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Philippe Sollers et la politique : le regard d’un écrivain sur les événements marquants des quinze dernières années

Sandrine Gaillard et Nonfiction

D 20 février 2015     A par C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Philippe Sollers et Pierre Nora. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


La publication des chroniques de Philippe Sollers fait le pari de mêler la mémoire des quinze dernières années à la pensée lucide d’un écrivain.

Philippe Sollers a rassemblé ses chroniques dans un livre intitulé Littérature et Politique. Parues dans des journaux et magazines généralistes, elles témoignent des événements survenus en France et dans le monde entre 1999 et 2013. Les Éditions du Seuil avaient proposé à Sollers de publier son journal de l’année 1998, dans le cadre d’une collection sur les dix années qui précèdent l’an 2000. Littérature et Politique peut se considérer comme le prolongement de L’Année du Tigre. Journal de l’année 1998. Il y est fait moins état de sa vie personnelle. Il a 62 ans au début du recueil et 76 ans à la fin.

Pourquoi confier une chronique sur l’actualité à un écrivain ? On est curieux de connaître son point de vue, de retrouver un style d’écriture et gagner matière à penser. Au milieu du flux d’informations, du récit des faits divers, des problèmes politiques, sa contribution procède d’un ailleurs, irrigué de poésie et d’enchantements. Personne ne dévoile jamais les ressorts cachés de la société et les motivations humaines aussi bien que les écrivains dans les romans, comme si lire et écrire façonnaient un corps singulier. Par ailleurs, Sollers s’est toujours tenu informé de l’actualité : internationale, scientifique, littéraire. Dans ses romans, il met en scène des narrateurs journalistes, enquêteurs. N’est-il pas paradoxal de faire un livre de ces chroniques de presse ? Les unes ne valent-elles pas parce qu’elles sont liées au présent, tandis que le livre peut être trouvé par un lecteur futur qui n’aurait plus aucune idée des personnes, des épisodes dont il est question ? C’est en effet le risque… Néanmoins, l’écrivain offre la possibilité qu’on s’intéresse à ces inconnus comme un supplément d’éternité.

Si l’on songe un instant aux Bloc-notes de François Mauriac, on constate avec quelle gourmandise il annonçait ses publications : « Rien ne peut me faire plus plaisir que l’annonce d’un nouveau volume de Bloc-notes préparé par mon éditeur. Ce sera le quatrième, si je ne me trompe pas. À tort ou à raison, je compte sur ce témoignage que je laisserai. Je ne sais ce qu’il adviendra du Nœud de vipères, de Thérèse Desqueyroux ou d’Un adolescent d’autrefois. En revanche, je compte sur cet ouvrage, qui n’est pas seulement l’histoire vue par un tempérament, mais qui se confond avec ma vie la plus personnelle. Cela constitue une expérience singulière que je crois être seul à avoir tenté. » Les jeunes écrivains n’étaient pas peu fiers d’y figurer, quelle que soit leur communion d’idées avec l’académicien catholique, gaulliste fervent. Parce qu’ils savaient qu’ainsi ils dureraient. C’est toujours un grand plaisir de lire aujourd’hui les réflexions, les nostalgies de Mauriac, même si nous manquons des références liées au contexte d’énonciation. On y trouve la bienveillance qu’il n’a cessé de témoigner à Philippe Sollers, alors jeune écrivain d’un premier roman en 1958.

Le protégé pare à son tour, dans ses propres chroniques, les attaques concernant l’écrivain de Malagar. En août 2004, il écrit : « Cher Mauriac, qui m’invitait de temps en temps à dîner, lorsque j’étais étudiant, gravité, perspicacité, flèches assassines, drôlerie constante. Que dirait-il aujourd’hui de Jean-Paul II, "malade par les malades", à Lourdes. De ce pape polonais dont il n’aurait même pas pu imaginer l’arrivée ? » Nous reparlerons plus loin de Mauriac. N’est-il pas, en effet, l’auteur de l’épigraphe de Littérature et Politique : « Je prendrai la politique, je la baptiserai littérature et elle le deviendra aussitôt. »

Chronique d’une époque à désespérer

Pourquoi n’avons-nous pas une conscience immédiate de ce qui s’est passé ces quinze dernières années ? Les informations et les catastrophes se succèdent avec une rapidité folle, l’une chassant l’autre. Les analyses nous incitent à croire que rien ne change, tout serait substituable. La même époque que Balzac ? La France de Péguy et de Jaurès ? La politique de Vichy ? La culpabilité de l’holocauste ? Les excès de Mai 68 ? On ne sait plus. Hic et nunc : évanoui ! D’où l’intérêt de relire la chronique, les points saillants de ce qu’on a entendu, en fond sonore, qui donnait raison à la dépression générale.

L’accident du Concorde, la catastrophe du sous-marin Kourks, les massacres en Tchétchénie, l’épidémie de fièvre aphteuse, la destruction du World Trade Center, la faillite d’Enron, le Front national au second tour des présidentielles — citons le commentaire de Sollers, car il s’accorde avec l’émotion qui a suivi les attentats à Charlie Hebdo et au supermarché casher : « Nous avons eu le séisme, nous avons eu le sursaut. Les Français sont un peuple électrique et imprévisible : ils aiment les convulsions, les tourbillons, les manifestations, la collectivisation des émotions. » L’intervention des Américains en Irak, l’affaire Patrice Alègre à Toulouse, l’assassinat du préfet Érignac, la mort de Marie Trintignant, l’affaire d’Outreau, l’assassin Michel Fourniret et sa femme Monique Olivier, le tsunami dans le Pacifique, les décapitations à l’hôpital psychiatrique de Pau, l’ouragan Katrina, les révoltes en banlieues, la grippe aviaire, l’Autrichien Fritzl, le scandale des subprimes et le krach boursier, la tempête Xinthia, la centrale nucléaire de Fukushima, les assassinats de Mohamed Merah…

Un grand découragement devant la mort à l’œuvre

Après, il y a eu de quoi se divertir avec la politique française, lorsqu’on opère une certaine accélération : présidence Chirac, accident vasculaire, présidence Sarkozy, rebondissements conjugaux, primaires socialistes, rebondissements conjugaux, présidence Hollande… L’écrivain se montre sensible aux références littéraires des hommes et femmes politiques. Il pâlit devant l’arrogance décomplexée de la société spectaculaire, quand la télévision avoue si volontiers qu’elle vend du temps de cerveau disponible, quand il entend que La Princesse de Clèves n’est pas ce grand livre des sentiments, que les études classiques, le latin et le grec n’ont pas d’intérêts, qu’il faut liquider Mai 68, la psychanalyse et Freud. Il sourit avec ironie (ou avec Molière) de cette passion française qui veut que tout le beau monde se pique de littérature : « […] Un peuple nomade fixe ses racines toujours plus loin devant, un peuple sédentaire voyage dans sa tête, que hante une seule parole, enflée d’apprentissage et d’expériences partagées, cousue de rêves et d’angoisses résonnant de ses tambours humains à grandes peaux tendues. Et ainsi de suite. Se doutait-on que régnait à l’Élysée, puis au Quai d’Orsay, un inspiré de cette nature ? Un révolutionnaire, un communard, un pur produit dévastateur de Mai 68 ? La Tornade Villepin est en route, rien de l’arrêtera. »

Alors qu’un courant de pensée n’en finit pas de revenir sur Mai 68 pour l’accuser d’être l’origine des maux de la société : dislocation de la famille, perte du statut de l’université, etc., Sollers reste au contraire très attaché à cette période qu’il a vécue, et en conserve certaines des revendications, contre l’État en tant qu’organe de répression : il ne cesse de dénoncer les conditions de détention dans les prisons, la torture américaine ou russe, la peine de mort qui se pratique dans certains États américains, l’acharnement sur les militants d’Action directe ou des Brigades rouges. Aussi, est-il là pour saluer Julien Coupat, Julian Assange ou Edward Snowden, ou donner de la visibilité aux parutions de Raoul Vaneigem, écrivain et philosophe situationniste.

Profession : homme de lettres

« Homme de lettres » : l’expression n’est plus vraiment de saison. Elle dit pourtant qu’il y a un milieu, un petit monde, et des rivalités. Sollers exerce un métier ; écrivain, il dirige aussi une collection chez Gallimard. Il publie beaucoup : ses romans, des préfaces, des biographies, des entretiens, et répond volontiers aux sollicitations des chaînes de télévision et des radios. La réponse qu’il apporte à la somme de critiques négatives qui attaquent le personnage ou ses romans est simplement de donner à lire ces accumulations, des formules, du mépris. Elles donnent à comprendre la dureté, le ressentiment d’un monde confiné, et la permanence des chapelles. Après cinquante ans de métier, doit-il justifier le tour qu’il donne à ses romans, il se sert de sa tribune, en janvier 2009 : « Hors du roman psychologique à embarras sexuel ou parental, pas de salut. Or, rien n’est plus romanesque, aujourd’hui, que de se poser la question de la vraie lecture, puisqu’on peut en constater partout la consternante dévastation. Le roman vrai, c’est l’existence plus ou moins intensément poétique et par conséquent très interdite, c’est tout. »

Sur les quinze dernières années, il enregistre les petits séismes du milieu : les événements littéraires, Michel Houellebecq, Jonathan Littell, les prix, le Nobel à Le Clezio (2008), les manuscrits de Breton ou Baudelaire dans les ventes publiques, le succès de vente de Harry Potter et les reliques de la mort de Rowling. Et les hommages lors des disparitions : Frédéric Berthet et Françoise Sagan en 2004, Claude Simon en 2005, Philippe Muray en 2006, Julien Gracq en 2007, Alain Robbe-Grillet en 2008. Le centenaire des Éditions Gallimard et le changement du nom de rue : rue Sébastien-Bottin devenue rue Gaston-Gallimard (1881-1975). Sans oublier qu’il prend la température sur les préférences des lecteurs ou plutôt des lectrices lorsqu’il consulte sa libraire Ophélie.

« Pas les citations, les excitations »

Baudelaire écrit : « Manier savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. » Nul doute que Sollers agisse en sorcier dans son usage répété des citations. Voltaire, Stendhal, Baudelaire, Flaubert, Céline, Joyce, Debord, qui jaillissent pour s’insurger contre les réserves de bêtise et réveiller les consciences. Selon l’auteur d’Une vie divine, on est libre de couper court aux lamentations continuelles et se tourner vers ce qui exalte la vie, ce qui transporte l’âme : la littérature, la musique, la peinture. C’est un exercice et une discipline qu’il propose.

« Or ce que j’ai à dire sur le XXe siècle, et que je ne me lasse pas de répéter, c’est qu’il a été un grand siècle de création. Par principe, je ne cite que des écrivains ou des artistes. Ce siècle d’horreur a donc été aussi celui de Proust, de Kafka, de Joyce, de Stravinsky, de Picasso, de Faulkner, de Hemingway, de Virginia Woolf, de Céline, de Nabokov, de Borges, de Chaplin, de Hitchcock, de Louis Armstrong, de Charlie Parker, de Glenn Gould, des surréalistes, des Beatles, d’Élisabeth Schwarzkopf, des situationnistes, d’Artaud, de Genet, de Bataille, de Giacometti, de Matisse, de Karajan, de Mizoguchi, d’Eisenstein, de Billie Holliday, de tant d’autres. Un vrai paradis en plein enfer. » À travers les chroniques, faire une large place à l’admiration, à l’enthousiasme.

Le goût des correspondances

Ce qui semble prévaloir, parmi les parutions, ce sont les correspondances. Les lettres de Simone de Beauvoir à ses amants Nelson Algren ou Jacques-Laurent Bost, la correspondance de Gustave Flaubert ou de Paul Morand, de Louis-Ferdinand Céline, de Hannah Arendt, de Louise Michel, de Diderot, de Voltaire… Dans ses Bloc-notes, Mauriac donne sa version : « Il y a beau temps que moi-même je préfère à tous les journaux intimes, les correspondances, tout ce qu’un être livre de soi directement. C’est mon unique curiosité : comment font les autres ? Je serais bien incapable d’avaler L’Être et le Néant, même sous la menace d’un revolver, mais je dévorerais les confidences que Sartre nous ferait sur les approches de la vieillesse, sur sa méthode pour l’affronter, sur ce qui l’aide à vivre dans un monde si différent de celui qu’il aurait tant voulu changer. »

Sollers s’occupe peu de la vieillesse, de l’âge, de la maladie. L’auteur de Femmes, L’Étoile des Amants, Passion Fixe a trop à faire avec le commerce amoureux. Et c’est comme si ses questions étaient : comment font les autres pour braver l’hostilité ambiante ? Est-ce que les rencontres heureuses existent ? Ce qu’il recherche, c’est qu’on lui parle d’amour et de plaisir. On connaît l’admiration de Sollers pour André Breton, il donne la parole à Marcel Duchamp : Et puis cet émouvant hommage à Breton, en 1966 : « Je n’ai pas connu d’homme qui ait une plus grande capacité d’amour, un plus grand pouvoir d’aimer la grandeur de la vie. On ne comprend rien à ses haines si on ne sait pas qu’il s’agissait pour lui de protéger la qualité même de son amour de la vie, du merveilleux de la vie. Breton aimait comme un cœur qui bat. Il était l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution. C’est là son signe. » Il annonce dans ce recueil, la parution en 2016 de sa correspondance avec l’auteur de L’Amour fou. Et on apprend sur son site Web que la correspondance échangée avec Dominique Rolin est déposée avec les manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, elle comprend plus de 10 000 lettres manuscrites sur cinquante ans. Aura-t-on des surprises avec Sollers épistolier ?

Lire Littérature et Politique en regard des Bloc-notes de Mauriac met en évidence les styles des deux écrivains. Remarquons que Sollers s’abstient de juger ou de se définir comme une quelconque autorité. Il enregistre des faits, observe aussi beaucoup les femmes : les artistes comme Cecilia Bartoli, les cinglées comme Lynndie England, Véronique Courjault, Céline Lesage, les femmes politiques comme Martine Aubry ou Christiane Taubira. Aucun lyrisme, il faut aller vite. Pas de longues périodes, ni de métaphores mythologiques, mais une écriture qui garde les traces de Rimbaud, Baudelaire, Lautréamont ou Sade. Un humour parfois potache ou situ, de détournement. Instruire et distraire, n’est-ce pas là l’héritage de Mai 68 ? Non ! De Fontenelle ! D’autant qu’il semble s’adresser au premier venu, auquel il parle tout aussi bien de Jonny Wilkinson et de Zinédine Zidane… La culture n’est pas un raffinement de nantis et la littérature n’est pas la chasse gardée de quelques universitaires.

Il revient au lecteur, quel qu’il soit, de se faire une opinion. Les citations viennent comme des incitations à lire pour changer la vie, en étant à la fois dedans et dehors, dans le temps (la politique, c’est-à-dire la vie de la cité) et dans l’intemporel (la littérature).

Sandrine Gaillard et Nonfiction ; Slate.

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