4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » Revues » AVENTURES » ENQUÊTE. Ecrivez-vous des scènes de sexe ?
  • > AVENTURES
ENQUÊTE. Ecrivez-vous des scènes de sexe ?

Revue Aventures. Printemps 2024

D 8 avril 2024     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


C’est l’enquête du numéro 1 de la nouvelle revue "Aventures" qui succède à "L’Infini" chez Gallimard

Gallimard lance une nouvelle revue llittéraire

En ce printemps de la naissance ou renaissance, c’est selon, Gallimard n’a peur de rien, et lance une nouvelle revue, à côté de l’historique NRF, Aventures . C’est le cas de la dire...

Surtout en sachant son ambition : 65 écrivaines et écrivains réunis, qui apportent leur éclairage sur le sujet des sujets : le sexe. Plus précisément, ou littérairement, « Écrivez-vous des scènes de sexe ? ». Comment faire ressentir l’exultation des corps, avec les mots. Verbe et vibration. Description et liberté. Jouissance et politique. Séduction et agression. Amour et consentement.

À ce sujet, ce qu’en disent Emma Becker, Françoise Bégaudeau, Aurélien Bellanger, Marie Darrieussecq, François-Henri Désérable, Joffrine Donnadieu, Philippe Lançon, Camille Laurens, Gaëlle Obiégly, Lucie Rico, Catherine Millet, ou encore Mathieu Terence, vaut, évidemment, la lecture.

Si le grand genre du roman français, c’est l’étude de moeurs je dois aussi confesser que les meilleures études de mœurs que j’ai lues ces dernières années, c’étaient des descriptions minutieuses et cliniques d’agressions sexuelles sur les réseaux sociaux - spécialement quand elles exploraient en détail la zone floue du consentement, floue de ce quels temps avaient soudain changé, figé ces anciens rapports de genre dans leur atroce anachronisme. Comme cela, oui, car elles étaient parfaitement justifiées. Et le soupçon de voyeurisme en était soudain retourné ce n’était pas nous qui regardions, c’étaient ces scènes d’intimité qui nous dévisageaient gravement.

- Aurélien Bellanger

Pour bien lancer cette nouvelle revue, des inédits aussi, du Rainer Maria Rilke dans une nouvelle traduction d’Olivier Le Lay, où il est question... d’aventures, et un Kafka, histoire d’un corps, par l’écrivain disparu en 2013 et de plus en plus reconnu comme un grand des Lettres, Frédéric Berthet.

Sans doute Kafka est-il mort en 1924, mais dans la musique des anges, ou des souris, en silence et au milieu des fleurs, mais sans couronne.

- Frédéric Berthet, avril 1978

Des invités encore, dont le rare et nécessaire Pierre Michon qui raconte Le rêve d’Homère, mais aussi la poétesse la plus en vue, Laura Vazquez, et son Soleil de fou malade. Le poète Christophe Manon (et pas l’inverse), l’écrivaine-bouquiniste Camille Goudeau, les « Exopoèmes » d’Amandine André, le « Chant » de Fanny Wallendorf, une autre Fanny, Lambert, et La longue vie du quarantenaire Valentin Retz.

Ses cuisses frémissent comme frémissent les ailes de la libellule. Un vol de mouettes au ventre blanc passe sous l’œil blanc de l’aveugle. Elle a la haute plainte aux lèvres : le sanglot des colombes aux chênes de Dodone.

- Le rêve d’Homère, de Pierre Michon

Une revue portée par l’héritier de Philippe Sollers, Yannick Haenel. Le projet est en de bonnes mains...

actuallite.com

ENQUÊTE . Ecrivez-vous des scènes de sexe ? Extraits


Feuilleterr le livre

Écrire des scènes de sexe dans un roman, une autobiographie ou un poème est le fruit d’un acte de langage conscient. On peut considérer qu’à travers ce ste d’écriture le langage rejoint son cœur ardent : les corps, en s’exprimant, accèdent à leur liberté.

Mais de telles scènes constituent aussi des moments problématiques : les pulsions s’y déchaînent, des puissances s’y affirment. La prise de conscience issue du mouvement #MeToo pousse à s’interroger à neuf sur la nature des scènes de sexe : ne transportent-elles pas avec elles des formes de violence ? Ne révèlent-elles pas des figures de domination ? Ne sont-elles pas surtout l’expression d’un regard genré ?

De telles questions appellent à une éthique de l’écriture, c’est-à-dire à une manière nouvelle de penser la liberté de la littérature. Est-ce que cette liberté diffère selon que l’on est une femme ou un homme ? Les scènes sexuelles sont-elles le lieu d’un débordement des genres ? L’écriture renforce-t-elle ou défait-elle les identités ?

Autant de questions qui s’adressent à vous personnellement : écrivez-vous des scènes de sexe ? Que vous autorisez-vous ? Que vous interdisez-vous ?
65 autrices et auteurs répondent y répondent dans le premier numéro de la revue AVENTURES qui prend la succession de la revue de Philippe Sollers l’Infini chez Gallimard, et dirigée par son disciple Yannick Haenel.

EXTRAITS :

CHRISTINE ANGOT

Écrivez-vous des scènes de sexe ?
Oui. Ça m’arrive. Un de mes livres est même une longue scène sur une semaine, entrecoupée de trajets en voiture et de dîners au restaurant.

Que vous autorisez-vous ?
La banalité des actes. Des moments sexuels, parfois des flashs visuels. Souvent des gros plans, qui prennent tout l’espace. Quand les actes en question sont des viols, la banalité des actes reste, mais il n’y a pas le rêve.
La scène est une action, les personnages y prennent part de façon différente. Elle est une irruption du réel sur la page. Parfois, il y a des paroles.
Elle est cadrée par le regard d’un personnage. Ou par celui du narrateur. Il faut être là comme en vrai. Interpréter le moins possible. Que le commentaire ne s’infiltre pas. L’extrême présence des actes règle la pensée des personnages, et celle du lecteur. La présence est difficile à obtenir. Les états d’âme du narrateur ne doivent pas lui faire obstacle. La scène doit apparaître telle quelle, comme enregistrée.

L’enregistrement peut être défectueux, limité, altéré par les conditions de la vision. Les antennes du personnage ou du narrateur peuvent être accaparées par la scène dans laquelle il est pris. Il n’est pas seul, on le tient, on le touche, on le pénètre, son visage n’est pas libre, sa bouche peut être prise, sa position limite sa place dans l’espace, et les conditions de sa perception. Mais ses capacités de description n’en sont pas affectées, ni sa lucidité. Au contraire. L’enregistrement semble en relief.

Que vous interdisez-vous ?
L’esthétisation.
Pas question d’entretenir une connivence avec le lecteur sur le dos du réel. Sauf volonté délibérée de le prendre à son propre piège, dans les premières pages d’Une semaine de vacances avant que soit précisée la filiation entre les deux personnages que rien d’autre que mes précédents livres n’indique au début, s’il ne voit pas, s’il ne sent pas, s’il ne se doute pas, si c’est sa pente de s’exciter à ce moment-là, je laisse faire, il se retrouvera quelques pages plus tard dans la peau du salaud, il sera un peu gêné, et réglera sa vision, ça s’arrêtera naturellement, il saura, il captera, il débandera, l’excitation sera cassée, et le vrai livre commencera.

La scène sexuelle ne pardonne pas, elle révèle l’auteur, ce qu’il a dans la tête, qui il est. Tout se voit. Toute fantaisie, tout commentaire, toute posture, le trahit, s’il cherche à donner une image de lui-même, et le dévoile alors sous une lumière crue.
La scène doit sembler ne pas avoir été écrite, mais être vécue, là, tout de suite. Les mots doivent disparaître, écrasés sous la présence des images, de la situation. Ils sont l’instrument de mesure du réel mis à la disposition de la scène.
Quand je lis une scène de sexe dans un roman, j’ai parfois l’impression que l’auteur cherche à transmettre une image de lui-même. Il faut renoncer à ça.
La scène de sexe, pour moi, c’est un peu : tant pis. Tant pis, j’écris ça.
De toute façon, écrire, depuis le début, c’est : tant pis.
Tant pis, j’écris ça comme ça. Il n’y a que dans cette décision qui est aussi un regret que ça fonctionne. Et ce « tant pis » au fond libère.
Dernier titre paru : Le voyage dans l’Est (Flammarion, 2021)

MARIE DARRIEUSSECQ

Oui, j’écris des scènes de sexe. L’hétérosexualité, régime politico- sexuel dont apparemment je relève, est une farce. Le malentendu entre les hommes et les femmes est si ancien et structurel, qu’une certaine ironie, voire un humour frontal, me semble de bonne guerre. Le ratage permanent de la scène hétérosexuelle relève du comique de répétition. J’aime le raconter dans mes livres, non pour tenter de le résoudre mais pour le mettre en lumière avec les mots, encore, et encore.

C’est Buster Keaton qui fait l’amour, c’est Groucho Marx qui échoue à entrer dans le club dont il ne veut pas devenir membre. « Il n’y a pas de rapport sexuel », énonçait Lacan : ce que nous cherchons dans l’amour physique est voué à ne pas se trouver. « La femme n’existe pas », encore une assertion lacanienne, intéressante si on la relit avec Monique Wittig ou, plus tard, Guillaume Dustan, qui était « pour la suppression de la femme » : la femme n’existe pas comme sujet dans le système totalitaire de la domination masculine. Dommage que le même Lacan ait aussi affirmé que la femme n’existe dans le rapport sexuel « qu’en tant que la mère » et que, fondamentalement « pas-toute » (incomplète), elle y « trouvera le bouchon de ce a que sera son enfant ». Misère du Phallus.

Plutôt que le jargon, langage trépignant où l’on est toujours mise en défaut parce qu’on n’a pas-tout bien compris (pourquoi le Phallus plutôt que le Vagin ?), je préfère le roman. Quand une fille et un garçon se
rencontrent dans mes romans, ça rate à peu près toujours : pas la relation elle-même, que j’aime à déployer dans le temps (délice de prendre son temps), mais la jouissance à deux. Ce qu’on espère quand on fait l’amour, ça n’arrive presque jamais – si ? Ou, paradoxe érotique, ça peut arriver souvent, ça peut tourner à la routine, dans les vieux couples perclus d’habitudes, qui savent s’y prendre et se prendre. Mais l’extase – ah l’extase ! Dans Fabriquer une femme, le roman que je publierai chez P.O.L en janvier, je me penche sur ces étreintes.

L’hétérosexualité, ce douloureux problème, comme aurait dit Michel Foucault1.
Dernier titre paru : Fabriquer une femme (P.O.L, 2024)
1. Menie Grégoire, célèbre animatrice de RTL, avait intitulé « L’homosexualité, ce douloureux problème » son émission du 10 mars 1971. Elle fut interrompue par les militant.e.s du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR).

MICHAËL FERRIER

Écrivez-vous des scènes de sexe ? Oui, mais je ne les livre jamais. J’ai pris le parti de maintenir en marge de mes publications l’écriture du sexe. Pourquoi ?

Le problème vient du fait que l’on parle justement de scènes de sexe : il y a là une théâtralisation qui sert la machine éditoriale et sa marchandisation spectaculaire, tout un cinéma du sexe, des passages obligés et souvent rivés à un certain ordre (masculin par exemple : la fellation, la pénétration, la faciale). Mais quid du vrai désir, qui circule, qui se retire, qui revient, qui peut longer une jambe ou se fixer sur un ongle, à la pointe d’un cil ? C’est une autre façon d’écrire le sexe, plus difficile. Le problème n’est pas le sexe, c’est le désir qui le sous-tend : je ne vois pas que beaucoup s’y frottent.

Les exceptions sont d’autant plus remarquables : dans Portrait du Joueur de Sollers, le personnage de Sophie, sa « rage de foutre et d’être foutue » et le narrateur qui se laisse « tâter comme un porc innocent et joyeux ». Ici, le fait que ce soit une femme qui mène la danse face à un écrivain se faisant passer pour un séducteur invétéré (« Mieux que Sartre ! Plus que Malraux ! Sexuellement compétent ! »), ainsi que le rôle fondamental du langage et de la voix, qui fait irruption au cœur même de l’échange épistolaire, revisitent le genre un peu vermoulu de la lettre érotique pour lui redonner une grande fraîcheur.

Ôe Kenzaburô y réussit aussi, dans Seventeen : « Mais à l’approche de l’orgasme, les fleurs de pêcher se sont épanouies à foison, les sources chaudes ont jailli de tous côtés et les illuminations géantes de Las Vegas ont scintillé, tandis que peur, doute, angoisse, tristesse et désolation se dissipaient. » Pour le « branleur » japonais de 17 ans en plein malaise identitaire qui est l’antihéros de cette histoire, le sexe est la seule solution : une ouverture rapide, foisonnante, étincelante, qui le transporte du côté de la nature (« fleurs de pêcher »), de l’étranger (« Las Vegas »). Malheureusement, ces brèves épiphanies ne suffiront pas et le jeune homme finira par se muer en un militant d’extrême droite pur et dur. Comment lutter contre l’extrême droite, question qui est à nouveau plus que jamais d’actualité en Europe et ailleurs ? Ôe nous donne la réponse : le sexe ! Bien fait, bien écrit, c’est le meilleur remède.

J’aurais pu évoquer Bataille, Cendrars, Louise Labé, Anaïs Nin… Dans leurs textes, la scène de sexe est indissociablement poétique et politique. « Bander est une insurrection ! » disait mon oncle Antoine, qui n’était pas un saint. « Par conséquent, hurlait-il, c’est sur ce sol d’activistes sexuels que doit s’organiser la résistance ! » De même, mouiller est un glissement de terrain, qui provoque tout de suite des dérapages, des éboulements, des inondations… Or, évoluer parmi les avalanches, pour reprendre un livre au titre délicieux, n’est pas une chose aisée. Une scène de sexe dit tout en quelques lignes : votre conception de l’homme, de la femme, de l’organisation sociale. De plus, le désir est la chose la plus extraordinairement difficile à rendre sur le papier. La plupart du temps, on le fixe, on le fige, on le tue. En ce sens, dans sa texture intime comme dans sa portée collective, la représentation de l’acte sexuel porte en elle le cœur même de la littérature, son enjeu le plus vif.

Un texte, comme un corps, est un objet qui peut prendre des formes diverses mais obéit à des courbes précises. Et, comme un corps, il convient de bien le préparer avant de passer à l’acte.

Depuis l’âge de 6 ans, j’écris des scènes de sexe. Vers l’âge de 40 ans, j’ai commencé à en publier une ou deux, ici ou là (voir Sympathie pour le fantôme, Gallimard, 2010, p. 160-167). Mais je suis mécontent de tout ce que j’ai produit. Selon mes calculs, c’est à l’âge de 69 ans que je comprendrai à peu près la forme et la nature vraie des verges et des vulves, des baisers, des caresses, des effleurements. À l’âge de 80 ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond de la chose ; à 100, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de 110, soit un nombril, soit un pistil, tout sera vivant. Je n’en suis qu’aux préliminaires. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole.
Dernier titre paru : Notre ami l’atome, avec Kenichi Watanabe (Gallimard, « L’Infini », 2021)

CÉCILE GUILBERT

D’abord, il serait trop beau que l’écriture des scènes de sexe rejoigne la liberté des corps. La plupart de celles que nous lisons aujourd’hui répondent à un exercice obligé, réponse à un commandement collectif par lequel l’auteur démontrerait forcément son émancipation, son côté « dessalé », alors qu’il ne prouve trop souvent que son embarras, son mimétisme, sa servitude et, au fond, sa croyance puisque le sexe est devenu une religion sociale. Hygiénistes, mécaniques, constamment rabattues sur la gymnastique et les performances organiques, ces scènes peuvent être littérairement excellentes (lire celles d’Ellis vs le porno misérable de Houellebecq), n’empêche que ce tropisme général interroge, quoique moins désormais que les nouvelles directives post #MeToo.

Si j’ai écrit dans chacun de mes romans plusieurs scènes de sexe, à la première personne et via un narrateur impersonnel évoquant un couple faisant l’amour, c’est à la fois pour me démarquer de ce qui précède, signer la véracité jouissive de mon rapport au monde et défier mes propres capacités d’expression. Car rien n’est à la fois plus difficile à écrire et plus parlant que ce genre de scène ; pas de meilleur test pour savoir, en tant que lecteur, si vous avez affaire à un produit truqué, frauduleux, mensonger – ou à la vérité.

Cela étant, mon goût, mon système nerveux, ma sensibilité et ma pudeur m’ont portée à écrire des scènes que je qualifierais d’érotiques : sensuelles, légères, ludiques, gazées, amoureuses, nullement luxurieuses. D’autant que les écrivains libertins du XVIIIe siècle m’ont appris que de même qu’un baiser peut être infiniment plus excitant qu’un coït, la valeur de l’énergie désirante comme le potentiel électrisant de la suggestion érotique sont souvent supérieurs aux agissements explicites.
Or quand bien même j’aurais un jour envie d’écrire des scènes de débauche obscènes et sans freins, échapper aux foudres des néocenseurs impliquerait de prouver par le langage que dans son mélange d’affects et de pulsions parfois difficilement contrôlables le sexe comporte une dimension performative qui dépasse les identités sexuelles, permet d’échanger les genres comme de les subvertir. Du féminin et du masculin ne circulent-ils dans tous les corps et les âmes, comme le prouve Genet ? L’évoquer en termes de « violence », de « domination du patriarcat », c’est viser exclusivement – et pardon de ce dérapage en novlangue – une « hétéronorme » supposée, sans tenir compte des ambivalences, des nuances, des secrets (inavouables ou pas) qui traversent tragiquement les humains. Je comprends bien en quoi la société, le capitalisme, sont intéressés à ces nouvelles taxinomies sexuelles, à ces assignations identitaires comme à des niches ; je vois bien aussi les minoritaires engranger désormais plus-values et profits symboliques : libre donc à chacun de se conformer ou de s’autocensurer. Personnellement, n’ayant jamais conçu le sexe autrement que comme un jeu d’enfants innocents, vicieux à l’occasion, toute « éthique » d’écriture me semble aberrante. La vérité est toujours splendide.

Dernier titre paru : Roue libre (Flammarion, 2020)

PHILIPPE LANÇON

J’ai écrit quelques scènes de sexe, assez réalistes, mais je me demande aujourd’hui si ce qui m’a conduit à les publier provoque en moi plus de gêne que ça ne justifie d’oubli. Mon jugement est dépourvu, je crois, de puritanisme. Il s’agit d’autre chose : le sexe est le théâtre où la morale littéraire – l’adéquation sensible de l’observation, de la mémoire, de l’imagination et des moyens techniques aux « buts de guerre » toujours aléatoires du récit – est la plus mise à l’épreuve, et le plus intimement, par la réalité. C’est pourquoi les scènes de sexe révèlent presque toujours un échec de l’écriture.

La plupart sont soit vulgaires, soit ridicules, soit ennuyeuses, soit les trois. C’est qu’elles sont violemment prises dans un grand écart entre distance et pulsion, entre vie psychique et vie physique. Mélanger ces vies, lorsqu’elles sont supposées atteindre cet état où la première se décompose et se recompose par la seconde, en tenant compte du fait que les sensations et les sentiments des protagonistes diffèrent, quel que soit le niveau de « fusion » et de jouissance prétendument atteint, tout cela pose au langage des problèmes presque insolubles. Les mots font de tels détours, ou de tels raccourcis, pour donner vie au corps… Un écrivain limité est, ici, moins pénible qu’un écrivain « virtuose ». Il a des circonstances atténuantes, comme un puceau ; l’autre fait son numéro.

Ceux qui écrivent de la pornographie ont des problèmes techniques (par exemple : comment faire bander le lecteur, dans le genre S.A.S., en utilisant le mot « croupe » ?), mais ils sont rarement confrontés à une quelconque complexité : la vie psychique est absente et la vie physique est réduite à de la mécanique, généralement pesante ou cynique ; celle du « dominant », celui qui profite (en croyant, au mieux, que le ou la partenaire en profite aussi, sauf cas de sadisme). Jusqu’ici, ce « dominant » était presque toujours un homme, raconté par un homme. Ça change, mais les femmes qui écrivent, en profitant du pouvoir, auront le même problème : comment raconter le sexe sans commettre un abus de position dominante, sans tomber dans la morale propre aux clichés, sans s’engluer dans la complaisance ? Ceux qui choisissent l’érotisme s’en sortent parfois mieux, car ils utilisent l’arme fatale du langage : l’ellipse. Plus elle est élaborée, plus la scène absente est présente ; d’où de grandes scènes à la tangente, pratiquant le hors-champ (Flaubert, Maupassant, Nabokov) : le récit érotique réussi est une célébration de la censure. Il y a aussi les serial fuckers homosexuels, dans le genre Guillaume Dustan. Leur sexualité boulimique, et le récit obsessionnel et cru qu’ils en font, forme une planète lointaine que je visite en curieux, en touriste. C’est le Luna Park des priapiques. Assez vite, j’ai l’impression d’arpenter les innombrables cratères d’un astre mort.

Les meilleures scènes de sexe que j’ai lues sont, finalement, celles qui n’ont pas été écrites. Une exception : Sade. Qui a poussé aussi loin, au corps à corps, sous prétexte de lois naturelles, la splendeur du fantasme et l’abjection du pouvoir ? Les mots qui suivent, tirés de Justine ou les Malheurs de la vertu, résument les défis démesurés que le sexe pose à l’écrivain : « quelle qu’ait été notre conduite, nous passerons un instant dans le creuset de la nature, pour en rejaillir sous d’autres formes, et cela sans qu’il y ait plus de prérogatives pour celui qui follement encensa la vertu, que pour celui qui se livre aux plus honteux excès, parce qu’il n’est rien dont la nature s’offense, et que tous les hommes également sortis de son sein, n’ayant agi pendant leur vie que d’après ses impulsions, y retrouveront tous après leur existence, et la même fin et le même sort ». Dans un monde où le nombre affiché d’offensés et d’humiliés ne cesse de croître, où le souci d’égalité devient une morale d’autodéfense des sexes en guerre, je ne suis guère optimiste pour l’avenir littéraire non seulement de Sade, mais aussi de quiconque cherche à atteindre, par une scène de sexe, la plus haute exigence et la plus grande liberté.

Dernier titre paru : Le lambeau (Gallimard, 2018)

CATHERINE MILLET

Écrire étant de fait un acte « conscient », ce que ne sont pas les « pulsions », surtout quand elles se « déchaînent », cet acte porte en soi une faculté de distance, un méta-texte au-delà de la description, et que le lecteur, s’il n’est pas un idiot, saura percevoir. Si ce n’est pas le cas, la scène ainsi écrite, ou disons plutôt transcrite sur papier, aura toutes les chances d’être ridicule. Donc, comme on dit, de la mauvaise littérature.

Mais tout rapport sexuel n’est pas fait de pulsions déchaînées ni de rapport de pouvoir ! Ce qui est merveilleux, même, c’est de voir comment l’homme civilisé a su canaliser et maîtriser ses pulsions et les métamorphoser en jeux érotiques, que ceux-ci se développent dans le cadre du libertinage, ou qu’ils soient transfigurés par l’amour. Et les détours du libertinage et les complications de l’amour ont précisément nourri des chefs-d’œuvre et des chefs-d’œuvre de la littérature. Pour les scènes sexuelles, destinées par définition à faire apparaître des images dans un récit, les mots, mieux encore que la photographie ou le cinéma, plus subtilement et en tout cas à l’encontre des clichés, peuvent rendre compte de la situation des partenaires l’un par rapport à l’autre, des renversements de situation qui peuvent se produire (car les partenaires, sans en avoir forcément pleinement conscience, échangent souvent leurs rôles), qui peuvent ne pas correspondre à la situation de leur corps dans l’espace. J’ai le souvenir précis d’un court passage formidable, très éclairant, dans un roman de Christine Angot, L’Inceste. Elle évoque les rapports avec son père incestueux. Elle écrit : « Au début j’étais dessous, j’avais le dessous. Proposer, me retourner de moi-même du bon côté, j’écrivais déjà, j’avais commencé. Prendre le pouvoir, avoir le dessus. Et maintenant je l’ai. » [C’est moi qui souligne.]

Autre exemple. Beaucoup de personnes perçoivent la fellation d’un homme par une femme comme mettant celle-ci dans une position humiliante puisque, selon une vision stéréotypée qui d’ailleurs correspond rarement à la réalité, elle serait à genoux devant l’homme debout. Le récit que je faisais dans La Vie sexuelle de Catherine M. de ma découverte de cette pratique témoignait d’un autre sentiment. « La connaissance que l’on acquiert [du membre de son partenaire], à travers l’exploration menée simultanément du bout des doigts et de la langue, des moindres détails de son relief comme de ses plus intimes réactions, est peut-être supérieure à la connaissance qu’en a son propriétaire même. Il en résulte un ineffable sentiment de maîtrise. »

Enfin, mon point de vue sur ce que serait « l’expression d’un regard genré » s’appuie sur la plus exacte description d’un orgasme féminin que je connaisse. Elle se trouve dans L’Amant de lady Chatterley de D. H. Lawrence.

L’« éthique » de l’écriture, chaque écrivain l’inscrit dans son maniement singulier de la syntaxe et son choix du vocabulaire au plus près de sa vérité à lui. Cette loi, je crois, perdure tandis que passent les idéologies.

Dernier titre paru : Commencements (Flammarion, 2022)

MARIE NIMIER

On pense souvent qu’un érotisme féminin, ce serait plus allusif. Je n’aime pas cette idée, elle m’évoque les photos de David Hamilton. Écrire ou représenter des scènes de sexe, c’est toujours prendre un risque. Il ne s’agit pas de mettre un préservatif sur son stylo sous peine d’assécher l’encre, ni des gants en latex pour décortiquer les organes, ni de la vaseline sur l’objectif. Dès mon deuxième roman, La Girafe, publié en 1987, je me suis retrouvée confrontée à ces questions. Je me souviens de longs échanges avec ma traductrice américaine qui me demandait si je préférais tel ou tel mot pour désigner la queue du narrateur, un jeune gardien de zoo qui vivait un grand amour avec une girafe. Raide dingue, il était tombé.

Avec La Nouvelle Pornographie, une dizaine d’années plus tard, je me suis attaquée de front à la question. Comment sortir d’une littérature porno de la haine, glauque, avilissante, banalisante ?

La sexualité n’est pas un divertissement ordinaire, ni un divertissement tout court, voilà ce que pense la narratrice de La Nouvelle Pornographie. Son amie Aline, qui ne fait pas dans le papier pelure, est prête à toutes les expériences pour l’aider à mener à bien son projet. Réflexion ludique sur l’appropriation de la moulinette pornographique par les femmes, le roman tente de renverser les codes. Il s’ouvre sur l’analyse érotique d’un prospectus publicitaire vantant les mérites d’une planche à repasser chauffante ET aspirante. Comment, avec de tels outils, en découdre avec les fantasmes reçus ? Affûter un détail qui déplace les postures, jouer avec les cauchemars, sortir des sentiers battus, de la sexualité-performance tout en détournant le puritanisme ambiant, révéler les corps, réveiller les imaginaires, telle est l’ambition de la narratrice de La Nouvelle Pornographie. Au fil des pages, elle se retrouvera confrontée à de nombreux écueils – le principal étant ce romantisme de pacotille qui lui colle au cœur, la faisant tomber amoureuse de son éditeur. Faire du neuf avec du vieux, du fric avec du foutre, du froc froissé, de la foufoune épanouie, écrivait-elle en préambule, le tout cautionné par un regard femelle : les lecteurs allaient s’en mettre plein la turbine pour le prix d’un steak frites, et elle, elle allait remplir le frigo.

Elle poursuivait : Le soir, avant de m’endormir, je me demandais si je n’étais pas en train de faire une bêtise, une grosse bêtise en acceptant non seulement de publier ces textes sous mon vrai nom, mais de les écrire à la première personne. N’aurait-il pas été plus intelligent d’établir une distance entre mon corps et ces mots qui me ressemblaient si peu ? J’allais me mettre tout le monde à dos, et en particulier les lectrices qui, en mes livres précédents, appréciaient les descriptions feutrées – toujours dire sans dire, suggérer, j’avais tant travaillé pour effacer le travail, les ficelles, l’explicite, pour m’effacer en vérité, et voilà que je m’affichais en toutes lettres, nue avec ma copine, et dans les tenues les plus incongrues. J’allais de façon générale me mettre à dos les féministes et les anti-féministes, pour des raisons identiques, oui, les lesbiennes radicales, les lesbiennes différentialistes, les néopuritaines, les mères de famille, les nouveaux pères, les anciens et les esthètes de tous poils scandalisés par cet étalage de mauvais goût, j’allais réconcilier tout le monde en faisant l’unanimité contre moi.


Dernier titre paru : Confidences tunisiennes (Gallimard, 2024)

MURIEL PIC

L’Enfer du septième ciel
J’écris parfois des scènes de sexe que je censure. Elles sonnent faux par incompétence, par inappétence. Je les conserve néanmoins, un peu comme les bibliothécaires rangent dans la section dite Enfer les livres à caractère obscène et interdits de lecture au public. Ces fragments censurés de mes propres textes constituent mon Enfer du septième ciel. Par exemple, ce manqué d’une commande où je devais dialoguer avec Marguerite Duras :

M. P. — Ce n’est pas à vous de raconter l’histoire du premier jour de l’été. C’est ma voix qui la raconte. Ma langue s’enroule sur l’ourlet rose du gland, son odeur inonde ma bouche, mes lèvres se retroussent dans le mouvement de haut en bas. Je suis à genoux. Je le veux. Je sors le sexe de ma bouche. Il me regarde. Il sourit, ramène la verge dans le pantalon. Il me dit qu’il veut attendre. Il préfère que j’y pense jusqu’au prochain soir, il veut que j’y pense tout le jour jusqu’à la prochaine nuit. Avant de partir, il me dit de penser à l’ancre de son désir dans ma bouche.
M. D. — Et vous obéissez, n’est-ce pas ?

M. P. — Oui, j’obéis. Je pense aux silences entre les mots d’amour, à la nudité devant les fenêtres qui versent le ciel, aux cris doux des oiseaux qui s’appellent, je pense à chaque image où il sera nu, navire sans capitaine, flots roulants sur la surface des peaux, s’infiltrant dans toute la longueur des veines, je pense à tous ces fleuves de sang et aux cœurs mangés des amants, je vois chaque image où je serai nue sous ses paupières, aux baisers sur la peau fine des visions, et au pollen blanc qui danse. Tu m’as dit d’y penser. C’est presque gênant cette présence d’y penser, la journée, la nuit, et entre les deux. C’est une activité involontaire et épuisante d’y penser, d’obéir à l’injonction constante, constamment, d’y penser et de se rencontrer y pensant. La force que ça donne cette faiblesse ! Viens, viens, dans notre hospitalité.


Ou des choses plus ironiques :
Je te nourrirai de pain, de fromage et de fruits, je t’abreuverai de vin blanc ou rouge selon la saison, je repriserai tes boutons de chemises en porte-jarretelles à côté de la machine à laver, les vêtements sautent dans le tambour, et je repasserai ton linge en talons aiguilles, j’aime tant ton geste quand tu enfiles une chemise, quelque chose d’ample et de souverain, et tout sera extraordinaire comme une agonie, tes yeux bleus, ta tête qui frôle mes seins, tes cheveux bruns en désordre, le long de ton cou une veine gonfle quand tu jouis sur laquelle je fixe le rythme de ce qui pour moi est l’extraordinaire, ce qui est sans commencement ni fin, dans lequel je me jette avec des peurs immenses et des joies qui me portent à écrire, ce pourrait être des pages entières que ton corps me dicte.

Il se dégage néanmoins de ce genre de ratés une énergie que je déplace ailleurs. Certes, il m’est arrivé de publier des scènes de masturbation sublimée (Affranchissements, p. 30), de baisers obscènes (L’Argument du rêve, p. 92), de jouissance suspendue ou de fellation chantée (Dialogues des morts sur l’amour et la jouissance, p. 26-28), mais qui racontent en réalité toujours autre chose : la solitude, la liberté, la folie, les voix plurielles. En réalité, mon désir ne tient pas dans une scène. Il est monstre. Il se propage à toute l’écriture.

Dernier titre paru : Dialogues des morts sur l’amour et la jouissance (Héros-Limite, 2023)

LEÏLA SLIMANI

Oui, j’écris des scènes de sexe. Tous mes romans en comportent. Mon premier roman, Dans le jardin de l’ogre, racontait l’histoire d’Adèle Robinson, une femme qui souffre d’addiction sexuelle. Elle a perdu la liberté de dire non et cède sans cesse à ses pulsions. Dans ce livre, publié trois ans avant #Metoo, Adèle ne veut pas être un sujet mais un objet. Elle désire être prise et tente désespérément de sentir quelque chose.

Je n’écris pas ces scènes avec un objectif politique ou militant. Je ne me pose pas la question de ce que cela dit sur le genre ou sur notre époque. Je ne suis guidée que par les personnages et ce qui m’intéresse c’est le fossé entre l’âme et le corps, les distorsions, les dissonances. Adèle ne jouit pas, elle se regarde faire l’amour, elle observe cette mise en scène qui à la fois l’excite et l’avilit. J’ai d’ailleurs souvent été étonnée par l’interprétation qui a pu être faite de mon personnage. À travers Adèle, certains critiques célébraient une femme libre. Comme si une femme qui faisait beaucoup l’amour était forcément libre. Au contraire, Adèle est une femme profondément aliénée. J’ai été très surprise aussi de constater que les lecteurs occidentaux voient dans mon geste une sorte de provocation comme si une écrivaine maghrébine, donc musulmane, était forcément soumise à une forme d’autocensure et à la pudeur.

Dans Le pays des autres aussi j’ai écrit des scènes de sexe, notamment entre les deux personnages principaux, Mathilde et Amine. Pour eux, le sexe est un langage commun. Ils n’ont ni la même religion, ni la même culture, un monde les sépare mais leurs corps se parlent avec une évidence qui leur échappe. Le sexe, dans mes livres, n’est ni politique ni moral. Il permet d’introduire chez mes personnages une contradiction, un conflit. Ils font souvent l’amour avec la mauvaise personne. Elle jouit dans les bras de l’homme qui la bat. La tante fait l’amour avec son neveu. Mais le sexe est aussi une manière de dire cette impossibilité de comprendre l’Autre, de le saisir entièrement. Il raconte ce fantasme d’une fusion absolue toujours déçu. Et c’est sans doute pour cela aussi que le sexe est un espace de violence, de frustration.

Le fait de venir du Maroc, un pays où la sexualité est très contrôlée et où il est interdit d’avoir des relations hors mariage, a évidemment nourri mon obsession pour le sexe. J’ai compris très tôt que nous, les femmes désirantes, étions l’objet d’un contrôle incessant. C’est cette obsession qui remonte à l’adolescence que j’essaie de mettre en mots, en évitant toute forme de psychologie et en me concentrant sur la pure énergie des corps.
Est-ce que mes scènes sont l’expression d’un regard genré, autrement dit est-ce que j’écris ces scènes avec mon regard de femme ? Probablement mais c’est vrai de toutes les scènes alors et j’espère, en les écrivant, qu’elles pourront être universelles. Beaucoup de mes lecteurs se sont identifiés au personnage d’Adèle, me faisant remarquer qu’elle avait une « sexualité masculine ». Moi je crois au contraire que les scènes de sexe peuvent être un espace de brouillage des genres mais aussi des identités. Est-ce qu’on est un Arabe, un musulman quand on fait l’amour ? Non, on est un animal.

Dernier titre paru : Regardez-nous danser. Le pays des autres 2 (Gallimard, 2022)

KARINE TUIL

Mon désir d’écriture est né d’une contradiction familiale. Au début de l’adolescence, ma mère m’a donné à lire certains textes, qu’elle découvrait souvent en même temps que moi, sans précaution ni avertissement. Il y avait Vian, Bataille, Radiguet, Duras, ça me semblait discordant de la part d’une femme pudique qui, par ailleurs, me demandait de fermer les yeux devant un simple échange de baisers à la télévision – rien ne la choquait en littérature, puisque c’était la vie portée à son incandescence, la vie réelle, brutale, transcendée par les mots, passée au filtre cérébral – si bien que, de façon inconsciente, j’ai perçu la littérature comme l’espace de la liberté totale, de la transgression autorisée, on lisait pour obtenir une clé de compréhension du monde, les scènes de sexe révélaient les personnages, leur façon d’être et de penser, je lisais Hervé Guibert, Henry Miller mais plus tard, c’est la lecture des romans de Philip Roth qui m’a permis de définir la place du sexe dans mes propres livres. Y a-t-il un pouvoir, un révélateur de vérité plus grand que le sexe ? Chacun peut ajuster son masque en société – dans l’intimité sexuelle, c’est impossible. Cette confusion entre liberté et aliénation, j’essaye de la dévoiler dans mes livres. Le sexe est tout sauf égalitaire, les rapports sociaux s’y inversent, le dominant devient souvent le dominé. Dans mes romans, je n’exclus pas la violence, je la montre et l’assume : écrire des scènes de sexe n’est pour moi qu’une façon de dévoiler la charge agressive des rapports humains, je pourrais dire : leur férocité. Il ne saurait y avoir d’éthique (le mot même me fait peur) de l’écriture, de renoncement à sa propre liberté (de dire / de vivre), de distinction artificielle (et dangereuse) entre le pur et l’impur (je laisse ça au dogmatisme religieux) – se soumettre aux injonctions contemporaines qui appellent à lisser un texte, à le rendre convenable (pour qui ?), à gommer ce qui pourrait choquer, n’est qu’une abdication et une défaite de l’intelligence. Ce que m’a appris cet artisanat qu’est l’écriture, c’est à quel point l’être humain est complexe. Et y a-t-il théâtre plus authentique que la sexualité dans cette exploration de soi et cette connaissance des contradictions humaines ? « La retenue n’est pas faite pour les romanciers, pas plus que la honte », a écrit Philip Roth, qui a parfois été accusé de pornographie et de misogynie alors qu’il ne faisait que décrire les aspects les plus obscurs de ses contemporains (sans jamais s’épargner) – n’est-ce pas le rôle de l’écrivain de dire ce que l’on voudrait taire, de révéler le sens caché des choses : de déranger ? (Au risque de déstabiliser, de blesser.)

Comme le disait Nathalie Sarraute, quand j’écris, je ne suis ni homme ni femme, j’assume des identités multiples et par là, j’exprime ma liberté – et dans cet exercice d’affirmation absolue (de soi, de sa pensée), je refuse de me soumettre au moindre contrôle, de me conformer (à quoi ? à qui ?). Car la littérature, c’est la subversion et le conflit.

Dernier titre paru : Kaddish pour un amour (Gallimard, 2023)

Revue Aventures

oOo

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document