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ABCDaire L’INTIME - Histoires d’amours et de métamorphoses

Préface de Julia Kristeva

D 3 octobre 2017     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Vient de paraître aux Editions M-Editer
dans la collection ABCDaire :

297 pages ; 220 x 140 cm ; broché
ISBN 978-2-36287-163-4
Date de parution : 26/09/2017

Quatrième de couverture

L’intime désigne le plus intérieur de chaque être humain mais aussi ses relations extérieures avec ses plus proches. La question se pose donc de savoir en quoi consiste exactement ce for intérieur et si chaque moi individuel est bien le mieux placé pour se connaître soi-même, ou bien si ses proches (son entourage familial, amical et amoureux) ne le connaîtraient pas plus intimement qu’il ne le peut lui-même. Mais la question est aussi de savoir si c’est bien du for intérieur de chacun qu’émanent ses pensées, ses paroles et ses actions, ou si celles-ci ne seraient pas influencées voire commandées de l’extérieur, par les autres et surtout par les institutions sans lesquelles ne se peut aucune vie personnelle privée (comme la famille) ni collective et publique (comme l’État et, maintenant, le marché). Ce questionnement ne devient-il pas d’autant plus urgent que notre époque semble être paradoxalement tiraillée entre une exigence de liberté qui fait de la reconnaissance de l’intime l’impératif le plus catégorique qui soit et une exigence de sécurité qui fait de plus en plus consentir les individus contemporains à des conditionnements naturels et culturels qu’ils subissent, alors même que le plus intime de ce qui fait l’humanité des hommes en est de plus en plus surveillé et contrôlé, et donc aliéné ?

Les textes ici présentés sont issus des « Rencontres de Sophie » tenues à l’initiative de l’Association Philosophia au Lieu Unique de Nantes les 26-28 février 2016, sur le thème de « L’intime ».

Ces conférences ont aussi été filmées et vous pouvez accéder à des extraits de chacune en vous reportant à la chaîne des éditions M-ÉDITER :

La PARTIE I ci-après présente l’intégrale de la préface de Julia Kristeva.

La PARTIE II présente les résumés d’une sélection des conférences

PARTIE I - PREFACE :
Histoires d’amours et de métamorphoses

par Julia KRISTEVA

I. FREUD ET L’AMOUR
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VERTIGE D’IDENTITÉ, vertige des mots : l’amour est, à l’échelle de l’individu, cette révolution subite, ce cataclysme irrémédiable, dont on ne parle qu’après coup. Sous le coup, on ne parle pas de. On a simplement l’impression de parler enfin, pour la première fois, pour de vrai. Mais est-ce vraiment pour dire quelque chose ? Pas nécessairement. Sinon, quoi au juste ?

Même la lettre d’amour, cette tentative innocemment perverse de calmer ou de relancer le jeu, est trop immergée dans le feu immédiat pour ne parler que de « moi » et de « toi », voire d’un « nous » sorti de l’alchimie des identifications, mais non de ce qui se joue réellement entre l’un et l’autre. Pas de cet état de crise, d’effondrement, de folie qui peut emporter tous les barrages de la raison, comme il peut, telle la dynamique de l’organisme vivant en pleine croissance, transformer une erreur en L’INTIME renouvellement, remodeler, refaire, ressusciter un corps, une mentalité, une vie. Voire deux. Force est d’admettre aussi que, quelque vivifiant qu’il soit, l’amour ne nous habite jamais sans nous brûler. En parler, fût-ce après coup, n’est probablement possible qu’à partir de cette brûlure. Consécutive à l’exorbitant agrandissement du Moi amoureux, aussi extravagant dans son orgueil que dans son humilité, cette défaillance exquise est au coeur de l’expérience.

Blessure narcissique ? Epreuve de la castration ? Mort à soi ? Dans l’amour, « je » a été un autre. Cette formule, qui nous conduit à la poésie ou à l’hallucination délirante, suggère un état d’instabilité où l’individu cesse d’être indivisible et accepte de se perdre dans l’autre, pour l’autre. Avec l’amour, ce risque, qui peut être tragique, est admis, normalisé, sécurisé au maximum. Et la douleur qui demeure cependant est le témoin de cette aventure, en effet miraculeuse, d’avoir pu exister pour, à travers, en vue d’un autre. Quand on rêve d’une société heureuse, harmonieuse, utopique, on l’imagine bâtie sur
’amour, puisqu’il m’exalte en même temps qu’il me dépasse ou m’excède.

Cependant, loin d’être une entente, l’amour-passion équivaut moins au calme sommeil des civilisations réconciliées avec elles-mêmes qu’à leurs délire, déliaison, rupture. Crête fragile
où mort et régénérescence se disputent le pouvoir.

Nous avons perdu la force et la sécurité relative que les vieux codes moraux garantissaient à nos amours en les interdisant ou en en fixant les limites. Sous les feux croisés des salles de chirurgie gynécologique et des écrans de télévision, nous avons enfoui l’amour dans l’inavouable, au profit du plaisir, du désir, quand ce n’est pas de la révolution, l’évolution, l’aménagement, la gestion, donc au profit de la politique. Avant de découvrir, sous les décombres, que ces constructions idéologiques étaient des tentatives démesurées ou timides d’assouvir une soif d’amour… L’amour est le temps et l’espace où « je » se donne le droit d’être extraordinaire. Souverain, égal aux espaces infinis d’un psychisme surhumain. Paranoïaque ? Je suis, dans l’amour, au zénith de la subjectivité.

Les délices et les affres de cette expérience s’aggravent aujourd’hui du fait que nous n’avons pas de codes amoureux : pas de miroirs stables pour les amours d’une époque, d’un groupe, d’une classe. Le divan de l’analyste est le seul lieu où le contrat social autorise explicitement une recherche - mais privée - d’amour.

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1. Narcissisme et idéalisation

Tous les discours sur l’amour ont traité de l’égotisme, et se sont constitués en codes de valeurs positives, idéales. Théologies et littérature, par-delà le péché et les personnages démoniaques, nous convient à cerner dans l’amour notre territoire propre, à nous ériger comme propres, pour nous dépasser dans un Autre sublime, métaphore ou métonymie du souverain Bien, du sublime Beau.

Les philosophies de la pensée qui visent, de Platon à Descartes, Kant et Hegel, à assurer à l’expérience amoureuse une prise sur la réalité l’élaguent de son trouble, pour la réduire à un voyage initiatique aspiré par le suprême Bien ou l’Esprit absolu. Seule la théologie – et encore, dans ses égarements mystiques – se laisse entraîner dans le piège de la sainte folie amoureuse, du Cantique des cantiques à saint Bernard ou Abélard.

Premier des modernes, et postromantique, Sigmund Freud s’avise de faire de l’amour une cure. D’aller droit à la confusion que l’amour révèle (plus que n’induit) chez l’être parlant, avec son cortège d’erreurs, de leurres et d’hallucinations, et jusqu’aux maux physiques. Pour espérer remettre les choses à leur place, ce qui revient à dire : réimplanter la réalité, peut-être pas toute, mais tant soit peu. On notera deux leviers dans ce jeu avec le feu amoureux que l’analyse-transfert réhabilite, déculpabilise, mais aussi apaise (certains disent : détruit).

D’abord, il s’agit en analyse de donner au sexe ce qui revient au sexe. Dans l’angoisse, dans le symptôme ou dans l’hallucination, l’interprétation débusque la part refoulée du désir ou du traumatisme sexuel. En l’amenant à la connaissance du sujet, elle dépossède celui-ci d’une partie de ses fantasmes pour lui indiquer une part de réalité. La réalité, c’est le sexe : à partir de votre désir ainsi reconnu, vous êtes libre de construire votre réalité comme bordure plus ou moins fragile de votre vie amoureuse.

D’autre part, et en même temps, l’analyste attire sur lui sans le vouloir (du moins en principe), par la simple adresse de la parole à ses oreilles plutôt qu’à ses yeux, les foudres de l’amour dit « amour de transfert ». Qu’il soit particulier, en ce sens qu’il est destiné à un « sujet supposé savoir » (Lacan), n’implique en rien qu’il se distingue de l’amour tout court. C’est que l’amour contient sans doute toujours un amour du pouvoir. L’amour de transfert est pour cela même la voie royale vers l’état amoureux ; quel qu’il soit, l’amour nous fait frôler la souveraineté.

L’absurde sartrien ravageait le monde de la pensée autant par l’éclat des bombes de la Seconde Guerre que par l’explosion sexuelle. On n’a pas assez dit que le silence dans lequel l’analyste accueille la parole amoureuse, toute parole en définitive amoureuse, révèle à celui qui l’entend l’absurdité de son désir. Sa qualité d’insensé. L’amour de transfert, comme l’amour de contre-transfert, est tissé d’un absurde cependant rejoué, relancé, relevé.

Est-ce à dire que l’analyste a « surmonté sa libido », comme Freud l’écrit bizarrement à Jung, en envisageant, bien entendu ironiquement et hypothétiquement, un moment lointain, à venir : « Quand j’aurai tout à fait surmonté ma libido (au sens ordinaire), je me mettrai à une “vie amoureuse des hommes” » (lettre à Jung du 19 septembre 1907)

Au pays de l’amour, Freud arrive chez Narcisse après avoir traversé l’espace dissocié de l’hystérie. Celui-ci l’a conduit à constituer l’« espace psychique » qu’il fera éclater, par Narcisse d’abord et, pour finir, par la pulsion de mort, en espaces impossibles, ceux de l’« hainamoration  », c’est-à-dire du transfert infini.

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2. Le narcissisme : un écran du vide


Echo et Narcisse, John William Waterhouse, 1903.
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Freud lie, on le sait, l’état amoureux au narcissisme : le choix de l’objet d’amour, qu’il soit « narcissique » ou « par étayage », s’avère de toute façon satisfaisant si et seulement si il assure une relation au narcissisme du sujet selon deux modalités : soit par gratification narcissique personnelle (dans ce cas, Narcisse est le sujet), soit par délégation narcissique (Narcisse est l’autre, pour Freud la femme). Un destin narcissique serait en quelque sorte sous-jacent à tous nos choix objectaux, destin que la société, d’une part, et la rigueur morale de Freud, de l’autre, souhaitent écarter au profit d’un « vrai » choix objectal. Mais à y regarder de près, même l’idéal du Moi, qui assure le transfert de nos demandes vers un objet véritable chargé de tous les attirails du « bien » et du « beau » conforme aux codes parental et social, est une reprise du narcissisme, sa relève, sa conciliation, sa consolation. Par ailleurs, l’omniprésence de la notion de « narcissisme » va de pair avec le fait qu’elle est loin d’être originaire. Résultat d’un ajout, Freud nous indique qu’elle est le produit d’une « action nouvelle », entendons d’une instance tierce supplémentaire à l’auto-érotisme de la dyade mère-enfant : « Quelque chose, une nouvelle action psychique, doit donc venir s’ajouter à l’auto-érotisme pour donner forme au narcissisme [1]. »

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3. L’identification primaire

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« Etre psychanalyste, c’est savoir que toutes les histoires reviennent à parler d’amour. La plainte que me confient ceux qui balbutient à côté de moi a toujours pour cause un manque d’amour présent ou passé, réel ou imaginaire.  » J. K.

Cette remarque confère au narcissisme le statut d’une formation intra-symbolique, dépendante d’une tiercéité, mais d’une modalité antérieure (chronologiquement et logiquement) à celle du Moi oedipien. Elle incite à penser une modalité archaïque de la fonction paternelle, antérieure au Nom, au Symbolique, mais aussi au « miroir » dont elle recèlerait la potentialité logique : une modalité qu’on peut appeler celle du Père imaginaire (j’y reviens souvent dans mes Histoires d’amour publiées en 1983).

Lacan reprend l’observation de Freud sans s’y attarder autrement que pour insister sur la nécessité de poser le « stade du miroir » : « Le moi humain se constitue sur le fondement de la relation imaginaire », précise-t-il.


Berthe Morisot, Devant le miroir, 1890
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Le narcissisme serait-il la défense du vide ? Plus exactement, mon expérience clinique me fait dire que le narcissisme protège le vide, le fait exister et ainsi, comme envers de ce vide, il assure une séparation élémentaire avec l’objet maternel, lorsque l’« identification primaire » est fragile ou carencée. Sans cette solidarité entre le vide et le narcissisme [2], le chaos emporterait toute possibilité de distinction, de trace et de symbolisation, entraînant la confusion des limites du corps, des mots, du réel et du symbolique.

Nous voilà, cependant, arrivés au seuil d’une autre question :
qu’est-ce qui permet le maintien de ce vide — source de plainte mais aussi nécessité absolue des structures dites narcissiques ? C’est ici qu’il faudrait revenir à la notion d’« identification ». L’identification amoureuse, l’Einfühlung (assimilation des sentiments d’autrui), apparaît à la lucidité caustique de Freud comme une folie : ferment de l’hystérie collective des foules qui abdiquent leur jugement propre, hypnose qui nous fait perdre la perception de la réalité puisque nous la déléguons à l’idéal du Moi. L’objet dans l’hypnose dévore ou absorbe le Moi, la voix de la conscience s’estompe, « dans l’aveuglement amoureux on devient criminel sans remords » — l’objet a pris la place de ce qui était l’idéal du Moi [3].

Julia Kristeva, histoires d’amour et de passerelles Documentaire, collection "Empreintes"
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Julia Kristeva, années Tel Quel
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« L’amour est une illusion nécessaire » dit celle qui a beaucoup réfléchit et écrit sur l’amour. Elle nous l’explique.
Le documentaire Empreintes sur Julia Kristeva suit pour nous l’écrivaine, psychanalyste et essayiste Julia Kristeva. Voir ICI

L’identification fournissant le socle de cet état hypnotique qu’est la folie amoureuse repose sur un étrange objet : propre à la phase orale de l’organisation de la libido (Ferenczi différencie l’« introjection » de l’« incorporation ») où ce que j’incorpore, donc, est ce que je deviens, où l’avoir sert pour l’être, cette identification archaïque n’est pas à vrai dire objectale. Je m’identifie non pas à un objet, mais à ce qui se propose à moi comme modèle.

Cette énigmatique appréhension d’un schème à imiter, qui n’est pas encore un objet à investir libidinalement, pose la question de l’état amoureux comme état sans objet, et nous renvoie à une archaïque reduplication (plutôt qu’imitation) « possible avant tout choix d’objet [4] ».

Cette Identifizierung n’est pas de l’ordre de l’« avoir », mais se situe d’emblée dans l’« être-comme ». Sur quel terrain, dans quelle matière l’avoir vire-t-il à l’être ? C’est en cherchant la réponse à cette question que l’oralité incorporante et introjectrice nous apparaît dans sa fonction de substrat essentiel à ce qui constitue l’être de l’homme, à savoir le langage. Lorsque l’objet que j’incorpore est la parole de l’autre — un non-objet précisément, un schème, un modèle —, je me lie à lui dans une première fusion, communion, unification. Identification. Pour que je sois capable d’une telle opération, il aura fallu un frein à ma libido  : ma soif de dévorer a dû être différée et déplacée à un niveau qu’on peut bien appeler « psychique » ; à condition d’ajouter que si refoulement il y a, il est très primaire, et qu’il laisse perdurer la joie de la mastication, de l’ingurgitation, de la nutrition avec… des mots. De pouvoir recevoir les mots de l’autre, de les assimiler, répéter, reproduire, je deviens comme lui : Un. Un sujet de renonciation. Par identification-osmose psychique. Par amour.

Freud a décrit cet Un avec lequel j’accomplis l’identification (cette « forme la plus primitive de l’attachement affectif à un objet [5] ») comme un Père. En approfondissant sa notion, il est vrai peu développée, d’« identification primaire », il précise que ce père est un « père de la préhistoire individuelle », ayant les qualités des deux parents.

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4. Entre hystérie et incapacité d’aimer

L’amoureux est un narcissique doté d’un objet. C’est d’une relève considérable du narcissisme qu’il s’agit dans l’amour, de sorte que le rapport établi par Freud entre amour et narcissisme ne doit pas nous faire oublier leur différence essentielle. N’est-il pas vrai que le narcissique, tel quel, est précisément incapable d’amour ?

L’amoureux concilie, en fait, narcissisme et hystérie . Pour lui, il y a un autre idéalisable, qui lui renvoie sa propre image idéale (c’est là le moment narcissique), mais qui est cependant un autre : il/elle peut s’échapper. Il est essentiel pour l’amoureux de maintenir l’existence de cet autre idéal, et de pouvoir s’imaginer semblable à lui, fusionnant avec lui, voire indistinct de lui. Dans l’hystérie amoureuse, l’Autre idéal est une réalité, et non pas une métaphore.

L’archéologie de cette possibilité identificatoire avec un autre est donnée par la place massive qu’occupe dans la structure narcissique le pôle d’identification primaire avec ce que Freud a appelé un « père de la préhistoire individuelle [6] ». Doué des attributs sexuels des deux parents, figure par là même totalisante et phallique, pourvoyeuse de satisfactions déjà psychiques et non simplement des demandes existentielles immédiates, ce pôle archaïque de l’idéalisation est immédiatement un autre qui suscite puissamment le transfert déjà psychique du corps pulsionnel-sémiotique en voie de devenir un Moi narcissique. Qu’il existe, et que je puisse me prendre pour lui — voilà ce qui nous éloigne déjà de la satisfaction maternelle primaire, et nous situe dans l’univers hystérique de l’idéalisation amoureuse.

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5. Dynamique de l’idéal

Parce qu’il n’est pas un objet de besoin ni de désir, mais un « pôle d’identification  », l’idéal du Moi inclut le Moi par l’amour (reconnaissance, élection) qu’il lui porte (et vice versa). Il l’unifie, freine ses pulsions ou les exalte mais, en les encadrant, leur donne sens et fait du Moi un sujet. En d’autres termes, l’amour est une différAnce (avec un A) du Moi, comprenant une mise à mort masochique, et/ou une exaltation illimitée.

L’identification du sujet à son idéal du Moi passe par une absorption narcissique de l’objet du besoin qu’est la mère, absorption constitutive du Moi idéal. L’amoureux connaît cette régression qui, de l’adoration d’un fantôme idéal, le conduit au gonflement extatique ou à l’évidement douloureux de sa propre image et de son propre corps.

Cette non-objectalité de l’identification dévoile comment le sujet qui s’y risque peut se retrouver en définitive en position de maître hypnotisant, ou symétriquement d’esclave hypnotisé par son maître : comment il peut s’avérer être un non-sujet, ombre d’un non-objet. Cependant et d’autre part, lorsque ces états non objectaux du psychisme constituant l’Einfühlung, le devenir Un avec l’autre, se trouvent mobilisés dans la cure, et qu’ils sont interprétés dans le transfert, l’analyse de l’amour de transfert peut avoir prise sur d’autres états non-objectaux tels que les « faux self », les états « borderline », et jusqu’aux symptômes psychosomatiques.

Il est vrai, en effet, qu’on est malade quand on n’est pas aimé, entendons : c’est parce qu’elle manque d’idéalisation identificatoire qu’une structure psychique a tendance à la remplacer par une métaphore-condensation identificatoire dans ce non-objet incarné qu’est le symptôme somatique, la maladie. Les personnalités psychosomatiques ne sont pas des individus qui ne verbalisent pas, mais des sujets qui manquent ou ratent cette dynamique de la métaphoricité qui constitue l’idéalisation en tant que processus amoureux complexe.

II. UNE SAINTE FOLIE : ELLE ET LUI
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L’homme ne connaît ni l’amour ni la haine : tout est devant lui.

(L’Ecclésiaste, IX)

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1. Irreprésentable Loi d’amour

Qu’il soit passionnel, voire vil, quand il lie l’homme et la femme, ou sacré comme celui que voue l’homme à Dieu, et vice versa, l’amour biblique se dit le plus souvent par la racine ‘ahav, « accepter », « adopter », « reconnaître » (et peut être permuté avec « rejeter », « désavouer », « répudier », pour la haine). Sur l’axe de l’absorption et du rejet, l’amour assimile, apprivoise, abrite, comportant ainsi une connotation maternelle, voire utérine ; mais aussi il s’allie, reconnaît, légalise, avec une connotation paternelle. Ainsi, riham, de rehem, « utérus », indique le sentiment familial ; hafez signifie « plaisir de », « plaisir pour » ; razah, « se sentir bien avec », « accepter » ; plus intellectuels seraient les termes de hashak, exprimant l’attachement personnel ; hanan, suggérant une faveur concrète plutôt qu’une affection ; et enfin hased, signifiant « loyauté » mais aussi « amour vrai », « alliance » (Gen. 20 :13 ; 47 :39).

Les premiers textes de la Bible ne font que deux mentions, très elliptiques, de l’amour de Dieu pour l’homme : Dieu aime David et Bethsabée, en conséquence de quoi David aime son fils (2 Sam. 12 :24) ; la reine de Saba (une étrangère) constate que Yahvé aime son peuple (1 Rois 10 :9).

En revanche, le thème de l’amour divin sera amplement développé par le Deutéronome (4 :37 ; 7 :8 et 7 :13 ; 10 :15 et 10 :18 23 :6). Au seuil de l’exil, Ezéchiel reprend l’énoncé de l’amour de Dieu pour son peuple (Ez. 34 :11-16) : « Me voici moi-même ! Je me soucierai de mes brebis et veillerai sur elles… » De même, Jérémie (2 :2-3) : « Je me souviens, pour toi, de la piété de ta jeunesse, de l’amour de tes fi ançailles… Israël était une chose sainte pour Yahvé… »

Mais c’est comme une loi d’amour, comme un devoir du fidèle vis-à-vis de son Dieu et de son frère, que s’énonce la version la plus remarquée de l’amour biblique. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir » (Deut. 6 :5), et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19 :18). Toutefois, cet amour-loi fait souvent oublier la dynamique complexe de l’amour biblique, que le Cantique des cantiques reprend, met en évidence et amplifie.

Le texte serait composé par Salomon lui-même, fils de David vers 915-913 avant notre ère. D’autres considèrent qu’il est plus récent, faisant référence à des événements antérieurs. Passionnel, sensuel, fuyant, impossible, le dialogue du Cantique n’est cependant ni tragique ni philosophique. Tout en opposant radicalement les sexes, il établit fermement leur communauté réelle et symbolique. Le dialogue amoureux est tension et jouissance, répétition et infini ; non pas communication mais incantation. Dialogue-chant. Invocation. Cette dynamique indique, au coeur même du monothéisme, au moins deux mouvements.

Le premier consiste en ceci qu’à travers l’amour, je me pose comme sujet à la parole de celui qui me subjugue — le Maître. L’assujettissement est amoureux, il suppose une réciprocité, voire une priorité de l’amour du souverain. L’autorité est aimable, l’autorité m’aime. En même temps, et c’est le second mouvement, dans le dialogue amoureux « je » m’ouvre à l’autre, « je » l’accueille dans ma défaillance amoureuse, ou bien « je » l’absorbe dans mon exaltation, « je » m’identifie à lui. Par ces deux mouvements, les prémisses de l’extase (de la sortie hors de soi) et de l’incarnation, en tant que devenir-corps de l’idéal, sont posées avec force dans l’incantation amoureuse du Cantique. Dès lors, et plus explicitement encore, l’espace d’une intériorité psychique s’esquisse ici, inséparable de l’espace amoureux. Cette intériorité demeure bien entendu scénique, d’une théâtralité polyvalente, ne serait-ce que par sa consistance vocale, gestuelle, visuelle autant que verbale. Et pourtant, de par l’aspiration amoureuse qui unifie et totalise, par-delà la séparation irrémédiable soulignée par le topos de la fugue, l’amour selon le Cantique est déjà un réceptacle de la vie intérieure. « Je suis malade d’amour », chante la Sulamite (chap. V, 8) et cette ambiguïté, cet éloge du paradoxe préfigurent les méandres psychologiques à venir, des expériences mystiques au lyrisme romantique.

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La Sulamite, Sylvie Lucel, 2005
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2. Un chant — un corps

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La Sulamite, Gustave Moreau.

En raison de sa thématique corporelle et sexuelle (« Mon bien-aimé a retiré sa main du trou / et mes entrailles se sont émues pour lui », chap. V, 4), indissolublement mêlée au thème dominant de l’absence, de l’aspiration fusionnelle et de l’idéalisation des amants, la sensualité du Cantique légitime l’amour sexuel comme un acte génital entre un homme et une femme : entre la Sulamite et son Roi ou berger, son Dieu.

L’aimé n’est pas là, mais j’éprouve son corps dans le mien ; et mon intériorité psychique s’unit à lui, sensuellement et idéalement.

L’interprétation rabbinique allégorique, voyant dans l’aimé Dieu lui-même, favorise en fait cette potentialité « incarniste » du Cantique.

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3. Sexe et Dieu

Le livre sur amazon.fr
Commandé en 1852 à Gustave Moreau, et conservé aujourd’hui au musée des beaux-arts de Dijon, Le Cantique des Cantiques fut exposé au salon de 1853 aux côtés des Baigneuses de Courbet et du Tepidarium de son ami Chassériau dont l’influence est manifeste dans cette oeuvre.
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Compte tenu de la composante érotique disséminée dans la totalité du texte biblique, comme la confirmation de la présence absolue, bien qu’insaisissable, d’un Dieu exigeant autant qu’aimant, le Cantique n’est pas un élément étranger de la Bible : il ne fait que mettre les points sur les « i ». Désir sexuel et Dieu aimant ont toujours été là, il s’agit maintenant de les intégrer ensemble dans les plis de l’expérience psychique individuelle. Le terme d’amour consacre leur réunion : amour sensuel et différé ; corps et pouvoir ; passion et idéal.

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4. Le couple légitime

Qu’il s’agisse d’un amour conjugal est de toute évidence une condition primordiale pour que les mentalités religieuses ou sexuelles des peuples environnants s’intègrent dans le corps de l’écriture biblique. L’amour du couple consacré par la Loi est le pilier de la société juive, et dépeindre les amants sous l’image d’un couple d’époux dévoués, où l’homme jaloux assure la sécurité de la femme, intègre incontestablement un trait de moeurs populaires qui légitime et ainsi seulement sanctifie l’amour. Notons que ces particularités distinguent radicalement le Cantique aussi bien des amours platoniciennes, dont il n’a ni le psychodrame ni l’abstraction idéelle, que de la mystique pathétique et enthousiaste des amours orgiaques propre aux cultes païens, dont il ne partage pas l’illusion de plénitude. À égale distance des deux, scellé par la loi autant que fondé sur une distance, une fuite, voire un impossible, l’amour du Cantique ouvre une page toute neuve dans l’expérience de la subjectivité occidentale. Unique en son genre, en ceci que c’est la parole d’une loi inscrite dans le désir qui, par delà les influences étrangères, se recueille merveilleusement dans ce Cantique empreint d’un amour novateur. Ni quête philosophique ni enthousiasme mystique, l’amour biblique chante, et par là même opère la bascule de la religion (qui est en définitive une célébration du secret de la reproduction, secret du plaisir, de la vie et de la mort) dans l’esthétique et dans la morale. Fait majeur : pour la première fois dans l’écriture mondiale, le sujet de l’énonciation est une femme, la Sulamite.

Elle me servira de transition pour aborder l’amour sous l’angle du « faire l’amour », ou de l’acte sexuel amoureux, qui nous conduira aux métamorphoses actuelles des identités sexuelles et de la parentalité.

III. « FAIRE L’AMOUR »
ET MÉTAMORPHOSES DE LA PARENTALITÉ

Freud fonde sa théorie du processus psychique sur deux actes  : le meurtre du père (aux origines de la religiosité et du pacte social) et la scène primitive (foyer des fantasmes originaires).


Picasso, Minotaure, 1933
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Je ne discuterai pas les fondements historiques et cliniques sur lesquels il construit cette théorisation. J’essaierai seulement d’en tirer quelques implications pour le thème qui nous réunit aujourd’hui, l’amour, et plus spécialement pour ce qu’on appelle « faire l’amour », l’acte sexuel amoureux. Je ne reprendrai pas la thématique complexe du « meurtre du père », sa légitimité scientifique ou fantasmatique, etc. Je rappellerai seulement que le passage de la horde primitive à la famille qui en résulte suppose l’installation de l’homoérotisme au coeur du lien social, comme le confirment les mutations sociétales en cours.

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1. De l’homoérotisme à la différence sexuelle

Des millénaires ont été nécessaires pour que la famille comme alliance de deux personnes de sexes différents puisse être pensée et revendiquée par les hommes et par les femmes. Il a fallu pour cela passer par l’introduction de l’amour dans l’espace familial : déjà présent dans l’Odyssée, puisque au cours de son périple Ulysse n’a de cesse de retrouver sa femme Pénélope et son fils Télémaque, il est comme j’ai dit sublimé dans le Cantique des cantiques des Hébreux, qui met en valeur la parole de l’amoureuse Sulamite se languissant de son berger-roi. Ceci avant que la grande littérature amoureuse de l’Occident chrétien ne se saisisse du sujet, dans un premier temps par les romans courtois (greffés d’influences taoïstes transmises, paraît-il, par les Arabes musulmans), puis libertins, modernes et postmodernes enfin.

Un autre fait marquant de ce long processus réside dans celui de la libération des femmes. Si celle-ci fut dans un premier temps l’expression d’un refus de la famille et de la maternité, le phénomène prit une tournure tout autre lorsque fut reconnu à la femme un érotisme spécifique dans la reliance de l’amante devenue mère avec ce premier autre, l’enfant, au carrefour de la biologie et du sens.

Le couple hétérosexuel marié continue de fasciner les imaginaires. Non seulement le mariage comme institution le normalise, mais toute une industrie de fiction télévisuelle nous l’impose jusqu’à la nausée comme le modèle à suivre. Est-il donc énigmatique, scandaleux, et par là même désirable, parce qu’il rappelle à chacun l’accouplement de papa et maman, cette impensable « origyne » de l’origine ? Ou bien est-ce l’amour de l’homme et de la femme qui fascine les imaginaires ? Dans faire l’amour, amour et accouplement se rejoignent. Serait-ce cette intimité entre deux incommensurables qui « rompt la liaison de masse propre à la race, à la partition en nations et à l’organisation en classes de la société  », accomplissant « de ce fait des opérations culturellement importantes  » [7] pour citer Freud  ? Le même ajoute : « Il semble assuré que l’amour homosexuel [entendons l’homoérotisme] se concilie beaucoup mieux avec les liaisons de masse, même là où il survit comme tendance sexuelle inhibée quant au but ; fait remarquable, dont l’élucidation ne manquerait pas de mener loin [8]. » Ou encore : « L’origine homosexuelle de ce qui constitue la plus grande partie de la civilisation est assez évidente, puisque nos sentiments sociaux sont aussi de nature homosexuelle (c’est la femme qui rend l’homme asocial) [9]. »

Essayons d’entendre ces constats dans le contexte d’aujourd’hui.

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2. Guerre et paix des sexes


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La domination des hommes sur les femmes, confortée par le pouvoir du langage et de la capacité symbolique, a longtemps réservé à celles-ci la place du foyer, de la reproduction et de l’intime. Sur les résidus historiques ou fantasmatiques de cette séparation, les sciences de l’homme et de la société ont retracé le tableau complexe des compromis qui ont rendu vivables la guerre et la paix entre les sexes à travers les âges. Ce fragile équilibre paraît aujourd’hui menacé dans la civilisation occidentale, par l’affranchissement sans précédent des désirs singuliers d’une part, par le développement prodigieux des techniques, notamment reproductives, d’une autre. Ces deux facteurs semblent désormais ouvrir la voie à une remise en question radicale de l’immémoriale différence des sexes elle-même, quelles qu’aient pu être ses variantes antérieures. Apocalyptique ou prométhéenne, cette tendance s’oppose aux anciens codes moraux consacrés par la religion, bouleverse les compromis antérieurs fondés entre les sexes, et suscite logiquement la désapprobation de ceux qui veulent les conserver tels quels, qui dénoncent une nouvelle décadence, suicidaire.

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J’ai développé ailleurs ma réflexion sur ces nouvelles « guerres et paix des sexes » (dans Seule une femme, paru aux Éditions de l’Aube, 2013), et ne rappellerai ici que succinctement deux aspects de la mutation de la différence sexuelle qui s’ensuit.

D’une part, l’émancipation des femmes et leurs performances sociales accentuent la bisexualité psychique des mères et des amantes, perturbant par là les hommes, qui ressentent auprès d’elles un « danger d’homosexualité » (pour reprendre une expression de Colette) – à moins que ce ne soit un espoir.

D’autre part, le « roc de la castration » expose la sexualité masculine à une épreuve plus radicale et plus complexe. La clinique
psychanalytique en témoigne : terrible en même temps que jubilatoire, la peur de la castration mène l’histoire des hommes. Et nul mieux que Georges Bataille n’a su attester ses abîmes et ses triomphes extatiques. La décapitation, pratiquée aujourd’hui par les djihadistes fous de Dieu, renoue avec ces fantasmes qui attisent l’abjection fanatique mortifère et mobilisent industries militaires, trafics mafieux, tractations politiques durables. L’homme n’a-t-il d’autre choix que de la dénier ou d’y succomber ?

Le déni de la castration impose, au mieux, sa stratégie au séducteur éternel (mais n’est pas Casanova qui veut). Plus mystique que physique, ce dernier invente la transcendance, l’« au delà », il s’en remet à Dieu ou au Verbe, puis se fait chair, entraînant sa compagne dans le paradis de cette culture, où elle ne subsiste que comme objet, au mieux comme signe de son désir à lui. Quand l’homme s’arrange au contraire avec la castration, trois voies s’offrent à lui. Le plus souvent, il se condamne à être l’esclave du lien social, un rouage de l’ordre établi : « Je pratique l’efficastration », m’a confié lucidement un analysant, qui savait n’être efficace qu’au prix de la castration. Au pire, lorsqu’il emprunte la deuxième voie, l’homme s’abîme dans la psychose mélancolique, ou se pétrifie dans la paranoïa. Reste la troisième voie, épuisante mais grosse de bénéfices : la perversion, que Lacan décrit comme une version érotique adressée au père, père-version, qui se soutient d’une mère-version (selon l’expression d’Ilse Barande), dans une identification masochique et non moins exaltée avec la mère. Mais l’issue sublimatoire est elle même fréquemment pavée de ces passages à l’acte père-vers ou mère-vers. Nous l’entendons dans notre entourage, et forcément dans la parole de nos analysants. Elle conduit l’homme – les grandes oeuvres de la culture en témoignent – à cette fabuleuse pulvérisation-dissémination identitaire, à cet extravagant dépassement de soi qui culmine dans quelque chose de semblable au bonheur (« something like happiness », m’a dit quelqu’un), où le rire éclate dans la sérénité du néant. Non plus le néant mélancolique, mais l’être lové dans le non-être, détaché parce que désexué, plutôt qu’asexué, neutre, innocent, « pneumologique » – l’homme se fait « spirituel », il se prépare des « cocktails de spiritualité » pour se désennuyer. Une grappe d’anges dans les tableaux de Giotto ou de Mantegna.


Giotto, Naissance de Jésus (env. 1303-1305)
Fresque 200 x 185 cm. Chapelle des Scrovegni à Padoue.
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Cette sorte d’enfance retrouvée et l’aptitude à se pardonner, pardonnant dans le même élan les désirs forcément guerriers, signent en définitive la sublimation du sujet masculin, lorsqu’il a brûlé l’angoisse de castration en même temps que la défense contre elle érigée par la pose phallique. Au contraire, la sublimation féminine, nécessairement déployée dans la maternité choisie, est insatisfaisante pour la mère et pour l’enfant, souvent menacée par la mélancolie, quand elle ne se durcit pas dans la parade de la virago ou dans une insoluble compétition phallique, inlassable vengeance contre le père abusif ou frustrant que tout homme est supposé être.

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3. Crise du couple hétérosexuel ?

Mais revenons, à travers ces acteurs dont j’ai esquissé le portrait à larges traits, à cette génitalité qui « rompt la liaison de masse » (Freud). Derrière le rideau du mariage et de la manif pour tous, on cherche en vain où sont passées les « valeurs ». Et si le couple hétérosexuel et sa famille en étaient le point de mire, précisément, en lieu et place de « la valeur » (qu’on espère trouver pour pallier la solitude, pour se prolonger et transmettre). La morale conventionnelle a beau banaliser le couple et la famille, et nos programmes télévisuels globalisés les représenter jusqu’à la caricature, nos fantasmes convergent dans leur direction. Eprouvettes, congélations d’ovocytes, dons de sperme, jusqu’à ces ventres féminins, que l’on achète le temps d’une grossesse… : tous nos artifices en sont hantés. Les « tradis » comme les « modernes » savent bien que « l’amour, ce n’est pas ça », « ce n’est jamais
ça » : rien n’y fait, c’est bien l’héritage archaïque de la parentalité qui s’invite dans les inconscients, à l’ombre des débats, quand on légitime le mariage pour tous. Avec les deux apothéoses de ce théâtre de l’imaginaire pour tous que sont la « scène primitive » de la génitalité et l’« enfant-roi », antidépresseur souverain.

Au symptôme français – qui ne se contente pas de gérer, mais s’emporte, enthousiaste ou angoissé –, il manquait une analyse, une défense et une illustration de l’hétérosexualité. Cette dernière ne réside pas dans la seule différence anatomique entre le mâle et la femelle. L’hétérosexualité ne peut pas non plus être invoquée comme le plus sûr et le seul moyen de transmettre la vie ou de garantir la mémoire des générations. Elle révèle l’extrême intensité de l’érotisme et recèle de ce fait une insoutenable fragilité.

Il fallait le génie de Freud pour formuler ce que tous savaient intimement : la procréation qui hante les humains n’est pas un acte naturel et encore moins un acte souverain. Nous comprenons que le meurtre du père est un acte ; mais nous avons tendance à oublier que l’amour aussi est un acte : la scène primitive.

N’est-ce pas par la psychisation de cet acte amoureux que la différence sexuelle s’affirme dans une cascade de fantasmes, qui sont des foyers constituant la psychisation. Lesquels ?

Une fragilité habite la furie de la scène primitive, fantasme originel et universel s’il en est : fusion et confusion de l’homme et de la femme, perte exubérante d’énergies et d’identités, affinité de la vie avec la mort. L’hétérosexualité n’est pas seulement une discontinuité (« je suis autre, seul/e face à l’autre »), normalisée par la continuité (fusion pour « donner » la vie). L’hétérosexualité est une transgression des identités et
des codes, qui ne procède pas de l’effroi, mais plus radicalement de l’angoisse et du désir à mort, portés par la promesse de vie à travers la mort. Assomption phallique, violence et exil de soi, le duo hétérosexuel est comme la tauromachie : un des
beaux-arts (Michel Leiris en fit la métaphore du sien, l’écriture).

Mais au sommet de la dépense, le plaisir récompense la castration, l’angoisse de mort s’élève en jouissance et s’annule : en prenant forme dans le temps par la conception possible d’un être nouveau, étranger et éphémère. Tel est le sens insensé de la scène primitive. Et de tous les érotismes qui s’ombiliquent à elle. – En effet, quelles que soient les variantes de la « norme hétérosexuelle » dans la psychosexualité de chacun, et par-delà les acceptations ou les rejets des couples diversement composés, le mirage de la « scène primitive » comme fantasme originel, qui structure les inconscients, relie immanquablement la diversité des érotismes, qu’ils soient profanes ou sacrés, « au zénith de la procréation », comme l’explicite Georges Bataille (L’Érotisme, 1957). Le « principe processuel » de la parentalité elle-même n’est donc ni une abstraction, ni un bricolage de « substituts » ou de « fonctions ». Il s’incarne au contraire dans la dyade hétérosexuelle des deux parents.

– Dans la formule de Lacan « il n’y a pas de rapport sexuel », j’entends que la peur du féminin hante la désirance du père ; que la peur du prédateur paralyse et frigorifie le plaisir de la femme ; que le couple sexuel en panne se perpétue à l’aide du tiers  : « amours contingents » (Sartre et Beauvoir), sublimations (oeuvre d’art, vocation, engagement, métier, sport, hobby, communauté, église…), et au sommet, le Créateur, troisième personne, « Il » majuscule et impersonnel, éternel et hors dialogue, qui résume, soutient et perpétue la tiercéité parentale et sa signifiance. Deux fois deux homosexuels en miroir attendent l’Au delà à la façon de Godot chez Beckett. En revanche, le couple hétérosexuel (croyant ou non) espère un tiers qu’il aura engendré, et, faute d’éternité, se pense dans l’horizontalité du temps qui passe. Car l’enfant, acteur majeur de l’amour – objet et sujet – renoue la chaîne des générations : dans notre existence amoureuse, il est le signe aussi bien que le réel de la transcendance symbolique, devenue transmission transgénérationnelle par sa présence à lui, l’enfant lui-même. La parentalité n’est pas seulement une fabrique de citoyens plus ou moins surmoïques, ni seulement un pari risqué sur d’éventuelles réalisations de l’idéal du Moi. Dans l’insoutenable fantasme infantile de la scène primitive, la parentalité constitue le pivot de la subjectivation qu’elle menace par une éclipse du Temps (dans la jouissance) et qu’elle relance dans le Temps (par l’engendrement
d’une nouvelle vie).

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4. Corpus mysticum

Je suis en train de vous dire qu’il y a du rapport sexuel, mais que c’est sa fragilité précisément qui garantit l’indécidable de la vie psychique, celle des parents et celle des enfants. L’amour et plus encore le « faire l’amour » installent l’indécidable – cette fragilité – comme la condition sine qua non de la psychisation en tant que processus ouvert, libre, innovant, créateur.

Cette humanité libre, pensante, improvisante, que Freud a mise sur le divan pour l’aider à traverser sans fin les malaises dans la civilisation, serait-elle menacée de disparaître par les mutations sociétales en cours ? Je n’oublie pas la prophétie d’Alfred de Vigny, relayée par Marcel Proust : « Les deux sexes
mourront chacun de son côté. » Mais je n’ai pas l’esprit apocalyptique, des décennies de pratique analytique me conduisent à me définir comme une pessimiste énergique. Je constate seulement qu’après et avec la guerre des sexes, il nous faudra inventer un nouveau monde amoureux.

Non pas l’Amour avec un grand A, substitut narcissique et supposément laïc des illusions religieuses. Il nous faudra réinventer le fondement de cet acte difficile entre tous consistant à croire en pensant l’autre sujet sexué. « Croire », des racines latine et sanscrite credo- kredh- se dit en psychanalyse : investir.

Investissement (Besetzung, Cathexis). Je t’investis : ma subjectivation s’investit en toi, en toute lucidité ; je ne suis pas forcément d’accord, mais je me cherche en toi comme tu te cherches en moi, différemment et ensemble. Une sorte d’amour qui advient dans l’ombre même de l’amour, et auquel l’amour n’a pas forcément
accès. Il manque un fondement à ces temps troubles que nous promet l’accélération de la technique. Je ne pense pas qu’un code moral ou religieux, nouveau ou ancien, soit capable de nous le procurer. Je suis persuadée cependant que l’ontothéologie dont nous sommes issus nous a légué un projet possible : c’est la singularité du sujet parlant, capable de liens, à laquelle la psychanalyse freudienne a restitué le dualisme psychosexuel, sa construction par les deux sexes dans le triangle oedipien.

À la fin de la Critique de la raison pure (1781), Kant rêvait d’un corpus mysticum des « êtres raisonnables », pour fonder un monde moral, autrement irréalisable. Il entendait sous ce terme une « unité systématique » établie par l’empire des lois morales sur le libre arbitre, l’unité du « libre arbitre avec lui-même » et « avec la liberté de tout autre ». Nous savons maintenant que la liberté du désir est folle, et que la guerre des sexes continue.

Le corpus mysticum nous manque ; peut-être nous manquera-t-il toujours ; peut-être est-il, par définition, manquant. Je prends le risque de penser qu’il nous manque parce que nous n’osons pas le chercher dans cette lucidité amoureuse qui constitue, à travers guerre et paix, la singularité d’un homme et d’une femme. Les incompatibles libertés, les identités sexuelles recomposées et les risques des néoréalités rendent, en effet, rarissime la rencontre d’un homme et d’une femme. Périmée quand elle n’est pas scandaleuse ? Innommable quand elle n’est pas outrageusement médiatisée ? Ou bien insensée, forcément insensée et donc clandestine ? Certainement, et pas seulement. C’est bien parce qu’elle est impossible qu’elle vaut la peine d’être tentée. Aussi ne mérite-t-elle pas d’autre nom que celui de cette utopie rêvée par Kant et qu’il appelle corpus mysticum  : le point précis où la massification se « rompt » (Freud  : « c’est le lien érotique de l’homme
avec la femme qui rend l’homme asocial1XXX » pour « accomplir des opérations culturelles importantes2XXX ». Je prétends que si la refondation du pacte social ne comprend pas cette lucidité qui réunit les deux sexes malgré et au travers de la guerre qu’ils se livrent à mort, elle n’existera pas, pas plus que le monde moral. Pourtant, c’est bel et bien cet impossible que vise l’expérience freudienne.

Sans fin, indéfiniment.

Julia KRISTEVA


PARTIE II - Résumés de quelques unes des conférences


Alzheimer

Auteur : Michel Malherbe

Présentation : Paradoxe de la frontière que trace l’intimité, puisque la frontière de l’intime appartient autant au monde extérieur qu’à l’espace intérieur. Car c’est toujours au sein du monde et de la communauté humaine que prend sens ce qui n’est jamais qu’un retrait. Or, la maladie d’Alzheimer détruit progressivement le rapport du patient au monde et le prive inexorablement de participer à la communauté humaine. Lui supposera-t-on encore quelque intimité ou, comme on le dit, quelque vie intérieure ? Le patient alzheimer aurait-il encore un Soi qui serait son ultime asile ?

Conviction (intime …)

Auteur : Jean Danet

Présentation : Qu’est-ce que l’intime conviction dont la Révolution française a fait une boussole pour tous ceux qui jugent au pénal ? Le glissement de l’usage des mots « intime » et « intimité » affecte le sens de l’expression. Pour certains, la notion serait floue, laissant le juge à son ressenti. Ceux-là croient souvent que la notion d’intime conviction ne concernerait que les jurés. Et d’en tirer la conclusion que, décidément, la justice pénale est chose trop sérieuse pour être abandonnée à des ignorants dotés au surplus d’un si piètre outil.

Pour éviter le contresens, il faut tout reprendre. Quel était le critère en vigueur avant celui de l’intime conviction ? D’où nous vient celui-ci ? Quel lien avec les Lumières ? Pourquoi l’adjectif « intime » ? Quel rapport avec la common law, qui retient la conviction forgée « au-delà de tout doute raisonnable » ? L’intime n’est pas le temple de la subjectivité. Après un débat judiciaire mené selon les règles du procès équitable, vient le temps où chaque juge doit seul prendre ses responsabilités, dans le silence de sa conscience, par l’usage de sa raison et avec impartialité. L’intime conviction est une norme démocratique de la preuve.

Génome

Auteur : Michel-Elie Martin

Présentation : La connaissance du génome, du patrimoine génétique d’un organisme, est une extériorisation de l’information qui détermine l’identité d’un organisme. Cette connaissance peut servir de diagnostic prénatal ou postnatal utile en ce que celui-ci permet de repérer des facteurs génétiques prédisposant à certaines maladies. Mais, de ce fait, cette extériorisation du génome ne doit-elle pas être soustraite à certains regards et tenue comme étant de l’ordre d’une intimité à préserver, même si l’on admet, par ailleurs, que le génome ne définit pas totalement l’identité humaine ?

De plus, cette connaissance, qui extériorise techniquement l’information intime du vivant, se déploie en biotechnologie, en biosynthèse modifiant les génomes des plantes et des animaux, voire de l’homme. N’y a-t-il pas là danger pour notre environnement écologique et pour l’espèce humaine qui en dépend ? Quant à la transgénèse sur les cellules germinales de l’homme, n’est-elle pas d’évidence éthiquement problématique, puisqu’elle engage l’avenir même de l’humanité ? Mais l’affrontement de ces dangers et problèmes doivent-ils nous conduire à préserver et à soustraire toutes les intimités génomiques de la biosynthèse ?

Honte

Auteur : André Guigot

Présentation : L’expérience de la honte est inévitable et renvoie chacun d’entre nous à un sens de la responsabilité vécu comme une épreuve, parfois fugace comme un regard, souvent lourde et profonde comme la culpabilité. En décrivant les différents aspects tels que la réalité de la honte apparaît à une conscience attentive, nous pouvons mieux comprendre sa dimension révélatrice. La « honte » nous en apprend beaucoup sur nous-mêmes, sur notre rapport aux autres et au monde. Elle peut polluer l’existence, mais s’avère plus positive lorsqu’elle déclenche, dans l’intimité de l’esprit, un désir de révolte et de recommencement.

L’enjeu d’une telle analyse réside sans aucun doute dans la vérité qui surgit de la douleur : avant d’être une puissance, la liberté consciente d’elle-même se vit comme une épreuve. La pensée moderne a tout fait pour « déculpabiliser » la sexualité et « décomplexer » à tout de bras la réussite, dans le prolongement d’une idéologie de la libération. Peut-être était-ce pour se laver de bien des fautes. Peut-être aussi en payons-nous le prix fort, sous la forme d’une culture de l’excuse.

Pour éviter les pièges de l’irresponsabilité comme de la culpabilisation absurde, il est urgent de comprendre la « honte », qui nous rabaisse mais, à condition de la dépasser, dévoile aussi notre humanité.

Intimité

Auteur : Jacques Ricot

Présentation : Alors que la langue française, depuis le XVIIème siècle, dispose du mot « intimité » pour caractériser ce qu’il y a d’intérieur, de profond, de secret, de privé en chacun, nous avons éprouvé le besoin de ne pas laisser à ce terme le monopole de la description de ce que l’adjectif « intime » désigne. En effet, l’« intime », forme substantivée de l’adjectif et d’emploi ancien mais assez rare, connaît aujourd’hui un regain de faveur, et c’est le signe que l’on tâtonne pour atteindre une réalité que l’intimité, classiquement considérée, ne parvenait pas à atteindre.

On s’efforcera, non pas de fixer et donc figer le dictionnaire pour tracer les frontières sémantiques de l’intimité et de l’intime, mais d’interroger les usages de la langue pour esquisser les questions et les réponses variées que ces emplois permettent d’entrevoir.

Lire/Écrire

Auteur : Franck Robert

Présentation : Si l’écrivain écrit pour les autres, il est d’abord celui qui écrit dans l’intimité ; si le lecteur s’ouvre sur les paroles d’un autre, c’est en faisant siens des mots qui lui sont d’abord étrangers : en lui-même s’inscrit une parole venue d’ailleurs. Nous voudrions envisager tout en même temps écriture et lecture, les considérer comme gestes indissociables : si la lecture imprime en soi les lettres du livre, l’écriture n’est-elle pas aussi d’abord lecture d’un livre intérieur ? En ces expériences singulières du langage, se nouent la force et l’aventure d’une intimité qui ne s’ébauche que dans l’ouverture, tout à la fois risquée et confortable, à l’autre.

Mensonge

Auteur : Caroline Baudouin

Présentation : Notre vie intime n’est pas toujours en accord avec nos convictions : que signifie alors cet écart entre notre adhésion intellectuelle à des principes et la vie que nous menons effectivement ? Et quel est plus particulièrement le sens de ce mensonge lorsqu’il est commis par les philosophes, ces penseurs censés être des amoureux de la vérité ? Au lieu de crier à l’imposture et à l’hypocrisie, on envisagera une approche amorale du mensonge à soi-même, comme moyen d’explorer plusieurs modes d’existence et d’expliquer qu’on puisse vivre le contraire de ce qu’on écrit, ou écrire le contraire de ce qu’on vit.

Pudeur

Auteur : Joël Gaubert

Présentation : La pudeur est une attitude de retenue dans l’expression corporelle, affective et spirituelle de soi à l’égard des autres. Cette attitude provient-elle d’un sentiment naturel et donc légitime, en ce qu’il vise à la préservation et même à la constitution du plus intime de soi tout comme d’une civilité fondant le bien-vivre ensemble ? Ou bien la pudeur vient-elle d’un conditionnement culturel arbitraire et illégitime car empêchant aussi bien l’expression de soi que le partage d’un sens commun nécessaire au bien-vivre ensemble privé (comme en amitié et en amour) et public (en société et politique) ? Faudrait-il donc traquer la pudeur au nom d’une transparence psychologique et sociale totale, pour satisfaire à l’impératif catégorique communicationnel de la démocratie contemporaine, ou bien en prendre soin et même la cultiver pour en faire la vertu privée mais aussi publique par excellence ?

Rien à voir

Auteur : Jean-François Crepel

Présentation : Comment faire pour jouer d’une image de soi sans être trahi par elle ? Tantôt l’image amène à se mettre en scène dans son intimité : on joue alors la proximité avec son « public ». Tantôt elle trahit, quand elle expose à la violation de ce qu’on dénonce alors comme une intrusion inqualifiable dans sa « vie privée ». Le jeu avec son image exprime un désir paradoxal de comédien : celui d’être reconnu sans être découvert. Je désire être désiré mais tout autant je crains d’être méprisé : je mets en jeu, c’est-à-dire à la fois en scène et en péril, le sens de mon intimité. Est-ce cependant un jeu sans conséquence ? On peut faire l’hypothèse qu’il s’agit, en réalité, d’un jeu politiquement dangereux, parce qu’il fragilise le mode d’existence de l’intimité, faisant des citoyens de potentiels « exclus de l’intimité ». Cela signifie non seulement que la société les pousse à s’exposer en public, et à rechercher des preuves de leur valeur, mais aussi qu’assujettis de toutes parts à des prescriptions normatives de vie personnelle, ils s’exposent à perdre le sens d’une véritable expérience de l’intime.

Solitude

Auteur : Jean-Claude Dumoncel

Présentation : Philosophie de la Solitude, c’est le titre d’un livre de John Cowper-Powys. D’abord, dans l’histoire de la philosophie, il existe un véritable lignage des sages solitaires, comme Spinoza et Nietzsche, balisant son cours. Avec Rousseau randonneur, la solitude rejoint le mouvement de la marche, complice péripatéticienne de la Pensée depuis Aristote jusqu’au penseur pedestrian de Peirce. Alors, de Rousseau à Sartre, la solitude entre dans un rapport essentiel avec le dévoilement de l’Existence. Mais pourquoi P. Valéry dit-il qu’« un homme seul est toujours en mauvaise compagnie » ? Le rôle de la rêverie selon Bachelard offre une réponse et une issue.

Vulnérabilité

Auteur : David Lebreton

Présentation : Si nous protégeons notre intimité c’est bien parce que nous nous savons vulnérables, c’est-à-dire susceptibles d’être touchés au plus profond de nous-mêmes au travers de ces brèches que sont nos relations avec les autres. Mais alors comment se protéger et le faut-il seulement ? Cette interrogation se place au cœur du stoïcisme antique comme des plus récentes éthiques du care. Elle prend aujourd’hui une importance toute particulière dans le domaine médical. C’est justement en s’appuyant sur les séries TV qui mettent en scène les médecins et les infirmières que nous chercherons une première solution. Nous proposerons également une relecture du Petit Prince comme apprentissage et acceptation de la vulnérabilité.

Water-Closet

Auteur :Pascal Taranto

Présentation : Occupé !

seXtape

Auteur :Sylvain Portier

Présentation : La sextape est devenue un véritable phénomène de société, ce qui n’est pas étonnant dans une société qui est précisément d’images, de consommation d’images et de culte de l’image de soi. Si elle concerne tout aussi bien l’individu lambda que la star, il est dans tous les cas possible de l’interpréter, en un sens social et psychologique, comme une tendance narcissique et transgressive à mettre en scène ce supposé refuge intime que sont les ébats amoureux. Peut-on toutefois réduire la sextape à cela, ou peut-elle nous apprendre quelque chose de plus profond quant à notre rapport au désir et à notre propre intimité ?

Zen

Auteur : Roland Depierre

Présentation : L’intimité d’une présence à soi, promise par la méditation zen (chan en chinois), parviendra-t-elle à nous défaire de nos illusions, qu’elles soient intellectuelles ou sentimentales, celles de l’unité et de l’identité du moi en particulier ? Cette promesse des maîtres bouddhistes anciens, comme Dôgen (1200-1253), « l’École de Kyoto » la renouvelle par la recherche de l’Éveil de soi s’appuyant sur une philosophie du néant, celle de Nishida Kitaro (1859-1945) par exemple, et qui annonce une synthèse entre les pensées orientale et occidentale.


[1S. Freud, « Pour introduire le narcissisme », dans La Vie sexuelle, PUF, 1969, et GW, t. X, p. 142.

[2Cf. A. Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Éd. de Minuit, 1983.

[3Cf. « État amoureux et hypnose », dans Psychologie collective et analyse du moi (1921), GW XIII, p. 125, tr.fr. Essais de psychanalyse, PUF, 1963, p. 137

[4« L’identifi cation », ibid. p. 127 ; GW t. XIII, p. 116.

[5Le Moi et le Ça (1923), dans Essais de psychanalyse, op.cit. p.129, GW, p. 118.

[6Ibid, p. 259 ; GW, p. 200.

[7S. Freud, Psychologie collective et analyse du moi (1921), PUF, 1991, p. 81.

[8Ibid, p. 81.

[9Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, 11 décembre 1912, Gallimard, 1984, p. 162.

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1 Messages

  • Viktor Kirtov | 9 février 2019 - 10:56 1

    Par Antonin Veyrac
    DIACRITIK, 8 février 2019

    Plus je lis, plus j’écoute et plus j’écris sur Julia Kristeva.
    J’ai l’impression d’être coextensif dans ma conscience et mon inconscient à sa personne, le langage joue le rôle de liant. Je me fonds en elle, je suis elle à la nuance près qu’elle me fait m’explorer elle-même en moi. C’est-à-dire que je suis elle, en m’explorant moi. Il y a Kristeva en moi, différemment.

    Julia Kristeva me rend compte, par les anecdotes sur sa vie ou les théories conceptuelles qu’elle déploie, de mon moi ; toujours en fonction d’elle. Plus précisément ou plus abstraitement, les académiciens me corrigeront, je deviens Kristeva à chaque moment où je pense, car, comme une mère, bien que très symbolique, elle me guide et me protège contre un dehors menaçant. Un dehors incompréhensible. Elle est ce réceptacle à ma nature angoissée. Comme l’enfant avec sa mère, et je le comprends mieux tout en l’écrivant, je pénètre dans l’intimité fantasmée par mon psychisme, cette intimité de Kristeva qui me rassure. Son boudoir bien rangé. C’est une mère et une enseignante. Ce qui revient au même. [...]

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