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Lacan, à Metz (suite)

D 17 janvier 2024     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Quand l’art rencontre la psychanalyse ». C’est l’intitulé de l’exposition Lacan du Centre Pompidou-Metz (jusqu’au 27 mai). Mais il peut aussi arriver qu’un écrivain comme Philippe Sollers rencontre le psychanalyste Jacques Lacan, et ça donne Lacan même et autre textes.

Sollers, 2002 : « Le fil conducteur de la relation est passé par une curiosité réciproque. Moi ce qui m’intéressait chez Lacan, c’était sa pratique. Je ne suis jamais entré en analyse moi-même, mais ça m’intéressait beaucoup de savoir comment fonctionnait le rapport qu’il entretenait entre sa pratique et son discours. Et à ce moment-là j’ai suivi, pendant des années, avec beaucoup d’intérêt, ses séminaires. Séminaires atypiques puisque finalement ils étaient ouverts à tout va, et qu’il ne s’ensuivait aucun diplôme particulier ni aucune aptitude particulière. C’était un lieu prégauchiste si vous voulez, ou postgauchiste, enfin quelque chose qui détonnait complètement dans la société française... »

Sollers, 2018. Dans le roman Centre, souvenez-vous de Sherlock Lacan.
« En fait le sujet de l’inconscient ne touche à l’âme que par le corps. » Là, c’est un extrait de Télévision. Quand ? En 1974. Où ? Eh bien, à la télévision.

Et, maintenant, si je te raconte... Les coulisses de l’exposition.

Avec Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, historiens de l‘art, associés à Gérard Wajcman et Paz Corona, psychanalystes.

Yannick Haenel était à Metz le dimanche 7 janvier.

Lacan, à Metz

par Yannick Haenel

Charlie Hebdo.
Mis en ligne le 17 janvier 2024
Paru dans l’édition 1643 du 17 janvier

Je reviens de Metz, où le Centre Pompidou présente une exposition consacrée à Lacan. Ça s’appelle «  Lacan, l’exposition  ». Une expo à deux ailes, donc. Sous-titre : «  Quand l’art rencontre la psychanalyse  ». C’est un sujet pour notre ami Yann Diener, et nul doute qu’il va s’y précipiter, d’autant que Metz est une ville vers laquelle il est facile de s’envoler, et le Centre Pompidou, un endroit merveilleux (j’ai cherché un jeu de mots pour finir cette phrase, mais celle-ci étant déjà mal embarquée à cause d’une métaphore approximative, je n’en ai trouvé aucun).


Narcisse, 1598-1599 [1].
Photo A.G., Rome, palais Barberini, 18 juin 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.

Bref, j’ai été convié à improviser un dimanche matin, à l’heure de la messe (Lacan y faisant office), devant l’une des riches œuvres accrochées pour l’occasion par les commissaires de l’exposition Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, en l’occurrence le Narcisse du Caravage, à mon sens l’un des plus beaux tableaux du monde, ici exhibé dans sa lumière la plus scintillante, et qui, à lui seul, vaut le déplacement (on le visite d’ordinaire à Rome, au Palazzo Barberini).

J’ai donc pu constater de visu l’enthousiasme de la foule pour Lacan, le Caravage, pour Courbet aussi, dont L’Origine du monde est dans l’expo (courez jusqu’à Metz, vous dis-je), pour un petit et merveilleux Vélasquez (une infante préparatoire aux Ménines qui ont tant fait penser Lacan, et pas que lui [2]) et pour des dizaines d’œuvres contemporaines, toutes plus excitantes, intellos et drôles les unes que les autres. C’est quand même là qu’on atteint le grand art : quand désir, intellect et humour se conjuguent. La pensée, celle de Lacan, et pas seulement la sienne, est grande à proportion de sa drôlerie : c’est dit.


Velázquez, Portrait de l’infante Marguerite Thérèse, 1654.
Le Louvre. ZOOM : cliquer sur l’image.
Un week-end chez Lacan

Dans l’expo, il y a tout, le tout de la jouissance insaisissable : des miroirs, des fenêtres, des divans, des nœuds, des phallus, des nus et des voiles, des tableaux, des sculptures, des livres et des voix. Et ce tout qui fuit de partout s’ajuste lumineusement d’une salle à l’autre tant la scénographie est aérée : on se promène, on revient sur ses pas, on sourit, on pense, on rit.

Alors, une phrase, là, quand même (ça y est, j’ai réussi mon jeu de mots). Il y en a des dizaines que j’ai notées en parcourant cette expo qui, en plus de constituer une date dans l’histoire de la pensée, vous permet de glaner, au vol, ce qui vous plaît. En voici une : «  … ce dont l’artiste nous livre l’accès, c’est la place de ce qui ne saurait se voir.   »

Ce qui ne saurait se voir, ça m’intéresse. Est-ce l’infini  ? La jouissance  ? On s’y perd, mais c’est en s’y perdant, en n’y comprenant pas grand-chose, en n’y voyant plus rien que ça commence à penser en nous. Car plus nous pensons, plus nous avons la chance d’élargir notre liberté : nos certitudes, c’est-à-dire nos préjugés, s’écroulent enfin. Allez donc vous écrouler à Metz, un week-end, chez Lacan. Vous verrez, et vous me direz.

Au Centre Pompidou-Metz, Lacan et ses consultations artistiques

Le psychiatre et psychanalyste français est au cœur d’une foisonnante exposition où les concepts lacaniens dialoguent avec les œuvres.

Par Philippe Dagen (Metz)


« The False Mirror (Le Faux Miroir) » (1928), de René Magritte, huile sur toile..
SCALA/DIG. IMAGE MUSEUM OF MODERN ART (MOMA), NEW YORK.
ZOOM : cliquer sur l’image.

Faire du psychiatre et psychanalyste Jacques Lacan (1901-1981) le sujet d’une exposition : étrange idée, se dit-on. Lacan, ça se lit – les écrits, les séminaires – et, grâce à de rares enregistrements, ça peut se regarder et s’écouter. Mais comment le montrer ? Il y a, bien sûr, de nombreuses raisons pour s’y essayer.

L’étendue internationale et la constance de sa célébrité au-delà des milieux psychanalytiques sont deux d’entre elles. Une raison plus historique est son rôle central dans les développements théoriques et pratiques de la psychanalyse dans la seconde moitié du XXe siècle, les querelles qu’il fit naître et soutint publiquement plusieurs fois, jusque dans les pages du Monde.

Lire la critique : Dans « Le Séminaire. Livre XIV » : Jacques Lacan met le fantasme en équation

Jacques Lacan met le fantasme en équation

Aussi a-t-il toujours ses détracteurs et ses zélateurs, aussi convaincus les uns que les autres. Une autre raison encore est la place qu’il a tenue dans la philosophie de son temps, ce dont témoignent la visite que lui fit Martin Heidegger en 1955, ses relations longtemps amicales avec Claude Lévi-Strauss ou Michel Foucault et bien d’autres faits, trop nombreux pour être cités. Tout cela s’écrit, s’analyse, s’étudie : livres, articles, colloques. Mais que faire dans les salles d’un musée sans tomber dans l’accumulation d’archives et de documents, vite rébarbative ?

Les commissaires de « Lacan, l’exposition » au Centre Pompidou-Metz, Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, ont trouvé la solution : introduire d’autres protagonistes, les artistes. Ils le font de deux manières. L’une est prévisible : portraiturer Lacan en amateur de peinture, en ami de quelques créateurs et en collectionneur. L’autre l’est moins : prendre dans sa pensée des notions et des thèmes, et orchestrer chacun d’eux en réunissant des œuvres qui s’y réfèrent clairement ou ont, du moins, quelque rapport sensible avec lui. Dans leur très grande majorité, elles sont récentes et Lacan n’a pu en avoir connaissance, mais le principal est la force de la résonance.

L’exposition est donc, dans plusieurs de ses parties, une exposition d’art contemporain qui rappelle celle qui eut lieu en 1995 au Centre Pompidou, à Paris, « Féminin-masculin, le sexe de l’art ». Rien d’étonnant : elle avait été conçue par les mêmes commissaires. Mais, cette fois, ils devaient éviter que Lacan ne disparaisse sous les œuvres comme un cercueil enfoui sous trop de couronnes. Ils ont donc emboîté, littéralement, deux expositions l’une dans l’autre : une petite, au centre, et, tout autour d’elle, une grande.

Douze notions

La petite est chronologique, année après année, et abondamment documentaire : la vie et l’œuvre de Jacques Lacan de sa naissance à sa mort, des bulletins de notes d’enfance aux hommages posthumes. La parcourir permet de se mettre, ou se remettre, en mémoire un peu de ce que Lacan a introduit, après Freud, dans les théories psychanalytiques, ses hypothèses, leurs développements. Ils sont résumés autant qu’il est possible de le faire pour des constructions conceptuelles complexes qui furent énoncées de façon elliptique ou ironique. Les détails de la carrière professionnelle de Lacan y sont décrits, et il en est de révélateurs.

En voici deux, dans des genres différents. En 1945, c’est à Lacan que Picasso demande de prendre en charge les troubles psychiques qui affectent son ex-compagne Dora Maar depuis qu’il lui préfère Françoise Gilot. En 1969, Lacan se voit interdire de tenir son séminaire à l’Ecole normale supérieure (ENS), rue d’Ulm, où il avait été invité par Louis Althusser en 1964, qui était devenu une cérémonie rituelle. Quoique sa veste en tweed n’ait été vue sur aucune barricade, le directeur de l’ENS de l’époque le tient pour l’un des coupables de Mai 68 et lui retire sa salle. Lacan est aussitôt accueilli par la faculté de droit au Panthéon et son séminaire gagne encore en retentissement pour avoir été persécuté.

La grande exposition se compose de douze cellules. Elles sont placées sous le signe de notions lacaniennes – stade du miroir, nœud borroméen, nom-du-père – ou d’aphorismes tel le provocant «  Il n’y a pas de rapport sexuel ». La relation avec les œuvres est le plus souvent directe : Narcisse (1597-1599), du Caravage, pour le stade du miroir et le narcissisme, Portrait de l’infante Marguerite Thérèse (1654), de Velazquez, parce que Lacan avança une interprétation des Ménines (1656). A ses yeux, la robe de l’infante n’était si brillante que parce qu’elle cachait et révélait simultanément ce qui était derrière, ne pouvait être montré et qu’il appelait donc « la fente ».

Logiquement est accrochée, à peu de distance du Velazquez, L’Origine du monde, de Courbet, acheté par Lacan et son épouse Sylvia en 1955, et pour laquelle André Masson, leur beau-frère, exécute alors un panneau coulissant. Celui-ci dissimule le sexe féminin peint par Courbet en 1866, que Lacan révèle à ses invités en le retirant. Sans doute en étaient-ils émus, mais force est de constater que la toile est aujourd’hui trop connue pour émouvoir encore : c’est l’histoire de La Joconde qui se répète.

Présence du corps

De cellule en cellule, quelques grandes artistes reviennent, principalement Louise Bourgeois (1911-2010) et Annette Messager. Les sculptures en divers matériaux et les grandes peintures écarlates et roses de la première imposent la présence du corps, féminin, masculin, ou les deux à la fois, avec une intensité extrême, tantôt jusqu’au malaise, tantôt jusqu’au rire. Les montages de photographies, les proverbes brodés et les dessins à même la peau de la seconde tournent en dérision les fantasmes de l’un et l’autre sexes, les stéréotypes érotiques et sentimentaux, le culte du corps et ses commerces.


« Cumul I » (1968), de Louise Bourgeois, marbre blanc et bois.
THE EASTON FOUNDATION/ADAGP, PARIS, 2023
PHOTO CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI/PHILIPPE MIGEAT/DIST. RMN-GP
ZOOM : cliquer sur l’image.

Ces deux reines impitoyables sont accompagnées de Claude Cahun, de Maria Martins, de Carol Rama, de Carolee Schneemann, de Niki de Saint Phalle, de Nan Goldin, de Cindy Sherman, de Ghada Amer, de Sarah Lucas, de Tracey Emin et d’Agnès Thurnauer. Que ce soit par la photographie, la broderie, le bronze, la peinture, le dessin ou le mot, elles débusquent les lieux communs, mettent à nu les rapports de force et de séduction, et renversent gaiement le patriarche. Leur vigueur assassine est l’une des vertus majeures de l’exposition. Ainsi faut-il voir cette dernière comme un manifeste de critique féministe, quoique celle-ci ne semble pas avoir été très présente à l’esprit de Lacan.

Le parcours est aussi ponctué de citations cinématographiques : la scène de la caméra meurtrière dans Le Voyeur (1960), de Michael Powell ; Jean-Paul Belmondo lisant Elie Faure dans Pierrot le Fou (1965), de Jean-Luc Godard ; Robert De Niro devant sa glace dans Taxi Driver (1976), de Martin Scorsese. Les extraits tombent juste et la présence du cinéma se justifie, ne serait-ce que parce que Sylvia Lacan, quand elle s’appelait encore Sylvia Bataille, avait joué dans Partie de campagne (1946), de Jean Renoir.

Ce montage virtuose autour des concepts lacaniens laisse peu de place à ceux qui furent les contemporains et, parfois, les interlocuteurs de Lacan dans l’entre-deux-guerres, les surréalistes. Si Marcel Duchamp apparaît à intervalles réguliers – mais toujours discrètement –, l’amitié fraternelle de Lacan et de Masson n’est, curieusement, qu’à peine évoquée, en dehors de l’affaire de L’Origine du monde. Les relations avec Salvador Dali et l’intérêt du psychanalyste pour les peintures à jeu de mots et de concepts de René Magritte que commenta Michel Foucault le sont à peine plus.

Pierre Molinier et Hans Bellmer n’ont pas été oubliés, ce qui est heureux, mais l’absence de Balthus s’explique mal, alors que tant de ses toiles ont le voyeurisme pour sujet. On pourrait en dire autant, évidemment, de Picasso, de Matisse ou de Bonnard. C’est le risque de ce type d’exposition : comme elle multiplie les angles de vue, elle donne envie d’en voir plus que ce qu’elle peut montrer.


« Dormeuse, cheval, lion invisibles » (1930), de Salvador Dali, huile sur toile.
FUNDACIO GALA-SALVADOR DALI/ADAGP, PARIS, 2023
PHOTO CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI/PHILIPPE MIGEAT/DIST. RMN-GP
ZOOM : cliquer sur l’image.

Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, Metz. Jusqu’au 27 mai, du mercredi au lundi, de 10 heures à 18 heures. De 12 € à 14 €.

Philippe Dagen (Metz), Le Monde.


[1Ecouter Narcisse, de Caravage avec le psychanalyste Gérard Wajcman et l’artiste Rebecca Digne.

[2Cf. Vélasquez vu à travers Sollers, Lacan, Foucault, Bacon, Picasso.

« Foucault était assis à côté de moi lors d’un séminaire fameux où Lacan essayait de lui démontrer qu’il n’avait pas vu ce qu’il y avait à voir dans les Ménines de Velasquez, c’est-à-dire la fente de l’Infante. Alors c’était évidemment des rapports de force... Il était en guerre avec tout le monde, avec son entourage, avec ses disciples, avec les membres de son école. […] C’était quelqu’un qui se considérait comme absolument seul. »

Philippe Sollers, Lacan même

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2 Messages

  • Albert Gauvin | 12 février 2024 - 15:17 1

    Les Nuits Le Jour. Dimanche 11 février 2024.

    Extrait : Nuits magnétiques - Témoignages après la mort de Jacques Lacan 1/5 : Ébauche d’un portrait (1ère diffusion : 05/10/1981)
    Les après-midis de France Culture - 28e Congrès International de Psychanalyse, Paris 1973, et déclaration de Jacques Lacan (1ère diffusion : 25/07/1973)
    Extrait - Nuits magnétiques - Les petites ondes avec Marie Depussé (04/10/1991)

    Crédit France Culture


  • Pierre Vermeersch | 27 janvier 2024 - 12:29 2

    Ce jour (1° juin 1966) où Sollers était au côté de Foucault lors du Séminaire, Lacan faisait écho à ce propos de Foucault : « La princesse se tient debout au milieu d’une croix de Saint André qui tourne autour d’elle, avec le tourbillon des courtisans, les suivantes, les animaux et les bouffons. Mais ce pivotement est figé. » [ Foucault M., Les mots et les choses, p.28]. Lacan réanime la croix de Saint André en le pivotement de l’hyperboloïde de révolution exprimant la dynamique de l’enveloppement, du serrage intensif de ce qui manque en ‘’la fente de l’infante’’. Ce que Foucault ‘’avait à voir’’.

    Voir en ligne : L’hyperboloïde

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