Oui. Plus de doute. C’est bel et bien ce rythme que jouait ton cœur, que scandait ton souffle. La traversée commence : j’écris. La parole, certes, précipite... mais pas encore. Elle se détend et s’alanguit, la parole. Elle est ductile et s’arrondit voluptueusement sur les rebords mêmes du son. Le temps est celui de l’écriture en corps : chaleur soudaine de la peau, concrétion du sang ; il devient une poudre de rubis brûlante, le sang ; celle-là même qui emplit les philosophiques boudoirs. Le cœur-joyau brille d’un éclat soudain et neuf tandis que le rythme, modulant la matière, tisse simultanément et en filigrane les couleurs : les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil... L’opération alchimique ne s’arrête pas là : la musique prolonge son onde de choc, et à nouveau l’état liquide revient ; submergeant le cœur. Entendre à présent et comme il faut, avec déférence : « le sang qui baigne le cœur est pensée ». Il fallait en passer par ce luxe, par ce brassage du sang. Que dire de ce luxe ? de cet éclat - lux ? C’est la poïésis dans toute sa praticité, sa plasticité, sa littéralité... son indestructible sonorité - Et dans l’écart opératoire d’un pincement, le musicien, dépossédé, joue le prélude d’une pensée délivrante - Allez Mingus, joue encore.
"Un infime détail peut nous révéler un grand mécanisme."
Henri Matisse
"L’oreille va où il y a quelque chose à voir."
Philippe Sollers, La Fête à Venise
"Le sang qui baigne le cœur est pensée" Empédocle, Cœur et sang

Situation
Tu te lèves - nouveau souffle. La lumière est à présent ronde et pleine ; quelques lointains nuages encore engourdis par la nuit s’étirent... longuement - l’aurore, plus avant, les aura dévoilés. Les voici plus proches, en variations. Leur matière vaporeuse et éthérée se colore de fards orange et rosés - coquetterie charmante donnant ce matin au ciel un air tiepolien. Autour du même et grand sureau le chant des oiseaux sonne : des nobles pinsons gorgés de rouge aux tourbillonnants moineaux à la robe brune, en passant par de sybarites perruches au plumage viride et à l’amusante jactance ; tout ce petit monde ailé s’éveille et bouillonne. Effervescence du lieu où Il y a temps.
Ce matin la musique résonne au rythme d’une formulation nouvelle arrivant de toujours, s’en allant partout.
Tu te lèves, marches, prends et poses un disque à l’éclat noir laqué. Tu sais parfaitement ce que tu veux écouter. Fleurette africaine, son introduction, son éclosion, sur l’album Money Jungle... Duke Ellington au piano, Charlie Mingus à la contrebasse, et Max Roach à la batterie. Tu ne savais pas, tu ne savais plus, jusqu’à ce matin, d’où provenait cette étrange pulsation, l’acuité sourde et précise de ce battement, comme l’intime et physique sensation du sang sinuant les moindres coins et recoins de ton corps pour se déclarer enfin - comme un amour ou une guerre se déclarent − dans une longue suspension basculant verticalement, avant de finir sa course folle au point-cœur : le perçant.
Scherzo, Le temps sort de ses gonds
Il faut encore revenir à la vibration, au son :
Clinamen
La menace qui pèse sur l’homme ne provient pas en premier lieu des machines et des appareils de la technique, dont l’action peut éventuellement être mortelle. La menace véritable a déjà atteint l’homme dans son être. Le règne de l’Arraisonnement nous menace de l’éventualité qu’à l’homme puisse être refusé de revenir à un dévoilement plus originel et d’étendre ainsi l’appel d’une vérité plus initiale. Aussi, là où domine l’Arraisonnement, y a-t-il danger au sens le plus élevé.
Mais, là où il y a danger, là aussi, Croît ce qui sauve.
Répétition et Éclosion
"On entend plus la musique à force de connaître les airs, ni les cylindres poussifs à moteurs derrière les baraques où s’animent les choses qu’il faut voir pour deux francs. Le cœur à soi quand on est un peu bu de fatigue vous tape le long des tempes. Bim ! Bim ! qu’il fait contre l’espèce de velours tendu autour de la tête et dans le fond des oreilles. C’est comme ça qu’on arrive à éclater un jour. Ainsi soit-il ! Un jour quand le mouvement du dedans rejoint celui du dehors et que toutes vos idées s’éparpillent et vont s’amuser enfin avec les étoiles."
L. Sereni
*L’autre version dit ceci : Mais par la comparaison, cette économie de l’effraction, ce détour stratégique, tu peux, non pas anéantir en nommant, mais... Comme un écho différentié à ce propos de F. Ponge découvert tout récemment dans La Rage de l’expression : On peut, pour saisir la qualité d’une chose, si l’on ne peut l’appréhender d’emblée, la faire apparaître par comparaison...
Voir en ligne : PIZZICATI
Écrit publié le 23 mai 2013 sur le blog This Side of Paradise, et qui a incontestablement "inspiré" un texte publié dans le dernier numéro d’une jeune revue littéraire, au point d’en reprendre le fil conducteur, à savoir : le sang en tant que manifestation et surgissement de l’être, ainsi que certains éléments syntaxiques et terminologiques.