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Doit-on lire Ultima Necat II et III de Philippe Muray ?

Journal intime 1986-1988 et 1989-1991

D 5 décembre 2019     A par Viktor Kirtov - Michaël Nooij - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


4 Avril 2016, Michaël Nooïj, fidèle de pileface et contributeur occasionnel, nous avait proposé un article :

« Doit-on lire Ultima Necat II (Journal intime 1986-1988) de Philippe Muray ? »

30 Octobre 2019 : Ultima Necat III (Journal intime (1989-1991) vient d’être publié aux éditions Les Belles Lettres et Elisabeth Lévy en rend compte sur Causeur.fr le 4 décembre 2019 :

« Philippe Muray contre le reste du monde »

Occasion de republier l’article initial sur Ulima Necat II par Michaël Nooïj, en contrepoint (partie II) de Ultima Necat III d’Elisabeth Lévy (partie I)

On pourra aussi lire sur pileface :

Philippe Muray (1945-2006) revient /Prophète de notre temps
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PARTIE I – ULTIMA NECAT III
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Philippe Muray contre le reste du monde
Philippe Muray, le désenchanteur

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Par Elisabeth Lévy
4 décembre 2019


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Le troisième tome du Journal de Philippe Muray couvre une période charnière (1989-1991) durant laquelle il rompt avec ses parrains. Sûr de son génie, l’écrivain conjugue le style célinien et l’ambition balzacienne pour déclarer la guerre à son temps. Ainsi commence le combat de Muray contre le reste du monde.

Lire un journal intime, particulièrement celui d’un écrivain et particulièrement celui de Philippe Muray, c’est s’exposer d’emblée à une dissonance temporelle et mentale. Les phrases écrites au fil du temps, au rythme de la vie, au gré des tours, détours et retours de la pensée, nous parviennent – d’outre-tombe– comme un texte achevé dont la cohérence de fer, malgré toutes sortes de contradictions, semble presque miraculeuse. Ce qui l’est tout autant, c’est qu’avec trente ans d’avance, Muray voit naître le nouveau monde et ses fondations en forme d’oxymore : mort de Dieu et déploiement universel de la bondieuserie, minorités hargneuses et opprimées, culte de l’individu et haine de la singularité. Il s’amuse de voir une même société passer en quelques mois « de la protestation vertueuse en faveur de Rushdie, à l’indignation également vertueuse contre tout énoncé sexiste » (17 janvier 1990).

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Page après page, Muray devient Muray…

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Mort de la transcendance, mort de l’art, mort de la littérature, mort du sexe. Muray ne cesse jamais de payer sa dette – d’autant que, comme tous les artistes, il préfère les rivaux morts aux vivants. Cependant, composer l’oraison funèbre du monde ancien ne l’intéresse pas, ce qu’il veut, c’est baptiser le nouveau en forgeant les catégories et les concepts qui permettront de le penser.

Page après page, Muray devient Muray, sa voix s’éclaircit, son écriture se trempe dans l’acide. La fin de l’Histoire pointe son nez, le Parti Dévot Global annonce l’Empire du Bien. Il fait son miel des célébrations du bicentenaire de 1789, rappelant le mot de Napoléon à Las Cases : « La Terreur, en France, a commencé le 4 août. » Tout en observant que cette Révolution qui lui inspire une franche aversion ne peut même plus être un objet de discussion : « Que signifie-t-elle, à l’époque où les scooters des mers tranchent les cous bien plus efficacement et joyeusement que la guillotine ? Comment s’enthousiasmer pour les sans-culottes quand les filles, sur les plages, se promènent sans slip ? » (20 août 1989) Fin 1989, il suit avec passion les événements de Roumanie et la fin télévisée des Ceausescu : « La Société de Pacotille médiatique a enfin trouvé son contraire hideux. L’avertissement que le Spectacle adresse à ses ennemis est clair : qui n’est pas avec nous est avec ces deux monstres condamnés par le sens de l’Histoire, et finira comme eux, un jour ou l’autre, criblé de balles au pied d’un mur. »

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L’édition coupable de vouloir tuer la littérature

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Si l’abattement, la prostration, la conviction d’avoir tout raté (à 45 ans) reprennent régulièrement le dessus – il lui arrive même d’être carrément pleurnichard –, une certitude résiste : celle d’être un génie. Le seul vivant. « Le seul mot qui devrait être interdit de pluriel » : écrivain. (20 mars 1989). « Relu Rubens hier et aujourd’hui. Mon impression ? Chef-d’œuvre. » (4 janvier 1991 (1)). Ses ailes de géant ne l’empêchent d’être mortifié par le silence de plomb qui accueille La Gloire de Rubens, comme Postérité, trois ans plus tôt. Il ne pardonne pas ce double échec à Bernard-Henri Lévy et à Grasset. « On n’a plus besoin de perdre ses manuscrits à la Bastille, de nos jours (comme Sade et les Cent vingt journées, Ndlr), pour assister à leur disparition corps et biens ; il suffit de les publier chez Grasset. » (24 mai 1991). Et quelques jours plus tard, le 28 mai, il conclut : « Je n’ai pas les moyens sociaux de mes moyens intellectuels. C’est-à-dire : je ne suis pas employé d’édition, journaliste, etc. Et pourtant, littéralement, esthétiquement, j’ai raison. Donc je suis foutu. » Il lui arrive même de se plaindre de ce que son téléphone ne sonne pas.

Le récit récurrent de ses démêlés avec Grasset et avec l’édition tout entière, coupable de vouloir tuer la littérature, nourrit un mimétisme plus ou moins conscient avec celui qu’il a élu comme double maudit : Céline, dont il relit inlassablement Mort à Crédit et Guignol’s Band. « Céline pendant qu’il écrit Mort à crédit : « Il a fallu aussi remonter franchement tout le ton sur le plan du délire. Alors les choses s’emboutissent naturellement.”[…] Ce sera désormais son unique souci esthétique, son seul impératif catégorique. Si pas délire (grossissement, densité, émotion, passage au “direct”), rien. » Pendant quelques mois, Muray s’essaie au délire et fait un usage immodéré des points d’exclamation et de suspension. Mais l’invective et l’émotionnant ne sont pas son registre, ce ton remonté lui sied moins que la férocité joyeuse et bouillonnante qui deviendra sa véritable voix.

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En guerre contre son époque

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Si Céline est son maître pour le style et pour l’antagonisme radical, pour le programme, il se tourne vers Balzac. Lequel parle, dans un article de 1832, de « tous ceux qui trouvent chez eux quelque chose après le désenchantement ».« Il y a en effet deux espèces, deux catégories, note Muray, ceux pour qui il n’existe rien après le désenchantement, et ceux pour qui tout commence. Toute mon entreprise est de faire sentir la richesse et la joie de l’au-delà du désenchantement. » (5 février 1989). Déniaiser tous ceux qui se laissent ensorceler par le kitsch, comme s’il était le réel : il sera jusqu’au bout fidèle à cette ambition.

Au moment où s’ouvre ce volume, début 1989, la messe est dite : ce sera Muray contre le reste du monde. Sa rage a parfois des accents puérils : « Chaque minute où tu n’écris pas est un jour de joie pour eux. » (15 janvier 1989).
Muray est en guerre contre son époque. Mais l’époque ne le sait pas


« Portrait de Honore de Balzac (1799-1850) » Peinture de Louis Boulanger (1806-1867)
Tours. Musee Des Beaux Arts (c) Photo Josse / Leemage
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Tout l’intérêt de ce volume est précisément qu’il couvre une période charnière. Il a déjà fourbi les armes qui constitueront les motifs lancinants de son œuvre future. Et pour qui a vraiment lu Le xixe siècle et Postérité, son entreprise de dynamitage est déjà une évidence. Cependant, tel un marrane, il déjeune et devise le jour avec ceux qu’il exècre la nuit, furieux contre eux et contre lui du besoin qu’il a encore d’eux. C’est Dr Philippe et Mr Muray. À le lire, on comprend que, dans les coteries ex-avant-gardistes qu’il fréquente – Sollers et la bande des anciens de Tel quel, Jacques Henric, Catherine Millet et Art Press, BHL, Enthoven et Grasset – son charme, son érudition et son talent de société font merveille au point que la plupart le prendront longtemps pour un des leurs.

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Sollers onctueux, Lévy urbain…

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Ainsi, il collabore très régulièrement avec « les crétins de Globe », un journal pourtant complice par son enthousiasme de ce qui est pour Muray, avec la mort de ses parents et l’échec de Postérité, l’une des trois catastrophes de cette période : l’élection de François Mitterrand. « Mon allergie pour lui a été si absolue, si instantanée, si sincère en somme, et si naturelle, que je n’en parle plus jamais, elle n’a aucun intérêt. » (3 octobre 1991). En 1989, plusieurs de ses articles pour Globe passent à la trappe, notamment un magnifique texte sur Sade. Il rompt par un « poulet » (une missive, pas une volaille) lapidaire en novembre. Et quelques mois plus tard, en janvier 1990, on voit de nouveau apparaître dans le Journal un texte destiné au magazine sur la terreur que lui inspire la conspiration des marieurs. Et de citer l’explication que Degas donne de son célibat : « J’aurais eu trop peur d’entendre ma femme me dire : c’est joli ce que tu as fait là. » Muray finira par épouser N. et celle-ci ne lui dira jamais, bien sûr, qu’il a écrit un joli livre. Après parution du texte dans Globe, il découvre comment il a été mis à la longueur voulue : « Ils me coupent toutes mes fins de phrases, mes articulations en douceur, ils éludent mes nuances, mes équivoques, mon velouté, mes rimes, mes rythmes. » Qu’il se contente de cette protestation silencieuse est sidérant pour quiconque le connaîtra dix ans plus tard, à l’âge de la souveraineté, capable de faire une scène effroyable pour une virgule manquante. On mesure l’effort que lui a demandé l’avalage répété de telles couleuvres.

Alors, il se venge sans attendre que le plat refroidisse. Dans la clandestinité de son bureau, il peint, derrière l’onctuosité de Sollers et l’urbanité de Lévy, les manigances, les petites appropriations, les jeux de pouvoir, les batailles d’influence, les services rendus, les ascenseurs renvoyés, les louanges exigées. « Pour me décider à prendre en main la réalisation d’un numéro de L’Infini sur la Révolution, il y a deux ans, Sollers me faisait miroiter la perspective d’avoir à ma disposition du papier à en-tête de Gallimard. » (18 février 1990). Ils croient me contrôler parce que j’ai besoin d’eux, mais je suis libre, écrit-il de mille manières. Trente ans après, on est vaguement gêné par la duplicité. Alors que la plupart de ses cibles de l’époque ont perdu leur superbe et leur pouvoir, les missiles à retardement de Muray ne s’écrasent-ils pas sur des ambulances ?

Ces trois années sont donc celles de la séparation, c’est-à-dire de la délivrance. Avec L’Empire du Bien, qui paraît à l’automne 1991 aux Belles Lettres, Muray brûle ses vaisseaux. Il tombe les masques. C’est qu’entre-temps, il a enfin rencontré l’éditeur que son œuvre méritait. Ses lecteurs devraient ériger une statue à la gloire de Michel Desgranges (voir le portrait de Daoud Boughezala dans le n°74 du magazine). Du reste, Muray se reproche de ne pas l’avoir fait. Le 27 août 1991, il se retourne sur le chemin parcouru et ne voit que des ratages. « Quand un écrivain de quarante-six ans ouvre les yeux et récapitule toutce dont il a omis de parler, depuis plus de vingt ans qu’il écrit, le vertige l’envahit.[…] Il prétendait comprendre le monde, mais le monde lui a échappé. Il est allé chercher midi à quatorze heures.[…] Eh bien (il ne s’en aperçoit que maintenant), le personnage de Desgranges, le patron des Belles Lettres, devrait avoir été l’occasion, et depuis longtemps, d’un grand morceau de bravoure à la La Bruyère. C’était son devoir de le faire. » Muray mourra en 2006 sans avoir accompli ce devoir. Mais son amitié avec Desgranges avec qui il déjeune une fois par mois à La Marlotte, rue du Cherche-Midi, ne faiblira jamais.

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Obsessions

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On ne saurait conclure ce vagabondage à travers le Journal sans évoquer deux obsessions qui ne quittent jamais Muray : le temps et les femmes. Deux obsessions d’ailleurs étroitement liées, car les femmes sont les principales voleuses de temps, les femmes qui, pour paraphraser Sade, veulent être fécondées et non « foutues », les femmes et leur demande d’amour et de mariage. De tels propos lui vaudraient aujourd’hui d’interminables procès en misogynie et sexisme si les duègnes du néo-féminisme le lisaient.

Les femmes, Muray est contre, tout contre, il les abomine et ne peut se passer d’elles – cul, con et cerveau. Il aime les posséder et plus encore écrire qu’il les possède. Cependant, elles sont ses seules interlocutrices, ses adversaires et complices de prédilection, à l’image de N., « la chienne de tête ». « Il faudrait que je fasse la revue de détail et l’étude approfondie de toutes les ruptures qui m’ont paru nécessaires (et même, dans certains cas, indispensables à ma survie) dans les dix dernières années. Roche, États-Unis, Bourgadier-Denoël, Sollers, Lévy, Scarpetta, tout le monde finalement. Mais dans cette liste on notera qu’il n’y a pas une seule femme. » (13 juillet 1991). Elles lui inspirent des aphorismes tranchants– ou saignants : « On peut introduire bien des choses dans une femme, mais pas le doute. » (5 juin 1991). Ou encore : « L’incompatibilité, le principe d’incompatibilité reconnu et cultivé, entre un homme et une femme, est la seule garantie de la liberté. » (13 septembre 1991). Encore une blague pour la route ? S’adressant à un certain François, il remarque : « Tu es père […] parce que tu aimes transmettre…Moi, c’est mettre que je veux. » (4 février 1991).

Et c’est ainsi que Muray est grand.

Ultima Necat III : Journal intime (1989-1991)
Prix : EUR 35,00


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PARTIE II – ULTIMA NECAT II
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Question d’un amoureux de la littérature française : doit-on lire Ultima Necat II, journal intime 1986-1988 ?

de Philippe Muray (1945-2006)


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Non. Parce que la sexualité spéciale de l’auteur, ses problèmes philo-physiques, sa phobie de la famille et ennuis relationnels ne sont pas assez excitants en soi pour tenir l’attention du lecteur le long de six cents pages. Muray s’y montre anti-père, anti-progéniture, furieusement anti-utérus, à tel point qu’on se demande pourquoi l’auteur n’a pas choisi de devenir ermite ou moine. Il aimait trop l’odeur, la chair des femmes ? Il faut savoir ce qu’on veut. Avoir le beurre et l’argent du beurre ? D’accord, mais alors avec la classe du vainqueur acrobate souriant et non pas avec cette jérémiade sarcastique sur son sombre sort de mâle en rut auprès de femmes forcément fatales - sans jamais réussir vraiment à faire rire.

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Stèle pour Philippe Muray ?
Fonds Chaval (1915-1968) du musée
des beaux-arts de Bordeaux.

Triste constat : écritures du désastre, Mu-ray mou-rait à petit feu de lui-même, étonné de ne pas être pris pour le messie, lui ! le preux héritier de la Grande tradition littéraire, doté d’une plume démoniaque, mieux, d’une langue divine, d’un nez infaillible, au courant de tous les in- and outsights de l’histoire des Lettres et cependant, fichtre, bassement obligé de gagner sa vie en tant que nègre pour l’inénarrable série de romans de gare SAS, la Brigade mondaine (une trentaine de tomes de sa plume [1]). D’où par dépit description à chaque page des frustrations... aigreurs... migraines... diarrhées verbales redondantes... parodies... pièges... ambiguïtés... cruautés mentales... auto-célébrations et auto-flagellations... lucidités honteuses, paralysantes...

"Il est rarissime qu’en face d’une femme un homme parvienne à se penser comme la victime promise, potentielle, comme la cible prédestinée, le point d’impact futur de la balle. Il est rarissime qu’il voie sa relation avec elle comme un champ de tir où il ne serait qu’une de ces vieilles constructions désaffectées qui va sauter sous le premier obus."

Cependant, en même temps, oui, on peut ouvrir ce cahier de doléances si l’on veut faire connaissance avec un fou de la littérature française et mondiale hors catégorie, quelqu’un qui se sent appelé à interpréter et partant à sauver le genre humain ou de ce qui en reste par la vertu de la littérature, un ange descendu pour répandre l’intelligence universelle ...mais pas de chance, un rédempteur de la vérité lourdement ligoté par les fureurs et tumultes de la vie de tous les jours, les tracasseries, les harcèlements, la persécution.

Un cas donc ce Français né à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, un monument à lui tout seul, mâle type fin de siècle, Mu-ray mal mu-ri au cœur des années Althusser Lacan Barthes, un surdoué tombé dans le marxisme, élevé par le freudisme, fils apocalyptique du sex, drugs&rock’n roll, un pied dedans un pied dehors, sans véritable renommée (d’où des piques sans charité envers Philippe Sollers), luttant contre lui-même et s’y épuisant. Comme Baudelaire, à qui il aurait tant voulu ressembler pour l’éternité, l’enragé auteur s’asphyxiait de son temps, de lui-même.

Il cherchait le martyr, la postérité ? Il y a droit, même au prix d’un journal verbeux à intérêt limité comme Ultima Necat II, parce que la lie que laisse sa bouteille de vieil enfant soixante-huitard converti garde tout de même un bouquet génial.

Donc oui, achetez, lisez cette confession-radar d’un enfant-victime de son siècle et attendez-vous à des horreurs.

Michaël Nooij

PS : Ai laissé tomber l’idée des citations concernant Philippe Sollers, c’est sans intérêt.




Philippe Muray

Ultima Necat II
Journal intime 1986-1988

Éditeur Les Belles Lettres
19 octobre 2015
Nb de pages : 582 p.

Le livre sur amazon.fr

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Voir aussi la critique du tome I (1978-1985) par Jacques Drillon, L’Obs du 17 avril 2015.

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Autres critiques et extraits d’ Ultima Necat II

Ajout V.K.


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Philippe Muray : piégé, dit-elle

par Marin de Viry
REVUE DES DEUX MONDES
13 novembre 2015

Le projet d’écrire un journal intime, pour Muray : s’avouer à lui-même que ce qu’il pense est inavouable.Se découvrir complice de ses mauvaises pensées, collaborateur de ses pulsions, fan de son « ça ». Et puisque ce journal est intime, il est surtout sexuel.

« Ultima Necat », Tome 2, couvre les années 1986 à 1988. Le point de départ est une méditation, ou plus exactement une fulmination intériorisée, assez classique au fond mais de forme enfiévrée, sur la nécessité pour un artiste de se départir du destin commun : ne surtout pas être mari, encore moins être père. Un artiste ne se construit qu’à la condition de débouter les femmes, ou plus exactement de flairer le piège qu’elles recèlent toutes : la tentation de céder au navarin d’agneau, à la lingerie fine, voire au patrimoine. Toutes tentations avec lesquelles elles ferrent le mâle non-artiste le réduisent à l’impuissance, et accompagnent l’ombre de l’homme qu’il aurait pu être jusqu’à la tombe.

La plupart du temps,Philippe Muray traîne les femmes par les cheveux jusqu’à un tribunal dont il est le procureur odieux, le juge de mauvaise foi, le jury bourré de préjugés, et le bourreau revanchard. Les droits de la défense sont bafoués. La lecture de ce manifeste « masculiniste » extrême est jubilatoire, et il va de soi que Muray ne se croit pas lui-même, il est beaucoup trop intelligent pour cela.

Ce qu’il invente à travers ce retournement complet de tout ce que nous sommes censés penser des femmes, c’est l’envers de l’histoire contemporaine (titre d’un roman méconnu de Balzac). C’est l’histoire de la rencontre impossible entre les sexes que notre siècle prétend au contraire fusionner dans l’amour et dans l’indifférenciation. Comme le disait un mur en 68 : exagérer, c’est commencer d’inventer.

Revue des deux Mondes

Marin de Viry, un continuateur de Philippe Muray ? Voir ICI... : http://www.unidivers.fr/marin-de-viry-le-matin-des-abrutis

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Muray, vox clamantis

Alexandre Soulabail
ZONE CRITIQUE
30 décembre 2015

Zone Critique à propos de la publication posthume du deuxième volume du Journal de Philippe Muray, Ultima Necat  : A l’heure où certaines tendances intellectuelles et politiques tentent de récupérer et d’enrôler ses œuvres dans des combats idéologiques, il est bon de rappeler que, pour Muray, la littérature se définit avant tout par ceci que, tout à la fois déni et vengeance à l’égard du monde et de la vie, elle est foncièrement « irrécupérable ».

(extrait)

[…]

Muray ne revendique pas de pouvoir ne pas être d’accord – mais il plaide pour n’être jamais d’accord.

[…]

Il faut dire merde à la société – sinon pas de littérature. Tout ce qu’on embaume sous le nom de « livres » ou de « grands écrivains » a dit merde, à un moment, au monde qui était contemporain de ces livres ou des écrivains.Il faut dire merde au temps qui passe[je souligne] ». La littérature est le geste suprême et souverain de celui qui refuse, tout et absolument. Ce dont témoigne l’écrivain, ce n’est pas de lui-même en tant que personne, pas plus qu’il ne témoigne – surtout pas ! – pour autre chose que lui-même (les écrivains politiques), mais, en dernier recours, l’écrivain est celui qui témoigne de la puissance infinie de refuser ce qui l’entoure, de se séparer du monde. D’où le dégoût de Muray pour toutes les cérémonies littéraires – car, par définition, la littérature est ce qui refuse tout cérémonial, c’est-à-dire toute comédie sociale : « Hier soir, un « Apostrophe » tout à fait exemplaire. On l’aurait dit sorti de Postérité [le roman de Muray, nldr.]. Glapissements des ligues de vertu. On n’a pas le droit de ceci, de cela !… Il faut être positif, pas critique, pas négatif ! » ; « Haine de la littérature. Toute l’anti-littérature défile tellement à « Apostrophes » depuis dix ans qu’il suffirait de reprendre les « thèmes » de la plupart des émissions pour faire le panorama de ce qui ne veut pas de littérature aujourd’hui ». Puisque nous ne sommes pas au monde, que nous ne pouvons témoigner de cette non-appartenance que par le refus, la littérature est « ce qui toujours nie » : « Pas de littérature sans méchanceté ».

Finalement, la littérature n’est rien d’autre que l’éloge de la traîtrise : « Quand un écrivain (un vrai) a du succès (ça peut arriver : apparence de consensus), c’est qu’il a réussi à obtenir d’un grand nombre de gens qu’ils trahissent (le temps de la lecture au moins) le reste du monde, leur famille, leurs liens du sang, leurs attachements ». La littérature est refus du monde.

Ultima necat II, Philippe Muray, Les Belles Lettres, 582 pages.

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Fabrice Luchini lit « Tombeau pour une touriste innocente » de Philippe Muray

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C’était en 2012, au théâtre de l’Atelier.
Fabrice Luchini se contente d’une table et d’une chaise sur la scène nue du théâtre où il lit les textes de Philippe Muray, pamphlétaire du politiquement incorrect qu’il a fait connaître au grand public.

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Après Céline, Luchini prête sa voix aux mots de Philippe Muray, décédé en 2006. Il n’y a sans doute pas de hasard. Le second a publié en 1981 un essai consacré au premier. En plus de ce lien, les deux écrivains ont en commun, chacun dans son style, d’avoir dressé de leur époque un portrait fortement teinté d’acidité. Comme le docteur Destouches, Philippe Muray se donne le droit de dire. Et il le fait en complète opposition avec les encenseurs du régime, les porte-coton de la pensée consensuelle, il le fait même contre la communauté des rameurs à contre-courant. L’emphase faussement retenue de la lecture de Luchini donne aux phrases de Muray une bienveillance trompeuse : c’est bien d’un travail de démolition qu’il s’agit.
Crédit : Cultuebox.francetvinfo.fr


Tombeau pour une touriste innocente

Rien n’est jamais plus beau qu’une touriste blonde
Qu’interviouwent des télés nipponnes ou bavaroises
Juste avant que sa tête dans la jungle ne tombe
Sous la hache d’un pirate aux façons très courtoises

Elle était bête et triste et crédule et confiante
Elle n’avait du monde qu’une vision rassurante
Elle se figurait que dans toutes les régions
Règne le sacro-saint principe de précaution

Point de lieu à la ronde qui ne fût excursion
Rien ici ou là-bas qui ne fût évasion
Pour elle les pays étaient terres de passion
Et de révélation et de consolation

Pour elle les pays étaient terres de loisirs
Pour elles les pays n’étaient que communion
On en avait banni les dernières séditions
Pour elle toutes les terres étaient terres de plaisir

Pour elle les nations étaient lieux d’élection
Pour elle les nations n’étaient que distraction
Pour elle les nations étaient bénédiction
D’un bout du monde à l’autre et sans distinction

Toute petite elle disait avoir été violée
Par son oncle et son père et par un autre encore
Mais elle dut attendre ses trente et un balais
Pour revoir brusquement ce souvenir éclore

Elle avait terminé son second CDD
Mais elle envisageait d’autres solutions
Elle voulait travailler dans l’animation
Pour égayer ainsi nos fêtes de fin d’année

Elle cherchait à présent et pour un prix modique
À faire partout régner la convivialité
Comme disent les conseils en publicité
Elle se qualifiait d’intervenante civique

Elle avait pris contact avec plusieurs agences
Et des professionnels de la chaude ambiance
Elle était depuis peu amie d’un vrai artiste
Musicien citoyen jongleur équilibriste

Grand organisateur de joyeuses sarabandes
Le mercredi midi et aussi le samedi
Pour la satisfaction des boutiques Godassland
Créateur d’escarpins cubistes et nabis

[…]

Sans vouloir devenir une vraie théoricienne
Elle savait maintenant qu’on peut acheter plus juste
Et que l’on doit avoir une approche citoyenne
De tout ce qui se vend et surtout se déguste

Et qu’il faut exiger sans cesse et sans ambage
La transparence totale dedans l’étiquetage
Comme dans le tourisme une pointilleuse éthique
Transformant celui-ci en poème idyllique

À ce prix seulement loin des sentiers battus
Du vieux consumérisme passif et vermoulu
Sort-on de l’archaïque rôle de consommateur
Pour s’affirmer enfin vraiment consom’acteur

Elle faisait un peu de gnose le soir venu
Lorsqu’après le travail elle se mettait toute nue
Et qu’ayant commandé des sushis sur le Net
Elle les grignotait assise sur la moquette

Ou bien elle regardait un film sur Canal-Plus
Ou bien elle repensait à ses anciens amants
Ou bien elle s’asseyait droit devant son écran
Et envoyait des mails à des tas d’inconnus

Elle disait je t’embr@sse elle disait je t’enl@ce
Elle faisait grand usage de la touche arobase
Elle s’exprimait alors avec beaucoup d’audace
Elle se trouvait alors aux frontières de l’extase

Dans le métro souvent elle lisait Coelho
Ou bien encore Pennac et puis Christine Angot
Elle les trouvait violents étranges et dérangeants
Brutalement provocants simplement émouvants

Elle aimait que les livres soient de la dynamite
Qu’ils ruinent en se jouant jusqu’au dernier des mythes
Ou bien les reconstruisent avec un certain faste
Elle aimait les auteurs vraiment iconoclastes

Elle voulait trois bébés ou même peut-être quatre
Mais elle cherchait encore l’idéal géniteur
Elle n’avait jusqu’ici connu que des farceurs
Des misogynes extrêmes ou bien d’odieux bellâtres

Des machistes ordinaires ou extraordinaires
Des sexistes-populistes très salement vulgaires
Des cyniques égoïstes des libertins folâtres
Ou bien des arnaqueurs elle la trouvait saumâtre

[…]

Comme toutes les radasses et toutes les pétasses
Comme toutes les grognasses et toutes les bécasses
Elle adorait bien sûr Marguerite Durasse
De cette vieille carcasse elle n’était jamais lasse

Elle s’appelait Praline mais détestait son nom
Elle voulait qu’on l’appelle Églantine ou Sabine
Ou bien encore Ondine ou même Victorine
Ou plutôt Proserpine elle trouvait ça mignon

Elle faisait un peu de voile et d’escalade
Elle y mettait l’ardeur qu’on mettait aux croisades
Elle se précipitait sous n’importe quelle cascade
Elle recherchait partout des buts de promenade

Chaque fois qu’elle sortait avec une copine
Elle se maquillait avec beaucoup de soin
Soutien-gorge pigeonnant et perruque platine
Encore un coup de blush pour rehausser son teint

Orange fruité Fard Pastèque de chez Guerlain
Bottines en élasthane blouson cintré zippé
Sac pochette matelassé et bracelet clouté
Ou alors pour l’hiver une une veste en poulain

Ou un top manches fendues en jersey de viscose
Jupe taille élastiquée en voile de Lurex
Tunique vietnamienne décorée de passeroses
Sans rien dessous bien sûr pas même un cache-sexe

Elle disait qu’il fallait réinventer la vie
Que c’était le devoir d’un siècle commençant
Après toutes les horreurs du siècle finissant
Là-dedans elle s’était déjà bien investie

[…]

Le Jour de la Fierté du patrimoine français
Quand on ouvre les portes des antiques palais
Elle se chargeait d’abord de bien vérifier
Qu’il ne manquait nulle part d’accès handicapés

Qu’il ne manquait nulle part d’entrées Spécial Grossesse
Qu’il ne manquait nulle part d’entrées Spécial Tendresse
Qu’on avait bien prévu des zones anti-détresse
Qu’il y avait partout des hôtesses-gentillesse

Faute de se faire percer plus souvent la forêt
Elle avait fait piercer les bouts de ses deux seins
Par un très beau pierceur sans nul doute canadien
Qui des règles d’hygiène avait un grand respect

Avec lui aucun risque d’avoir l’hépatite B
Elle ne voulait pas laisser son corps en friche
Comme font trop souvent tant de gens qui s’en fichent
Elle pensait que nos corps doivent être désherbés

Elle croyait à l’avenir des implants en titane
Phéromones synthétiques pour de nouveaux organes
Elle approuvait tous ceux qui aujourd’hui claironnent
Des lendemains qui greffent et qui liposuccionnent

Elle avait découvert le théâtre de rues
Depuis ce moment-là elle ne fumait plus
Elle pouvait à nouveau courir sans s’essouffler
Elle n’avait plus honte maintenant de s’exhiber

Elle attendait tout de même son cancer du poumon
Dans dix ou quinze années sans se faire trop de mouron
Elle préparait déjà le procès tâtillon
Qu’elle intenterait alors aux fabricants de poison

Faute de posséder quelque part un lopin
Elle s’était sur le Web fait son cybergarden
Rempli de fleurs sauvages embaumé de pollen
Elle était cyberconne et elle votait Jospin

Elle avait parcouru l’Inde le Japon la Chine
La Grèce l’Argentine et puis la Palestine
Mais elle refusait de se rendre en Iran
Du moins tant que les femmes y seraient mises au ban

L’agence Operator de l’avenue du Maine
Proposait des circuits vraiment époustouflants
Elle en avait relevé près d’une quarantaine
Qui lui apparaissaient plus que galvanisants

On lui avait parlé d’un week-end découverte
Sur l’emplacement même de l’antique Atlantide
On avait évoqué une semaine à Bizerte
Un pique-nique à Beyrouth ou encore en Floride

On l’avait alléchée avec d’autres projets
Une saison en enfer un été meurtrier
Un voyage en Hollande ou au bout de la nuit
Un séjour de trois heures en pleine Amazonie

Cinq semaines en ballon ou sur un bateau ivre
À jouir de voir partout tant de lumières exquises
Ou encore quinze jours seule sur la banquise
Avec les ours blancs pour apprendre à survivre

Une randonnée pédestre dans l’ancienne Arcadie
Un réveillon surprise en pleine France moisie
Une soirée rap dans le Bélouchistan profond
Le Mexique en traîneau un week-end à Mâcon

Elle est morte un matin sur l’île de Tralâlâ
Des mains d’un islamiste anciennement franciscain
Prétendu insurgé et supposé mutin
Qui la viola deux fois puis la décapita

C’était une touriste qui se voulait rebelle
Lui était terroriste et se rêvait touriste
Et tous les deux étaient des altermondialistes
Leurs différences mêmes n’étaient que virtuelles.

oOo

[1des titres comme La Diva du Bois de Boulogne, Les Fanatiques de la Vidéo, Les Séminaires d’Amour, L’Abominable Sirène etc.

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3 Messages

  • Albert Gauvin | 7 décembre 2019 - 00:44 1

    Cher Jacques Henric,

    Personnellement, j’attends ça avec impatience ! Muray est désormais l’objet d’un vrai culte... à droite (si, si, elle existe). Ce n’est pas nouveau. Sur Sollers, on lisait déjà dans le volume des Essais :

    « Ce genre d’écrivains, comme aussi Angot d’ailleurs et d’autres ne sont une question que pour les médias. Lesquels adorent les perturbateurs rituels et les mal-pensants d’appareil, enfin les bureaucrates de la rebellitude, dont le rôle consiste à parler sans répit la langue d’une parodie de rébellion pour affirmer également sans cesse cette vérité officielle qu’ils n’existent pas en tant que bureaucrates. [...] Maintenant si L’Étoile des assommants [sic] est un « 11 septembre éditorial », cela ne peut être qu’une référence aux ruines de Manhattan après le passage des Boeings. » (Essais, Les Belles Lettres, 2010)

    Et dans Ultima Necat I :

    « 5 décembre 1985. Ce que veut Sollers, je le comprends enfin, je le savais depuis toujours, ce n’est pas être un grand écrivain, ça ne lui suffit pas. Ce qu’il veut, c’est être le dernier écrivain. Qu’après lui il n’y ait rien. Son aventure, selon lui, ne prendra tout son sens qu’à cette condition. Ce qu’écrivent les autres, si ça ne concourt pas à la réalisation de ce projet, est nuisible. C’est un danger, ou au moins un retard, un atermoiement inutile. L’ennui est que, plus timidement, dans mon coin, avec infiniment moins de moyens (d’où ma discrétion), je pense la même chose. Son agressivité destructrice s’explique par là. Le besoin de maintenir sous sa surveillance n’importe qui, du moment qu’il sent un peu d’originalité virtuelle. La nécessité d’être en éveil tout le temps, jour et nuit. Épuisant probablement. La haine maladive. La gentillesse aussi, la générosité soudaine, comme une surprise qu’il se fait à lui-même. La nécessité, la fatalité de n’avoir plus autour de lui que des larbins obscurs ou des cons célèbres sans aucun danger. La rage folle consistant à jouer l’un contre l’autre tous les écrivains, tout le temps (Roth pour écraser Kundera, en ce moment ; Jean Rhys contre O’Connor à cause de mon penchant, ces derniers mois, pour elle). N’importe quel écrivain, vivant, mort. Tout ça doit disparaître. Vue de l’extérieur, subie péniblement, son attitude est absolument nihiliste. La nullité de ce qu’il publie maintenant dans sa revue et sa collection est également logique. Puisqu’il doit être le dernier. » (Ultima Necat I : Journal intime 1978-1985, Les Belles Lettres, 2015. Je souligne.)

    L’esprit de vengeance : c’est sur et avec cet esprit ressentimental qu’on construit sa postérité.
    Quant à moi, je préfère lire les Lettres d’Italie d’un certain Friedrich Nietzsche, avec la belle préface de Pierre Parlant (édition NOUS, décembre 2019). J’y reviendrai.

    Cordialement, A.G.


  • Jacques Henric | 6 décembre 2019 - 20:24 2

    "Des piques à Sollers" ? Q’en termes galants ces choses-là sont dites. J’en proposerai un petit choix dans le prochain Artpress.


  • Viktor Kirtov | 6 décembre 2019 - 11:20 3

    Par Jacques Drillon

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    Dans le troisième tome de son journal
    intime, Philippe Muray se hisse au
    niveau de Kafka et des Goncourt. Avec
    intelligence et orgueil, l’écrivain fait
    exploser son époque. Des petits marquis
    de l’édition aux femmes, personne n’en
    sort indemne.

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    Si l’oeuvre ≪ officielle ≫ de Philippe Muray est
    un poêle ou se chauffer les mains dans l’hiver
    qui s’installe (le vrai changement climatique),
    son Journal nous les brûle. N’allez
    pas y poser vos fesses ! Il arde, il incandesce.
    Tout y rougeoie plus violemment,
    plus sauvagement. L’intelligence et l’orgueil
    y sont plus intolérables que jamais, grâce
    à Dieu. Quant à l’orgueil, il n’y a que la préface a ses
    poèmes de Minimum respect qui puisse s’y comparer.
    Celui qui a vu, qui a vraiment vu ce qu’il ne fallait
    pas voir, compris ce qu’il ne fallait pas comprendre,
    éprouve un sentiment mi-parti de tristesse et de gloire,
    et n’exprime sa rageuse solitude qu’au prix d’une arrogance
    incomparable, d’une insolence absolue. Aucun
    lecteur n’est accoutume a cette hauteur, ou plutôt,
    soyons cohérent, a cette fournaise.

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    Quant à l’intelligence, elle agit en sorte de rendre
    séduisant ce qui chez d’autres ne serait qu’irritant.
    Nous sommes prêts a tout admettre dans ce qu’écrit
    Muray, jusques et y compris ce qui vilipende nos plus
    intimes convictions, ce qui raille nos goûts, ce qui
    bafoue notre morale. Il pourrait violer notre alma
    mater, nous ne lui en tiendrions pas rigueur. Il a le
    droit ; et d’ailleurs, au contraire du médiocre, qui salit
    ce qu’il attaque avant de porter son coup, il laisse ses
    victimes intactes : nous les retrouverons après son
    passage. Il ne laisse rien d’amer en vous. On n’est pas
    d’accord, et basta.

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    L’article intégal (pdf)
    Crédit : Causeur.fr, mensuel n° 74.