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Aventures, la nouvelle revue de Yannick Haenel

Parution le 4 avril 2024

D 4 avril 2024     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dans un entretien du mois de janvier, Yannick Haenel déclarait :

« Les revues me passionnent car elles échappent au formatage et relèvent de l’enthousiasme, c’est-à-dire de la passion gratuite. Faire une revue, c’est se dévouer au feu de la littérature, c’est-à-dire au désir qu’on a d’elle. C’est un engagement passionnel. C’est là que ça a toujours eu lieu, de l’Athenaeum (Novalis, les frères Schlegel) à Tel Quel (Sollers, Kristeva, Pleynet) en passant par Documents (Bataille, Leiris), l’Internationale situationniste ou La Revue de littérature générale (Alféri, Cadiot) ou Tiqqun (le Comité Invisible).
Pour moi, la littérature ne se limite pas au roman, elle est une forme de pensée qui s’ouvre à toutes les sphères du langage ; en ce sens, elle est vivante et collective. Les écritures se parlent, elles dialoguent.
J’ai effectivement fondé la revue Ligne de risque avec François Meyronnis en 1996 : nous avons tenté d’établir un pont entre littérature et pensée, en mettant l’accent sur la philosophie et l’histoire des religions, qui nous semblaient travailler de l’intérieur toute littérature. Michel Foucault disait que la littérature est la « grande étrangère  » au sens où, selon lui, elle « manque à toute insertion ». Je pense comme lui : en elle, l’inassimilable, l’irréductible et l’impossible se donnent à entendre, pour peu qu’elle s’ouvre à ce qu’il en est de la pensée.
Petite précision : je ne fais plus partie de Ligne de risque ; François Meyronnis continue la revue de son côté. Je fonde quant à moi, aux éditions Gallimard, une nouvelle revue, intitulée Aventures, qui prend la place de L’Infini dont la publication a trouvé son terme à la mort de Philippe Sollers. Aventures paraîtra deux fois par an, le premier numéro est pour début avril ; et vous verrez que pensée et poésie s’y affirment avec effervescence. » (Les champs libres)

Le premier numéro d’Aventures vient de paraître. La revue « s’articulera bientôt à une collection de littérature contemporaine », dit Haenel.


Aventures n°1.
ZOOM : cliquer sur l’image.

Présentation

Enquête : Écrivez-vous des scènes de sexe ? 65 autrices et auteurs répondent. Écrire des scènes de sexe dans un roman, une autobiographie ou un poème est le fruit d’un de langage conscient. On peut considérer qu’à travers ce geste d’écriture le langage rejoint son coeur ardent : les corps, en s’exprimant, accèdent à leur liberté.
Inédits Rainer Maria Rilke. Aventure I & II (nouvelle traduction d’Olivier Le Lay). Frédéric Berthet. Kafka, histoire d’un corps. Invités Pierre Michon. Le rêve d’Homère Laura Vazquez. Soleil de fou malade...

FEUILLETER LA REVUE

Pour plus d’informations et pour vous abonner : www.revueaventures.fr

ÉDITORIAL
« Les phrases sont des aventures. »

GUSTAVE FLAUBERT

Où est-on encore en vie ?
Existe-t-il un lieu qui échappe à la destruction ? Un intervalle qui résiste à cette planète livrée aux guerres, aux massacres, aux exodes ? Est-il possible de faire une expérience à une époque où les puissances financières dénaturent les échanges humains, où la politique est en cours d’effondrement définitif, où les réseaux dévitalisent le moindre énoncé ?
Créer une revue de littérature, c’est ouvrir une brèche dans ces ténèbres.
Le langage, formaté en vue de sa circulation instantanée, se dégrade servilement sous nos yeux ; mais il est encore possible, en s’accordant à sa dimension poétique, de l’enflammer. Comme l’a dit un poète anarchiste : « Il reste à faire de la liberté des abus divers, et précieux. »
L’ambition d’Aventures est claire : il s’agit de remettre en liberté le langage.

*

La société n’a jamais qu’un seul but : devenir intégrale. Un de ses agents les plus toxiques, Elon Musk, n’a-t-il pas décrété que le langage serait bientôt inutile ? Quand ce genre d’énergumène fait une prévision, il faut l’entendre comme un ordre : ainsi l’administrateur en chef du service communication de notre planète a-t-il décidé que le langage devait désormais être calibré en vue d’une stricte effectuation binaire. Il existe en chacun de nous un point, sans doute ignoré d’Elon Musk, qui est irréductible à l’emprise, et auquel la société n’accédera jamais. Ce point relève du feu de l’esprit : —c’est l’indemne — étymologiquement le non­ damné, ce qui échappe à l’enfer. Philippe Sollers, qui, à travers les revues Tel Quel et L’infini, m’a transmis, de manière inestimable, la passion de la littérature — et à qui, par cet éditorial, je rends hommage —, avait une définition extraordinaire de l’enfer : « L’enfer, aujourd’hui, c’est le non-accès à la poésie. »
Eh bien voilà, il s’agit de s’ouvrir à la dimension poétique du langage. Le lieu où l’on est encore en vie, aujourd’hui — où l’on reprend vie, pour parler comme les kabbalistes juifs —, ce lieu où chante en nous, non plus les ténèbres, mais cette lumière de foudre qui nous ouvre les yeux sur la nature du monde et nous illumine le cœur, c’est la littérature.
Elle est ce langage qui porte en lui l’existence vivante ; appelons-le « poésie », si vous voulez. Peu importe que ça s’écrive envers ou en prose ; peu importent les genres : lorsqu’on se tourne vers la part lumineuse du langage, « littérature » et « poésie » coïncident ardemment. C’est pourquoi le sommaire de ce premier numéro est si ouvert à des formes qui débordent les qualifications habituelles. Poésie ? Oui, disons poésie — accès continuel et salvateur à la poésie.

*

Même si la littérature est reléguée socialement au rang de produit culturel, sa liberté échappe aux carcans qu’on lui impose ; et malgré son déclassement, elle continue à scintiller.
Le grand secret, c’est que la solitude de la littérature est notre chance.
À une époque de rabougrissement de la sensibilité par le règne des flux de communication, elle s’affirme comme le seul langage qui résiste à la platitude. Quelque chose en elle « manque à son insertion », comme le disait Michel Foucault ; et c’est la vérité même de sa dissidence : elle ne s’intègre pas dans le bafouillis global.
Ainsi la littérature s’offre-t-elle aujourd’hui comme révélateur de complexité : les phrases dont vous êtes capables indiquent où vous en êtes ; elles témoignent du degré de liberté que vous mettez dans votre vie.

C’est en s’accordant à la richesse inouïe du langage que l’on retourne le monde. Les adeptes du binaire l’ignorent : chaque mot contient son propre vertige. Seule la littérature possède le savoir de l’abîme.

*

N’ayons plus peur, en 2024, de considérer la littérature comme une forme de pensée. Si celle-ci prend des formes gracieuses auxquelles la philosophie ou la politique n’accèdent plus, c’est parce que dans ses phrases circule le feu de l’indemne. Les phrases de la littérature pensent car elles s’ouvrent à cette dimension poétique de l’existence qui manque à la société planétaire.
Je voudrais rendre également hommage à Pierre Alferi, disparu en août dernier ; il a eu entre autres l’audace d’écrire ceci dans son très bel essai Chercher une phrase : «  La littérature est de la pensée pure, c’est­ à-dire libre. » Et il ajoutait : « La possibilité d’une phrase consiste seulement dans le mouvement de sa recherche ; c’est en cela qu’elle est une pensée. »

Je fonde la revue Aventures, avec l’aide de Victor Depardieu, pour que nous cherchions des phrases nouvelles. Le mot « aventure » vient de l’enfance, des chevaliers de Chrétien de Troyes et d’un petit récit extatique méconnu de Rainer Maria Rilke qu’Olivier Le Lay fait renaître dans ce numéro à travers sa traduction ondoyante.
Le mot « aventures », au pluriel, ouvre un trésor d’intensités heureuses ; il possède en lui de quoi relancer infiniment le désir d’écrire et d’aimer ; il résonne avec la possibilité d’accorder nos vies à cet événement toujours à venir qui déborde l’écriture elle-même : les aventures trament la matière intellectuelle, spirituelle et sensuelle de ce nouvel amour du langage que les écrivaines et écrivains publiés dans la revue inventent ensemble.
C’est pourquoi il était logique que l’on reprenne à neuf la question du désir. Demander à soixante-cinq autrices et auteurs : « Écrivez-vous des scènes de sexe ? » ne relève pas d’une vérification sur l’état de leur libido, mais d’une interrogation sur la nature de ce qui anime l’écriture. Qu’est-ce que l’ardeur ? Comment s’exprime en vous la liberté du langage ?

Je crois que tout véritable soulèvement est sexuel. La littérature déchaîne ce qui nous limite ; c’est pourquoi elle est tellement désirable.

*

Un soir de janvier, en 1857, dans une lettre à Élisa Schlésinger, son amour de jeunesse, Flaubert écrit : « Les phrases sont des aventures. »
Près de deux siècles plus tard, le monde a terriblement changé ; mais l’espérance d’une poésie qui s’accomplisse dans la vie même ne s’est pas perdue.
Et voici que remontent à la lumière, aussi étincelants qu’un coup de foudre, ces mots qui n’étaient destinés qu’à une amoureuse. Je savais qu’un jour ils produiraient un éclat ; en 2024, ils fondent une revue : c’est l’avenir.

YANNICK HAENEL

ENQUÊTE
Écrivez-vous des scènes de sexe ?

Écrire des scènes de sexe dans un roman, une autobiographie ou un poème est le fruit d’un acte de langage conscient. On peut considérer qu’à travers ce geste d’écriture le langage rejoint son cœur ardent : les corps, en s’exprimant, accèdent à leur liberté.
Mais de telles scènes constituent aussi des moments problématiques : les pulsions s’y déchaînent, des puissances s’y affirment. La prise de conscience issue du mouvement #MeToo pousse à s’interroger à neuf sur la nature des scènes de sexe : ne transportent-elles pas avec elles des formes de violence ? Ne révèlent-elles pas des figures de domination ? Ne sont-elles pas surtout l’expression d’un regard genré ?
De telles questions appellent à une éthique de l’écriture, c’est-à-dire à une manière nouvelle de penser la liberté de la littérature. Est-ce que cette liberté diffère selon que l’on est une femme ou un homme ? Les scènes sexuelles sont-elles le lieu d’un débordement des genres ? L’écriture renforce­ t-elle ou défait-elle les identités ?
Autant de questions qui s’adressent à vous personnellement : écrivez-vous des scènes de sexe ? Que vous autorisez-vous ? Que vous interdisez-vous ?


Aventures n°1. Quarième de couverture.
ZOOM : cliquer sur l’image.

PORTRAIT D’AUTEUR E03 | Yannick Haenel

Avril 2024.

« Je crois que j’ai organisé ma vie depuis que j’ai commencé à écrire, depuis la fin de l’adolescence, pour atteindre ce point à chaque instant. Je crois que c’est ça, que j’appelle le sacré. Quelque chose qui n’a pas besoin d’un Dieu, d’une transcendance, et encore moins d’une religion. C’est un accès à autre chose que ce que la société nous donne. »

Andrea Poupard est parti à la rencontre de Yannick Haenel, auteur de Le Trésorier-payeur (2022) et de Tiens ferme ta couronne" (Prix Médicis 2017). En avril 2024, Yannick Haenel est également à l’initiative de la revue littéraire "Aventures", dont le premier numéro invite 65 auteurs et autrices à répondre à la question suivante : "Écrivez-vous des scènes de sexe ?"

Ce film a été réalisé en partenariat avec le Master Scénario, Réalisation, Production de l’École des Arts de la Sorbonne Université Paris 1.

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 6 avril 2024 - 16:03 1

    Lu dans Actualitté :

    Revue Aventures. Printemps 2024
    Gallimard, Collectifs

    En ce printemps de la naissance ou renaissance, c’est selon, Gallimard n’a peur de rien, et lance une nouvelle revue, à côté de l’historique NRF, Aventures. C’est le cas de la dire...

    Surtout en sachant son ambition : 65 écrivaines et écrivains réunis, qui apportent leur éclairage sur le sujet des sujets : le sexe. Plus précisément, ou littérairement, «  Écrivez-vous des scènes de sexe ?  ». Comment faire ressentir l’exultation des corps, avec les mots. Verbe et vibration. Description et liberté. Jouissance et politique. Séduction et agression. Amour et consentement.

    À ce sujet, ce qu’en disent Emma Becker, Françoise Bégaudeau, Aurélien Bellanger, Marie Darrieussecq, François-Henri Désérable, Joffrine Donnadieu, Philippe Lançon, Camille Laurens, Gaëlle Obiégly, Lucie Rico, Catherine Millet, ou encore Mathieu Terence, vaut, évidemment, la lecture.

    Si le grand genre du roman français, c’est l’étude de moeurs je dois aussi confesser que les meilleures études de mœurs que j’ai lues ces dernières années, c’étaient des descriptions minutieuses et cliniques d’agressions sexuelles sur les réseaux sociaux - spécialement quand elles exploraient en détail la zone floue du consentement, floue de ce quels temps avaient soudain changé, figé ces anciens rapports de genre dans leur atroce anachronisme. Comme cela, oui, car elles étaient parfaitement justifiées. Et le soupçon de voyeurisme en était soudain retourné ce n’était pas nous qui regardions, c’étaient ces scènes d’intimité qui nous dévisageaient gravement. Aurélien Bellanger

    Pour bien lancer cette nouvelle revue, des inédits aussi, du Rainer Maria Rilke dans une nouvelle traduction d’Olivier Le Lay, où il est question... d’aventures, et un Kafka, histoire d’un corps, par l’écrivain disparu en 2013 et de plus en plus reconnu comme un grand des Lettres, Frédéric Berthet.

    Sans doute Kafka est-il mort en 1924, mais dans la musique des anges, ou des souris, en silence et au milieu des fleurs, mais sans couronne. Frédéric Berthet, avril 1978

    Des invités encore, dont le rare et nécessaire Pierre Michon qui raconte Le rêve d’Homère, mais aussi la poétesse la plus en vue, Laura Vazquez, et son Soleil de fou malade. Le poète Christophe Manon (et pas l’inverse), l’écrivaine-bouquiniste Camille Goudeau, les « Exopoèmes » d’Amandine André, le « #Chant  » de Fanny Wallendorf, une autre Fanny, Lambert, et La longue vie du quarantenaire Valentin Retz.

    Ses cuisses frémissent comme frémissent les ailes de la libellule. Un vol de mouettes au ventre blanc passe sous l’œil blanc de l’aveugle. Elle a la haute plainte aux lèvres : le sanglot des colombes aux chênes de Dodone. Le rêve d’Homère, de Pierre Michon

    Une revue portée par l’héritier de Philippe Sollers, Yannick Haenel. Le projet est en de bonnes mains...

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