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Philippe Muray le faux-cul, ses cacas et la farandole des cons

par Jacques Henric (art press 522)

D 25 mai 2024     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


J’ai déjà rendu compte des deux derniers volumes parus du Journal intime de Philippe Muray Ultima necat V et VI. Cécile Guilbert en a fait la recension pour Marianne en en relevant « les éclairs » et « les failles » (les éclairs plus que les failles). Vous pourrez vous y reporter ici. Dans le dernier numéro d’art press (le 522, juin 2024), c’est un tour plus cruel que nous propose la lecture de Jacques Henric. C’est mordant. Très drôle (le passage sur Kundera). A lire dans le prolongement d’un article que Henric avait écrit en 2020 : Philippe Muray, Journal d’un faux-cul. Faut-il distinguer l’image « rebutante » de l’homme Muray — qui, à l’évidence, se soulage dans son Journal —, de sa « grande oeuvre » comme l’écrit Henric in fine ? Oui et non. Éternel débat (Céline, Houellebecq, bien d’autres). Je laisse, une fois de plus, la question ouverte. Voici en tout cas un nouvel éclairage sur ce que Muray, via Anne Sefrioui, sa veuve, lègue à la postérité.


Les Hallucinations de l’abbé Muray.
Photo Jacques Henric. ZOOM : cliquer sur l’image.

PHILIPPE MURAY
le faux-cul, ses cacas et la farandole des cons

Jacques Henric

Philippe Muray, Ultima Necat V.Journal intime 1994-1995
Les Belles Lettres, 608 p., 35 euros
Ultima Necat VI. Journal intime 1996-1997
Les Belles Lettres, 400 p., 35 euros

Sont parus aux Belles Lettres les deux derniers tomes du Journal de Philippe Muray, Ultima Necat, couvrant les années 1994-1997.

« Et vous savez surtout de quoi l’homme se venge / C’est du bien qu’on lui fait et du bien qu’on lui veut / Et cet arrière-goût pour l’ordure et la fange / Et de faire le mal par les moyens qu’il peut. » Charles Péguy, Ève

Je m’étais promis, depuis mon compte rendu du volume Ill de Ultime Necat (cf. art­ press n°474, février 2020) de ne pas revenir sur les volumes suivants du Journal de Philippe Muray. Mais deux événements m’amènent à changer d’avis : l’inhabituelle couverture de presse ayant accompagné la parution des derniers volumes (années 1994-1995, 1996-1997), la parution dans « La Lettre » de la revue Causeur d’une crapoteuse attaque visant Philippe Sollers, Bernard-Henri Lévy, Catherine Millet et moi. Étant accusés par l’olibrius de Causeur d’appartenir à la « mafia germanopratine », étant traités de « larbins », de « pantins », Sollers de « Parrain », BHL de « plagiaire », je me sens autorisé à dire que nous avons affaire là à un spécimen de monsieur très con (le premier de la farandole annoncée dans mon titre). Pour preuve, à peine ai-je lu les déclarations enamourées du causeur aux anges du camp du Bien, en l’occurrence Muray, Kundera, Proguidis, les auteurs de l’Atelier du roman, opposés aux mafieux susnommés du camp du Mal, j’ouvre un des volumes du Journal et, à la date du 4 juin 1996, je lis que notre Philippe rencontre Michel Déon. Où ? Au repaire des mafieux, les Deux Magots. Le Flore le reçoit aussi. Ce pauvre bonhomme de Causeur n’a manifestement pas lu le Journal dont il fait l’apologie. Il devrait savoir que pour Muray, il n’y a pas de camp du Bien, il n’y a pour lui, en bon gnostique qu’il est, qu’un seul camp, celui du Mal. Il n’y a pas que « le pauvre Henric » qui est con, ni le « sinistre » et « bouffon » Sollers, ni « l’arnaqueur » Lévy, ni les « pouffiasses », « grognasses », « salopes », « connasses » qu’il rencontre, mais là où Muray est au mieux de sa forme, c’est quand il entraîne dans sa folle farandole Kundera, mais oui, son ami Milan ! Se demandant pour quelles raisons ce « grand écrivain » est tellement entiché du nommé S. (pourquoi pas nommé, celui-là ?) dont il défend les très médiocres livres, Muray examine trois hypothèses, deux pas convaincantes, la seule réponse à laquelle il se résout : « Et si Kundera était simplement un con ? Un con malgré tout. » Quant à son ami Lakis Proguidis ? Un « larbin, dévoué, consciencieux, honnête », « kunderaphile fanatique », et selon son Dieu, rigolard pour l’occasion, cité par Muray (portrait qui lui donne de l’humanité). il « est pour tout ! Pour les parrrtouzes, les beuveerrries, pour la drrrogue. Seulement, il n’a pas le temps ». Et quand à la fin des fins, leur camarade Philippe n’en peut plus de leurs histoires, il envoie le trio Kundera, Proguidis et son éditeur Michel Desgranges « se faire mettre ». J’oubliais, dans la farandole des cons où tous nous tournoyons, Muray n’oublie pas de prendre sa place.

COINCOIN

C’est alors que le spectacle prend un tour franchement comique. On a le sentiment que le grognon Muray prend un malin plaisir à nous propulser dans une sorte de désopilant film à la Bruno Dumont. Je pense à Coincoin et les Z’inhumains dans lequel l’inénarrable inspecteur de police et son adjoint sont vic­times d’un mystérieux phénomène climatique : d’un ciel lourd, ce ne sont ni une pluie torrentielle ni une grêle qui s’abattent sur la terre, sur eux et leur voiture, mais des flots de merde. Muray nous en déverse joyeusement la sienne. Avec le caca, il est dans son élément. Tout est caca. C’est pour lui une jouissante récréation que d’assister à la cacatastrophe d’un monde voué au mal, piloté par le diable. Il n’est pas le seul à officier, tout le monde y va de sa crotte. Un livre de Guignard n’est pas un livre de Guignard, c’est un « caca » de Guignard. Un roman de Sollers ou de moi n’est pas un mauvais roman mais « un bouquin de merde ». Tel ou tel livre d’un de ses proches n’est pas un essai raté destiné à la poubelle, c’est du papier avec lequel se « torcher le cul », le mystérieux S. n’est qu’une « petite merde récupératrice ». La fièvre coprophilique donne un tour cocasse au feuilleton. Ça pourrait d’ailleurs être un jeu de retrouver dans les milliers de pages du Journal les cacas que Muray s’amuse à semer comme le Petit Poucet ses cailloux.

LE PENDULE

Avec notre talentueux et pervers scénariste (il n’est pas que parano). on va de surprises en surprises. Peu doué pour le roman, il fut un remarquable pamphlétaire, un essayiste et critique littéraire profonds, et il aurait été performant dans des genres plus légers, la sotie, la facétie, la comédie. Plus que du côté de Balzac, c’est dans les pas de Feydeau et Labiche qu’il aurait fait merveille, c’est qu’il avait beaucoup d’humour, le bougre.
Parmi les surprises qu’il nous réserve, il en est une qui m’a laissé pantois : la révélation par Muray d’un comportement, inouï à mes yeux, de son ami Kundera. J’avais appris par Sollers que Vera, l’épouse de Milan, soumettait, chez elle et au restaurant, toute nourriture à l’épreuve d’un pendule qui selon son oscillation autorisait ou non la consommation du plat. D’où l’anecdote de la bouteille d’un Sauternes grand cru apporté par le Bordelais Sollers lors d’une invitation à déjeuner chez les Kundera. À peine entré dans l’appartement, tendant sa bouteille à Vera, le précieux breuvage est soumis au pendule de celle-ci. Hélas, le verdict est sans appel : impropre à la consommation. Sollers, grand seigneur, rassure Vera, « pas de souci, donnez-moi un tire­-bouchon », il se dirige vers la cuisine et verse le contenu de la bouteille dans l’évier. Les liens, déjà conflictuels de Sollers avec Kundera, n’ont guère résisté à ce tour de sorcellerie. Or, Muray nous raconte tout autre chose : ce n’est pas Vera qui manipule le pendule. À la page 145 du volume VI, il nous raconte ce qu’il juge « une scène hallucinante » qui le laisse « muet ». Après qu’il est passé prendre Kundera chez lui, dans son « repaire luxueux » (où « le dingue » de Milan se terre avec Vera), pour déjeuner dans le chic restaurant Récamier, Muray voit son ami, au début du repas, sortir de sa poche le fameux pendule, et son ami de lui expliquer que depuis qu’il en fait usage, la fragile santé de Vera s’améliore. Commentaire de Muray : « Je regarde Milan en train de balancer son truc au bout d’une ficelle avec un sourire de vieillard vicieux, comme si c’était Vera elle-même qui y était pendue. » Idem page 44. C’est Kundera qui parle : « Mais j’ai fait son thème astral [de Vera] et je suis content, je crois que ça va s’arranger bientôt, car Uranus va foutre enfin le camp. » On comprend la stupeur de l’auteur de ce grand livre qu’est le 19e Siècle à travers les âges (publié, je rappelle, par Sollers) de voir son « romancier de génie » débloquer en se passionnant pour l’astrologie et les sciences occultes.

LA GONZESSE

Oublions les insultes (Sollers, Henric et Lévy « ordures » et « clodos dorés », Catherine Millet « épuratrice à tondre », Marcelin Pleynet « eunuque », Josyane Savigneau « chienne » etc.), délaissons l’esprit farceur de Muray pour en venir au lourd. Muray écrit son Journal jusqu’en 2004. Anne Sefrioui, éditrice et veuve de l’écrivain, décide de ne pas poursuivre sa publication. Dommage, nous en saurions peut-être un peu plus sur l’évolution idéologique et politique de Muray dans les dernières années de sa vie, notamment sur ses accointances avec la Nouvelle Droite et autres courants de l’extrême droite en France.
Je renvoie, pour information, à mon essai Politique, paru au Seuil en 2007. Deux notes dans les ultimes Ultima Necat nous y préparent, la première datée du 2 novembre 1995. Il s’agit d’une défense à laquelle se livre Muray d’un ouvrage intitulé les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Son auteur, Roger Garaudy, un médiocre ponte intellectuel stalinien, proche d’Aragon. Le Muray qui se lance dans une apologie de son très douteux essai n’a pas l’air de savoir (ou le sait-il ?) que ce Garaudy, après avoir été viré du PC, s’est converti à l’islam, a chanté les louanges de Khomeini, est devenu un fervent militant anti­sioniste et antisémite. Seconde note : Muray est contacté par une mienne amie, St. K., qui souhaite l’interviewer pour France Culture à propos d’un texte de lui sur Soutine. La rencontre est cordiale, l’entretien réussi, Muray ravi. Version dans son Journal : comparant celle qu’il appelle « la gonzesse » à l’une de ses amies, il écrit : « Même grand cul plein, assuré, solide. » Quelques lignes plus loin : « C’est une Juive... » Quelques pages plus loin : « J’aimerais mieux qu’elle me montre comment elle s’y entend pour déboutonner un pantalon, par exemple le mien. » No comment. Un, tout de même : un abus de Céline peut nuire à la santé.

UNE IMAGE SALIE

Pour tout dire, je ne lui en veux pas à Muray, il est parfois pathétique. En octobre 1998, après nous avoir avec obstination conchiés, il nous envoie, à Catherine et moi, son Empire du bien, avec une dédicace signée Philippe où il nous assure de « son affection ». En revanche, une question se pose : l’éditeur du Journal et Anne Sefrioui doivent-ils être fiers d’avoir publié ces milliers de pages en dépit de ce que Muray écrivait le 8 avril 1997. Il répond à son ami Benoît Duteurtre qui tente de le persuader de publier son Journal intime : « Ça le dépasse que j’écrive ça pour rien et rien que pour moi. Mais je n’y étalerais pas tout ce que je pense si je le destinais à la publication. » Il est vrai qu’il parle d’un Journal intime, qui ne peut être respectable, précise­ t-il, que « d’outre-tombe ». Quoi qu’il en soit, ces interminables jaculations d’insultes, d’obscénités, cet étalage de rage, de haine, n’apportent absolument rien à la connaissance de la grande œuvre de l’écrivain Muray. Elles donnent, hélas, une image salie, rebutante de l’homme Muray. Image qui ne correspond pas à celle que nous gardons, Catherine Millet et moi, de l’ami côtoyé pendant de longues années.
Philippe Muray commence la rédaction de son Journal le 17 août 1978 et le poursuit jusqu’en 2004. Je termine le mien en 2015, que j’avais commencé le 6 août 1971. Pas un Journal intime, donc publiable. Muray y est inévitablement très présent. Un Muray dans le réel des cinquante années que couvre mon Journal.

PHILIPPE MURAY SUR PILEFACE

JACQUES HENRIC SUR PILEFACE


Il y a bien d’autres choses à lire dans la partie LIVRES du numéro d’art press : outre l’article de Vincent Roy sur le dernier roman de Sollers (PHILIPPE SOLLERS célébrer la vie de son vivant), vous pourrez lire un riche entretien avec Fabrice Hadjadj et le feuilleton de Jacques Henric sur Bernard-Henri Lévy et la Solitude d’Israël (qui méritera(it) un dossier à part).

Le sommaire d’art press

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