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Les Fleurs du Mal de Baudelaire : Poèmes érotiques interdits

Editions illustrées & L’expo "le modèle noir" avec Jeanne Duval (2019)

D 22 janvier 2007     A par Viktor Kirtov - C 11 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


SOMMAIRE
Poèmes interdits
Les Fleurs du Mal / Edition illustrée de 1934
Les Fleurs du Mal. Edition illustrée par van Dongen
L’expo « Le modèle noir » avec Jeanne Duval (2019)
"Les petites vieilles" de Charles Baudelaire par Dominique Rolin
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06/07/2019 : Réorganisation du corps de l’article avec incorporation des EDITIONS ILLUSTREES de 1934 et de van DONGEN ( anciennement parties du forum) et ajout de la section L’EXPO « LE MODELE NOIR » avec JEANNE DUVAL (2019).
16/10/2019 :Ajout "Les petites vieilles" de Charles Baudelaire par Dominique Rolin-

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Poèmes interdits
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En quatrième de couverture :

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" Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime.
"
Charles Baudelaire

Les Fleurs du mal paraissent en juin 1857 et déchaînent les foudres de la justice, Sont précisément mis en cause six poèmes, parmi les plus sulfureux du recueil, que le procureur impérial Ernest Pinard — déjà en guerre six mois plus tôt contre Madame Bovary — tente de faire interdire au nom de la morale publique.
Baudelaire est condamné, les poèmes censurés.
Commence alors près d’un siècle de purgatoire pour Les Bijoux, Lesbos, Le Léthé, À celle qui est trop gaie, Femmes damnées et Les Métamorphoses du vampire qui devront attendre 1949 pour être officiellement réhabilités.
Loin du scandale et des rumeurs tapageuses d’une cour de justice, ce que révèlent les pièces condamnées, ici rassemblées, c’est le génie d’un poète pris au piège de ses fantasmes. En proie à des fascinations toujours plus noires, Baudelaire repousse les limites de la transgression et plonge dans les profondeurs de l’âme humaine, en quête d’un art absolu.

« Ce que Proust imagine, Baudelaire le voit. »

Philippe Sollers

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La préface de Philippe Sollers

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Le procès des « Fleurs du mal » s’ouvre le 20 août 1857.
Il a été précédé, comme c’est souvent et encore le cas, d’un bombardement de presse. Gustave Bourdin, dans « le Figaro » du 5 juillet : « L’odieux y côtoie l’ignoble, le repoussant s’y allie à l’infect. » Ça ne suffit pas : nouvelle attaque le 12 juillet dans le même journal, car le ministère de l’Intérieur fait du journalisme et même de la critique littéraire. Il est à noter que Flaubert a été acquitté un peu plus tôt pour « Madame Bovary », mais Flaubert bénéficie d’un bon environnement social. Baudelaire, pas du tout, et d’ailleurs son beau-père, le puissant général Aupick, vient de mourir. La réputation du beau-fils est très mauvaise. Il est à découvert.

L’accusation porte sur l’atteinte à la morale religieuse d’un côté, et sur l’atteinte à la morale publique de l’autre. Atteinte à la morale religieuse : « le Reniement de saint Pierre », « Abel et Caïn », « les Litanies de Satan », « le Vin de l’assassin ». Curieusement, ces pièces ne seront pas condamnées, comme quoi l’époque faiblit déjà sur l’orthodoxie religieuse (presque plus personne n’y croit).

En revanche, la morale publique tient encore le coup. Sont donc visés les poèmes suivants : « les Bijoux », « Sed non satiata », « le Léthé », « A celle qui est trop gaie », « le Beau Navire », « A une mendiante rousse », « Lesbos », « Femmes damnées », « les Métamorphoses du vampire ». Plus important que la religion, il y a le mystère de « la Femme ». Il est en danger.

La condamnation portera sur six poèmes de cette liste, les immortalisant du même coup. La Cour de Cassation réhabilitera Baudelaire le 31 mai 1949. Vous avez bien lu : quatre-vingt-douze ans après, sans parler des désastres de deux guerres mondiales.
Ernest Pinard (qui a déjà requis contre Flaubert) défend la morale publique, c’est-à-dire la morale tout court. Son discours est épatant. Jugez-en :

« L’homme est toujours plus ou moins infirme, plus ou moins faible, plus ou moins malade, portant d’autant plus le poids de sa chute originelle qu’il veut en douter ou la nier. Si telle est sa nature intime tant qu’elle n’est pas relevée par de mâles efforts et une forte discipline, qui ne sait combien il prendra facilement le goût des frivolités lascives sans se préoccuper de l’enseignement que l’auteur veut y placer. »

Notez bien « mâles efforts » et « forte discipline ».
La discipline est la force principale des armées. Il y aura beaucoup de mâles français à faire massacrer.

Ernest Pinard, c’est évident, adore faire ce réquisitoire. On peut supposer que, la veille, il a lu ces poèmes osés à Mme Pinard. On entend celle-ci : « Arrête ces cochonneries, Ernest ! » C’est tout émoustillé par cette chaude soirée que monsieur le substitut arrive à l’audience. Là, il se déchaîne, il récrit les poèmes, il les résume en faisant saillir, dans son style, les sujets scabreux. Dans « le Léthé », il voit « une vierge folle dont la jupe et la gorge aiguë aux bouts charmants versent le Léthé ». Pourquoi « vierge folle » ? On n’en sait rien, mais l’expression ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd, ce sera Rimbaud (qui a 3 ans à l’époque) dans « Une saison en enfer ». Dans « les Bijoux », Pinard voit une « femme nue, essayant des poses devant son amant fasciné » (a-t-il demandé ce service à Mme Pinard ? C’est probable). « Les Métamorphoses du vampire », surtout, l’inspirent. Il voit une « femme vampire étouffant un homme en ses bras veloutés, abandonnant aux morsures son buste sur les matelas qui se pâment d’émoi, au point que les anges impuissants se damneraient pour elle ». Bien entendu, tous ces mots se trouvent dans le poème, mais une fois transcrits par Pinard ils deviennent des clichés piteux. Des bras « veloutés » ? Mais non, Baudelaire a écrit « redoutés ». Mme Pinard avait peut-être des bras un peu veloutés, mais devait cacher avec circonspection sa nature de vampire.

Nous rions de Pinard, et nous avons tort. De même que les vampires se métamorphosent, la censure se déplace, se rhabille, se grime, change apparemment de but, mais conserve la même structure. Je me fais fort, aujourd’hui, de rendre les poèmes de Baudelaire scandaleux ou insignifiants pour des professionnels de la publicité, du porno, de l’Audimat, des conseils d’administration, des marchés financiers. Ils sont trop compliqués, ces poèmes, élitistes, contraires aux « gay and lesbian studies », on peut même y discerner une vieille composante religieuse malsaine. Le Mal avec une majuscule est intolérable, et je me demande même s’il n’y a pas dans ces élucubrations une atteinte à la bonne morale laïque, ou plus exactement des propositions métaphysiques insensées. La sexualité est saine, épanouie, obligatoire, rentable. De quoi nous parle cet aristocrate pervers ? Baudelaire n’a aucun succès aux Etats-Unis, c’est prouvable.

En réalité, il s’agit de poésie, donc de musique, donc de complexité physique, donc d’intelligence, donc de désir, donc d’érotisme impossible à vulgariser. Quand Baudelaire, dans « Lesbos », parle de « baisers chauds comme les soleils » ou « frais comme les pastèques », de baisers qui sont « comme les cascades », « orageux et secrets, fourmillants et profonds », j’ai, ou je n’ai pas, l’expérience personnelle de ces féeries de bouche. Des « filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses » ? Baudelaire les a rencontrées. Il sait quelque chose de l’autre sexe replié sur lui-même, et c’est là sa découverte, son extraordinaire nouveauté :

« Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l’enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs. »

Selon la loi de composition du poème, Baudelaire répète le premier vers qui devient ainsi, solennel, le dernier d’un quatrain qui passe ainsi à cinq :

« Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre. »

Voilà une proposition considérable : entre tous, sur la terre. Et cela, dès l’enfance admis au noir mystère. Baudelaire se présente donc comme un élu (pour qui se prend-il ?). Un élu en-dehors de la métaphysique et de son homosexualité masculine implicite :

Laisse du vieux Platon se froncer l’oeil austère.

(Ce vers est d’un humour délicieux).

Le premier titre des « Fleurs du mal » (après celui de « les Limbes » vite abandonné) était « les Lesbiennes ». Le mot n’avait pas encore de connotation sexuelle marquée. On disait « tribades » (c’est d’ailleurs le terme que Pinard emploie à l’audience). Mais on sait que Proust était plus qu’intrigué par Baudelaire, et qu’au fond il ne voulait pas admettre son hétérosexualité spéciale. A l’ombre des jeunes filles en fleurs ? Les voici. Elles protègent un « noir mystère », et Baudelaire a été choisi pour le chanter, ce qui est éminemment condamnable. Un mystère doit le rester, surtout s’il est « noir ». Mais Baudelaire, ici, se dit le continuateur de l’admirable poésie de Sapho, et donc d’Aphrodite. « Mère des jeux latins et des voluptés grecques ». Aphrodite ou Vénus ? Aphrodite, Sapho. La « mâle Sapho » est à la fois « l’amante et le poète » :

« Plus belle que Vénus se dressant sur le monde
Sur le vieil Océan de sa fille enchanté. »

Baudelaire affirme quelque chose de très précis : jusqu’à lui, tout le monde s’est trompé sur Vénus et ses alentours, alors que lui, dès l’enfance, est entré dans le « noir mystère », dont personne, au fond, ne veut entendre parler. Il ne s’agit pas seulement de « lesbiennes », même si (voir Proust) c’est de ce côté-là que quelque chose résiste et peut s’éclairer.

Ce que Proust imagine, Baudelaire le voit. Le narrateur de la « Recherche » passe son temps à essayer de pénétrer dans le « noir mystère », objet de sa jalousie. Peu importe, ici, que l’homosexualité féminine soit un déguisement de la masculine, c’est elle qui attire le récit, le charge, le fait brûler. Dans une conversation avec Gide, Proust va même jusqu’à dire que Baudelaire devait être lui-même homosexuel. Eh non. Il est ce très étrange hétérosexuel admis au « noir mystère ». Albertine et Andrée, chez Proust, ne se dévoilent jamais, alors que Delphine et Hippolyte, dans Femmes damnées posent en pleine lumière. De là, on le sait, vient le tableau de Courbet, Le Sommeil ou Les Dormeuses, ou encore Paresse et luxure. On connaît les rapports étroits entre Baudelaire et Courbet.

Mais c’est Manet qui fera le portrait de Jeanne Duval, la maîtresse de Baudelaire, celle qui illumine Les Fleurs.

L’amour entre femmes implique, on le sait, le rejet et l’exclusion de l’homme conçu comme brutalité déflorante et bestialement reproductrice. C’est dans ce « pas d’homme » radical que Baudelaire s’introduit, en faisant parler comme jamais les actrices de cette récusation fiévreuse. Leurs baisers sont « légers comme des éphémères, qui caressent le soir des grands lacs transparents ». Leur plaisir est un désir d’oubli, d’enfouissement, de sommeil, de néant, de mort. Mais le prix à payer est une rage stérile, sans cesse renouvelée, comme s’il s’agissait de fuir un infini intérieur. On est donc bien en enfer, mais dans la révélation inouïe que la mort, au fond, jouit fémininement d’elle-même. Qu’elle vienne sur scène pour le dire n’est pas du goût de la Société, on s’en doutait.
Condamné.

Jeanne elle-même est une « âme cruelle et sourde », un « tigre adoré », un « monstre aux airs indolents ». Son beau corps est « poli comme le cuivre ». De nouveau, il s’agit d’abîme et d’oubli, de baisers profonds comme un fleuve. On peut s’abreuver à ce courant comme un enfant, pourtant il ne s’agit pas de lait mais de léthé (Baudelaire, bien entendu, joue de l’équivoque sonore). Ce vin-là, il est exclu que les Pinard le boivent à travers les siècles. De plus, Jeanne est une métisse, une quarteronne, une femme de couleur, grâce à laquelle la poésie française trouve enfin ses plus éclatantes couleurs.
Condamné.

Gabriel Lefebvre , Illustration pour A celle qui est trop gaie , 2005. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Parmi les plus beaux vers de Baudelaire, ceux-ci, dans A celle qui est trop gaie :

« Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage,
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair. »

Cette fois, nous sommes avec une soeur (« mon enfant, ma soeur »), c’est-à-dire dans une autre dimension incestueuse que celle de la mère froide (Baudelaire en sait beaucoup sur ce sujet). La soeur est belle comme un voyage et un paysage, la santé rayonne de ses bras et de ses épaules, les couleurs de ses toilettes correspondent à son « esprit bariolé ». C’est une fleur de la Nature, insolente, qu’on a envie de « punir » (sadisme après la transe masochiste). Et là, les Pinard à travers les âges, voient avec horreur leur fille (qu’ils adorent), blessée d’un coup de couteau au flanc (plaie christique), et le poète malade, à travers ces « lèvres nouvelles », lui infuser son « venin ». Donc maladie vénérienne, syphilis, sida. Donc crime.
Condamné.

Baudelaire exagère : c’est maintenant le Cantique des cantiques (très peu lu, en général, par les Pinard), qu’il imite, qu’il parodie, qu’il souille.
Les Bijoux :

« La très chère était nue, et, connaissant mon coeur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores. »

Que voulez-vous, ces bijoux sont indiscrets, et le mot « bijou » lui-même, mêlant le faste à la nudité, ne me paraît pas, à moi, Pinard, à sa place. Diderot nous a déjà fait le coup, mais ce Baudelaire va plus loin, il flashe sur des négresses, et des étrangères (moue pincée des femmes Pinard à travers le temps). Par exemple, il voit une certaine Lola de Valence, et aussitôt, tac, « un bijou rose et noir ». C’est un obsédé dangereux, surtout à cause de son goût dépravé du luxe. Il l’avoue lui-même : il aime « à la fureur » « les choses où le son se mêle à la lumière ».
Donc la femme nue (avec ses bijoux sonores) est couchée et « se laisse aimer ». Le désir de ce pervers monte vers elle, comme la mer vers une falaise (encore du naturisme parfaitement déplacé). Là-dessus, face à son « tigre dompté », la négresse « essaye des poses ». Baudelaire se lâche : il accumule des mots qu’on préférerait ne pas voir : bras, jambe, cuisse, reins, ventre, seins — il fait onduler tout ça et ose même comparer l’ensemble aux « grappes de sa vigne ». Singulier vigneron, n’est-ce pas. Mais il ne s’en tient pas là : la danse féminine est comparée à celle des « anges du mal », venant déranger l’âme, calme et solitaire, assise sur son rocher de cristal. Un vers comme « sa taille faisait ressortir son bassin » est ici franchement obscène. Même chose pour :

« Sut ce teint fauve et brun le fard était superbe. »

Et que penser de ce feu, de ce foyer qui « inonde de sang cette peau couleur d’ambre ? » Sommes-nous encore chez nous ?
Condamné.

Le sieur Baudelaire, je tiens à le rappeler, a écrit, parmi tant d’autres incongruités insupportables, deux vers sur la prostitution qu’il faut effacer des bibliothèques et de la mémoire humaine :

« Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive,
Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu... »

Mais le poème qui devrait définitivement disparaître, le plus abject et le plus vicieux, est certainement Les Métamorphoses du Vampire. L’auteur n’a pas hésité à dire qu’il s’agissait d’une de ses pièces préférées. C’est, bien entendu, quelle que soit l’époque considérée, la plus condamnable, un vrai crime contre l’humanité.
Non seulement Baudelaire dégrade les rêves de l’idéal et de l’éternel féminin, mais il prétend, en plus, avoir couché avec la mort elle-même, dégoûtante prétention, incroyable audace.
Jugez-en.
La femme, ici a une bouche de fraise, c’est une Sibylle en fureur. Elle se tord comme un serpent sur la braise, elle pétrit ses seins, est est en pleine crise oraculaire, et ses mots sont, paraît-il, « imprégnés de musc ». Elle se vante d’avoir « la lèvre humide », de « sécher tous les pleurs sur ses seins triomphants », de « faire rire les vieux du rire des enfants » (les grands-mères Pinard apprécieront), son délire n’a plus de limites :

« Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles ! »

Pas de doute, elle nous déclare qu’elle règne sur le monde humain, c’est une star, une super-star, une vamp. Cette madone des lits s’adresse à son « cher savant » pour lui révéler que, « docte aux voluptés », « les anges impuissants se damneraient pour elle ». Et où ça ? Sur des matelas.
Le « cher savant » se laisse faire. La femme à la bouche de fraise, tenez-vous bien, lui suce toute la moelle de ses os (ici, Mme Pinard a un hoquet de dégoût à travers les âges), mais voici le pire. Le cher savant se retourne, et sur quoi tombe-t-il ?

« Une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ».

Au lieu du mannequin puissant de tout à l’heure, qui « semblait avoir fait provision de sang »,

« Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d’eux-mêmes rendaient le cri d’une girouette
Ou d’une enseigne, au bout d’une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d’hiver. »

J’arrête ici cette démonstration de pure démence. À moins de voir dans ce cas une mystification sarcastique de grande envergure, une sorte d’humour noir pour attirer notre attention sur le fait que, dans le « noir mystère » il n’y a aucun mystère, et que le fameux « continent noir » évoqué par un savant d’autrefois, est une faribole, je trouve cet étalage pseudo-poétique (car enfin, la poésie, n’est-ce pas, c’est tour autre chose !) aussi indigne que profondément inutile. Je sais que d’aucuns prétendent que Baudelaire a démasqué, à travers l’hystérie, la frigidité et l’impuissance originelles comme moteurs de la frénésie sexuelle ; je sais qu’il a revendiqué comme une découverte capitale que l’être humain, possédé par cette impasse, était en général indifférent à la poésie. Le gidien protestant Sartre, en 1946, peu avant la regrettable réhabilitation de ces fantaisies, nous a dit ce qu’il fallait penser de toutes ces histoires. Je m’associe à lui dans mon nouveau réquisitoire qui, lui-même, sera suivi de bien d’autres, je n’en doute pas.

Baudelaire a des visions et des hallucinations, soit. Elles ne sauraient en aucun cas troubler la science, le progrès, l’humanisme, l’évolution des moeurs, la paix des ménages. Pourrais-je vous dire, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, que ma mère, ma femme, ma maîtresse, ma soeur, ma fille, ma petite-fille ne sont que des outres pleines de pus, ou des débris de squelette ? Cette insulte à la dignité féminine élémentaire doit être sévèrement sanctionnée. Il n’est que trop évident que Baudelaire, sans être gay, ce qui le rendrait sympathique, n’est pas non plus lesbian, — mais que son trans-genre queer est une façon de dissimuler sa haine des femmes dans leur substance même, substance dont il se veut, au fond, sous prétexte de poésie, le vampire forcené.
Condamné.

Juin 2005

« Poèmes interdits », par Charles Baudelaire,
Complexe, coll. « la Plume et le Pinceau », illustrations de Gabriel Lefebvre, 96 p.


Préface de Philippe Sollers
Le Nouvel Observateur du 13-10-05 (extrait)
L’Infini 93, Hiver 2005, p. 34
Discours Parfait, Gallimard, 2009, p. 272.

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Gustave Courbet , Les dormeuses , 1866. (Ajout A.G.) Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Conférence de Philippe Sollers à l’Institut du Monde Anglophone (Paris), le 22 juin 2001.

"L’enfer des femmes là-bas",

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Les Fleurs du Mal / Edition illustrée de 1934
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Les Fleurs du Mal. Edition illustrée de quarante sept compositions en couleurs par Manuel Orazi, Le Vasseur et Cie, Paris, 1934.
Nous vous présentons sur pileface les illustrations de cette édition : cliquer l’image ci-dessous pour les découvrir :

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CLIQUER L’IMAGE pour accéder à la galerie pileface des illustrations
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Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France qui a numérisé cette édition et rendue accessible au public début 2019.

l’intégrale de cette édition : Texte et images ICI

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Les Fleurs du Mal. Edition illustrée par van Dongen
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ZOOM et FEUILLETER : cliquer l’image
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Description du livre

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Kees van DONGEN et Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
Paris-Bièvres, Pierre de Tartas, 1966-68.
Préface de Jean-Paul Sartre.
Grand In-4°(377 x 290), en feuilles, sous couverture d’Auvergne gris, rempliée et imprimée, emboîtage toilé bordeaux.
2 eaux-fortes et aquatintes en couleurs à double page.
13 eaux-fortes dont 3 à pleine page,
la suite des planches sur Vélin d’Arches.
Edition totale à 270 exemplaires, ici n° 39.

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Crédit illustrations : boreastfineart.com

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Kees Van Dongen

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de son vrai nom Cornelis Théodorus Marie van Dongen est un peintre néerlandais né en 1877 à Delfshaven, dans la banlieue de Rotterdam et mort, à l’âge de 91 ans, en 1968 à Monaco. Connu comme un des initiateurs de l’art fauviste, il est particulièrement renommé pour ses portraits de femmes

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Le serpent qui danse de Charles Baudelaire

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Illustration van Dongen. ZOOM : cliquer l’image
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LE SERPENT QUI DANSE
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Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L’or avec le fer.

À te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon coeur !

Charles Baudelaire

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Le serpent qui danse revisité par Serge Gainsbourg

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Exposition "Le modèle noir" au Musée d’Orsay avec Jeanne Duval
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Au sein de l’exposition #ModeleNoir, qui se tient au Musée d’Orsay jusqu’au 21 juillet 2019, une section est dédiée à Jeanne Duval, une actrice parisienne métisse. Manet réalise d’elle ce portrait en 1862, à une époque où elle entretient avec Baudelaire une relation sentimentale à la fois mouvementée et profonde.


Édouard Manet, La Dame à l’éventail ou La Maîtresse de Baudelaire, 1862
© Budapest, musée des Beaux-Arts - ZOOM : cliquer l’image
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Edouard Manet (1832-1883)
Jeanne Duval
1862
Huile sur toile
H. 89,5 ; L. 113 cm
Budapest, Museum of Fine Arts
© Museum of Fine Arts Budapest, 2018, photo by Csanád Szesztay

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Manet et la maîtresse de Baudelaire

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Le célèbre portrait du musée de Budapest représente Jeanne Duval, la maîtresse de Charles Baudelaire.
Baudelaire et Manet étaient amis, et c’est à Paris, dans l’atelier de la rue Guyot, que l’artiste peint la « Vénus noire », beauté créole en vogue à l’époque. Au moment de l’exécution du tableau, Baudelaire ne vivait plus avec elle, mais continuait à l’entretenir. Il est possible que le peintre ait fait présent de cette toile à Baudelaire. Des témoignages indiquent que deux tableaux de Manet ornaient les murs de la chambre du poète à l’époque de sa longue maladie. Les deux artistes avaient été liés par une amitié de près de dix ans, et c’est grâce aux héritiers que le magnifique portrait a pu réintégrer l’atelier de Manet après le décès de Baudelaire, survenu le 31 août 1867. À la mort de Manet, sa veuve a identifié le modèle, et le tableau a été inventorié sous le titre La Maîtresse de Baudelaire.

En 1916, lorsque le musée des Beaux-Arts de Budapest a acquis le tableau, le conservateur Simon Meller, administrateur, a rédigé un intéressant descriptif sur le registre des achats. Il y vante la qualité de l’oeuvre et met en avant la forte influence de la tradition picturale espagnole dans l’univers chromatique du tableau. Cette inspiration espagnole apparaît de manière encore plus évidente si l’on compare l’oeuvre avec l’étude conservée à la Kunsthalle de Brême. L’immense masse de la jupe y est peinte à l’aquarelle dans des tons de rose, tandis que ce volume est structuré sur la toile par l’agencement des différentes nuances de gris et de blanc. Baudelaire, qui partageait les idéaux du romantisme, était lui-même un excellent dessinateur, et a réalisé plusieurs dessins, vibrants de passion, de son amante. L’approche de Manet est plus objective, et c’est avec réalisme qu’il peint le portrait de cette beauté de jadis, alors déjà flétrie.

Crédit : grandpalais.fr, 2016

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Nadar et Jeanne Duval

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Elle avait fréquenté auparavant le photographe Nadar qui l’évoque encore à la fin de sa vie, parlant de "sa crinière au noir d’encre" et achevant sa description physique par "Tout cela sérieux, fier, un peu dédaigneux même".


Jeanne Duval photographiée par Nadar
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Les dessins de Baudelaire

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Jeanne Duval inspire de nombreux poèmes des "Fleurs du mal". Baudelaire la représente également dans deux dessins :


Charles Baudelaire, « Portrait de femme » (musée d’Orsay)
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Et ce fameux portrait dont annoté d’une formule où s’exprime l’ambivalence de ses sentiments : "quaerens quem devoret" [en quête de quelqu’un à dévorer].

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Charles Baudelaire, « Jeanne Duval »
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Ceux qui n’ont pas encore vu l’expo #ModeleNoir au @MuseeOrsay peuvent la voir jusqu’au 21 juillet : L’exposition s’intéresse principalement à la question du modèle, et donc du dialogue entre l’artiste qui peint, sculpte, grave ou photographie et le modèle qui pose. Elle explore notamment la manière dont la représentation des sujets noirs dans les oeuvres majeures de Théodore Géricault, Charles Cordier, Jean-Baptiste Carpeaux, Edouard Manet, Paul Cézanne et Henri Matisse, ainsi que des photographes Nadar et Carjat,

bit.ly/ExpoModeleNoir

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"Les petites vieilles" de Charles Baudelaire par Dominique Rolin
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Hommage à Dominique Rolin, Le N° 145 de l’Infini, Automne 2019, rassemble sous le titre « Dominique Rolin, La vie est une offrande » de précieux textes de l’écrivaine, disparue en 2012.

Parmi ceux-ci, la version intégrale des « Petites vieilles » de Charles Baudelaire, un poème qui la relie à sa mère, à son enfance. D. R. nous dit ce qu’il représentait pour elle.
Ce poème fait partie des « Tableaux parisiens », des Fleurs du mal. Il a été mis en musique par Georges Chelon, en 2009.

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Texte de Charles Baudelaire (Les Fleurs du mal) mis en musique par Georges Chelon, CD intégral 2009

Plus ICI

11 Messages

  • Viktor Kirtov | 8 juillet 2021 - 19:19 1

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    Le 9 avril 1821 naissait à Paris Charles Baudelaire, que Rimbaud saluera un demi-siècle plus tard comme « le premier voyant, roi des poètes ». La Bibliothèque nationale de France célèbre le bicentenaire de sa naissance par une grande exposition qui plonge au cœur de la création poétique de Baudelaire et de sa modernité, invitant à explorer le rôle capital qu’y joue l’expérience de la mélancolie. Une exposition à découvrir du 3 novembre 2021 au 13 février 2022.

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    Réunissant près de 200 pièces — manuscrits, éditions imprimées, œuvres graphiques et picturales —, « Baudelaire, la modernité mélancolique » offre l’occasion de découvrir la richesse des collections baudelairiennes de la Bibliothèque, notamment les épreuves corrigées de l’édition originale des Fleurs du Mal et le manuscrit autographe de Mon cœur mis à nu, saisissant autoportrait de la révolte et du déchirement intérieur d’un homme dont l’œuvre a changé le destin de la poésie.

    L’exposition de la BnF invite le visiteur à se mettre véritablement à l’écoute de la parole du poète des Fleurs du Mal et du Spleen de Paris, plutôt que de suivre pas à pas les étapes de sa vie. Embrassant les divers aspects de l’œuvre de Baudelaire, elle est avant tout consacrée à son univers poétique et au rôle primordial qu’y tient la mélancolie, « toujours inséparable du sentiment du beau », comme Baudelaire l’écrivait lui-même.

    Inséparable aussi de ce qu’il appelait la « modernité » : non la promesse d’un avenir radieux mais la relation vive qu’entretient l’artiste, sommé « de tirer l’éternel du transitoire » (Le peintre de la vie moderne), avec le temps présent. Cette mystérieuse solidarité de la beauté moderne et de la mélancolie, qui est aussi pour Baudelaire une manière d’habiter le monde, guide le parcours de visite.

    Si les manuscrits, éditions et lettres y occupent une place centrale, les œuvres graphiques et picturales y sont présentes à double titre : pour le rapport historique qui les relient à l’œuvre de Baudelaire — telles certaines des gravures qui ont été à la source de ses poèmes — ; pour la résonance particulière qu’elles entretiennent avec elle et qui permet d’en éclairer la compréhension.

    Mélancolie du non-lieu

    La première partie est consacrée au sentiment de l’exil si fortement éprouvé par Baudelaire dans sa propre vie et qu’il a lui-même appelé, dans Mon cœur mis à nu, « la grande Maladie de l’horreur du Domicile » : ainsi son éphémère engagement auprès des révolutionnaires en 1848, ses déménagements incessants, ses relations familiales...

    Exil et séparation, lieu perdu, séjour impossible à fixer, autant de motifs que Baudelaire développe dans sa poésie, sous trois aspects particulièrement saillants : le thème de la chute, auquel se relie la célébration de la figure de Satan, « Prince de l’exil » ; celui de l’errance (des bohémiens, des saltimbanques et des chiffonniers) ; celui de la partance enfin, entendue comme ce qui fait du voyage un départ sans destination, une pure « invitation ». Animés d’un même « goût de l’infini » (Le poème du haschich), le fumeur d’opium — l’homme des « paradis artificiels » — et la lesbienne — la « femme damnée » — en sont deux incarnations privilégiées.

    L’image fantôme

    La deuxième partie de l’exposition poursuit l’idée d’une impossible présence au monde, en explorant le thème de l’image telle que la comprend Baudelaire : non pas ce qui donne présence aux choses absentes, mais ce qui avive le sentiment même de leur absence. « Un éclair... puis la nuit ! » : c’est la passante, présence fugitive et déjà disparue.

    Sous cet angle est abordée successivement l’image du monde lointain — l’exotisme baudelairien est la rêverie de tout un monde « absent, presque défunt » (La Chevelure) — et l’image du monde passé, telle qu’elle décide du traitement poétique de la grande ville, et notamment du Paris transformé par les travaux du baron Haussmann, espace où « l’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient ! » (Le Crépuscule du matin). Loin d’avoir quelque vertu consolatrice, l’image redit l’exil du monde, le défaut de l’être, la disparition... Aussi le propos s’achève-t-il sur l’importance particulière qu’occupe l’image de la mort chez Baudelaire.

    La déchirure du moi

    La dernière partie invite à pénétrer au plus vif de la mélancolie baudelairienne, en l’abordant comme impossible présence à soi-même. L’exposition rappelle d’abord comment la conscience de cette étrangeté à soi a été érigée en critère esthétique qui décide des grandes admirations littéraires et artistiques de Baudelaire, de Chateaubriand à Edgar Poe, de Théophile Gautier à Delacroix, tous représentants de ce qu’il appelait « la grande école de la mélancolie » ; puis elle s’attarde sur ces deux formes de la vie mélancolique que sont d’une part le dandysme, de l’autre l’ironie — « la vorace Ironie / Qui me secoue et qui me mord » (L’Héautontimorouménos) —, telle qu’elle s’exprime notamment dans la théorie baudelairienne du rire et le goût de la caricature.

    Ce parcours est encadré d’un prologue et d’un épilogue qui se font écho : l’un qui, exposant la série des lithographies de Delacroix sur Hamlet que Baudelaire avait affichée aux murs de son appartement en 1843, présente le poète tel qu’il s’est vu dans le miroir du héros shakespearien, prince dépossédé, écrasé sous le poids de l’idéal et la conscience du néant ; l’autre qui, rassemblant portraits photographiques et autoportraits dessinés, présente Baudelaire au miroir de lui-même — « Tête-à-tête sombre et limpide / Qu’un cœur devenu son miroir ! » (L’Irrémédiable).

    Galerie 1, BnF I François-Mitterrand, Quai François Mauriac, Paris XIIIe

    La Poste a aussi un timbre pour célébrer ce bi-centenaire :


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    Crédit : actualitte.com/


  • Viktor Kirtov | 26 mars 2021 - 17:47 3

    Pour les 200 ans du poète, Calmann-Lévy republie l’édition « non censurée » des Fleurs du mal. Mais à l’heure de la cancel culture, seraient-elles mieux reçues ?

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    VOR ARTICLE (pdf) ICI

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  • Viktor Kirtov | 14 mars 2020 - 20:42 4


    Catalogue d’exposition qui s’est déroulée en 2017, à Bordeaux...

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    À la Cité du vin de Bordeaux, en 2017, une exposition dirigée par Stéphane Guégan évoquait les très riches heures du bistrot français, havre des solitaires, tribune sociale permanente, espace d’échanges intellectuels et de conciliabules sentimentaux.

    Sur France Inter

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    « Le bistrot : un espace de désir, un espace de discussion et de débat, un véritable espace de vie. »

    "Sur la moleskine des cafés et bistrots", la chronique de Bernard Pivot

    JDD, le 22 décembre 2017

    […] Bistrot ! retrace par le texte et par l’image – essentiellement des peintures et des dessins – l’aventure des cafés, estaminets, bars, restaurants avec terrasse, troquets rassemblés sous le nom populaire de bistrot. Au début, c’était l’élite qui aimait à se retrouver dans ces lieux de convivialité où l’art de la conversation s’échappait des salons littéraires. Pascal Ory rappelle que les lecteurs de Voltaire et des encyclopédistes fréquentaient le Procope et que Diderot a assis les personnages du Neveu de Rameau au Café de la Régence. […]

    Le temps a passé, et Philippe Sollers regrette la disparition du bar du Pont-Royal, dépendance alcoolisée de Gallimard. Sartre et Simone de Beauvoir n’y étaient pas rares. J’y ai interviewé des écrivains de passage à Paris. "Je me souviens, dit Sollers, surtout de Francis Bacon parlant avec Michel Leiris, dans un coin, chuchotant presque. Bacon était un être extraordinairement sympathique. Au Pont-Royal, à l’écart, j’ai eu moi-même quelques conversations avec lui. Il était amoureux d’un barman blond, à qui il donnait des dessins et des estampes, de temps à autre." Sollers se souvient encore de la présence "impressionnante" de Giacometti à La Coupole et de "l’arrivée de Beckett et de son ivresse" au Dôme, "autre étape du Paris noctambule".

    Tout peut faire irruption au café

    Les cafés, les bars, les bistrots sont aussi des lieux de séduction. Le mot "drague" convient probablement mieux. "Que d’amours ont débuté dans un café ! s’exclame le neurobiologiste Jean-Didier Vincent. La naissance du désir reste inscrite dans le velours ou la moleskine."


    Le groupe Tel Quel en à la terrasse du café Le Bonaparte, París, 1974. De droite à gauche : Severo Sarduy, François Wahl, Roland Barthes, Julia Kristeva, Josephine Fellier, Marcelin Pleynet, Philippe Sollers.
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    Etonnante photographie que je n’avais jamais vue, celle d’écrivains du groupe Tel quel, Sollers, Pleynet, Kristeva, Barthes, etc. Ils sont onze, mais ils ne jouent pas au football. Ils boivent et fument à la terrasse du café Bonaparte.

    Mais enfin, les cafés et bars ne sont pas que littéraires. Ils appartiennent aussi au cinéma. Antoine de Baecque retrace brillamment leur utilisation par les metteurs en scène de la Nouvelle Vague : Chabrol, Rohmer, Godard, etc. Il y a une "philosophie du bistrot", en particulier dans Vivre sa vie (1962), où Godard introduit le philosophe Brice Parain dans l’histoire d’une jeune femme, Nana, qui se prostitue. "Tout peut faire irruption au café, écrit Antoine de Baecque : un Algérien en sang qui vient d’être mitraillé par l’OAS, Jean Ferrat en personne qui passe chanter Ma môme, comme échappé miraculeusement du juke-box, ou un philosophe, Brice Parain, que Nana rencontre par hasard dans une brasserie du Châtelet…"

    Les cafés, les bars, les bistrots sont aussi des lieux de séduction. Le mot "drague" convient probablement mieux. "Que d’amours ont débuté dans un café ! s’exclame le neurobiologiste Jean-Didier Vincent. La naissance du désir reste inscrite dans le velours ou la moleskine."

    Bistrot ! sous la direction de Stéphane Guégan Gallimard, 160 p., 29 euros.

    Charles Baudelaire. « L’âme du vin »

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    Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
    "Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
    Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
    Un chant plein de lumière et de fraternité !

    Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
    De peine, de sueur et de soleil cuisant
    Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
    Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

    Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
    Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
    Et sa chaude poitrine est une douce tombe
    Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

    Entends-tu retentir les refrains des dimanches
    Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
    Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
    Tu me glorifieras et tu seras content ;


    Edouard Manet , La Prune vers 1877,
    National Gallery of Art de Washington (États-Unis).
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    J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;
    A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
    Et serai pour ce frêle athlète de la vie
    L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

    En toi je tomberai, végétale ambroisie,
    Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
    Pour que de notre amour naisse la poésie
    Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! "

    Charles Baudelaire « Le vin de l’assassin »

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    Ma femme est morte, je suis libre !
    Je puis donc boire tout mon soûl.
    Lorsque je rentrais sans un sou,
    Ses cris me déchiraient la fibre.

    Autant qu’un roi je suis heureux ;
    L’air est pur, le ciel admirable...
    Nous avions un été semblable
    Lorsque j’en devins amoureux !

    L’horrible soif qui me déchire
    Aurait besoin pour s’assouvir
    D’autant de vin qu’en peut tenir
    Son tombeau ; - ce n’est pas peu dire :

    Je l’ai jetée au fond d’un puits,
    Et j’ai même poussé sur elle
    Tous les pavés de la margelle.
    Je l’oublierai si je le puis !

    Au nom des serments de tendresse,
    Dont rien ne peut nous délier,
    Et pour nous réconcilier
    Comme au beau temps de notre ivresse,

    J’implorai d’elle un rendez-vous,
    Le soir, sur une route obscure.
    Elle y vint ! - folle créature !
    Nous sommes tous plus ou moins fous !

    Elle était encore jolie,
    Quoique bien fatiguée ! et moi,
    Je l’aimais trop ! voilà pourquoi
    Je lui dis : Sors de cette vie !

    Nul ne peut me comprendre. Un seul
    Parmi ces ivrognes stupides
    Songea-t-il dans ses nuits morbides
    A faire du vin un linceul ?

    Cette crapule invulnérable
    Comme les machines de fer
    Jamais, ni l’été ni l’hiver,
    N’a connu l’amour véritable,

    Avec ses noirs enchantements
    Son cortège infernal d’alarmes,
    Ses fioles de poison, ses larmes,
    Ses bruits de chaîne et d’ossements !

    Me voilà libre et solitaire !
    Je serai ce soir ivre mort ;
    Alors, sans peur et sans remord,
    Je me coucherai sur la terre,

    Et je dormirai comme un chien !
    Le chariot aux lourdes roues
    Chargé de pierres et de boues,
    Le wagon enragé peut bien

    Ecraser ma tête coupable
    Ou me couper par le milieu,
    Je m’en moque comme de Dieu,
    Du Diable ou de la Sainte Table !

    Charles Baudelaire « Le vin des chifonniers » (extrait)


    Vincent Van Gogh, Les buveurs 1890
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    C’est ainsi qu’à travers l’Humanité frivole
    Le vin roule de l’or, éblouissant Pactole ;
    Par le gosier de l’homme il chante ses exploits
    Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.

    Pour noyer la rancoeur et bercer l’indolence
    De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
    Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;
    L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !

    oOo


  • Viktor Kirtov | 5 novembre 2018 - 12:12 5

    "Je me tue parce que la fatigue de m’endormir et la fatigue de me réveiller me sont insupportables", y écrit le poète.


    Photo du 25 octobre 2018 montrant un détail de la lettre de suicide de Baudelaire, vendue aux enchères à Paris le 4 novembre 2018. - ZOOM : cliquer l’image
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    Une lettre de jeunesse de Charles Baudelaire de sept pages et demi annonçant son intention de se suicider s’est vendue dimanche à 234.000 euros, trois fois le prix estimé, lors d’enchères par la maison Osenat de missives de l’auteur des "Fleurs du mal". Clou de la vente, cette lettre de Baudelaire, datée de juin 1845, à l’adresse de sa maîtresse Jeanne Duval, était estimée entre 60.000 et 80.000 euros. Elle fera désormais partie d’une collection privée française, a précisé la maison d’enchères.


    "Quand Mademoiselle Jeanne Lemer vous remettra cette lettre, je serai mort (...) Je me tue parce que je ne puis plus vivre, que la fatigue de m’endormir et la fatigue de me réveiller me sont insupportables", écrit le poète.

    Ce témoignage, sans doute inestimable, des souffrances et tourments de l’auteur des « Fleurs du mal », en 1845, va désormais rejoindre la demeure de celui qui, par téléphone, a acquis ce document pour 180 000 euros au marteau, soit 234 000 euros frais d’adjudication inclus.

    La maison de vente Osenat organisait ce dimanche (04/11/2018), à Fontainebleau, un après-midi consacré aux écrits de grands écrivains. Cette lettre annonçant un suicide, que Baudelaire ratera quelques jours plus tard, a été l’objet d’un combat de collectionneurs, la plupart par téléphone ou Internet, durant sept minutes. Le compteur a failli s’arrêter à 140 000 euros pour repartir de plus belle.

    Baudelaire se donnera un coup de couteau sans conséquences graves. Il a alors 24 ans et vivra encore 22 années.

    Crédit : AFP & L’Obs & Le Parisien


  • Viktor Kirtov | 26 septembre 2018 - 11:17 6

    La chaîne Histoire vient de rediffuser un excellent documentaire « Nadar, le premier des photographes » où l’on peut voir, outre les portraits très connus de Baudelaire, un portrait peu souvent reproduit : « Charles Baudelaire au fauteuil » :


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    Nadar, grand portraitiste des années 1850 et de la bohême parisienne, photographie le poète Charles Baudelaire (1821-1867) entre 1855 et 1858 au cours de trois séances de pose, au moins. Cette épreuve-ci, dont le négatif est aujourd’hui détruit, est la seule épreuve connue de la première séance qui a eu probablement lieu au début de l’année 1855. C’est aussi le plus énigmatique des portraits connus du poète, saisi dans une rêverie, le regard brouillé, comme ailleurs...

    Nadar et Baudelaire, qui s’étaient rencontrés depuis une quinzaine d’années déjà, au début des années 1840, devaient rester liés, malgré les brouilles de deux forts caractères, d’une amitié très forte jusqu’à la mort du poète, amitié que Nadar relate dans un ouvrage posthume paru en 1911 Charles Baudelaire intime : le poète vierge. Baudelaire devait d’ailleurs, une nouvelle et dernière fois, en 1862, poser devant l’objectif de Nadar, Manet traduisant en gravure l’une des épreuves alors obtenues.

    Crédit : Musée d’Orsay

    La capture d’écran ci-dessus est issue de la photo originale détenue par le Musée d’Orsay :

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    Félix Nadar (1820-1910) « Charles Baudelaire au fauteuil » vers 1855
    Epreuve unique sur papier salé à partir d’un négatif détruit
    H. 28 ; L. 16,5 cm
    Inscriptions :
    sur l’épreuve, h.g. à l’encre noire : Nadar
    sur le montage, b. au crayon noir : Baudelaire

    © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt


  • Viktor Kirtov | 21 juillet 2018 - 16:52 7

    Pendant l’été, chaque week-end, Laure Dautriche raconte l’histoire d’un chef-d’œuvre qui a été créé pendant un été. Ce samedi, "Les Fleurs du Mal" de Charles Baudelaire.

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    "Les chefs-d’oeuvre de l’été", avec Laure Dautriche. Vous nous parlez aujourd’hui d’une oeuvre majeure de la littérature : les Fleurs du Mal de Baudelaire, publiées à l’été 1857. Et qui alors fait scandale.

    C’est un petit recueil de vers d’un auteur qui est alors peu connu du public, écrit par un certain Charles Baudelaire. L’un de ses amis édite le livre à 1300 exemplaires. Il y a mis toute son énergie, toute sa chair pour traduire le mieux possible dans ces poèmes ses propres sentiments et ses sensations. Mais très vite, dès la parution au début de l’été 1857, la presse s’acharne. Le journal Le Figaro écrit un article auquel Baudelaire ne s’attend pas : "Toutes ces horreurs de charnier étalées à froid, ces abîmes d’immondices fouillés à deux mains et les manches retroussées, devaient moisir dans un tiroir maudit."

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    Quant à la direction générale de la Sûreté publique, l’équivalent du ministère de l’Intérieur, un rapport confidentiel indique que Les Fleurs du Mal sont un outrage aux mœurs, à l’Eglise, et presque à la patrie. Prévoyant l’orage, Baudelaire écrit à son éditeur : Vit, cachez mon livre. Cachez bien toute l’édition". Trop tard : la machine judiciaire est en marche. le ministre de l’Intérieur demande au procureur général d’engager des poursuites. Cette première édition n’a pas le temps d’exister longtemps, moins de 2 mois après la parution des Fleurs du Mal, vient déjà l’heure du procès. Sont mis en cause six poèmes, parmi les plus sulfureux du recueil, que le procureur tente de faire interdire au nom de la morale publique. Parmi ces poèmes, il y a "Les Bijoux", jugé obscène à l’époque.

    Les yeux fixés sur moi comme un tigre dompté,
    D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
    Et la candeur unie à la lubricité
    Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;

    Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
    Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
    _, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
    Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,

    S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
    Pour troubler le repos où mon âme était mise,
    Et pour la déranger du rocher de cristal
    Où, calme et solitaire, elle s’était assise.

    Nous sommes en plein Second Empire sous le régime autoritaire de Napoléon III. Les écrivains sont régulièrement victimes de la censure. Gustave Flaubert par exemple, venait tout juste 6 mois plus tôt, au début de l’année 1857, d’être confronté à un procès pour son Madame Bovary, poursuivi pour "outrage à la morale publique et religieuse". Et il avait été acquitté. Baudelaire pense que ce sera la même chose pour lui.

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    Mais ce ne sera pas le cas. Et ce sont les arguments du journal Le Figaro qui sont repris par la justice, au moment de la condamnation des Fleurs du Mal.

    Oui exactement. Affolé, ne se sentant pas du tout coupable, Baudelaire cherche un avocat célèbre pour le défendre. Il pense à un avocat en particulier, mais celui-ci se dérobe et donne le dossier à fils, pour qu’il défende Baudelaire. Pour se réconforter, il veut croire que certains de ses confrères écrivains le défendront ? Presque aucun de ses supposés partisans ne lèvera le petit doigt. Le 20 août 1857, Baudelaire se présente au Palais de Justice, qui a accueilli avant lui tant de voyous et d’escrocs. Le procès ne censure pas le recueil complètement, mais Baudelaire est condamné pour "outrage à la morale". Baudelaire doit supprimer 6 poèmes sur les 100 que compte le recueil. Le gros problème à l’époque, c’est l’érotisme qui est affiché et les poèmes qui mettent en avant le sadisme, le désir de faire mal à l’autre. Un thème présenté sans détour dans le poème "À celle qui est trop gaie".

    "Ainsi je voudrais, une nuit,
    Quand l’heure des voluptés sonne,
    Vers les trésors de ta personne,
    Comme un lâche, ramper sans bruit,
    Pour châtier ta chair joyeuse,
    Pour meurtrir ton sein pardonné,
    Et faire à ton flanc étonné
    Une blessure large et creuse.

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    Mais Baudelaire réagit de façon surprenante, il fait retirer son recueil tout entier ?

    Oui, retirer 6 poèmes sur 120, pour Baudelaire, c’est le drame absolu. C’est déséquilibrer tout son recueil. C’est le mutiler. Pour lui, la structure des Fleurs du Mal est travaillée, équilibrée. Si on enlève 6 pièces, tout s’écroule à ses yeux. Alors il décide de le retirer complètement. Et mettra quatre ans à refaire les Fleurs du Mal. A la fin de cet été éprouvant, après cette condamnation en plein mois d’août, il obtient dix jours plus tard le soutien d’un de ses prestigieux collègues : Victor Hugo. Pour le féliciter d’avoir été condamné par la justice de Napoléon III, Victor Hugo écrit à Baudelaire "Vos Fleurs du mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles". Un peu plus tard, il dira que ce recueil de poèmes apporte un frisson nouveau à la littérature. En réalité, il semble moins attaché à défendre le poète qu’à fustiger la justice impériale. Quant à Baudelaire, la Cour de Cassation le réhabilitera en 1949, en annulant le jugement. Quatre-vingt-douze ans après le procès des Fleurs du Mal. .


    Par Europe 1


  • Viktor Kirtov | 30 mai 2018 - 21:24 8

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    VlCTOR HUGO

    « J’ai reçu, Monsieur, votre noble lettre et votre beau livre. L’art est comme l’azur, c’est le champ infini. Vous venez de le prouver. Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Continuez. Je crie bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit. Permettez-moi de finir ces quelques lignes par une félicitation. Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de la recevoir. Ce qu’il appelle sa justice vous a condamné au nom de ce qu’il appelle sa morale. C’est là une couronne de plus. »

    Lettre du 30 août 1857

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    THÉOPHILE GAUTIER

    « De tous les poètes éclos après la splendide irradiation de l’école romantique, M. Charles Baudelaire est assurément le plus original, et par nature et par volonté [...]. Il a le don, mais il a aussi le travail. Il sait ce qu’il fait, il assiste en critique à son inspiration, la conseille, l’excite, la modère, la dirige et la fait aller où il veut. »

    Fusains et eaux-Jones

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    PAUL VERLAINE

    « La profonde originalité de Charles Baudelaire, c’est, à mon sens, de représenter puissamment et essentiellement l’homme moderne ; [...] l’homme physique moderne, tel que l’ont fait les raffinements d’une civilisation excessive, l’homme moderne, avec ses sens aiguisés et vibrants, son esprit douloureusement subtil, son cerveau saturé de tabac, son sang brûlé d’alcool en un mot, le bilio-nerveux par excellence, comme dirait H. Taine. »

    Charles Baudelaire

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    ARTHUR RIMBAUD

    « Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine - les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles. »

    Lettre du voyant, à Paul Demeny, 15 mai 1871

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    STÉPHANE MALLARMÉ

    « L’hiver, quand ma torpeur me lasse, je me plonge avec délices dans les chères pages des Fleurs du Mal. Mon Baudelaire à peine ouvert, je suis attiré dans un paysage surprenant qui vit au regard avec l’intensité de ceux que crée le profond opium. Là-haut. et à l’horizon, un ciel livide d’ennui. avec les déchirures bleues qu’a faites la Prière proscrite. »

    Symphonie littéraire II

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    JORIS-KARL HUYSMANS

    « Et plus des Esseintes relisait Baudelaire, plus il reconnaissait un indicible charme à cet écrivain qui, dans un temps où le vers ne servait plus qu’à peindre l’aspect extérieur des êtres et des choses, était parvenu à exprimer l’inexprimable. grâce à une langue musculeuse et charnue, qui, plus que toute autre, possédait cette merveilleuse puissance de fixer avec une étrange santé d’expressions, les états morbides les plus fuyants, les plus tremblés, des esprits épuisés et des âmes tristes. »

    A rebours

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    MARCEL PROUST

    « A côté d’un livre comme Les Fleurs du Mal, comme l’œuvre immense d’Hugo paraît molle, vague, sans accent ! Hugo n’a cessé de parler de la mort, mais avec le détachement d’un gros mangeur, et d’un grand jouisseur. Peut-être hélas ! faut-il contenir la mort prochaine en soi, être menacé d’aphasie comme Baudelaire, pour avoir cette lucidité dans la souffrance véritable, ces accents religieux dans les pièces sataniques. »

    Lettre à Jacques Rivière, 1921

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    PAUL VALÉRY

    « Avec Baudelaire, la poésie française sort enfin des frontières de la nation. Elle se fait lire dans le monde : elle s’impose comme la poésie même de la modernité ; elle engendre l’imitation, elle féconde de nombreux esprits. [...] Je puis donc dire que s’il est, parmi nos poètes, des poètes plus grands et plus puissamment doués que Baudelaire, il n’en est point de plus important. »

    Situation de Baudelaire, conférence donnée le 19 février 1924

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    LOUIS ARAGON

    « Il n’y a pas de poète qui soulève plus de passion que Baudelaire. On ne peut en parler, on n’en peut rien dire que cela n’offense quelqu’un. J’ai toujours eu pour lui des sentiments extrêmes. Il y a eu des années où je n’aurais pas souffert un mot de critique le touchant. Il y a eu des mois où je ne pouvais en lire une ligne sans révolte, comme excédé d’une maîtresse on lui trouve mille vulgarités là où l’on ne voyait, la veille encore, que perfection. »

    Des plaisirs plus aigus que la glace ou le fer

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    YVES BONNEFOY

    « Comme des milliers d’autres dans le siècle qui l’a suivi. je lui dois, en tout premier lieu, d’avoir pu garder foi en la poésie. »

    Sous le signe de Baudelaire

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    Les « Fleurs du Mal » à l’image d’une vie
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    Le manuscrit des Fleurs, est remis à l’éditeur Poulet-Malassis le 6 février 1857. Composé de très exactement cent poèmes - sans compter l’adresse au lecteur-, il est divisé en cinq sections, à la manière des cinq actes d’une tragédie classique : Spleen et Idéal, Le Vin, Les Fleurs du Mal, Révolte et La Mort. L’ensemble embrasse toute une vie, le volume s’ouvrant par l’image du berceau et se refermant par celle de la tombe. Entre ces deux bornes, le récit d’un voyage dans l’expérience du Mal, que le poète entend comme le contraire de la vertu autant que comme celui de la santé. Dans la section Spleen et Idéal, il s’attache à en chercher les origines, les symptômes lointains et les premières manifestations. Puis il en présente les possibles remèdes, donnant à voir la maladie du Mal dans toute sa complexité. Dédiées au « poète impeccable » Théophile Gautier, les « fleurs maladives » ne passeront pas l’été.

    Poursuites et censure

    Au lendemain de leur publication, dans les colonnes du Figaro, deux articles dénoncent coup sur coup le recueil et déclenchent les poursuites : « Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c’était pour les guérir, mais elles sont incurables », peut-on lire sous la plume du journaliste Gustave Bourdin. Le 20 août, à l’issue d’un procès expéditif, Baudelaire et ses éditeurs sont condamnés pour « outrage à la morale publique ». Verdict : une amende, doublée d’une interdiction immédiate de six poèmes du recueil, ceux dont l’érotisme et le sadisme sont le plus affichés. Pour Baudelaire, cette censure est une amputation : ces poèmes sont comme arrachés à son cœur. D’autant que priver le recueil de ces pièces équivaut pour lui à le détruire complètement - aussi préfère-t-il faire retirer ses Fleurs de la vente. « Néfaste indulgence », écrit-il, triste et amer, à l’adresse de ses censeurs. « L’agitation de l’esprit dans le Mal, pourquoi voulez-vous la priver de sa libre expression, aussi osée qu’elle vous semble ? Votre "morale prude et bégueule", où conduit-elle A faire croire que tout est bien, que tout est bon, que tout est beau ... Quelle abominable hypocrisie... »

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    « J’ai passé ma vie entière à apprendre à construire des phrases ; et je dis, sans crainte, sans crainte de faire rire, que ce que je livre à une imprimerie est parfaitement fini »

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    La sentence plonge le poète dans une profonde dépression. Découragé, humilié et sans le sou, Baudelaire traverse les mois les plus noirs. « Il est sans cravate, le col nu, la tête rasée, en vraie toilette de guillotiné », notent les Goncourt dans leur Journal à la fin d’août 1857. « Ce que je sens, explique-t-il à sa mère en décembre, c’est un immense découragement, une sensation d’isolement insupportable, une peur perpétuelle d’un malheur vague, une défiance complète de mes forces, une absence totale de désir, une impossibilité de trouver un amusement quelconque... Je me demande sans cesse : à quoi bon ceci ? à quoi bon cela ? »

    Quand les forces reviennent. il rouvre ses dossiers, reprend ses carnets, et s’attelle au seul et unique chantier capable de lui remettre du baume au cœur : la seconde édition de ses Fleurs. Le tribunal l’a obligé à supprimer six poèmes ? Le voilà qui en ajoute trente-deux ! Et, de 1857 à 1861 travaille à réorganiser l’équilibre intérieur des sections, injectant dans chaque pièce des significations nouvelles. Certains poèmes déjà existants, comme « Spleen » se voient augmentés de nouvelles strophes. D’autres changent de place, délogés par l’ajout de nouveaux. D’autres encore, comme « L’Irrémédiable » sont scindés en deux.

    Bouquet final

    Dans ce grand réagencement le changement le plus significatif reste l’introduction d’une section nouvelle, les Tableaux parisiens. Huit poèmes par lesquels la ville moderne fait son entrée dans la poésie, se montrant dans ce qu’elle a de plus rugueux : les prostituées, les aveugles, les mendiants, les vieilles... Huit poèmes qui deviendront célèbres, et qui changent le sens général du recueil : là où la première édition embrassait un mouvement de descente puis de remontée dans Spleen, la seconde décrit une courbe descendante, sorte de lent enfoncement, symptomatique du désenchantement de l’auteur. Publiée en 1861, cette deuxième édition des Fleurs - qui passa à la postérité – connaît un accueil discret, majoritairement négatif. « Les Fleurs du Mal, on commencera peut-être à les comprendre dans quelques années », commente le poète en 1866. Lui, le poète maudit, est pourtant convaincu d’avoir achevé son grand œuvre : « J’ai passé ma vie entière à apprendre à construire des phrases ; et je dis, sans crainte de faire rire, que ce que je livre à une imprimerie est parfaitement fini. » Parfaitement fini, certes mais à six poèmes près : jusqu’en 1865, Baudelaire cherchera à faire publier les six pièces interdites. Les Epaves. Il n’y parviendra qu’en Belgique, où la censure est moins rude que dans l’Hexagone. En France. il faudra attendre 1946 pour qu’une loi lève définitivement la condamnation pour outrage. Mais les Fleurs n’avaient jamais cessé de distiller leurs voluptueux parfums angoissés et toxiques.

    Estelle Lenartowicz


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    Crédit : LIRE FÉVRIER 2017


  • Viktor Kirtov | 22 mars 2018 - 14:52 9

    Anniversaire : le 21 mars 1910 s’éteignait Félix NADAR, photographe des figures éminentes du XIXème siècle. Nous lui devons les portraits immortels de Baudelaire, Hugo, Liszt, Nerval et de dizaines d’autres. Ses clichés font partie du patrimoine littéraire et artistique français. (Crédit : La Cause littéraire)


    - Ses clichés de Baudelaire
    - Son autoportrait

    Ses clichés de Baudelaire


    Baudelaire par Nadar (1862)
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    Son autoportrait


    Nadar par Nadar
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  • Viktor Kirtov | 17 janvier 2018 - 12:44 10

    « Enivrez-vous » est un poème en prose issu du recueil Le Spleen de Paris. On y retrouve des thèmes clés de Baudelaire, déjà présents dans Les Fleurs du Mal : l’angoisse face à la fuite du temps et la volonté de trouver une échappatoire à cette souffrance.


  • Viktor | 23 janvier 2007 - 10:01 11

    On peut voir Le Sommeil de Courbet au Petit Palais, à Paris, dans la partie en accès libre.
    _ Tableau qui, au premier regard, frappe par le sujet, sa grande taille 135x200 cm, sa sensualité, le rendu très réaliste de la chair... Une commande du diplomate Khalil-Bey, suivie d’une autre livraison discrète et devenue célèbre : l’Origine du monde, objet d’un article sur ce site.