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Yannick Haenel, chroniques de janvier 2024

Charlie Hebdo

D 4 février 2024     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


La joie des étoiles

Mis en ligne le 24 janvier 2024
Paru dans l’édition 1644 du 24 janvier

Écoutez cette splendeur : «  La Voie lactée se résout en étoiles. La distance qui nous sépare de ces étoiles amassées abolit les distances entre elles, et, dans les gouffres qu’elles illuminent de leur lumière mélangée, elles tracent devant mes yeux comme le ruisseau d’une brume de lait.  » Ou bien : «  Dans mon corps, les espaces qui séparent les atomes sont du même ordre que les espaces qui séparent les étoiles les unes des autres.  » Et encore : «  La vie qui me permet d’accomplir l’acte le plus simple existe dans Antarès, dans le Soleil, dans le compagnon de Sirius où tout est si contracté, dans tous les grains de sable de tous les limons phosphorescents de la Voie lactée.  »

Vous entendez comme d’un coup tout s’élargit, comme un silence illuminé nous emporte loin de la platitude et des calculs  ? Ces phrases, je viens de les lire dans Traversée sensuelle de l’astronomie, un texte absolument génial de Jean Giono, publié en 1938, que Les Éditions du Chemin de fer rééditent en un merveilleux volume bleu argenté d’une cinquantaine de pages, constellé de dessins galactiques signés Paul Mignard.

J’ai lu ce livre en pensant par contraste à ce pitoyable bouillon de consignes natalistes gâteuses que préconise Macron. Je me disais : l’absence d’horizon poétique ne s’appellerait-elle pas la connerie  ? Car nous ne sommes pas nécessairement obsédés par la sécurité et l’immigration : nous attendons avant tout qu’en nous la vie se soulève  ; nous désirons d’abord la liberté et la fantaisie de l’exercer : nous aimerions passionner nos vies.

Le bonheur d’exister

Eh bien, en regardant cette nuit par la fenêtre la neige qui tombe, voici que les phrases de Giono ont déferlé en accélérant ma joie d’exister. L’univers est violemment déchiré de couleurs foudroyantes  ; il se métamorphose continuellement, rejouant à chaque instant la création. La passion stellaire vide les étoiles qui explosent dans le ciel en un poème de matière enflammée  ; elle troue la nuit par son euphorie.
Giono raconte qu’il assiste à une aurore boréale. Les lumières ruissellent  ; les couleurs se déchirent merveilleusement. «  J’ai beau me dire, écrit-il, que la lumière fait trois cent mille kilomètres à la seconde, c’est sans signification. Sur la Terre que j’habite, la lumière était l’immobilité, tant sa vitesse instantanée la serrait sur elle-même.   »

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En écrivant cette chronique, dans la nuit enneigée de banlieue, je m’ouvre à cette lumière enflammée que Giono voit s’accomplir «  dans tout l’espace du temps   ». Ce qui se déchaîne en moi (en vous aussi) lorsque je me libère de la pesanteur – quand je peux méditer sur ces «  abîmes tourbillonnaires   » -, c’est l’amour pour ces «  énormes déchirures solaires  » qui se brisent en planètes, c’est cet émoi pour l’aurore, cette passion pour les étoiles. Un bonheur éclate en lignes de feux et m’enveloppe enfin : «  Nous sommes faits d’univers.  »

Silent February

Mis en ligne le 31 janvier 2024
Paru dans l’édition 1645 du 31 janvier

Cette chronique sera confuse. Je passerai du coq à l’âne. J’exprimerai mes états d’âme dans le désordre et les confondrai avec ce qui se passe dans le monde. Je prendrai mes exaspérations pour une analyse. Bref, je ferai comme on fait sur les réseaux sociaux, lesquels, en dévorant notre temps, en réduisant notre esprit à du rien bavard, sont en train de gagner la bataille du langage.
Existe-t-il encore un lieu où s’exerce la nuance, où l’on peut réfléchir lentement, où ce que l’on pense a encore le droit de s’exprimer de manière complexe, ou même de ne pas s’exprimer  ? Les anciennes formes de censure consistaient à nous faire taire, la nouvelle censure nous oblige à prendre position. L’injonction à dire est le totalitarisme de la communication.

VOIR SUR PILEFACE

Je viens de publier un livre sur la nuit que j’ai passée seul dans un musée avec les peintures de Francis Bacon. On m’invite à en parler à la radio, c’est un bonheur de raconter cette expérience bouleversante et de saluer la puissance de l’art, mais ça ne leur suffit pas, à chaque fois, on me demande d’intervenir sur l’actualité (c’est leur expression) : que pensez-vous de la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, quelle est votre position sur les retraites, sur les barrages des paysans, sur Israël  ? Vous avez quinze secondes pour vous ridiculiser, n’hésitez surtout pas, ajoutez de la confusion à la confusion, de l’insignifiance à l’insignifiance, dites n’importe quoi, mais attention, ce que vous dites sera quand même retenu contre vous.
Les médias ont pris le pli du tweet, et l’on demande à n’importe qui désormais de s’y conformer : si vous cherchez à parler autrement, vous serez inaudible.

À LIRE AUSSI : Challenge de janvier : Coca nous fait avaler du lourd

Bref, grosse fatigue, exaspération : il est temps de m’isoler quelques jours, de fermer les volets sur le monde, d’éteindre mes écrans et de rester silencieux jusqu’à ce que mon esprit se soit refait une santé. Voilà, je vais juste contempler la lumière qui flotte au-dessus de mon lit, fragile, calme et poudreuse. Ce n’est pas d’un Dry January dont j’ai besoin, mais d’un Silent February.
C’est vrai, quoi : l’esprit est attaqué en permanence, et si l’on n’y prend garde, on perdra la tête. J’aime, quand ça ne va pas, ouvrir les Pensées de Pascal. Eh bien, à sa manière, il en parle déjà : «  Ces grands efforts d’esprit où l’âme touche quelquefois sont choses où elle ne se tient pas.   » Voilà, l’âme ne se tient plus là, avec nous, elle s’est dispersée. D’ailleurs comment pourrait-elle se tenir avec nous si nous ne parvenons même plus à nous concentrer  ? Tout sur cette foutue planète est maintenant organisé afin de nous empêcher de penser, tout est fait pour que nous n’approfondissions plus notre solitude. Le jour où nous n’arriverons plus à rejoindre notre solitude pour nous remettre à penser, le jour où il nous sera devenu impossible de nous extirper, nous aurons perdu notre âme.


PS : Malgré la fatigue, Yannick Haenel publie ce jour (4 février) un long texte sur Marguerite Duras, L’irréductible, chapitre inédit d’un livre, Les Étincelles, en cours d’écriture. C’est sur le site AOC. J’y reviendrai. En attendant, en ce qui concerne Duras, vous pouvez relire : Littérature et politique : le cas Duras (par Philippe Sollers, Julia Kristeva et par elle-même).

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