4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » THEMATIQUES » Le Journal du mois, dans le JDD » Journal du mois, décembre 2006
  • > Le Journal du mois, dans le JDD
Journal du mois, décembre 2006

D 2 janvier 2007     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Polonium Coulisses Exécutions Drôleries Marcel Duchamp


Polonium

Vous devez désormais vous habituer à vivre mentalement entre deux mondes : celui des festivités plus ou moins détendues ou abruties et celui de la misère insupportable des sanslogis, sur fond de terreur mondiale explosive ou latente. Dans la maîtrise du monde terroriste, très au-delà du n’importe quoi islamiste, il faut reconnaître que les Russes gardent la main de l’ombre. Le polonium 210, produit hautement sophistiqué et rare : voilà la nouvelle arme de dissuasion. Nucléaire condensé, irradiation rapprochée, empoisonnement garanti, mort certaine dans des souffrances atroces. Ça vient de se passer à Londres mais, demain, avertissement solennel, ça pourra être partout. Le poutinium, variante active du polonium, ne pardonne pas, et le pauvre espion retourné professionnel Litvinenko vient d’en faire l’expérience. Le plus étrange dans cette affaire qui n’est pas près d’être élucidée, c’est la conversion tardive de la victime à l’islam et son enterrement dans une mosquée de Regent’s Park. Recherche désespérée d’une ultime protection divine ? Dans ce cas, c’est raté, mais il faut dire que le fantôme de Dieu, ces tempsci, est très occupé. Le poutinium vous prévient : on peut vous le faire boire ou inhaler dans les plus grands restaurants ou bien au bar, entre deux cocktails. Certes, il faut tout faire pour éviter le sinistre iranium. Quant à l’irakium, l’expérience est concluante : c’est trop lourd, trop cher, trop désordonné dans la production de cadavres ; la méthode Bush conduit droit à un désastre plombé. (Je doute que la pendaison de Saddam Hussein arrange les choses alors qu’un peu de poutinium dans sa cellule aurait réglé la question, d’autant plus que le contraste avec la fin du criminel Pinochet, mort dans son lit, risque de choquer la morale planétaire.) Heureux Français, pensez à votre chance : vous n’avez rien à craindre du sarkozium, du ségolénium, du chiraquium, mais méfiez-vous quand même du lepénium. Oui, je sais, vous n’en pouvez plus d’avoir à attendre encore quatre mois les résultats de la présidentielle. Mais c’est comme ça : voyez, écoutez, lisez, inhalez, vous aurez juste une légère migraine. Bonne année.



Coulisses

Andrew Nurnberg est l’agent britannique comblé du phénomène Jonathan Littell, dont le gros best-seller Les Bienveillantes a été le tsunami de la rentrée littéraire. C’est un homme avisé, numérique, multipolaire, qui ne s’intéresse pas qu’à la littérature. Dans son bureau de Londres, raconte Le Monde, figure, en face de lui, une dédicace en russe signée Boris Eltsine, puisque Nurnberg a géré trois de ses livres, dont son autobiographie. « ll était Président, dit Andrew, mais d’abord un client et un ami. Dans sa datcha, on parlait de tout et de n’importe quoi. Dans son sauna, on mangeait ou on buvait. » Eltstine a présenté Andrew à Poutine, lequel lui a promis de lui confier ses Mémoires. Là, ce sera le scoop. Il paraît que Poutine a beaucoup aimé le livre de Littell et qu’il s’est fait traduire exprès les passages les plus crus de la bataille de Stalingrad, sans parler de la prise hallucinante de Berlin. Pour les Mémoires de Poutine, je propose un titre choc par antithèse : Le labo du diable. On découvrira avec surprise dans ce best-seller mondial automatique que le président russe est, en réalité, un humaniste de haut vol. Le poutinium ? Faribole, pure propagande dirigée contre la Russie éternelle. Une préface de Littell ? Pourquoi pas ?



Exécutions

On a beaucoup coupé de têtes en France jusqu’à l’abolition (enfin) de la peine de mort. Dans ce genre de sport, vous avez la pendaison, la fusillade, la balle dans la nuque, l’égorgement, la chaise électrique (dépassée) et, enfin, l’injection létale aux Etats- Unis. Mais voilà, il y a, paraît-il, un problème technique, au point que la Californie et la Floride viennent de suspendre, pour un temps, leurs exécutions. En principe, les produits chimiques doivent conduire le cobaye humain à une mort rapide et sans douleur, sauf qu’un condamné, récemment, a mis trente-quatre minutes à mourir devant des témoins un peu gênés de le voir se contorsionner et essayer de parler. Un autre, dans l’Ohio, a mis quatre-vingt-dix minutes pour claquer, et les témoins, horrifiés, l’ont entendu hurler : « Ça ne marche pas. » Propos sérieusement rapportés par le New York Times : « La question qui est au coeur du débat est de savoir si on privilégie le confort des condamnés ou celui des témoins qui les voient mourir. » Une heure et demie de spectacle, c’est en effet assez long. Mais pourquoi ne pas vendre aux Etats-Unis (53 exécutions cette année) des modèles neufs de guillotine ? « Une légère fraîcheur dans le cou, et c’est tout », disait notre génial inventeur français. Là, vous me direz que le spectateur américain a horreur du sang concret, que la tête fait du bruit en tombant, et qu’enfin le spectacle est trop court. Réaction puritaine, sans doute.



Drôleries

Je passe sur le départ de Johnny Hallyday en Suisse, sur le redressement fiscal de Doc Gyneco (700.000 euros), sur le dérapage de Pascal Sevran à propos de la bite des nègres, sur la grosse migraine de Sarko qui s’ensuit. Un psychanalyste écrit, par ailleurs, probablement sous le coup d’une enfance pénible, que Ségo a tout d’une « mère sévère ». Laurent Joffrin, dans Libération, vantant les qualités du philosophe plébéien Michel Onfray appelant à l’union de la gauche anti-libérale (que les communistes viennent de saboter), ne craint pas d’écrire : « Michel Onfray est nietzschéen, mais il a du bon sens. » A propos du siècle des Lumières, on voit un peu partout cette réflexion étrange de Julien Gracq : « Ce siècle a tout éclairé et rien deviné. » (Mozart n’a rien deviné ?) Dans un numéro spécial consacré à la Renaissance, Le Point publie cinq écrivains contemporains accouplés à leurs prédécesseurs célèbres. C’est ainsi qu’on peut vérifier, en comparant les photos actuelles aux portraits anciens, à quel point Marc Fumaroli est le sosie de Rabelais et Jean d’Ormesson celui de Ronsard. On le savait mais c’est mieux d’en avoir la preuve. Benoît XVI, en Turquie, a eu ce mot judicieux : « Ce n’est pas parce qu’on prie ensemble qu’on est ensemble pour prier. » L’acteur Podalydès, attrapant très bien à la télévision la voix coupante de Sartre, est excellent lorsqu’il répond à un jeune militant qui se plaint des cauchemars que lui donne la violence : « Ecoutez, mon vieux, vos cauchemars ne prouvent rien. » Je termine par un éloge de la croissance en Allemagne, mais surtout par la décision magnifique de ce pays de renoncer à interdire le tabac dans les lieux publics. C’est dit : j’irai vivre à Berlin l’année prochaine.



Marcel Duchamp

Par les temps hyper conformistes qui courent, il ne serait pas mauvais que vous fassiez une petite cure d’anarchisme. Une biographie épatante s’y prête : Marcel Duchamp, par Judith Housez (1), première biographie de Duchamp en français, par une jeune femme de 36 ans, très enlevée. Vous apprendrez bien des choses sur ce génie normand qui, à 25 ans, a tout compris du puritanisme américain, en 1913, à New York, devant le scandale provoqué par son tableau cubiste Nu descendant un escalier. Ce joueur d’échecs très beau, très aventureux et couvert de femmes, va affoler l’art moderne par ses provocations, sa réserve, son silence, sa solitude obstinée, son abstention, ses fameux readymade (un urinoir signé, un peu de moustache et de barbe à la Joconde avec l’inscription célèbre « L.H.O.O.Q. »). Distance, élégance, intelligence, humour, ironie, secret : tout un art de vivre. Il dit des choses comme ça, Duchamp : « Mon capital est du temps, pas de l’argent. » Ou bien : « J’aime mieux respirer que travailler. » Ou bien : « Je n’ai jamais fait de distinction entre mes gestes de tous les jours et mes gestes du dimanche. » Ou encore : « Je veux être seul le plus possible... Mon avis est que ce que fait chacun est bien, et je refuse de me battre pour telle ou telle opinion ou son contraire... Ne voyez pas de pessimisme dans mes décisions : elles ne sont qu’une voie vers la béatitude. »

Philippe Sollers
Journal du mois
Le Journal du Dimanche, 31 décembre 2006
(1) Grasset.

Illustration pileface : voir légende ci-dessous



Sur les exécutions

Retour sur Les Bienveillantes, le livre de Jonathan Littell

Quelle était cette première idée du livre ? Comment vous le représentiez-vous ?

Il y avait une photo sur laquelle j’étais tombé quand j’étais en fac. Je ne savais même pas ce que c’était à l’époque, je l’ai appris plus tard : le cadavre d’une partisane russe, une icône de la propagande soviétique de guerre, tuée par les nazis devant Moscou. On a retrouvé son cadavre à moitié nu et dévoré par les chiens. Dans le livre, je fais une brève description de ce cadavre-là, sans trop appuyer, en hommage à cette photo. A l’époque, ça m’avait beaucoup travaillé : le décalage entre la beauté de la fille et l’horreur de la scène, de ce cadavre dans la neige, déchiré par les chiens. C’est une photo atroce, mais ?était axé sur çà, sur la guerre elle-même, en particulier sur le front de L’Est.

Propos recueillis par Florent Georgesco
_ Le Figaro Magazine, 30 décembre 2006


Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document