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L’agent secret Philippe Sollers avec Laure Adler

Épisodes 1/2 et 2/2

D 15 mai 2025     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


SOMMAIRE
Episode 1/2
Episode 2/2
initialemennt publié le 15/04/2021

Agent secret infiltré dans le vieux monde, Philippe Sollers est écrivain, éditeur, critique… Aussi paradoxal que passionné, il est l’invité de l’Heure Bleue à l’occasion de la double parution d’un autoportrait, “Agent secret” et d’une interrogation sur notre civilisation, “Légende”.


L’écrivain, éditeur, critique, Philippe Sollers, auteur de “Agent secret” Mercure de France) et de “Légende” (Gallimard). © Maxppp / IP3 PRESS/Vincent Isore

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EPISODE 1 / 2 - L’agent secret de Philippe Sollers : "J’aime vieillir et je n’ai pas peur de ma propre mort"

14 avril 2021

Philippe Sollers est né à Bordeaux en 1936. Il décrit sa mère comme une femme étonnante, profondément moderne, réfractaire aux postures sociales, et libre : il l’a tout de suite décrété magicienne. A 15 ans, il part à Barcelone et cohabite quelque temps au milieu de prostituées qui l’ont adopté.

Pourquoi est-il si doué pour l’amour ? Pour l’auteur de Femmes, l’amour ne s’éprouve que de façon absolument clandestine car c’est le mot le plus souillé du monde. Seul un agent secret a compris tôt qu’il fallait protéger quelque chose d’essentiel.

Consacré par Louis Aragon et François Mauriac, Philippe Sollers admire Georges Bataille dont il découvre à 18 ans L’Expérience intérieure. Il est fasciné par la musique, et c’est une voix qu’il cherche dans les manuscrits qu’il reçoit en tant qu’éditeur. Savoir lire, c’est savoir écouter.
Il est las de notre époque, où la morale ressurgit à chaque instant dans la littérature et la philosophie. Il est étonné d’avoir vécu assez longtemps pour voir se réaliser l’une de ses hypothèses historiques, une mutation de notre civilisation. Lui n’appréhende pas sa mort, il veut croire à l’éternel retour nietzschéen.

Le miracle d’avoir vécu avec justesse et opportunité. Ni remords, ni regrets.”

En 2021, retrouvez un Philippe Sollers plus exalté et provocant que jamais dans "Agent secret" (Mercure de France) et "Légende" (Gallimard).

Une âme d’écrivain et une expérience du monde sensible dès l’enfance

Au micro de Laure Adler, il commençait par retracer son expérience familiale, et comment son enfance l’avait très tôt initié aux questions existentielles. Dès l’âge de 7 ans, il confie avoir été en quête de raison. Le jour même de son anniversaire, assis sur une chaise longue dans le jardin de sa maison familiale, il a attendu d’être raisonnable alors qu’il ne cessait pourtant pas de neiger ce jour-là : "J’ai enlevé ma montre et je l’ai posée sur une balustrade enneigée. J’ai attendu, j’étais très sérieux, je croyais vraiment qu’il s’agissait d’un passage. L’âge de raison m’est arrivé sous une forme tout à fait étonnante, à savoir que j’ai vu de la nature pour la première fois de ma vie lumineuse comme si Dieu était comme la nature en train de se révéler comme raison absolument intrinsèque. Si on sait la voir, si on sait se faufiler en elle, être elle, être comme la nature, c’est la même chose que les relations sensuelles avec les corps humains".

Dans son ouvrage "Agent secret", il décrit sa mère comme une femme étonnante, magicienne, profondément moderne, réfractaire aux postures sociales, et libre. C’était une femme étonnante, très libre, pleine d’humour, très drôle, très intelligente qui lui a transmis toutes les valeurs qui lui ont permis de devenir le grand écrivain qu’il est : "Je lui dois beaucoup. Elle a toujours été extrêmement lucide et à l’écart. J’ai eu avec elle une relation passionnée, parfois très ombrageuse et parfois très difficile, mais c’est la femme de ma vie. Elle m’a appris à être libre".

Il évoque également une période qu’il a rarement abordée. À 15 ans, il part à Barcelone et cohabite quelque temps au milieu de prostituées qui l’ont adopté. Il s’est épris d’une Espagnole réfractaire du franquisme, qui avait passé la frontière et qui survivait en temps qu’employée de maison et qui avait des convictions anarchistes très fortes : "J’avais 15 ans, elle en a 32. C’était une femme absolument délicieuse, charmante, dont j’ai beaucoup appris". Une expérience sensuelle qui lui aurait ouvert les portes de la compréhension de la littérature et de la philosophie. Une vie très fixe sur certains choix et, en même temps, très déréglée en général, il se trouve lui-même tout à fait étonné de finir sa vie sans aucune plainte dans une époque de la plainte : "Je n’ai jamais ressenti la moindre contrainte et je n’ai jamais infligé la moindre contrainte à personne. Ce qui est au fond pas si mal".

Pas d’écriture sans amour

Pour l’auteur de Femmes, l’amour ne s’éprouve que de façon absolument clandestine, car c’est le mot le plus souillé du monde. Seul un agent secret a compris tôt qu’il fallait protéger quelque chose d’essentiel. C’est, selon lui, le mot probablement le plus souillé du monde par une mise en scène effrayante de laideur, et "par conséquent, si on croit à ce qui pourrait arriver dans ce mot souillé de façon permanente, il faut alors que ça se passe dans une clandestinité telle qu’elle est très difficile à imaginer, sauf pour un agent secret qui aurait compris qu’il faut absolument protéger quelque chose d’essentiel. À l’amour j’y crois plus que jamais dans la mesure où je me suis organisé pour ça et rien que pour ça. Il y a finalement trois mots qui définissent la position dans laquelle j’essaye d’évoluer et de durer. La liberté, l’amour, la poésie. Autrement dit, l’amour ne va pas sans poésie et la liberté. Trois choses essentielles qu’il faut protéger à tout prix".

L’écriture doit résonner comme une musique : "Savoir lire, c’est savoir écouter"

Il parle beaucoup de la musique à l’intérieur de ses deux livres, "Légende" et "Agent secret", et affirme que comme tout le monde, il a ses petits coups de blues, et aussitôt qu’il écoute de la musique, l’élan repart. Il est fasciné par la musique, et c’est une voix qu’il cherche dans les manuscrits qu’il reçoit en tant qu’éditeur : "Savoir lire, c’est savoir écouter. Quand je lis et quand j’écris je fais constamment de la musique. Sans elle la vie serait une erreur. Et malheureusement, la plupart des êtres humains sont soit dans un bruit qu’ils croient être vainement de la musique, mais la musique ça doit s’écouter attentivement. La musique doit être quelque chose de continuellement à l’œuvre chez un écrivain parce qu’il travaille aussi sa voix sans laquelle l’écriture ne peut résonner. Il faut savoir lire, écouter si celui qui a écrit l’a fait en musique intérieure ou pas".

"Si j’écris, c’est parce que je considère qu’il est urgent d’écrire"

Dans ses deux ouvrages il parle de son fils défunt David, de sa présence constante, mais surtout de ses souffrances. Pourtant très pudique, les pages consacrées à son fils sont bouleversantes et sont comme un témoignage de la manière dont il a vécu le contexte de la crise sanitaire. Il explique qu’il connait très bien l’état des hôpitaux, les attentes dans les couloirs, le manque de personnel dans les hôpitaux, à quel point le personnel médical essaie d’apporter tout ce qu’il peut aux personnes souffrantes mais qui n’en peut plus : "Tout est fait pour vous dissuader de faire le moindre geste d’écriture, tant cette atmosphère-là est lourde. Et pour surmonter ça, il faut mettre davantage de musique pour qu’immédiatement la joie revienne. Je la vis très bien cette période puisque le confinement est un art que j’ai pratiqué sans arrêt et volontairement pour me conditionner dans mon style d’écriture".

Son livre "Légende" commence par le bruit des ambulances et des pompiers permanent, obsédant, comme une sorte de cadence à l’intérieur de son quotidien. Et il affirme en ouverture qu’il est comme un urgentiste du présent, confiant au passage son regard, ses sentiments sur la période qu’a été celle de la crise sanitaire : "Je ressens cela de façon très violente car les hôpitaux sont très engorgés, ils vont très mal, souffrent d’un grand manque d’argent, de personnel, tout est mauvais alors que le système de santé français est le plus admirable du monde, d’où un dévouement étonnant. Je me sens moi-même en état d’urgence moi-même. Si j’écris, c’est parce que je considère qu’il est urgent d’écrire. Je suis un urgentiste des mots, de la parole et de l’écriture, voilà comment je me vis".

Philippe Sollers affirme aussi dans son ouvrage que nous changeons de civilisation, que nous sommes en train de vivre dans un présent qui est en train de changer de nature, un contexte qui fait que les règles ont évolué, sinon le sentiment que nous basculons dans une autre civilisation, ou que nous sommes en fin de civilisation : .

"J’aime vieillir et je n’ai pas peur de ma propre mort"

Si il lui arrive d’être las de notre époque, tant il considère que la morale ressurgit à chaque instant dans la littérature et la philosophie, s’il est étonné d’avoir vécu assez longtemps pour voir se réaliser cette mutation dont il parle, il n’appréhende absolument pas sa mort, il raconte combien il croit à l’éternel retour nietzschéen. Et s’il avait la possibilité de revivre sa vie, il le ferait très volontiers : "3 fois oui, 10 fois oui, 1000 fois oui et 10 000 fois oui ! Je suis absolument persuadé de la possibilité de l’éternel retour, car cela transforme tout dans votre vie, la moindre occasion, le moindre geste, le moindre instant est porté à une dimension invraisemblable. Il faut arriver à une conception de la sérénité et de la jouissance qui soit inhérent à cette idée d’éternel retour. J’y crois fondamentalement. Je crois en l’approbation de la vie jusque dans la mort".

Il investit tellement d’élan dans le sens qu’il se fait de la vie, sinon de sa propre vie, qu’il explique n’éprouver aucune crainte quant au fait de vieillir : "Heureusement, j’aime vieillir. Il faut vieillir. Vieillir est un acte, une façon de rajeunir et de retrouver sa jeunesse tout à fait imprévue. Je rajeunis tous les jours parce que j’ai conscience de la chance que j’ai eue de vivre comme j’ai vécu et je m’en félicite. L’avenir, c’est le passé. C’est le miracle d’avoir vécu avec justesse et opportunité. Je ne regrette rien. Ni remords, ni regrets. Rien".

De même il envisage sa propre mort avec sérénité. Il confie que "vivre la mort, c’est vraiment la chose la plus essentielle de la vie. Je vis ma mort de façon assez tranquille, sans culpabilité. J’ai d’ailleurs déjà fait sculpter sur ma pierre tombale, une rose de la raison et une croix du présent".

Musiques :

• Jane Birkin, "Quoi"
• Cécilia Bartoli
• Pomme, "Les cours d’eau"

Archives :
Archive Ina non identifiée : Georges Bataille à propos de l’érotisme
Générique : "Veridis Quo" des Daft Punk

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EPISODE 2 / 2 - Philippe Sollers infiltré : "L’amour est plus fort que la mort"

15 avril 2021 • 53 min

Pour cette deuxième rencontre, Philippe Sollers nous recevait dans son tout petit bureau chez Gallimard, une antre magique, son lieu de vie intense où sont collectionnés des manuscrits, des livres anciens, des livres rares, des livres de bibliophilie, mais aussi des statues, pour une conversation très libre à l’occasion de cette double publication : "Agent secret" aux éditions Mercure de France et "Légende" aux éditions Gallimard. De sa profonde amitié pour Jacques Laquan, à son rapport à l’au-delà, en passant par la conceptualisation d’une nouvelle forme de divinité sociale qui remplacerait implicitement les anciennes, la façon de penser l’espace-temps, son amour de la calligraphie chinoise, son amour pour l’écrivaine Dominique Rolin, son rapport à l’amour et sa force créatrice plus que vitale, l’écrivain partageait plusieurs des grandes réflexions qui animent son esprit d’écrivain ces dernières années.

"La société croit en un Dieu et un monde tout à fait nouveau"

L’écrivain commence par revenir sur le contexte actuel de notre société qui aurait inventé un "dieu nouveau" qui n’aurait, bien sûr, plus rien à voir avec les précédents, ni avec les dieux grecs, ni avec les religions monothéistes que nous connaissons. Il cherche à établir ce qu’il appelle "une logique du silence face à un monde qui bavarde et communique trop". D’après lui, "nous serions rentrés dans l’ère du journalisme absolu, de l’indiscrétion absolue". Il reconnait que, dans tous ses livres, il essaie de donner cette possibilité que "Dieu n’est pas quelque chose à croire, mais bien un événement à reconnaître. Le divin est quelque chose qui se manifeste et qu’on reconnaît ou pas. Dieu, revient sous une autre forme que celle à laquelle on pouvait jusque-là, traditionnellement penser. Il est mort et il n’est pas ressuscitable. Il aurait quelque chose de plus transhumain, beaucoup plus lié à la conception d’un évènement dans l’instant T ".

Une vision de la divinité qu’il rapproche nécessairement à la conception qu’il se fait de l’espace-temps et par lequel il formule aussi une manière que l’humanité aurait de comprendre, désormais, le monde de façon totalement différente. En somme l’avènement d’un monde nouveau, d’un nouveau temps : "cet espace à quatre dimensions avec des points, des singularités qui correspondent à différents évènements dont la courbure deviendrait infinie. Aujourd’hui, nous vivons dans un autre temps qui est assez indéfini et sans repère". Il professe l’avènement d’un temps rétréci, d’une nouvelle manière d’être à ce monde qu’il analysait déjà dans son roman “Le Nouveau” en 2019.

Dominique Rolin et Jacques Lacan, deux précieuses rencontres

L’amour, il en parle beaucoup à l’intérieur de ses deux derniers livres. Dans un cheminement autour des figures qui l’ont marquées, Philippe Sollers convoque l’écrivaine Dominique Rolin, avec qui il a entretenu une longue histoire d’amour et d’écriture, livrée au lecteur sous la forme d’une correspondance. Alors que Dominique Rolin est décédée en 2012, il garde en mémoire la conviction que l’amour est plus fort que la mort. Dominique Rolin, c’est le grand amour, c’est l’amour absolu. Il avait 25 ans, elle en avait 45 et jusqu’à la fin de sa vie, ils ne se sont jamais quittés. À l’intérieur de son dernier livre, il cite une correspondance admirable de Dominique Rolin qui lui est envoyée un jour ou elle vaque à ses activités familiales : "C’est un.e écrivain.e qui écrit et qui me parle de ce qu’elle est en train d’écrire. On échange nos sensations et bien d’autres choses, nos lectures, notre rapport à la peinture qu’elle voyait bien mieux que moi, avec un oeil très aigu, quand moi, je pense lui avoir fait découvrir la musique. Je suis obligé de penser à elle notamment quand je regarde mes bouteilles de grands crus de Bordeaux qui font directement référence à ce lieu enchanté où j’ai vécu enfant. Une fois par semaine, on ouvrait ensemble une bouteille de grand cru en même temps qu’on écoutait de la musique. On boit à la gloire de la musique et de l’instant compris comme espace-temps".

Quant à son rapport personnel avec l’amour, il raconte que la mémoire de l’amour se manifeste par une conviction profonde que l’amour est plus fort que la mort : "C’est pourquoi, pour moi, Dominique n’est pas morte du tout. L’amour est plus fort que la mort. Le pouvoir de la vérité consiste à savoir si on tient le coup dans l’amour par rapport à la mort. Se maintenir par rapport à la mort est ce qui demande la plus grande force qui réside dans l’amour et pas ailleurs. L’amour ne nécessite même pas l’idée de croyance à l’éternité puisque le temps n’est pas fait pour aboutir, il surgit. L’instant est quelque chose qui me parle constamment. L’instantanéité du présent est si intense qu’il faudrait tous qu’on puisse vivre chaque seconde l’intensité de notre présence".

Suivant le fil des pages de son roman ”Agent secret”, il revient aussi sur son amitié avec le psychiatre Jacques Lacan, tissée après ses séances de psychanalyse. Il le décrit comme quelqu’un de reposant, qui ne parlait pas pour ne rien dire, contrairement à ce qu’il reproche à la société contemporaine. Il fait le portrait d’un homme très doux, très gentil, avec qui il s’est profondément lié d’amitié, avec qui il parlait souvent en fin de journée, après que le psychiatre ait écouté les souffrances des autres, rein que pour se détendre à ses côtés : "Il m’aimait bien, parce que je le reposais. Il sortait de là, épuisé, en fin d’après-midi, il m’emmenait au restaurant en face de chez lui, rue de Lille et commandait du champagne rosé, c’était tout à fait délicieux. C’était quelqu’un qui ne parlait pas pour ne rien dire, c’est extraordinairement reposant. Il dégageait une forme de corps parlant. Il était accompagné de toute sa mythologie privée, qui brûlait en lui sans rien dire".

La lecture comme hygiène de vie

Alors qu’il manifeste son inquiétude quant à la diminution globale de l’intérêt pour la lecture, et les risques que cela pourrait induire, selon lui, sur le travail de la mémoire et le goût pour la réflexion en général, il ne peut s’empêcher de rappeler combien la lecture représente à ses yeux une discipline fondamentale, une hygiène de vie, une gestion du temps, un appareillage minimal pour continuer à appartenir au monde : "Grâce à elle on se rend compte de la chance miraculeuse qu’on a d’être en vie, notamment grâce à sa mémoire. Chaque livre est là pour témoigner de quelque chose et avec eux je vérifie toujours que je peux aller plus loin dans ce que je sais déjà pour cultiver l’impassibilité, l’agilité et la subtilité que confèrent les mots".

Crédit : France-Inter

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