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Bernard Sichère, Aristote au soleil de l’être

D 11 mars 2018     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Bernard Sichère
Aristote au soleil de l’être

CNRS Philosophie
janvier 2018.

Repartir d’une lecture à nouveaux frais de la Métaphysique d’Aristote en essayant de prêter l’oreille à la manière dont elle parle en grec, tel est le projet de ce livre. Cela veut dire d’abord oublier ce qui nous a été transmis si longtemps dans le latin de la scolastique médiévale. C’est se donner la chance de rencontrer une pensée à même la langue. On comprend alors que le mot eidos ne peut pas se traduire par « idée » : il désigne avant tout le « visage » que quelque chose ou quelqu’un tourne vers nous, de même le mot theoria renvoie, lui aussi, à la vue d’un spectacle qui s’offre à nous. Si les fameuses « catégories » d’Aristote sont dépendantes des structures de la langue grecque, ce n’est pas une limite : c’est une chance dont Aristote se saisit pour avancer dans la pensée de l’être.
Ce parcours au plus près de la langue ne se réduit pas à un monologue au sein de la seule parole occidentale mais s’ouvre à une confrontation entre la Grèce et la Chine sur les pas de François Jullien : comment entendre sans conflictualité un tel vis-à-vis entre une pensée non métaphysique du Grand Procès (Tao) ou de la « propension des choses », et une histoire de la métaphysique dont Aristote est une prestigieuse entame et dont le philosophe sinologue voudrait nous délivrer ?

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VOIR AUSSI : Bernard Sichère, traducteur de la Métaphysique d’Aristote

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Bernard Sichère à la poursuite de la plénitude avec Aristote

Florent Georgesco

Plongée dans la question de l’être telle que l’auteur de la «  Métaphysique  » l’a inaugurée. Une superbe redécouverte de la sidération dont procède la philosophie.

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Le site du Lycée d’Aristote, à Athènes, aujourd’hui.

Aristote (384-322 av. J.-C.) a 17 ans quand il rejoint à Athènes l’Académie, l’école que Platon, de plus de quarante ans son aîné, a fondée après avoir lui-même reçu l’enseignement de Socrate. Il reste auprès du vieux maître jusqu’à la mort de ce dernier, vingt ans plus tard. Puis il crée à son tour plusieurs écoles, dont le Lycée, où il donnera naissance à une philosophie d’une telle fécondité qu’elle va être l’une des sources principales de la métaphysique occidentale. Une philosophie qui, en redonnant la priorité au visible sur l’invisible, à l’individu sur l’universel, en attachant le plus étroitement possible ce qui constitue la réalité concrète à ce que l’esprit humain peut en percevoir, s’arrachera au platonisme dont elle procède, nouant avec lui un débat qui dure encore.

La pensée, dans ses commencements, est affaire de lieux, de rencontres entre des hommes « de chair et d’os », comme l’écrit Bernard Sichère, qui résume : « Une vie philosophique, c’est d’abord une vie. » Il n’y a pas de philosophie sans transmission de proche en proche, sans l’intimité d’un face-à-face. L’une des forces d’Aristote au soleil de l’être, brève et dense plongée dans la question de l’être telle qu’Aristote l’a inaugurée, est de ne jamais perdre de vue cette incarnation de la pensée. Il s’agit d’une enquête métaphysique, mais menée en soi-même, là où la pensée des autres – Platon, Aristote, Heidegger (1889-1976) aussi, très présent dans ces pages – ouvre la vôtre à des dimensions nouvelles, la rapproche de la présence des êtres, des choses, du monde, de l’être tout court en somme, de cette évidence sidérante que ce qui est est.

Une vie nouvelle

Bernard Sichère (né en 1944) évoque en quelques lignes, vers le début, la généalogie de ce qui a été pour lui, en quelque sorte, une conversion à Aristote... la suite dans Le Monde.

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De la part d’un traducteur, on n’attendait pas moins  : pour bien lire Aristote, surtout sa Métaphysique corsée, il faut revenir à la source, c’est-à-dire à la langue grecque, affirme Bernard Sichère. Aristote philosophe avec sa langue, sa grammaire et ses conjugaisons, il construit « une pensée en langue  », « branchée sur le mouvement vif et concret de la parole ». Il se pourrait même que la philosophie, du moins telle qu’elle naît des plumes et des voix d’Héraclite, de Platon et d’Aristote, n’ait pu se déployer ailleurs que « dans la tonalité de cette langue qui n’est pas une langue parmi d’autres ». Comme tout le monde n’a pas la chance d’en maîtriser les beautés et doit se contenter de traductions que l’on devine parfois plus obscures que l’original, Sichère se lance dans un commentaire de la Métaphysique éclairant, vrai travail à la fois de pédagogie et d’exigence.

Les idées, les catégories, l’être, la substance ou encore la quiddité vous donnent des sueurs froides  ? Il suffit par exemple de se souvenir qu’eidos, soit ce qu’on traduit habituellement par « idée », vient de la forme au parfait – ce temps qui n’existe pas en français – du verbe « voir » et exprime le « résultat actuel d’une action ou d’un mouvement passé »  : eidos renvoie au fait d’avoir pris connaissance de quelque chose par la vue. Pour voir, il faut être ébloui, happé par la lumière de ce qui est là. Tout à coup, la métaphysique devient affaire de regard, d’illumination face au monde, à cet Être qui brûle comme le soleil impitoyable de la Grèce. La pensée n’a d’autre fonction que d’être « l’espace d’accueil des présences  ». Il n’y aurait qu’à ouvrir les yeux…

Victorine De Oliveira, philomag