel, à ces formes massives, circulantes et discontinues de savoir. »

Nota : lIlustration : Cosette tyrannisée par la Thénardier, dans le manga d’Inuki Takako, La Chanson de l’Alouette, Bunkasha comics, 2000

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EXTRAIT

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HUGO ET LA BD : vulgarisateur, moqueur, créateur

[Après avoir évoqué « Hugo et la chanson », Michaël Ferrier poursuit ainsi :]

Passons maintenant à la bande dessinée et le manga, qui rentrent selon moi dans le même genre de problématique concernant la part importante, mais partiellement occultée, qu’ils prennent dans la « fortune de Hugo », qui la transfèrent d’une zone à l’autre, la font rouler sur toutes les têtes, la transportant comme l’orage. La bande dessinée naît en Europe un peu après Hugo lui-même : c’est une forme intégrée, redoutablement efficace, de récit en images. Une « littérature en estampes », comme l’appela d’abord le Genevois Rodolphe Töpffer (1799-1846), écrivain et professeur de rhétorique à l’Université de Genève, qui peut être considéré comme le pionnier du genre dans les années 1830[1], avant que celui-ci connaisse un développement européen phénoménal à partir des années 1860 : le siècle de Hugo est aussi celui de la bande dessinée, et la conjonction de ces deux événements me semble appeler quelques commentaires.

Trois aspects me semblent en effet importants dans les rapports entre Hugo et la bande dessinée, et qui concernent justement trois faces essentielles du travail de Hugo : l’aspect pédagogique (ou vulgarisateur), l’aspect satirique (ou moqueur) et l’aspect esthétique (ou créateur). En ce qui concerne le pédagogique, nous sommes dans un domaine tout proche du colportage et du chansonnage précédemment évoqués. C’est à cette veine que se rattachent plusieurs éditions de ce type, qu’elles soient explicitement destinées à l’enseignement[2], ou le fruit d’initiatives éditoriales décalées comme le joli recueil des Poèmes de Victor Hugo en bandes dessinées publié par les éditions Petit à petit en janvier 2002. Parmi les 13 poèmes qui y sont présentés, on retrouve aussi bien des classiques tels que « Demain, dès l’aube… » ou « Oceano nox », que des textes moins connus comme « Le mot », ou « Jolies femmes » : chacun est intégralement retranscrit, et sert de base à un scénario qui permet à des jeunes dessinateurs d’aborder ces poèmes avec un regard à la fois moderne et respectueux. Une mine pour les professeurs de collège-lycée ou de FLE (Français Langue Etrangère), un excellent outil de vulgarisation : nous sommes ici indéniablement dans le sillage des conceptions de Hugo lui-même, qui fut en son temps l’un des promoteurs les plus efficaces d’une forme d’édition populaire qui se rapprochait considérablement de la bande dessinée, d’abord en collaboration avec Jules Hetzel (édition aux gravures suggestives), puis avec les éditions Hugues (édition illustrée des Misérables, monument iconographique, ou encore 93, qui contenait des milliers d’images et fut proposé au public en livraisons à 10 centimes). C’est cet esprit que retrouve l’adaptation BD des éditions Petit à petit et, de manière plus moderne encore, l’édition sur le Net d’une planche de Wiko, superbe adaptation de « Demain dès l’aube… » figurant à l’origine dans L’Ornitho, « magazine virtuel politiquement décalé vers la gauche », en diffusion sur le World Wide Web.

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"Demain dès l’aube" extrait des "Poèmes de Victor Hugo en BD", parus aux éditions Petit à Petit.

L’intégrale sur Tokyo Time table

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SUR DANY LAFERRIERE : « JE SUIS UN ECRIVAIN JAPONAIS »
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« Un écrivain haïtien, vivant au Canada et écrivant en français un livre intitulé… Je suis un écrivain japonais (Grasset, 2008). Voilà qui est singulier. Mais que vient faire le Japon dans la vie de Dany Laferrière, à quoi correspond-il dans son parcours littéraire et quelle place tient-il dans sa poétique, ce sont les questions que Michaël Ferrier lui a posées. Quand le Ferrier rencontre Laferrière, un entretien réalisé le 8 octobre 2011, à l’Institut franco-japonais de Tokyo. »

Photo David Ignaszewski

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EXTRAIT

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UN RAPPORT
TRES INTENSE
ET TRES DISTANT

MICHAËL FERRIER – C’est ton premier séjour au Japon. Quand et comment t’est venu ton intérêt pour ce pays ?

DANY LAFERRIÈRE – Par toutes sortes de choses. D’abord les livres, mais pas seulement. Il y a aussi la peinture, les estampes, Hokusai, le cinéma… et tout ce qui se dit autour du Japon. Mais je dois le dire carrément : je ne suis pas un fan. Je ne suis pas du tout le type, on va chez lui, tout est en japonais, il conserve des choses, etc. Non, pas du tout. C’est un rapport à la fois très intense et très distant. Je ne suis pas du tout dans le rapport de se perdre : « Le Japon sinon je meurs ». Le Japon et d’autres donc…

Mais le Japon, très fortement. À la fois sur un plan presque abstrait et, en même temps, un appel physique. J’aime l’esthétique japonaise, que je trouve dans l’architecture des maisons et toutes ces portes coulissantes. Toutes ces maisons me semblent comme un roman. J’aime aussi tous ces rituels, j’aime ce que le Japon a exporté comme images, c’est de ça que je me nourris.

J’ai commencé assez jeune, peut-être 13-14 ans, quand j’ai trouvé Mishima. Je crois que c’est Le Marin rejeté par la mer. J’ai donc commencé avec Mishima, dont je ne savais pas qu’il était japonais, parce qu’à cet âge, on ne s’intéresse pas aux écrivains ni aux metteurs en scène des films qu’on aime. Ce sont les personnages des livres qui nous intéressent.

M.F. – Cet intérêt pour le Japon, il apparaît très tôt dans l’œuvre.

D.L. – Dès le premier livre, en 1985. Dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer [Belfond, 1989], il y a un chapitre où j’explique que le Nègre est fini : il sera remplacé par le Japonais, parce que les jeunes Japonais sont minces comme des boîtes de maquillage, donc les femmes peuvent les garder dans leur sac ! Et cette esthétique du mince et du fluide, très moderne, très vivante, très sautillante, c’est celle de demain.

« Le plus japonais
de tous mes livres,
c’est L’Enigme du
retour »

Le Japon n’est donc pas du tout une affaire qui vient d’arriver dans ma vie. On parle de Je suis un écrivain japonais, d’Éroshima [Montréal, VLB, 1987], à cause des titres mais au fond ce n’est pas vrai : le plus japonais de mes livres, c’est L’Énigme du retour [Grasset, 2009]. D’abord le thème, l’idée de rentrer avec son père de Tokyo pour le ramener dans son village natal, ce rituel de la mort est au cœur de la culture japonaise. Et, derrière les mots, il y a en filigrane la figure de Bashô : on le voit dans son style, le dépouillement. Il y a Mishima aussi, dans son obsession d’Occident, parce que dans L’Énigme du retour, on retrouve les grands thèmes de la mythologie occidentale, que ce soit la mère qui attend – c’est Pénélope bien sûr – ou le fils qui rentre avec le père : on voit très bien que c’est Énée qui porte Anchise sur son dos pour rentrer au village, parce que le vieux père ne peut plus marcher. Cette attitude d’utiliser des mythes classiques de l’Occident pour essayer de décrire sa société, Mishima l’a fait avec Le Marin rejeté par la mer. L’Énigme du retour, je crois que c’est un livre très japonais.

L’intégrale sur Tokyo Time table

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1 Messages

  • Viktor Kirtov | 25 mai 2019 - 17:07 1

    Victor Hugo a lui-même utilisé des chansons dans ses romans. Et il en a créées. Non pas tellement dans ses Chansons des rues et des bois, au titre un peu trompeur puisqu’il s’agit plutôt de poèmes que de chansons à proprement parler, mais dans d’autres parties de son œuvre, romanesque ou poétique, et il nous manque ici une étude d’ensemble qu’il serait passionnant d’entreprendre. Mais puisque nous évoquons aujourd’hui les « Fortunes de Hugo », c’est plutôt des chansons composées sur ou à partir de Hugo qu’il convient ici de parler. Or, peu d’écrivains ont donné naissance à autant de chansons que Hugo lui-même. Le XIXe siècle n’a même cessé de déposer des chansons le long des vers de Hugo, et au pied de sa personne ! Fortune sonore, sonnante et trébuchante, monnayée tout au long du XIXe siècle, et au début du suivant, en petits formats, feuilles volantes, partitions éphémères et carnets griffonnés. On le sait pour les poèmes de Hugo, repris par des artistes aussi différents que Colette Magny, Serge Reggiani, Gilles Vigneault ou, sans doute le plus connu en France, Georges Brassens (mais Hippolyte Monpou, dès 1840, avait adapté Gastibelza de Hugo, puis Léon Kreutzer et Louis Niedermeyer), et jusqu’à Serge Gainsbourg.

    Michaël Ferrier

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