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Hors de soi : la vie

Julia Kristeva, Samuel Dock, Je me voyage - Mémoires.

D 3 décembre 2016     A par Olivier Rachet - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Hors de soi : la vie

L’altérité est au cœur des engagements protéiformes de Julia Kristeva. Psychanalyste diagnostiquant une raréfaction dangereuse de nos espaces psychiques, linguiste et sémioticienne récompensée par le prix Holberg dédié aux sciences humaines, critique littéraire ayant montré l’épaisseur du temps sensible proustien et la part d’abjection sacrée de l’écriture célinienne, romancière dont l’œuvre polyphonique est un hommage à l’art poétique du roman. Il est difficile de dénombrer la multiplicité des fronts ouverts par une théoricienne et créatrice aux vies multiples. Qu’elle ait choisi de placer ses mémoires sous le signe du dialogue dit assez bien le renouveau perpétuel qui agite en permanence la pensée. Samuel Dock relève le défi avec une déférence et une gourmandise des plus communicatives.

Le parcours de cette intellectuelle hors pair nous est bien connu : des origines bulgares à l’arrivée en France dans les années 60, de la rencontre avec Sollers à la fréquentation des avant-gardes, de sa thèse d’Etat placée sous l’égide d’une « Révolution poétique du langage » accomplie par Mallarmé et Lautréamont, à son enseignement dispensé à l’Ecole doctorale de Paris VII, en passant par les plus grandes universités américaines. Ce qui frappe cependant est la confession intime des souffrances qui ont jalonné une existence placée sous le signe du soin et du souci de l’autre. La seconde guerre mondiale a été, comme chez Philippe Sollers, l’évènement inaugural ayant rendu sensible la persistance, en basse continue, d’une pulsion de mort devenue, aujourd’hui, mal radical. Qu’il s’agisse du handicap, de l’exil, de la maladie, la question de l’exclusion apparaît comme l’un des éléments fondateurs d’une écoute de la souffrance du monde. Les « nouvelles maladies de l’âme » décrites dans l’un de ses ouvrages les plus intenses, avec Soleil noir - Dépression et mélancolie, constituent un horizon indépassable pour qui voudrait comprendre cette « maladie de l’idéalité » que constitue non seulement l’adolescence mais tout âge de la vie dans lequel sombrent les promesses de la raison.

Les pages consacrées à son fils David et à Philippe Sollers permettent d’esquisser les lignes de force d’un parcours intellectuel et artistique placé sous le signe de l’échange et d’une transvaluation, non pas seulement des valeurs, mais des héritages dont nous sommes les dépositaires. A « l’étrangeté réfractaire » de Sollers, Julia Kristeva oppose son « étrangeté diffractaire » : là où lui « se révolte, je me multiplie » écrit celle qui s’est aussi interrogé sur le « sens et non-sens de la révolte ». Ces deux esprits encyclopédiques restent les plus dignes héritiers des Lumières dont ils perpétuent à la fois le projet gnostique de goûter tous les savoirs et la volonté frondeuse d’interroger toutes les valeurs. Là où Sollers se distingue par la vivacité d’une force de frappe spirituelle ironisant tout sur son passage, à la manière d’un lointain disciple de Voltaire, grand connaisseur devant l’éternel des textes sacrés ; Julia Kristeva perpétuerait davantage un dialogisme savoureux à la façon de cet athée impénitent que fut l’auteur du Neveu de Rameau.

« Le bonheur est le deuil du malheur. Cela arrive par épuisement du mal-être » confesse Kristeva à son interlocuteur. La dernière partie de ces entretiens lumineux s’attardent sur la partie romanesque d’une œuvre parfois méconnue. De Meurtre à Byzance à Thérèse mon amour, en passant par L’horloge enchantée, la romancière n’a eu de cesse de mettre en scène ce que Sollers appelle des « IRM : identités rapprochées multiples ». « L’identité n’est pas un culte mais une interrogation » écrit celle pour laquelle l’univers est trop restreint pour contenir la multiplicité des espaces et des paysages composant un « multivers » sensible des plus audacieux. On connaît la trilogie consacrée au génie féminin de ces trois femmes que sont Hannah Arendt, Mélanie Klein et Colette.

De cette dernière, Kristeva semble avoir fait sienne cette formule résonnant comme une promesse, en nos temps de détresse : « Renaître n’a jamais été au-dessus de mes forces ». Le livre refermé, le lecteur a le sentiment qu’il va se voyager de nouveau dans le parcours d’une des plus brillantes figures intellectuelles du XXe et du XXIe siècle débutant.

Olivier Rachet le 2 Décembre 2016. OLRACH.


Henri Matisse, Le Nu rose, 1935.
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Julia Kristeva, Samuel Dock, Je me voyage - Mémoires, éditions Fayard.

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