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Michel Foucault, Les aveux de la chair

D 9 mars 2018     C 1 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Histoire de la sexualité, volume IV :
les aveux de la chair

Présentation éditeur

Les aveux de la chair, qui paraît aujourd’hui comme le quatrième et dernier volume de L’histoire de la sexualité, est en réalité le premier auquel Michel Foucault s’était consacré après La volonté de savoir (1976) qui constituait l’introduction générale de l’entreprise. Il s’attachait aux règles et doctrines du christianisme élaborées du IIe au IVe siècles par les Pères de l’Église. Au cours de son travail, Michel Foucault s’était persuadé que l’essentiel de ces règles et doctrines était un héritage remanié des disciplines de soi élaborées par les philosophes grecs et latins de l’Antiquité classique et tardive. C’est à leur analyse qu’il s’est courageusement appliqué, pour aboutir en 1984 à la publication simultanée de L’usage des plaisirs et du Souci de soi. L’ouvrage est donc un premier jet auquel Foucault comptait se remettre au moment de sa mort. La réunion des quatre volumes de Dits et Écrits (1954-1988) publiés en 1994, puis celle des treize volumes des Cours au Collège de France en ont retardé l’édition et la mise au point dont s’est chargé Frédéric Gros, l’éditeur des œuvres de Michel Foucault dans la Bibliothèque de la Pléiade. Tel quel, cet ouvrage constitue un état très élaboré de la pensée de l’auteur et peut-être le cœur même de l’entreprise, la partie à laquelle il attachait assez d’importance pour se lancer dans l’aventure.

Edition établie par Frédéric Gros

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Consacré aux Pères de l’Eglise, ce grand texte inédit de Michel Foucault se révèle le pilier de son Histoire de la sexualité. Subtil et trépidant.

« Les ayants droit de Michel Foucault ont considéré que le moment et les conditions étaient venus pour la publication de cet inédit majeur » : c’est en ces termes laconiques que Frédéric Gros, spécialiste de Michel Foucault (1926-1984), clôt son bref avertissement sur l’établissement d’un texte qui se fait pourtant désirer depuis des décennies… Il aura donc fallu attendre trente-six ans pour que Les Aveux de la chair, dont un premier manuscrit fut déposé chez Gallimard en 1982, voie le jour. Livré dans sa nudité, sans commentaire ni appareil critique, au risque de dérouter le lecteur, ce texte star, objet de tous les fantasmes et de toutes les convoitises éditoriales, inaccessible même dans l’édition en deux volumes des Œuvres de Foucault dans la Pléiade parue en 2016, forme le quatrième et dernier tome — après La Volonté de savoir (1976), L’Usage des plaisirs (1984) et Le Souci de soi (1984) — de l’Histoire de la sexualité, « vaste étude sur la généalogie de l’homme du désir », selon les termes de Foucault.

A quel moment la sexualité est-elle devenue le « sismographe de notre subjectivité », le secret d’où s’extorque la vérité de ce que nous sommes ? Sous l’aiguillon de ce titre magnifique, Les Aveux de la chair, Foucault ausculte l’« expérience » chrétienne de la chair, à travers une lecture technique mais trépidante des Pères des premiers siècles (II-Ve siècles) — Clément d’Alexandrie, Tertullien, Cyprien, Ambroise, Jean Chrysostome, Cassien, déjà cités en 1980 dans son cours du Collège de France, Du gouvernement des vivants, dont le grand absent, saint Augustin, apparaît ici en majesté. La chair, soit cette rencontre du désir et de la vérité (« le devoir de vérité, comme croyance et comme aveu, est au centre du christianisme »), s’incarne différemment dans les pratiques et ascèses de la vie chrétienne : virginité, mariage, préparation au baptême, pénitence, etc. La chasteté est-elle un havre de tranquillité ou un pénible combat ? Comment se confessent les péchés ? Y avait-il des rapports sexuels au paradis avant la chute ? En quoi cette « visible et imprévisible » érection masculine est-elle, pour saint Augustin, la marque de la désobéissance à Dieu ? Pourquoi, au-delà de la procréation, les relations sexuelles entre époux, censées régler le problème de la concupiscence, sont-elles l’objet d’une obligation réciproque ? « Le devoir entre époux est une dette »…

Complexe et subtile, la pensée de Foucault démine les évidences : la valorisation de la virginité, à partir du IIIe siècle, ne doit ainsi pas être comprise comme une disqualification du rapport sexuel, cette secousse toujours dangereuse, mais plutôt comme une mise en relation de l’individu avec sa propre conduite sexuelle. « La place centrale du sexe dans la subjectivité occidentale se marque déjà clairement dans la formation de cette mystique de la virginité », synthétise Foucault. Le rapport à soi, toujours… Alors, quand le philosophe cite saint Ambroise, « la virginité est pour quelques-uns et le mariage pour tous », le lecteur contemporain ne peut qu’être saisi, projeté de l’Antiquité tardive à la récente légalisation de l’union pour les couples homosexuels, le mariage pour tous. Si Daniel Defert, le compagnon de Michel Foucault, avait eu le droit moral sur son œuvre en plus de la propriété matérielle des archives (qu’il a vendues en 2013 à la BNF), le parcours éditorial des Aveux de la chair aurait sans doute été très différent… Mais cela est une autre histoire. Non plus celle de la vérité du sexe, mais celle de la vérité de l’archive, qui hante toute la destinée des Aveux de la chair, livre fantôme devenu archive, archive fantôme devenue livre. Télérama.