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Salmam Rushdie, la liberté poignardée

Bernard-Henri Lévy, Jérome Béglé, Riss/Marie-Laure Delorme, Mylène Farmer, François Clémenceau

D 14 août 2022     A par Viktor Kirtov - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Journal du Dimanche du 14 août 2022

« Immortalité de Salman Rushdie » : Bernard-Henri Lévy raconte trente ans d’amitié intellectuelle

Bernard-Henri Lévy
JDD, le 13 août 2022

Au lendemain de l’attaque au couteau du romancier américano-britannique Salman Rushdie, visé par une fatwa depuis 1989, le philosophe Bernard-Henri Lévy revient sur les souvenirs des trente-trois années écoulées. Son ami, plaide-t-il, doit obtenir le prix Nobel de littérature.


L’écrivain britannique Salman Rushdie, en 2018 à Paris.
(JOEL SAGET / AFP)
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Alors que son ami Salman Rushdie est entre la vie et la mort, gravement blessé par une attaque au couteau vendredi, le philosophe Bernard-Henri Lévy se remémore les souvenirs noués avec l’écrivain et appelle à se battre pour la liberté d’expression :
« La fatwa, les amis de Rushdie, ses lecteurs, Rushdie lui-même, avaient fini par ne plus y penser. Il vivait, à New York, une vie presque normale. n’avait plus, depuis des années, qu’une sécurité discrète, presque invisible.
Et je me rappelle ce jour, peu après son élection, où le président Emmanuel Macron nous avait reçus autour d’un café et s’était étonné qu’il soit si peu protégé : « Je n’ai pas l’âme d’un martyr ! avait répondu Salman en riant, je ne suis qu’un écrivain ! pourquoi en voudrait-on, autant, à un écrivain ? »

Eh bien il se trompait.

Ce genre de tueurs ne lâche jamais.

Vous pouvez les mépriser, oublier les chasseurs de primes ou les fous que l’Histoire lâche à vos trousses, la meute, elle, ne vous oublie pas.

Et c’est ce qu’a sans doute compris mon ami dans les secondes d’effarement, avant qu’il ne perde connaissance, où il a compris que, comme Samuel Paty, comme le père Jacques Hamel, comme Daniel Pearl, on voulait le décapiter.

Aujourd’hui, il lutte contre la mort.

Déferle sur le monde un vent de terreur et d’horreur.

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Trente-trois années d’amitié intellectuelle

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Et je n’ai le cœur à rien, sinon à attendre, guetter les rares nouvelles qui filtrent de l’hôpital UPMC Hamot, à Érié, Pennsylvanie, où il a été héliporté – et laisser venir à moi les souvenirs des trente-trois années écoulées depuis que l’ayatollah Khomeyni l’a publiquement condamné à mort.

Il dit qu’entre son œuvre et sa vie, il choisira toujours son œuvre

Cette assemblée du Conseil nordique, en octobre 1992 à Helsinki, où j’avais, en secret, avec Gabi Gleichman, décidé de partager mon temps de parole avec lui… Il surgit, sur scène, à mes côtés. L’assistance, médusée, retient son souffle. Elle croit voir un fantôme, un condamné à mort qui s’est échappé, un Masque de fer évadé de sa Bastille planétaire. Et, alors, il prend la parole. Il rit de ses yeux étranges, en demi-lune, avec leur pupille trop grande qui lui mange le blanc du regard. Il improvise un monologue étincelant sur l’art et les pouvoirs du roman. Il dit qu’entre son œuvre et sa vie, il choisira toujours son œuvre. Et c’est une ovation.

Ce voyage à Nice. Air Inter a bloqué la première rangée. Il embarque au dernier moment, avec ses officiers de sécurité, juste avant la fermeture des portes et après qu’on a vu, sur la piste, un mystérieux ballet de policiers, de voitures de service, de gyrophares. Et, de nouveau, quand il apparaît, saisissement général. Une dame se trouve mal. Une autre demande à descendre. Mais le reste de l’avion, le premier choc passé, applaudit, soutient.

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Prison sans murs

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Cet autre peureux. Le malheur c’est qu’il était, celui-là, ministre des Affaires étrangères. Il s’appelait Roland Dumas. La Règle du jeu, ma revue et celle de Salman Rushdie, celle que nous avions, avec lui et quelques autres, fondée en 1990, l’avait invité à venir rencontrer ses amis parisiens. Mais le ministre fut ignoble. Il décréta que ce citoyen d’Europe avait besoin d’un visa pour entrer en France. Et il refusa le visa au motif qu’il n’était pas en mesure d’assurer sa sécurité. Son collègue Jack Lang, ministre de la Culture, protesta. François Pinault proposa d’envoyer un avion et de fournir les protections nécessaires. François Mitterrand trancha. Et la France des trafics et des ventes d’armes céda face à l’esprit de Voltaire. Bonjour M. Rushdie.

Un autre encore. Le prince Charles. Mêmes années. Déjeuner à l’ambassade du Royaume-Uni à Paris. « Rushdie n’est pas un bon écrivain », grogna le prince à qui je demandais ce qu’il pensait de l’Affaire. Et d’ajouter : « Sa protection coûte cher à la couronne d’Angleterre. » Un autre ami de Salman, Martin Amis, rétorqua : « Ça coûte encore plus cher de protéger le prince de Galles qui n’a, que l’on sache, pas publié grand-chose d’intéressant. » Et la presse, les tabloïds, l’Opinion, prirent, une fois n’est pas coutume, parti pour l’écrivain persécuté.

Il fait ses exercices de liberté et de vie normale

Je me souviens du journal Le Monde m’envoyant à Londres, à peu près à la même époque, pour faire un reportage sur la vie quotidienne de l’écrivain le plus reclus du monde. Nous déjeunons chez Scott’s. Nous marchons dans Mayfair. Nous passons devant Kensington Palace où il m’avoue s’être précipité, comme beaucoup de Londoniens, le jour de la mort de la princesse Diana. Nous allons, à la Portrait Gallery, voir une exposition de portraits d’écrivains par Henri Cartier-Bresson. Des gens l’accostent :« Vous êtes Salman Rushdie ? –I hope so, I do my best… »Il met un point d’honneur, ce jour-là, à faire comme s’il n’avait pas cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il fait ses exercices de liberté et de vie normale, comme d’autres de remise en forme. Après mon départ, hélas, il retourne à sa prison sans murs.

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L’ami de l’islam modéré

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Bernard-Henri Lévy et Salman Rushdie à Paris, en 1993
(Collection privée)

Je me souviens aussi de notre projet de voyage à Sarajevo. Le président Izetbegovic en avait accepté le principe. Lui, Salman, le désirait. Loin d’être l’islamophobe que décrivent les salauds et les crétins, n’était-il pas l’ami de l’islam modéré ? le défenseur d’un Coran qui, comme à Sarajevo, lutterait pour les Lumières ? Un certain Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général des Nations unies, mais tombé depuis, dans les poubelles de l’Histoire, s’y opposa sous de fallacieux prétextes. Il fallut renoncer.

Je me souviens d’une conversation que nous eûmes, lors d’un Festival du livre, à Londres, où il dit sa nostalgie, justement, de l’islam de son enfance indienne. « La grande pensée musulmane, expliqua-t-il, était large d’esprit. » Puis : « Lorsque je repense au temps de mes grands-parents, de mes parents, l’islam se voulait cosmopolite, suscitait des interrogations et des argumentations, il était vivant. » Salman est fils de cet islam-là. Il n’a évidemment rien contre le blasphème ; car le droit au blasphème est indissociable, à ses yeux, de la liberté d’expression et de pensée ; mais je ne crois pas qu’il ait, pour autant, jamais blasphémé quoi que ce soit.

Je me souviens d’une conversation, à Paris, sur la radio juive RCJ, où il médita sur ce qu’aurait été sa fatwa si elle avait été prononcée au temps, non du fax, mais des réseaux sociaux. « Il suffit d’un tweet, disait-il, pour mettre la planète en émoi. Il suffit de cinq minutes sur YouTube pour provoquer des manifestations, partout dans le monde, au même moment. Si ma fatwa avait eu lieu à l’ère d’Internet, m’aurait-elle été fatale ? Je ne sais pas. » Maintenant, il sait. Hélas.

Je me souviens de son mariage, pluie de pétales de rose, orchestre indien, sitar, tambour, le geste de passer l’anneau à la cheville de son aimée, ses amis sont là, son fils aussi, il est heureux.

Je me souviens du soir de la première élection de Barack Obama. Nous sommes dans un appartement à recoins et boiseries d’un mogul new-yorkais. Il y a là un mélange de gens de lettres, d’acteurs, de journalistes, de grands donateurs. À un moment, un portable sonne. C’est le président élu, qui le remercie de son soutien.

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Le contraire d’un maudit

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Je me souviens du jour où, avec Pierre Nora et Claude Lanzmann, nous étions venus le filmer pour Arte. Je ne sais pas ce qu’est devenu ce documentaire. Nous avions tourné, il me semble, dans la bibliothèque d’un club d’un quartier chic de Londres. Lanzmann s’agaçait de l’autorité de Rushdie. Nora s’agaçait de l’agacement de son vieux copain et ancien condisciple. Il semblait vouloir le protéger contre lui-même et contre sa tendance bien connue à la querelle mimétique. Salman s’amusait du spectacle. Il aimait l’idée de ces vieux khâgneux qu’il admirait et qui semblaient poursuivre une éternelle conversation d’adolescents.??

Il ne voulait plus entendre parler, du tout, de la fatwa

Je me souviens d’une journée, sur une plage d’Antibes, douceur de vivre, soleil de midi, chaleur qui tremble à perte de vue, amour du cinéma et des actrices, Le Mépris, à qui appartient vraiment la villa Malaparte de Capri ? Il ne désirait rien tant, ce jour-là, que de parvenir à tourner, un jour, un remake de James Bond 007 contre DrNo ou de Bons Baisers de Russie. Grand vivant. Appétit d’exister et de multiplier les existences. Le contraire d’un maudit.

Je me souviens de nos dîners en solitaire, ces dernières années, à New York. Il ne voulait plus entendre parler, du tout, de la fatwa. Nous devisions de Rabelais, du Chant de Salomon de Toni Morrison, de Laurence Sterne, de George Eliot où il n’arrivait décidément pas à entrer, de Naipaul dont la mort le laissait inconsolable. La littérature avant toutes choses. L’envie, face au fracas du monde, de dire :« S’il vous plaît, baissez le son. »Ce qui ne l’empêcha évidemment pas, il y a quelques semaines, au tout début de la guerre d’Ukraine, de considérer qu’il y avait urgence, d’écrire avec moi un appel aux sanctions contre la Russie et d’aider à ce que le cosignent Sting et Sean Penn.?

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L’héroïsme tranquille

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Ce qui m’a frappé, pendant toutes ces années, c’est l’héroïsme tranquille de mon ami. Il voyait bien qu’il ne se passait guère d’année sans qu’une grande capitale expulse un faux diplomate iranien en lien avec sa fatwa.

Il savait qu’il se trouvait encore des gens pour estimer que, s’il arrive malheur à l’offenseur, c’est lui qui l’a cherché

Il savait qu’il se trouvait encore de prétendus amis des peuples musulmans pour, malgré Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher, le reste, estimer qu’on n’a jamais raison d’offenser la foi d’autrui et que, s’il arrive malheur à l’offenseur, c’est lui qui l’a cherché.

Et il n’y avait pas une conférence du type de celle qu’il s’apprêtait à donner, en ce terrible 12 août, au centre culturel de Chautauqua, où il échappait à l’éternelle question de savoir s’il regrettait, sachant tout ce qu’il sait désormais, ces Versets sataniques écrits dans la fougue de la jeunesse et qui le suivent comme une malédiction.

Mais il n’avait pas peur, non.

Tout au plus concédait-il disposer d’un radar qui l’avertissait, parfois, de la possibilité d’un danger.

Et, une fois seulement, mais il y a longtemps, je l’entendis faire une remarque étrange sur le talent qu’ont les maîtres tueurs de ruminer leur vengeance et de l’exécuter froidement, sans laisser trop de traces, quand on s’y attend le moins – Mussolini et les frères Rosselli ; Staline et Ignace Reiss ; Poutine et les premiers oligarques empoisonnés ; un jour, un Ramón Mercader chiite que nul n’aura vu venir.

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Un immortel, à la fois Dickens, Balzac et Tagore

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Je pense qu’il en était là, vendredi, quand a bondi face à lui l’homme chargé de l’exécuter.

En sera-t-il toujours là quand il sera sorti de cet enfer de douleur où je l’imagine se débattant ?

Il devra se résoudre à l’idée, qui lui a toujours fait si peur, d’être cet homme symbole dont la mort, la vie, sont l’affaire de tous.

L’artiste en lui continuera de croire, je suppose, que la vie est un songe, plein de fureur et de bruit, écrit par un idiot.

Et il ne s’étonnera pas que, si l’on a su, dans une seule vie, être à la fois Dickens, Balzac et Tagore, on est, à la fin, immortel.

Mais il lira l’article d’Iran, le journal quasi officiel du régime, qui, tandis qu’il lutte contre la mort, se réjouit que « le cou du diable » ait été « frappé par un rasoir ».

Il verra le quotidien ultraconservateur Kayhan bénissant, alors qu’il souffre le martyre, « la main de celui qui a déchiré le cou de l’ennemi de Dieu avec un couteau ».

Il apprendra, aussi, que l’homme qui a voulu le tuer est un fanatique du Hezbollah libanais, à la solde de l’Iran.

Et il devra se résoudre à l’idée, qui lui a toujours fait si peur, d’être cet homme symbole, otage dans la guerre des mondes et dont la mort, la vie, sont, qu’il le veuille ou non, l’affaire de tous.

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Un devoir et un Nobel

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C’est pourquoi, aux autres, à ceux qui n’ont pas su le protéger, à nous tous, incombe un devoir.

Cet écrivain puni pour avoir écrit, depuis trente ans, des textes libres et qui rendent libre mérite réparation.

Cet acte de terreur absolue appelle une riposte éclatante

Cet acte de terreur absolue qui, par-delà son corps poignardé et ses livres, est une terreur sur tous les livres et tous les mots du monde, appelle une riposte éclatante.

Les États auront la leur.

La communauté internationale devra, elle aussi, signifier aux commanditaires du crime qu’il y a un avant et un après la nouvelle affaire Salman Rushdie.

Mais ses amis, ses pairs, ceux dont l’opinion compte un peu, la presse, ont entre les mains une décision.?

Faire que soit décernée à l’auteur des Versets sataniques la plus haute distinction des écrivains.

Faire qu’au nom de tous les siens et en son nom propre lui soit décerné, cette année, c’est-à-dire dans quelques semaines, le prix Nobel de littérature.

Je n’imagine pas un autre écrivain avoir l’outrecuidance, aujourd’hui, de le mériter plus que lui.

La campagne commence maintenant. »

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La haine se s’éteint jamais


Premiers secours portés à Salman Rushdie, vendredi à Chautauqua (États-Unis).
- JOSHUA GOODMAN/AP/SIPA
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LES ASSASSINS ont ceci de commun avec les imbéciles : ils ne renoncent jamais. Trente-trois ans après que l’ayatollah Khomeyni a prononcé une fatwa contre Salman Rushdie, il s’est trouvé un homme fanatisé dont le bras et l’esprit ont été armés par d’obscurantistes autorités religieuses pour vouloir exécuter la sentence.

Vendredi 12 août, peu avant 11 heures (heure locale), Hadi Matar s’est précipité sur la scène de l’amphithéâtre d’un centre culturel à Chautauqua, dans le nord-ouest de l’État de New York. Âgé de 24 ans, ce chiite d’origine libanaise habitant le New Jersey ne cachait pas sur les réseaux sociaux sa sympathie pour l’Iran des Gardiens de la révolution. La photo de profil de son compte Facebook — suspendu depuis — affichait un portrait de Khomeyni, l’homme qui a condamné Rushdie à mort. Cette proximité revendiquée avec le régime de Téhéran engage la responsabilité du commanditaire, qui n’a jamais renoncé à son projet criminel.

Certes, en 1998, Mohammad Khatami, alors président de la République islamique d’Iran, esquisse un mouvement réformateur. Il s’engage à ce que son pays n’applique pas le décret condamnant à mort l’écrivain. Mais, en 2005, te Guide suprême de la révolution islamique, Ali Khamenei, successeur de Khomeyni, réaffirme que tuer Rushdie reste autorisé par l’islam. Les autorités religieuses du Pakistan avaient également confirmé que la sentence serait exécutoire ad vitam aeternam. Une fatwa ne meurt jamais, au contraire de ceux qu’elle vise. Et elle trouve toujours son réalisateur.

L’lran des « fous d’Allah » n’a même pas cherché à s’exonérer de sa responsabilité. Le principal quotidien iranien, dont le directeur est nommé par ce même ayatollah Ali Khamenei, au sommet du pouvoir religieux depuis trenterois ans, s’est fendu d’un article qu’il ne faudra pas oublier : « Bravo à cet homme courageux et conscient de son devoir qui a attaqué I’apostat et le vicieux Salman Rushdie. Balsons la main de celui qui a déchiré le cou de l’ennemi de Dieu avec un couteau. »

À Chautauqua, à Kaboul, à Londres ou à Paris, le fanatisme musulman tue. Sans raison, sans limites, sans vergogne, sans excuses. Salman Rushdie aura payé très cher sa liberté d’écrire, de parler et de créer. Un tiers de siècle dans une cage à peine dorée et des blessures irréversibles, un matin d’août, alors qu’au soir de sa vie il voulait échapper à son destin de condamné à mort le plus célèbre du monde pour retrouver une vie rangée, discrète et ingrate d’écrivain... L’islamisme en aura décidé autrement. Sa haine ne s’éteint jamais.

JÉRÔME BÉGLÉ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA RÉDACTION DU JDD

INTERVIEW. RISS « Une attaque est toujours possible »

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-LAURE DELORME

SOLIDARITÉ Le directeur de « Charlie Hebdo », rescapé de l’attaque du 7 janvier 2015 contre l’hebdomadaire satirique, est visé par une fatwa

Lui, si épris de liberté, ne peut plus se déplacer sans ses officiers de sécurité depuis qu’il a été visé par une fatwa, émise au Pakistan en 2015. Riss, le

directeur de Charlie Hebdo, continue néanmoins son combat pour la liberté d’expression.

Dans un À voix nue sur France Culture, diffusé à la rentrée, il rappelle qu’il a suivi le procès du 13 novembre 2015, y trouvant les mêmes éléments que dans le procès des attentats contre Charlie Hebdo. « Des gens pas très intéressants et pas très intelligents qui s’imaginent servir une grande cause.

Comme pour Charlie, c’est l’intelligence qui a été tuée par la bêtise. » Riss ne baisse pas les bras devant l’intégrisme religieux : « Il faut sans arrêt se battre et défendre ce à quoi l’on croit. »

Que représente pour vous l’écrivain Salman Rushdie ?

Salman Rushdie est devenu le symbole de l’intolérance religieuse. Mais pas de n’importe quel type d’intolérance religieuse. Bien qu’originaire d’Inde, il est devenu une figure du monde occidental, imprégné de la culture occidentale et, à travers lui, on voit bien que c’est une conception européenne moderniste des rapports entre la religion et la société qui est attaquée. Quand cette fatwa a été lancée, en 1989, elle signifiait le retour d’une guerre contre l’Occident et ses valeurs.

La fatwa a été lancée en 1989 par l’ayatollah iranien Rouhollah Khomeyni. Êtes-vous étonné de l’agression de Salman Rushdie, trente-trois ans après ?

J’ai espéré qu’en cessant de vivre caché comme il l’avait décidé en 2002, Salman Rushdie retrouverait une vie normale. Malheureusement il est quasi

impossible de revivre comme tout le monde quand on est sous le coup d’une fatwa. Son agression heurte autant mon optimisme qu’il renforce mon

pessimisme.

Vous êtes vous-même visé par une fatwa depuis 2015. Comment vit-on dans de telles conditions ?

Il faut toujours avoir à l’idée qu’une attaque ou une agression est possible, et toujours raisonner en se disant que cela peut recommencer. Les fanatiques se croient des soldats de Dieu et leurs obsessions sont éternelles car d’origine divine. Pour ce genre d’individus, les années ne comptent pas. Ils nous

contraignent à tenir compte de leur folie religieuse, à la comprendre pour mieux la devancer. C’est en cela qu’une fatwa est éprouvante : elle nous oblige à entrer dans leur cervelle abrutie par la religion.

Les hommes politiques français ont-ils pris conscience de la situation ?

Les hommes politiques voient les problèmes de la société avec le calendrier des échéances électorales, c’est-à-dire dans cinq ans, voire dix ans au mieux.

Au delà, ils sont souvent incapables d’avoir les bonnes intuitions qui leur donneront une vision politique sur le long terme. Comment prendre des décisions pendant son mandat électoral qui façonneront notre démocratie pour les siècles à venir ? Or, la question religieuse se pose en siècles, pas en quinquennats.

Mylène Farmer : « Je lui envoie toute ma tendresse »

J.B.

ELLE AVAIT rencontré Salman Rushdie au mitan des années 1990, dans une galerie d’art londonienne. Ils se sont liés d’amitié. À tel point qu’en 1999 l’auteur des Enfants de minuit confessait à Vogue : « Mylène est une amie. Ses textes, entre mélancolie et sensualité, souffrance et abandon, m’émeuvent. Sa voix, moitié de ce monde, moitié d’ailleurs, est étonnante, c’est la voix d’un ange déchu. Mylène, c’est l’une des plus belles femmes que j’aie jamais rencontrées. »

Au même moment, celle-ci louait sa joie de vivre : « Salman Rushdie est quelqu’un de très gai dans la vie. Il a beaucoup d’humour. On a de grands éclats de rire ensemble. C’est quelqu’un de charismatique. C’est un grand écrivain. »

À maintes reprises l’écrivain a assisté aux mégaconcerts de la chanteuse. En 2004, Mylène Farmer assiste au mariage de l’écrivain avec l’actrice et mannequin indienne Padma Lakshmi.

Au lendemain de l’attaque dont il a été la victime, celle-ci est bouleversée : « Salman est un écrivain que j’aime et qui me touche depuis de longues années mais aujourd’hui c’est l’homme, l’ami, à qui je pense. Je lui envoie toute ma tendresse.

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Salman Rushdie, l’Américain

FRANCOIS CLEMENCEAU


L’écrivain américano-britannique Salman Rushdie, lors d’un gala à New York.
Erik Pendzich/Shutterst/SIPA
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RECONNAISSANCE L’écrivain se sentait bien aux États-Unis, pays dont il a fini par adopter la citoyenneté

C’était en 2016 à New York. Salman Rushdie s’était déplacé de sa résidence, à Manhattan, où il vivait depuis plus de quinze ans, jusqu’au bâtiment fédéral où il allait enfin pouvoir prêter serment pour devenir américain. Objet d’une intense controverse en Europe après la publication des Versets sataniques et la fatwa de l’ayatollah Khomeyni, qui l’avait contraint à vivre sous protection policière en permanence, il avait au début des années 2000 choisi les États-Unis.

C’est un pays qu’il connaissait bien. Deux de ses quatre ex-épouses sont américaines. L’une, Marianne Wiggins, écrivaine reconnue comme lui, mais qui n’a pas supporté leurs 53 déménagements dans la clandestinité qui leur était imposée pour des raisons de sécurité ; l’autre, Padma Lakshmi, une actrice etmannequin née en Inde, héroïne de l’un de ses romans et dont il a divorcé en 2007.

Depuis, Rushdie menait une vie paisible. Au départ avec une protection légère et uniquement dans certains de ses déplacements, puis plus du tout ou bien extrêmement discrète et en fonction des circonstances. Rushdie savait aussi que sa liberté d’expression serait bien mieux tolérée aux États-Unis.

Naïvement ou pas, il pensait que le premier amendement de la Constitution était sa plus forte protection.

« J’avais été frustré en 2008 et 2012 de ne pas pouvoir voter pour Barack Obama », avait-il également avancé comme l’une de ses motivations pour obtenir la nationalité américaine. Une fois sa citoyenneté reconnue, il était monté à bord d’un taxi jaune pour sillonner New York. « Je me suis rendu compte à ce moment-là que je voyais ce pays différemment, que c’était désormais mon pays et que j’étais devenu un romancier américain », avait-il confié en 2017 au Los Angeles Times.

Parmi tous ces romans « américains », The Golden House (La Maison Golden, Actes Sud, 2018) avait une nouvelle fois de plus montré la capacité de

Rushdie à saisir son époque. Les critiques avaient perçu la ressemblance du personnage de Joker avec Donald Trump et salué le talent de fabuliste de Rushdie. Très apprécié des milieux intellectuels et universitaires de la côte Est, l’écrivain était loué par les critiques littéraires de la presse progressiste.

Il était enfin l’un des héros du Pen Club, cette ONG fondée à Londres en 1921 et qui défend les écrivains menacés à travers le monde entier.

Sa directrice exécutive aux États-Unis, Suzanne Nossel, a été parmi les premières vendredi soir à dire sa sidération de voir Rushdie agressé : « Il n’y a jamais eu de plus grave attaque contre un auteur littéraire sur le sol américain. » Le président de cette organisation au niveau national, Ayad Akhtar, souligne qu’il n’avait jamais vu son ami escorté par un garde du corps, que ce soit au théâtre ou lors d’une cérémonie. « Il avait l’air d’être parfaitement à l’aise dans cette proximité avec la vraie vie. » Celle qu’il s’était choisie.

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Crédit : Le JDD


Cinq livres pour entrer dans l’oeuvre de Salman Rushdie

LAËTITIA FAVRO

LITTÉRATURE Connu depuis 1989 pour « Les Versets sataniques », le romancier, loin d’être l’homme d’un seul livre, a publié de nombreux ouvrages

Les Enfants de minuit (Folio, 2010, parution originale : 1981)

Saleem Sinai naît le 15 août 1947 à minuit, au moment où l’Inde accède à l’indépendance. Son destin s’en trouve intimement lié à celui de son pays. Entre récit burlesque et brûlot politique, le roman est élu en 2008 meilleur Booker Prize de l’histoire du prix.

Les Versets sataniques (Pocket, 2000, parution originale : 1988)

Un vol à destination de Londres est frappé par un attentat terroriste. Gibreel Farishta, légendaire acteur indien, et Saladin Chamcha, né en Inde mais britannique dans l’âme, en sont les deux seuls rescapés. Incarnations du Bien et du Mal, une lutte s’engage entre les deux hommes, tandis que le récit, composé de faits réels, de références autobiographiques et d’éléments inspirés de la vie du prophète Mahomet (dont l’épisode dit des « versets sataniques ») navigue entre l’Inde et l’Angleterre, le passé et le présent, le réel et l’imaginaire.

Certains passages des chapitres relatant les rêves de Gibreel Farishta sont à l’origine de la fatwa lancée le 14 février 1989 par l’ayatollah Khomeyni contre l’écrivain. Mettant en scène Mahound, un prophète monothéiste figurant Mahomet de manière comique, ils sont considérés comme une moquerie envers le Coran. Les musulmans les plus rigoristes y voient un blasphème, ce dont Salman Rushdie s’est toujours défendu.

Joseph Anton (Folio, 2013 parution originale : 2012)

Dans cette autobiographie, l’écrivain revient sur la fatwa lancée contre lui et ses conséquences : clandestinité, surveillance armée, incessants changements de domiciles. Interrogeant le rôle de l’écriture dans nos sociétés, ce livre témoigne de l’éternelle lutte entre fanatisme et raison.

La Maison Golden (Babel, 2020, parution originale : 2018)

Le jour de l’investiture de Barack Obama, Néron Golden, un millionnaire énigmatique, emménage dans le sud de Manhattan avec ses trois fils et sa maîtresse russe. Leur voisin, un jeune cinéaste, voit en cette tribu fantasque une source d’inspiration pour son prochain film.

Quichotte (Babel, 2022, parution originale : 2020)

Par amour pour une présentatrice télé, un représentant de commerce traverse l’Amérique dans sa voiture, son fils imaginaire, Sancho, sur le siège passager. Le chef-d’oeuvre de Cervantès revisité à l’ère du « tout peut arriver ».

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