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Miquel Barcelo, De la vida mia

Date de parution : 04/01/2024

D 12 janvier 2024     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Après avoir illustré la trilogie de La Divine Comédie dans la traduction de Danièle Robert chez Actes Sud, voici que Miquel Barceló nous raconte sa vie de peintre nomade dans la belle collection « Traits et portraits » dirigée au Mercure de France par Colette Fellous...

Miquel Barceló
De la vida mía

De la vida mía est un voyage dans la vie et l’œuvre de Miquel Barceló, peintre catalan foisonnant et internationalement reconnu. Ce pourrait être le titre d’un de ses tableaux. Pour la première fois, il se raconte et construit son autoportrait à travers ses carnets, ses peintures, ses dessins, ses différents ateliers : à Paris, à Majorque et pendant longtemps au Mali, en pays dogon. On y trouve des couleurs et de la terre, des visages, des poissons, des fruits, du sable, des animaux, des grottes, des livres, des objets, un rhinocéros. Et aussi la Méditerranée, un corps et sa mémoire, un enfant et son bateau, un peintre questionnant ses gestes et son art.
Miquel Barceló nous invite à entrer dans les coulisses de son œuvre : « Majorque est mon île de naissance, je suis né d’elle. J’ai tout appris de mon enfance. La mer, c’est ma respiration. Mon corps fait partie de la nature. »

Traits et portraits
Paru le 04/01/2024
Genre : Littérature française
264 pages

FEUILLETER LE LIVRE

Miquel Barceló, le peintre qui voulait pigmenter sa vie

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Miquel Barceló ©Getty - Charles Duprat

Les midis de Culture. Vendredi 5 janvier 2024

L’artiste catalan Miquel Barceló, créateur d’oeuvres surprenantes marquées par la Majorque de son enfance, la mer ou l’Afrique, livre un autoportrait intime tout en images, notes et couleurs.

Avec Miquel Barcelo Artiste peintre et sculpteur majorquin

Originaire du village de Felanitx à Majorque, Miquel Barceló a grandi près de la mer.
De cette enfance qui lui a appris très tôt à nommer les différentes espèces de poissons, à naviguer et à plonger, son oeuvre garde une trace indélébile.
L’artiste revient aujourd’hui sur sa vie et son oeuvre dans De la vida mía, paru aux éditions Mercure de France dans la collection "Traits et Portraits".
Un véritable autoportrait en images accompagné de notes, dans lequel Miquel Barceló nous parle tant de sa jeunesse que de son travail mêlant peinture, sculpture et céramique, en passant par ses expériences au Mali, en pays dogon.

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Extrait des carnets de Miquel Barceló
Photo Francesca Mantovani / Gallimard
Écrire avec le dessin

S’il a accumulé pendant des années des carnets remplis de notes, c’est le dessin qui a toujours guidé Miquel Barcelo : "J’aime écrire, mais c’est laborieux, je préfère dessiner. Certains de mes carnets ne sont faits que de dessin, je fais ça depuis que j’ai 6 ou 7 ans. J’étais obligé d’écrire en classe, mais le dessin finissait par gagner. Il n’y a pas une grande différence entre écrire et dessiner, c’est presque la même chose".

À écouter : Miquel Barceló : "C’est toujours comme ça, quand je veux peindre un western, ça se finit par un mélodrame"

L’autoportrait, une matière première

Miquel Barcelo a peint, fait et créé de nombreux autoportraits, alors est-il un passage obligé chez l’artiste, une étape fondamentale du parcours artistique ? "On fait un autoportrait parce que c’est la seule chose légitime. Si je me peins moi souvent, c’est parce que je n’ai rien d’autre. Ce n’est pas par vanité".

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Extraits sonores :

Archive d’Alfred Rosset dans Heure de culture française le 2 mars 1959
Archive de Marcel Griaule dans Union Française : le magazine de la France d’Outre-Mer sur la RTF en 1949
Archive de Jackson Pollock, extrait du documentaire Portrait of an artist : Jackson Pollock de Kim Evans (1987)
Chanson de fin : chant de réjouissance d’hommes et femmes Dogons

Miquel Barceló : "Je travaille avec les termites"

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Miquel Barcelo, 2019 ©AFP - GABRIEL BOUYS

Grand Canal par Eva Bester. Mercredi 10 janvier 2024

Il est peintre mais aussi sculpteur, graveur, dessinateur et céramiste. Le catalan Miquel Barceló raconte sa vie, ses collaboratrices les termites et son île majorquine dans son ouvrage autobiographique "De la vida mía" paru le 4 janvier dernier aux éditions Mercure de France.

Avec Miquel Barcelo Artiste peintre et sculpteur majorquin

Le peintre, dessinateur, graveur, sculpteur et céramiste catalan Miquel Barcelo vit entre Paris et Majorque où il vint au monde. Mais c’est au Mali, parmi les Dogons, que l’artiste associé au mouvement néo expressionniste passe les années les plus intenses de sa vie, une intensité qu’il cherchera en vain à d’autres endroits du globe. Le 4 janvier dernier est paru son ouvrage autobiographique De la Vida Mia au Mercure de France, dans la collection Traits et portraits, dirigée par Colette Fellous.

Pages de carnets, photos, anecdotes, objets, listes, plaisanteries, dessins et souvenirs nous plongent dans l’univers animiste de l’artiste. D’une plume brute et drolatique, il décrit son rapport au monde en passant par la littérature, les poissons, l’Afrique ou les termites, qu’il utilise comme collaborateurs artistiques. En parallèle, l’ensemble des 350 illustrations qu’il a réalisées pour La Divine Comédie de Dante viennent de paraître en coffret comprenant les trois volumes chez Actes Sud, dans une traduction de Daniel Robert.

À signaler aussi jusqu’au 21 avril prochain, l’exposition Scarifications au Musée Barbier Muller de Genève, dans laquelle Michel Barcelo établit des correspondances visuelles entre des objets et des sculptures des collections du musée lié au rituel tribal et à ses propres œuvres.

"Propriétaire de ma vie"

La biographie De la Vida Mia de Miquel Barecelo paru il y a quelques jours au Mercure de France, tient son titre d’un vers du poète baroque espagnol Luis de Gongora, Miguel Barcelo a inscrit en exergue, "Propriétaire de ma vie" : « C’est une phrase de De Gongora, c’était un magicien, un mystique, cette phrase est tiré d’un poème amoureux.

À lire aussi : L’atelier de Miquel Barcelo

Sa collaboration artistique avec les termites

Miguel Barcelo a choisi comme collaborateurs artistiques, les termites : « Je peignais en Afrique depuis quelques mois, au Mali, à Gao. Il faisait très sec au bord des fleuves. J’ai dû partir en voyage pendant trois semaines et quand je suis revenu, les termites avaient rongé toutes mes peintures, tous mes tableaux, j’étais en larmes. J’ai pensé à tous ces mois de travail, j’étais désespéré. Et puis un jour, j’ai trouvé que ce n’était pas si mal. Et finalement, j’ai préféré les tableaux qui avaient été mangés par les termites. En fait, elles ne mangent pas où il y a de la peinture, mais à côté. Alors j’ai décidé de travailler avec elles, en mettant du beurre de karité à certains endroits de mes toiles pour qu’elles viennent manger. J’ai même inventé une technique que j’ai appelé xylophagie. De la xylographie faite par des insectes xylophages. C’était aussi une manière de ne pas sombrer face à la destruction de mes œuvres. »

L’innocence du français

Les activités principales de Miquel Barcelo sont, peindre, nager, lire et parfois écrire en français mais "le moins possible, et toujours trop". Selon lui, s’il écrivait en catalan, sa langue maternelle, ce ne serait qu’une longue jérémiade sans fin : « C’est une langue qui me donne une distance de lecture. Avec le français, j’ai une sorte d’innocence. Si j’écrivais en catalan ou en espagnol, je serais coupable à tous les coups ».

À écouter : Miquel Barceló : l’enchantement de l’art éphémère

Un grand lecteur

Miquel Barcelo lit énormément, il apprécie Proust, Montaigne, Savitzkaya, Stendhal ou encore Modiano : « Je lis beaucoup, mais je n’aime que 10 % de mes lectures. Si je n’aime pas un livre, je le lâche tandis que si j’en aime bien vraiment un, je peux le relire plusieurs fois. »

Le voyage comme moteur créatif

Miquel Barcelo est né à Félanitx, il a vécu les dernières années la vie agricole avant l’arrivée du tourisme, puis de l’euro et la quasi-totale destruction de la culture traditionnelle : « Une île, c’est comme un disque qui tourne, vous êtes soit soumis à la force centrifuge ou à la force centripète. Mon père ne quittait jamais l’île alors que mon grand-père a voyagé toute sa vie. Moi, j’aime me déplacer, je crois qu’être entouré d’eau partout à créer une forme d’angoisse chez moi.  »

Ses années passées au Mali avec les Dogons

Dans son dernier livre, De La Vida Mia, Miquel Barcelo revient sur ses années passées au Mali chez les Dogons qui furent pour lui à la fois son service militaire, sa retraite et son baccalauréat où tout était intensité : « Chaque matin, je me réveillais en me demandant ce que j’allais faire du reste de ma vie. On est tellement perdu, loin de tout, ni riche, mais ni pauvre non plus, même les nuits étaient intenses, chaque seconde l’était, comme un éclair de bonheur.  »

Archives :
Nous entendons un air de la Sortie de masques dogon par l’Awa de Sangha. Nous écoutons également Como el Agua de Camarón de la Isla, Paco de Lucía, Tomatito & Pepe de Lucía

Les choix musicaux de l’invité :
Pascal Comelade & The Limiñanas – The Nothing-Twist
4 Iberian Miniatures, Op. 20 (Version for Violin & Chamber Orchestra) : No. 4

Programmation musicale :
Liam Bailey – Dance with me
Yamê – Bawai
The Limiñanas – Migas 2000

Crédit Radio France

Enfin les couleurs

par Yannick Haenel

Mis en ligne le 10 janvier 2024
Paru dans l’édition 1642 du 10 janvier

La vie s’ouvre à celui qui descend dans les grottes et en remonte avec les couleurs d’un nouveau soleil. C’est le début de l’année, soyons joyeux et intraitables car la mort déchaîne sur la planète son poison de haine. Moi, je commence l’année en lisant un livre prodigieux. Vous allez me dire : encore un livre  ? Parce que vous préférez regarder la télé  ? Vous cramer les neurones sur Instagram  ? Vous gaver de polémiques et vous lamenter parce qu’un gouvernement de merde a légitimé la désinhibition raciste  ? Contre la préférence nationale, je propose l’art, qui est ­international, et la littérature, qui efface les frontières.

À LIRE AUSSI : " l’origine du monde " a un nom

Ce livre qui inaugure de sa splendeur l’année 2024 est l’autobiographie du peintre Miquel Barceló : De la vida mía, paru dans la collection «  Traits et portraits  » du Mercure de France. Il est gorgé de peintures géniales, de dessins chamaniques, de photographies de ses ateliers et de phrases en feu. Barceló vient de Majorque mais il écrit dans ses carnets en français. Il dit «  chercher une manière d’intervenir dans un espace tout en étant libéré de cet espace  ». (Vous voyez que la peinture concerne tous les aspects de la vie.)

Ulysse refusant l’immortalité

Barceló se confronte physiquement à ce qu’il vit (bois, terre, plâtre, argile)  ; sa peinture est chamanique : elle illumine chacun des états qui séparent la vie de la mort. Ce n’est pas au ciel que se jouent les grandes luttes mais entre les cavernes, les mers et le désert, entre les poissons, les oeufs, le vin, les oignons et les poulpes (tout ce qu’on voit sur ses peintures).

À LIRE AUSSI : L’effervescence : Francis Bacon

J’aime cette déclaration : «  L’odeur des calamars pourris, des appâts de pêche, de l’eau de mer et du gasoil, ce mélange précis produit encore sur moi un effet de joie absolue.  » C’est Ulysse refusant l’immortalité que lui offre Calypso pour continuer à vivre les sensations, comme seuls les mortels.

Un jour de 1986, Barceló a tout quitté, direction le Sahara en voiture, jusqu’à Gao, au Mali, où il va peindre pendant des années. Il retrouve le rapport avec les parois, l’aventure de la matière pariétale. Puis c’est Gogoli et le pays dogon : «  Les choses les plus intéressantes je les ai apprises au Mali. Tout est tellement intense que je devais peindre moi aussi avec intensité.  »

Un esprit nomade

Il y a, en Barceló, quelque chose de Pollock et de Billy the Kid réunis : c’est l’inquiétude insolente. En lui, le démon et l’adepte coïncident : c’est l’alchimie. Il connaît le nom des poissons, des arbres, des oiseaux  ; son âme appartient à Majorque mais son esprit est nomade, et son âme dogon.

À LIRE AUSSI : Aventure des nerfs

Lisez ce livre, vous commencerez à tourner sur vous-même, comme Monk et Coltrane : des yeux de flammes s’ouvriront en vous pour voir enfin le soleil en abîme dans les grottes et l’inten­sité multi­colore des marchés d’Afrique. Au Mali, sur la falaise de ­Bandiagara, les Dogons veillent sur notre monde pourri. Quelqu’un peint.

« Ça m’arrive souvent. Plutôt que de peindre ce que je vois, je vois ce que j’ai peint. Je reconnais les choses. D’une certaine façon je les peins avant de les voir. Pour le désert, c’était un peu ça. J’y suis allé parce que j’avais déjà peint le désert sans le savoir. Je mange des huîtres parce que je les ai peintes. Pas l’inverse. »

A lire et contempler le volume comprenant des fragments autobiographiques et des reproductions de ses œuvres (peintures, dessins, aquarelles, carnets, céramiques, photographies), Miquel Barcelo, c’est évident, est un initié.

Vivant entre son île natale de Majorque, Paris et l’Afrique, le peintre espagnol a reçu des Dogons un savoir spécial, de nature ésotérique.

Son œuvre est foisonnante, passionnante, constamment en recherche.

On lui connaît deux gestes monumentaux, la fresque en céramique de la cathédrale de Palma de Majorque (2007) et la coupole de la salle des droits de l’homme du Palais des Nations de l’ONU, à Genève (2008).

Publié dans la collection « Traits et portraits » (Mercure de France) dirigée par Colette Fellous, qui a patiemment recueilli sa parole pendant plusieurs années, De la vida mia est un polyptique, une mosaïque, un autoportrait brûlant de vie.

Miquel Barcelo, c’est la puissance d’une liberté paraissant illimitée, une façon d’entrer en corps dans la matière du monde, de la brasser, de la traverser, de la métamorphoser.

La falaise de Bandiagara est l’un de ses chaudrons de création majeur, et son île méditerranéenne le foyer de premières expériences fondatrices – Barcelo est un nageur/plongeur passionné.

« La peinture est liée à l’enfance. C’est probablement vrai qu’on apprend les choses importantes avant dix ans. J’ai souvent l’impression qu’en peinture j’avais fait à dix ans à peu près tout ce que j’ai refait ensuite et que je refais encore. A Majorque j’ai appris le nom des arbres, des poissons, des oiseaux. J’ai appris à siffler, à jeter des cailloux, à pêcher les poissons, à tuer et vider des lièvres et des agneaux, à les cuisiner. Je peins souvent ce que je tue ou mange. Mais pas que. Au Mali, chez les Dogons, j’ai cru retrouver le monde de mon enfance. Sans la mer mais avec des grottes et falaises. Ce que je n’avais pas saisi à dix ans, je l’ai appris avec eux. C’était mon service militaire, ma retraite, mon bac. Tout était intensité. »

Des motifs récurrents parcourent son œuvre, poissons, fruits, sable, animaux, grottes, livres, objets.

La toile, hospitalière et génésique, n’est pas hors du monde, elle en est, telle une céramique sacrificielle dogon, le centre, tout peut s’y déverser, y être recueilli, s’y réordonner.

Barcelo peint la présence vibrante des choses, mais aussi le mystère de leur apparition.

Entre souvenirs de son île (le couteau courbe appelé trinxet, le tissu noué autour de la taille nommé faja, l’ensaïmada, une pâtisserie très sucrée…) et réflexions sur l’insularité (très belle citation du Sicilien Sciascia, les ravages du tourisme de masse), De la vida mia est un livre de merveilles, quelque chose comme une légende fabuleuse.

Spirales, mains négatives, couteaux.

Eloge d’une mère presque centenaire toujours brodeuse.

Crânes, squelettes, têtes.

« Peindre, c’est une pulsion qui te prend tout entier. Tu ne sais pas très bien où tu vas. Tu te perds totalement et tu finis par faire ce que tu avais oublié ou ce que tu voulais faire sans savoir comment y arriver. Un miracle qui se reproduit d’une manière toujours différente. C’est quelque chose de primitif, d’essentiel. Je l’ai tout de suite senti, quand je peignais à côté de ma mère, à douze ans. »

Le succès est arrivé de manière fulgurante, grâce à un galeriste et collectionneur suisse, Bruno Bischofberger, à Leo Castelli, à Yvon Lambert.

Des galeries et expositions à Paris, New York, Barcelone, Kassel, Zurich.

Il appelle cela « la danse des marchands ».

Pour ne pas être englouti par le succès, les mondanités, l’artificialité, l’artiste prend la destination de l’Afrique, comme une fuite, et une exploration de soi.

Tête de cheval, bouquet de fleurs, bougie, coquillages, encornets, pommes, pieuvre, poissons.

Plonger, peindre, lire.

De 1984 à 1987, Barcelo est à Paris, faisant de l’église de la rue d’Ulm son atelier.

« J’avais commencé un grand plâtre de deux trois mètres qui représentait une grande allumette moitié cramée. La moitié bien raide et droite, l’autre moitié tordue. Mon fils Joaquim m’aidait. Le plâtre est plaisant, ça chauffe et ça sèche vite. A un certain moment il m’a demandé pourquoi on était en train de modeler une allumette. Je lui ai dit : tu vois la partie cramée c’est le temps vécu, la partie intacte c’est le temps qui reste à vivre, j’ai quarante-cinq ans, voilà. Quelques secondes après, j’ai vu qu’il versait une larme. »

A plusieurs reprises, l’amitié avec Hervé Guibert, venu le voir en Afrique, est évoquée. Deux exilés intérieurs épris d’absolu.

« Au Mali, il n’y a pas la mer mais quand je suis arrivé la première fois en 1987, j’ai ressenti quelque chose de familier. Un grand décor, un espace naturel. Chaque caillou a un sens double. Chaque chose c’est autre chose. Chez les Dogons, il y a toujours une cachette qui est une cachette dans une cachette. Les Dogons sont venus de Guinée vers le XIVe siècle, c’était d’abord tout un groupe ethnique qui avait suivi le fleuve Niger, une partie d’entre eux est devenue les Bozos et l’autre partie s’est cachée dans des endroits très escarpés, ce sont les Dogons. Ils vivaient dans des grottes. C’est pareil dans la maison. Au cœur, il y a une pièce et dedans il y a une autre pièce, ça forme comme un escargot. Ma peinture s’est nourrie de ça. Mes carnets sont une sorte d’enquête là-dessus, on retrouve la divination, la cosmogonie. J’ai dû lire des dizaines de volumes d’ethnologie dogon. Pendant des années je ne lisais que ça. Les traités de langues secrètes, les études de cosmogonie. Et toujours cette présence des animaux qui vivent avec les hommes, ça me rappelait Majorque. »

Peindre partout, apprendre à voir, encore, aller plus loin.

Chaos, cosmos, chaosmos.

Marchés de Ségou, Tombouctou, Bamako.

« Quand j’ai vu la falaise du pays dogon, j’ai pensé que c’était exactement dessiné pour moi, ça ressemblait à mes tableaux. C’est un endroit avec une cosmogonie particulière, quelque chose à la fois du monde grec et de la culture animiste. D’une beauté grandiose. L’architecture est fabuleuse. Tous les villages ont la même façon d’utiliser l’argile, chaque maison représente un corps humain, et tout le village représente aussi un corps, avec une tête, un nombril, un sexe, c’est très spécial. Il faut du temps pour comprendre. Je crois que j’ai appris l’animisme implicite de cette culture dogon. En 1990, dans mon deuxième voyage, j’ai commencé la céramique. Je me souviens de la poussière qui s’infiltrait partout. Au début, je nettoyais, je passais beaucoup de temps à dépoussiérer et en réalité, la poussière est un trésor, ça ressemble aux glacis dans la peinture du Titien, ça créait une matière très intéressante que je fixais sur mes tableaux. »

Peindre avec les termites – qui font des trous dans les toiles.

Des influences ? Pollock, Picasso, Toulouse-Lautrec, Le Tintoret, le ou la peintre de Chauvet.

Frotter, gratter, scarifier, sgraffier la peinture, la céramique, la vie.

« Depuis des années, je ne fais plus de différence entre peinture, sculpture et céramique, tout ça est dépassé et mes sculptures peuvent être accrochées au mur. »

Superbement illustré, De la vida mia est un atelier de création, un fétiche, un acte poétique, une œuvre à part entière.

« Enfant, je crachais sur ma feuille. Je faisais tomber une goutte d’encre de Chine dessus et je soufflais. Ça faisait une espèce de petit cosmos. Je retouchais ensuite avec une plume. Je ne crois pas être allé beaucoup plus loin que ça en peinture. Ce petit moment d’expansion, de dilation. Un micro big bang personnel depuis une vieille maison humide de Felanitx. »

Peintre, ou l’enfance retrouvée à volonté.

Miquel Barcelo, De la vida mia, collection « Traits et portraits » dirigée par Colette Fellous, Mercure de France, 2023, 260 pages

Maintenant, cap au Paradis, avec la publication, après celles de L’Enfer (2001) et du Purgatoire (2002), du dernier volume de La Divine Comédie, illustré par des aquarelles donnant la sensation de corps de lumière.

Dante ceint de laurier s’agenouille pour prier, tandis que Béatrice, debout derrière lui, semble fondu dans son être.

Un oiseau bleu s’élève de la femme au giron affirmé, les formes s’entrelacent, il y a unité.

Flamme des élus, plongée verticale, océan de félicité.

Il n’y a plus besoin d’échelle, il suffit de nager.

Pour aller au Paradis, et ouvrir l’atlas de l’autre monde, il faut être deux.

Divin Bien, lignes de grâce, couleurs.

Amour est justice.

Miquel Barcelo, La Divine Comédie : Paradis, traduction de Danièle Robert, postface Alberto Manguel, 2023, 176 pages.

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