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A propos de Ici et ailleurs de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville

(Auto)critique d’un film inachevé sur les Palestiniens

D 26 novembre 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Il y a les bombardements réels, tirs de roquettes, tirs de missiles. Ils n’ont qu’un but : terroriser en tuant aveuglément. Il y a les bombardements d’images, télévision, flashes, scoops : quel est leur but ? leur cible ? Peu de gens se posent la question. Calés dans leur fauteuils, les spectateurs du monde entier sont sommés de « participer » émotivement, puis de manifester leurs émotions souvent contradictoires et perturbatrices (empathie, horreur, compassion, indignation : manifs, etc.). Au nom de grands principes. Au nom du BIEN toujours et quel que soit le camp auquel chacun est sommé d’appartenir. Sans autre forme de procès. Pensée année zéro. L’obscène atteint son paroxysme ces jours-ci avec les images qui nous parviennent à l’occasion des négociations pour la libération au compte-gouttes des otages détenus par les terroristes du Hamas. Négociations à propos desquelles justement nous avons beaucoup de commentaires, mais pas d’images (mais que se passe-t-il donc dans les coulisses du soft power qatari ?). En réfléchissant à cette tragédie qui secoue le Proche-Orient ou, comme on dit de manière fort réductrice, au conflit israélo-palestinien, je me suis souvenu d’un film de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville qu’on voit rarement et dont on parle peu sauf dans les milieux cinéphiles. Il s’appelle Ici et ailleurs. En voici le propos.

« En 1970, le Groupe Dziga Vertov (Jean-Pierre Gorin, Jean-Henri Roger et Jean-Luc Godard) entreprend la réalisation d’un film pour la résistance palestinienne dans le camp d’Amman en Jordanie. Il devait s’intituler Jusqu’à la victoire. Quatre ans plus tard, Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville reviennent sur la matière de ce film resté inachevé et investissent les ressources de la vidéo pour relire ces images dans le présent, le leur, celui aussi de la société française, des crises et des représentations qui la traversent. Ici, le foyer d’une famille française ordinaire réunie devant son poste de télévision. Ailleurs, un peuple en exil s’exprime, s’organise et lutte dans l’espoir de retrouver sa terre. Entre les deux, la vidéo, double singulier du cinéma approprié comme un outil d’analyse et de questionnement, rend aussi possible qu’elle apparaît nécessaire une mise à l’épreuve de la conjonction entre "ici" et "ailleurs", entre hier et aujourd’hui, entre eux et nous. Dans le cinéma de Godard, nous n’en sommes pas plus quittes avec le langage qu’avec les images et les sons. Regarder, c’est avant tout être dévoilé dans nos stratégies et nos hiérarchies par ce que nous voyons et entendons, par ce que nous donnons à voir et à entendre. »

J’ai retrouvé la trace d’Ici et ailleurs [1] et, parcourant le web, j’ai découvert qu’un jeune chercheur britannique (journaliste et cinéaste) en a fait une analyse récente (sur le site « brightlightsfilm.com ») dans un article intitulé La révolution vidéographique de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville dont je vous propose la traduction. James Slaymaker montre en quoi Godard et Miéville, en (auto)-critiquant, grâce à l’apport de la technique vidéo, leur propre travail, et, en faisant retour sur la pratique spécifique qu’est le cinéma, ont, avant d’autres (excepté Debord), fait le « procès » des systèmes de représentation et de leur dernier avatar : la télévision. « Dé-construction » qu’ils ont amorcée dans Luttes en Italie (1970) et qu’ils poursuivront parallèlement dans Numéro deux (1975) et Six fois deux/Sur et sous la communication (1976) et qui demeure plus essentielle aujourd’hui que jamais [2]. L’article n’analyse pas le rapport qu’on a pu qualifier de « tordu » de Godard à l’existence de l’Etat d’Israël ou à la question juive. Afin de ne pas esquiver le sujet qui mériterait à lui seul tout un dossier (ce n’est pas ici mon propos mais j’y reviendrai ailleurs), j’ai sélectionné, in fine, un certain nombre de textes auxquels le lecteur pourra se reporter.

Ici et ailleurs

Écrit et réalisé par Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville
Image : William Lubtchansky
Montage : Anne-Marie Miéville
Musique originale : Jean Schwarz
France, 1976, 16 mm

Jean-Luc Godard (1970-1978)

« C’est l’impérialisme qui nous a appris à considérer les images en elle-même, qu’une image est réelle. Alors qu’une image, le simple bon sens montre qu’elle ne peut être qu’imaginaire, précisément parce que ce n’est qu’une image, un reflet.
Par exemple tu te dis "je suis jolie" ou "j’ai l’air fatigué". Mais en disant cela qu’est-ce que tu fais ? Tu ne fais rien d’autre qu’établir un rapport entre plusieurs reflets, l’un où tu avais l’air en forme et un autre où tu l’étais moins. Tu compares c’est à dire, tu fais un rapport et alors tu peux conclure, j’ai l’air fatigué. L’impérialisme, en cherchant à nous faire croire que les images du monde sont réelles alors qu’elles sont imaginaires, cherche à nous empêcher de faire ce qu’il faut faire : établir des rapports réels, politiques entre ces images.
On est venu ici pour étudier ça : apprendre, tirer des leçons, si possible enregistrer ces leçons, pour les diffuser ensuite ici même, ou ailleurs dans le monde. Il y a presque un an, deux d’entre nous sont venus enquêter au Front démocratique. Puis un autre est allé au Fatah. Nous avons lu les textes et les programmes. En tant que maoïstes français, nous avons décidé de faire le film avec le Fatah dont le titre est Jusqu’à la victoire. Nous laissons les Palestiniens, au cours du film, dire eux-mêmes le mot : "Révolution". Mais le vrai titre du film, c’est Méthodes de pensée et de travail du mouvement de libération palestinien. » (JLG, Manifeste, juillet 1970)

«  Ici, c’est une famille de Français moyens devant leur télévision. Ailleurs, ce sont des combattants palestiniens filmés avant les massacres de Septembre noir [3]. » (JLG, 1976)

« Ce qui ne va pas, c’est de dire : révolution d’un côté, fascisme de l’autre. En fait, quand on voit les choses un peu autrement, on ne peut pas dire ça, il vaut mieux savoir ce qu’il s’est passé et puis après, on verra si c’est ça qu’il faut dire. Mais il vaut mieux savoir ce qui s’est passé. C’est pour ça que j’ai mis tellement de temps finalement à faire Ici et ailleurs qui a pris cinq ans à se faire ; et on a pris ce titre Ici et ailleurs en insistant sur le mot et : le vrai titre du film c’est ET, ce n’est ni ici ni ailleurs, c’est ET, c’est Ici ET ailleurs, c’est-à-dire un certain mouvement. » (Introduction à une véritable histoire du cinéma, 1978, p. 303)

Jean-Pierre Gorin

« Réflexion théorique sur les problèmes de communication.
Ici : une famille de Français moyens devant leur écran de télévision.
Ailleurs : les combattants palestiniens.
Le film a été conçu et tourné en 1971. Nous était apparu nécessaire de nous confronter aux difficultés et aux exigences du film militant typique pour nous aventurer en dehors du cadre que nous nous étions fixés dans Vent d’Est et pour Luttes en Italie.
L’occasion en a été ce "film palestinien." Tourné en Jordanie sur les cendres du septembre noir, Ici et Ailleurs prit plus de cinq ans pour être achevé. Au moment où son montage venait à terme, le groupe Dziga Vertov avait cessé d’être : Godard travaillait alors avec Miéville et j’avais traversé l’océan vers l’Amérique. La version finale est somme toute plutôt fidèle à cette longue gestation.
Le film revisite sous un angle critique ses propres premiers jets. Il y a du Luttes en Italie dans cette revisite et de la Letter to Jane dans cette déconstruction. Il y a malentendu : la copie initiale est désormais présentée comme du tourisme militant standard alors que la structure en chapitres d’Ici et Ailleurs, son matériau clairsemé hormis sa composition sont tout sauf ça. La voix-off retrace si fidèlement les débats qui eurent lieu au fil des différentes étapes de son montage qu’Ici et Ailleurs sonne comme les mémoires du groupe Dziga Vertov proférées d’outre-tombe. » (Jean-Pierre Gorin)

Philippe Azoury

« Il s’agit pour le cinéaste et son équipe de filmer les feydayins dans une base de combat du sud de la Jordanie. Godard et Gorin demandent aux combattants palestiniens de lire un extrait du "Petit livre rouge". Puis de retour de combat, la caméra les attend pour parler critique et autocritique. Mais en arabe, une autre discussion a lieu que Godard enregistre sans écouter, préférant placer à l’avant-plan quelqu’un récitant des textes dogmatiques. Le film reste en plan, les rushes dorment des années quand, en 1975, ailleurs donc, Godard les reprend. L’idée lui vient à la table de mixage de baisser le son de la piste politique pour entendre ce que disent les Fédayins. Ensemble ils parlent de la difficulté à mener la résistance et s’énervent contre des unités de reconnaissance qui les obligent à traverser le Jourdain bien qu’ils continuent d’y perdre des frères. Ce son-là, le Godard dogmatique de 1969 ne l’entendait pas. Celui de 1975, coupé de tout, y compris du militantisme aveugle, revoit les images. "De quel lieu parlons-nous" avait été la grande question de 68. "Pourquoi n’entendons-nous rien ?" sera celle de 75 et des années vidéos ».

Philippe Azoury, Les Inrockuptibles, Hors série Godard.

La révolution vidéographique de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville : Ici et ailleurs (1976)

James Slaymaker
23 novembre 2023

Cette impression que le regard est "renouvelé" par le potentiel radical de la vidéo à aiguiser la perception est essentielle à la philosophie centrale d’Ici et ailleurs, l’implication étant que l’erreur de jugement initiale de Godard et Gorin lors de la conception de leur film sur la résistance palestinienne était si grave que Godard reconnaissait maintenant qu’il était nécessaire de rechercher des modes de perception entièrement nouveaux.

* * *

En 1970, Jean-Luc Godard et son partenaire Jean-Pierre Gorin se lancent dans un projet ambitieux sur le mouvement de libération palestinien, intitulé Jusqu’à la victoire. Utilisant des caméras 16 mm légères et facilement déplaçables, les cinéastes ont suivi les activités du groupe révolutionnaire palestinien Al Fatah qui se préparait à reprendre les terres saisies par les forces israéliennes pendant la guerre des Six Jours. Tournant pendant plusieurs mois en Palestine, en Jordanie et au Liban, le duo a rassemblé des heures d’images destinées à être montées en un long métrage. Comme son titre l’indique, le film était initialement conçu pour présenter un acte réussi de résistance armée contre l’occupation ; lorsqu’il serait projeté en France, le projet devait cibler ce que Godard et Gorin considéraient comme une gauche profondément complaisante, qui languissait encore dans un état de résignation à la suite de l’échec des manifestations de mai 68, et les secouer pour les sortir de leur apathie. La production s’est cependant terminée par une tragédie : alors qu’ils se trouvaient en France, Godard et Gorin ont appris que les forces contre-révolutionnaires du roi Hussein ont massacré des milliers de civils et de révolutionnaires à Amman, dont de nombreux protagonistes de Jusqu’à la victoire.

Godard et Gorin se sentent tellement traumatisés par cette horrible tournure des événements, et tellement abasourdis par leur propre incapacité à prévoir cette issue, qu’ils sont incapables d’achever le projet, et le film est mis de côté pour une durée indéterminée. Ce n’est que quatre ans plus tard, après la dissolution de son partenariat avec Gorin et de son association avec le Groupe Dziga Vertov, que Godard reviendra sur ce matériel. En collaboration avec une nouvelle partenaire, la photographe et monteuse suisse Anne-Marie Miéville, et en utilisant la technologie vidéo plutôt que le film photochimique, Godard utilise les séquences abandonnées comme base d’un projet tout à fait différent. Au lieu d’élaborer un récit direct de lutte révolutionnaire menant à une conclusion heureuse, Godard et Miéville ont retravaillé les séquences pour en faire Ici et ailleurs (1976), un essai cinématographique percutant et intellectuellement rigoureux qui passe au crible les lacunes de l’approche originale de Godard et Gorin. Ce faisant, le film soulève des questions plus larges sur l’éthique du cinéma politique, les problèmes inhérents aux cinéastes européens qui tentent de "parler" au nom du tiers-monde et les limites d’un discours révolutionnaire ancré dans la myopie culturelle. Comme le laisse entendre Ici et ailleurs, Godard et Gorin étaient tellement absorbés par leur propre vision romantique de la résistance anti-impérialiste qu’ils n’ont pas réussi à s’engager véritablement auprès du peuple palestinien et, à leur tour, ils n’ont pas réussi à reconnaître la véritable ampleur de la menace qui pèse sur le mouvement révolutionnaire. Comme l’explique Godard dans une interview pour la publication marocaine El-Moudjahid [4], "Tout ce que nous voulons dire sur la Palestine, quatre ans plus tard, c’est que nous n’avons pas regardé ces plans. Nous ne les avons pas écoutés" (Godard cité dans Brody, 2008 : 375-376).

Ici et ailleurs est l’un des premiers projets produits par la toute nouvelle société de production de Godard et Miéville, Sonimage. Attirés par le haut niveau d’autonomie que la technologie vidéo pouvait leur accorder sur le processus de production et enthousiasmés par la perspective de poursuivre des techniques de montage radicales par le biais de l’édition vidéographique, les deux hommes ont envisagé Sonimage comme un laboratoire de production sur le modèle d’un studio de télévision. Ils avaient à leur disposition plusieurs caméras vidéo, des moniteurs de télévision, des tables de montage électroniques et des télécinémas (qui pouvaient être utilisés pour convertir des photographies fixes et des bobines photochimiques en bandes vidéo). Ces appareils étant faciles à acquérir et peu coûteux, Godard et Miéville ont pu financer la création du studio en grande partie grâce à leurs économies personnelles, avec le soutien du producteur indépendant Jean-Pierre Rassam et de la petite société de production Gaumont. Comme ils ne recevaient qu’un faible soutien financier de sources extérieures, ils n’étaient guère contraints de rentabiliser leurs projets. Avec la création de Sonimage, Godard et Miéville quittent le centre culturel de Paris pour s’installer à Grenoble, une petite ville du sud-est de la France (qui sera suivie en 1977 d’un nouveau déménagement à Rolle, un village du canton de Vaud, en Suisse). Comme le note Michael Witt, "[l]a décentralisation est un principe central de la pratique de Sonimage", non seulement en ce qui concerne la délocalisation géographique, mais aussi dans le sens où les deux cinéastes travaillaient en quasi-autonomie et utilisaient une technologie vidéo qui, à l’époque, était plus étroitement associée à la télévision et aux pratiques amateurs de création d’images qu’à la production cinématographique professionnelle (Witt, 2018 [1998]). La période est très productive pour les deux cinéastes : entre 1975 et 1979, ils produisent plus de 19 heures de matériel, qui est ensuite monté dans les trois longs métrages Ici et ailleurs, Numéro Deux (1975), et Comment ça va ? (1976), ainsi que dans les deux séries épisodiques Six fois deux/Sur et sous la communication (1976) et France/tour/détour/deux/enfants (1978).

Les années 1970 ont marqué une ère de transformation dans l’évolution de la technologie vidéo, avec le développement et l’accessibilité des caméras vidéo portables, l’introduction du magnétoscope (VCR) et l’émergence des mélangeurs vidéo et des systèmes de montage. Ces progrès ont démocratisé la réalisation de films en rendant l’équipement plus abordable et plus portable, libérant ainsi les cinéastes des contraintes des studios traditionnels. Simultanément, le magnétoscope a facilité l’enregistrement et la lecture, tandis que les mélangeurs vidéo ont permis un travail de post-production sophistiqué, permettant aux artistes d’expérimenter la manipulation et l’intégration de diverses sources vidéo. Pour Godard et Miéville, le développement de la technologie vidéo représentait une opportunité de revitaliser le montage cinématographique et d’élargir les possibilités de recherche audiovisuelle de deux manières principales : en offrant une archive élargie de matériel filmé et en renouvelant les méthodes de montage grâce aux stratégies du mélangeur vidéo. Le mélangeur vidéo a permis aux cinéastes d’expérimenter matériellement et d’examiner des images (à la fois des images nouvellement enregistrées et des images extraites d’autres sources) en appliquant des techniques telles que la manipulation de la temporalité, le placement d’images provenant de sources disparates côte à côte dans le même écran, la superposition, l’incrustation, l’ajout de texte électronique et l’agrandissement de certains aspects de la composition.

Avec Sonimage, Godard et Miéville ont cherché à explorer le potentiel esthétique et analytique de la technologie vidéo qui avait été supprimé par le langage formel standardisé de la télévision. Dans un paysage de plus en plus envahi par les images électroniques jetables, Godard et Miéville ont réagi en se réappropriant la technologie vidéo pour créer des stratégies de montage électronique distinctes, fragmentaires, réflexives, inquisitrices et formellement audacieuses — en contraste total avec les conventions télévisuelles. Simultanément, ces œuvres pontifient explicitement sur la nature ontologique de la vidéo, sa différence avec le film photochimique et sa capacité à créer des modes alternatifs de pensée à travers et à propos des images. Comme l’observe Philippe Dubois, le travail de Sonimage est imprégné d’un sentiment d’excitation concernant les capacités de la vidéo, le sentiment que "le regard [est] en train de se renouveler" (Dubois, 1992 : 177). Cette impression que le regard est "renouvelé" par le potentiel radical de la vidéo à aiguiser la perception est essentielle à la philosophie centrale d’Ici et ailleurs, l’implication étant que l’erreur de jugement initiale de Godard et Gorin lors de la conception de leur film sur la résistance palestinienne était si grave que Godard reconnaissait maintenant qu’il était nécessaire de rechercher des modes de perception entièrement nouveaux.

En effet, le projet met l’accent sur le rôle du mixeur vidéo dans le parcours essayiste de Godard et Miéville. Une grande partie du film se déroule dans la salle de montage, alors que les deux cinéastes passent au crible les séquences enregistrées pour Jusqu’à la victoire, qui ont été converties du 16 mm à la vidéo ; les séquences sont ralenties, accélérées, mises en pause, fragmentées et placées en dialogue avec d’autres images vidéographiques extraites de diverses sources. Sur la piste audio, on entend les voix de Godard et de Miéville, qui déconstruisent de manière critique les images et discutent de l’échec du projet original. À un moment donné, les deux cinéastes reviennent sur une séquence dans laquelle une jeune Palestinienne lit un poème de Mahmoud Darwish dans les ruines de la ville de Karameh. Alors que la scène se déroule, Miéville critique Godard pour sa mise en scène ; elle accuse la séquence d’être encadrée à la manière d’un drame de la révolution française, ce qui implique que Godard a projeté sa perspective culturelle eurocentrique et sa vision romantique de la résistance historique — qu’il a lui-même tirée d’artefacts historiques — sur une culture qui lui est étrangère. De plus, Miéville critique Godard pour l’artificialité de la séquence, soulignant l’expression désintéressée et le manque d’affect de la jeune fille comme un signe qu’elle a été forcée par Godard et Gorin à lire un texte de leur choix sans vraiment en ressentir les mots.

Une autre séquence montre un contraste ironique entre les activités révolutionnaires pratiquées par les Palestiniens — une solidarité et une action collective — et la myopie perçue des mouvements de gauche post-1968 en France. Tout d’abord, nous voyons l’image d’un jeune révolutionnaire français lisant un livre de pulpe de fiction intitulé SAS : Kill Henry Kissinger, dont la couverture affiche l’image fétichiste d’une femme séduisante, légèrement vêtue, tenant un pistolet. Un cadre électronique dans le cadre apparaît alors en haut à droite de l’écran, représentant la moitié supérieure du visage de Kissinger. Il s’agrandit jusqu’à remplir le quart supérieur droit de l’image, puis est remplacé par l’image d’un homme et d’un enfant palestiniens. L’image a été recadrée de manière à ce que seules les parties supérieures de leurs visages soient visibles, rendant ainsi le contexte de l’image complète obscur. L’implication de cette séquence est cependant claire : le jeune Français faux-révolutionnaire s’est laissé aller à la fantaisie narcissique, consommant des fantasmes romantiques sur la révolution — qu’il s’agisse de l’histoire superficielle d’un assassinat politique dans son roman ou des images de la lutte armée qui se déroule en Palestine — plutôt que de s’engager dans l’action directe.

Tout au long de la période vidéographique de Godard, les qualités uniques de la vidéo sont mises en évidence afin de souligner sa différenciation par rapport au film photochimique. Pour comprendre comment Godard y parvient, il est utile d’examiner la théorie de Gilles Deleuze selon laquelle le montage de Godard fonctionne selon une logique du "ET" ou du "ENTRE". S’inspirant du modèle de montage intellectuel de Dziga Vertov en tant que succession d’intervalles entre les plans qui donnent lieu à des liens mentaux entre les phénomènes audiovisuels, Deleuze soutient que les stratégies de montage de Godard sont basées sur le principe du "ENTRE". En se concentrant sur l’essai cinématographique Ici et ailleurs, Deleuze écrit que "l’usage que fait Godard de l’ENTRE-deux" évoque le sens non pas à travers la "loi" de la "fausse continuité", mais à travers la multiplication des éléments à partir desquels le discours cinématographique est dérivé (Deleuze 2013 [1985], 179-180). La logique qui définit la méthode de Godard pour relier les images entre elles n’est pas une "opération d’association", mais de "différenciation", car la théorie intellectuelle s’articule à travers un processus de multiplication des connexions et des juxtapositions entre des éléments imaginaires variés : "Étant donné une image, il faut en choisir une autre qui induira un interstice entre les deux", ce qui "permet de graduer les ressemblances" (Ibid.).

Deleuze n’aborde pas le rôle de la technologie dans l’œuvre de Godard, situant plutôt la logique de l’"Entre" dans des thèmes tels que "Ici" (la France) et ailleurs (le Moyen-Orient), le présent (le temps du montage) et le passé (le temps du tournage). Mais si nous appliquons l’analyse de Deleuze sur les méthodes de montage de Godard à une considération des conditions technologiques, nous pouvons supposer que les techniques vidéographiques du réalisateur attirent l’attention sur l’interaction relationnelle entre les différents médias. Celle-ci s’articule autour de qualités matérielles (le grain physique de la pellicule et le bruit électronique de la vidéo), de la temporalité (la pellicule étant associée au passé et la vidéo au présent), de contextes sociaux (la pellicule étant associée à l’industrie cinématographique et la vidéo à la télévision et à l’environnement domestique).

Alors que Godard et Mièville transforment physiquement les images électroniques pour parvenir à des découvertes perceptives, le spectateur est virtuellement placé dans la salle de montage à leurs côtés, ce qui lui permet d’assister aux opérations par lesquelles les cinéastes parviennent à des découvertes perceptives concernant les images en question au moment même où ils font ces découvertes. Ainsi, les cinéastes ne se contentent pas de présenter un exposé pédagogique sur leurs propres découvertes ; ils visualisent l’acte de mener une recherche vidéographique, encourageant le spectateur à entrer virtuellement dans un espace de dialogue partagé dans lequel il joue un rôle actif dans la détermination du sens et est encouragé à prendre conscience du pouvoir de la vidéo pour faire progresser sa propre compréhension de la culture des médias. Comme l’observe Rick Warner à propos de la pratique essayiste de Godard, la méthode de communication du cinéaste ne consiste pas tant à "enseigner par la transmission d’arguments au niveau du contenu" qu’à modeler une "forme de pensée" qui "tente d’obtenir la participation du spectateur à un processus inlassable d’investigation" (Warner 2012, 21). Si le principal problème de Jusqu’à la victoire, tel qu’il était prévu à l’origine, était qu’il était le produit de deux Français, il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas d’autre solution.

Si les cinéastes produisent des images de la résistance palestinienne à l’intention du public français, réduisant ainsi des personnes réelles à des pions dans un récit préconçu de la révolution, alors Ici et ailleurs prend pour thème central la politique de la représentation elle-même. Godard et Miéville n’essaient pas de "parler" au nom des Palestiniens, ni d’effacer le fossé culturel et géographique qui les sépare. Au contraire, Ici et ailleurs devient une déconstruction rigoureuse des images qui médiatisent la relation entre l’Europe ("ici") et le Moyen-Orient ("ailleurs"), soulignant la nécessité d’aborder toutes les images des conflits à l’étranger avec un œil sceptique et inquisiteur, de comprendre comment les représentations médiatiques déforment la vérité afin que le spectateur puisse sortir de ses habitudes et développer une compréhension plus informée et plus critique des événements internationaux.

Au centre de la critique des médias de Godard et Mièville se trouve la télévision. Tout au long d’Ici et ailleurs, la télévision est présentée comme un appareil homogénéisant, qui place toutes les images sur le même plan dans un flux continu d’images jetables, et qui risque donc d’émousser les capacités perceptives du citoyen. Cette conception de la télévision est conforme à la critique de Raymond Williams, qui considère le format comme un "flux planifié" : un flux continu d’images électroniques dans lequel diverses unités sont "programmées" dans une forme de communication à sens unique. Comme l’écrit Williams, l’"expérience" de la télévision radiodiffusée consiste à être soumis à un flux "toujours accessible", dans lequel chaque image est "unifiée en une seule dimension" (Williams 1990, 96). La prédominance des écrans de télévision dans la diégèse d’Ici et ailleurs reflète la surabondance incessante d’images électroniques qui commençait à définir le paysage médiatique de la France dans les années 1970, avec des images d’oppression, de détresse et de violence constamment transmises dans les salons comme une forme perverse de divertissement.

Cela est souligné par des images répétées d’une famille française de banlieue consommant des émissions d’information sur le conflit au Moyen-Orient, entrecoupées de publicités pour des produits de consommation et d’extraits de sitcoms américaines. Comme nous l’apprend la narration en voix off, le patriarche de cette famille nucléaire se perçoit comme un révolutionnaire et passe une grande partie de ses journées à des réunions politiques, mais le film ne le montre que regardant passivement la lutte révolutionnaire depuis le confort de son salon cossu. Au lieu de s’engager de manière significative dans le conflit anti-impérialiste qui se déroule à l’étranger, ou de planifier des actions directes significatives sur son territoire, le père s’engage simplement dans ce qu’Emmelhainz appelle le "tourisme révolutionnaire" (2009), c’est-à-dire qu’il regarde des images du conflit au Moyen-Orient qui ont été sciemment fabriquées pour la consommation du public occidental. Ces images, suggère Ici et ailleurs, ont pour fonction de faire apparaître le conflit qui se déroule en Palestine comme "irréel" et fondamentalement éloigné de la vie de ceux qui consomment ces reportages d’actualité. Comme la seule rencontre de la famille avec la Palestine est médiatisée par le langage de la télévision, elle ne leur paraît pas plus "réelle" que les feuilletons et les comédies qui constituent le reste de la grille. Cela donne au public français l’impression que les conflits qui se déroulent à l’étranger sont quelque chose qu’il faut ignorer parce qu’ils n’ont rien à voir avec leur vie quotidienne (comme dans le cas de la famille française susmentionnée). D’autre part, la présentation du conflit sous cet angle permet aux Occidentaux de projeter leurs propres récits sur ces images, comme cela a été le cas lorsque Godard et Gorin ont commencé à faire un film sur la lutte héroïque d’un groupe de révolutionnaires palestiniens contre l’oppression sans avoir pleinement saisi l’ampleur des forces qui s’opposaient à eux, comme le suggère l’autocritique implacable du film.

Si la télévision, avec ses méthodes de communication à sens unique et son mode d’adresse facilement consommable, est considérée comme un outil idéologique qui cimente l’hégémonie de l’État français et émousse les capacités perceptives des téléspectateurs, le mélangeur vidéo est considéré comme un outil de résistance contre la tyrannie de la radiodiffusion grand public. Le mélangeur vidéo offre un moyen d’aiguiser les capacités critiques du cinéaste — et, par extension, du spectateur — en permettant d’interrompre le flux continu d’images et de les soumettre à un examen minutieux et à un recadrage perceptif. Comme l’a dit un jour Godard, à propos de son travail post-soixante-huitard, "[n]otre tâche, en tant que révolutionnaires dans le domaine des médias anti-impérialistes, est de résister de tout notre pouvoir dans ce domaine, et de nous libérer de la chaîne d’images que nous impose l’idéologie impérialiste à travers ses divers appareils : journaux - radio-télévision, cinéma, livres, etc. (cité dans Habashneh, 117). Les flux homogénéisants d’images électroniques perpétués par les médias dominants sont donc perturbés par le déplacement des images hors de leurs contextes conventionnels et leur réinsertion dans de nouveaux liens relationnels expérimentaux.

Godard et Miéville expérimentent des stratégies de liaison entre les images au-delà de leur combinaison par le mélangeur vidéo. Dans une séquence, par exemple, quatre moniteurs de télévision sont alignés dans l’espace à l’intérieur de la même composition, chacun transmettant un flux d’images différent : en haut à gauche, le logo statique d’une station de télévision appelée #3 ; en haut à droite, l’alternance d’images d’un présentateur de journaux télévisés donnant une allocution (le clip est en sourdine) et d’une carte fixe d’Israël ; en bas à gauche, un match de football ; et en bas à droite, de brefs éclairs d’images des victimes du mouvement de résistance palestinien. La multiplication des écrans de télévision dans cette séquence, combinée à la cacophonie désharmonieuse du bruit, crée un effet inconfortable et cacophonique, loin du flux d’images lisse et facilement consommable qui caractérise la télévision radiodiffusée. Comme l’affirme Jihoon Kim, à une époque où les télécommunications se développent rapidement, il est devenu "plus crucial dans la pratique du montage de saisir le flux continu d’images et de pénétrer leurs paramètres verticaux (le synchronisme des images ou de l’image et du son) que [...] pour créer un couplage horizontal de deux images" (Kim 2008, 5). Dans cette séquence (capturée en un seul plan d’une durée de deux minutes), Godard et Miéville imitent la surabondance d’images électroniques qui menace d’endormir les sens du spectateur face à l’énormité des atrocités commises à l’étranger — une condition qui, selon le projet, fait partie intégrante d’une culture visuelle dominée par la vidéo et constitue un outil pour manipuler la population et la rendre complaisante — tout en déstabilisant ses capacités de réaction, tout en déstabilisant leurs habitudes visuelles naturelles, en leur demandant d’effectuer un travail perceptif actif pour localiser les points de liaison et de contraste entre les flux incessants d’images électroniques.

En combinant le montage vidéographique, une interrogation sur l’appareil médiatique et une exploration autoréflexive de leur propre position d’auteur dans le paysage audiovisuel plus large, Godard et Miéville poursuivent une ligne de critique formelle ouverte à l’innovation cinématographique et envisagent la manière dont le cinéma peut conserver son pouvoir et sa vitalité alors qu’il subit des transformations technologiques. Le double traitement de l’écran électronique dans Ici et ailleurs reflète l’évolution du statut culturel de la technologie vidéo au milieu des années 1970. Alors que la télévision est considérée comme un dispositif de diffusion de contenu à sens unique qui incite les spectateurs à la passivité, le moniteur du mélangeur vidéo interactif est considéré comme une toile sur laquelle des matériaux audiovisuels variés (séquences originales, émissions de télévision, fragments de films classiques convertis au format vidéo) sont passés au crible, comparés et juxtaposés à des fins d’étude.

Ouvrages cités

Brody, R. (2008). Tout est cinéma : la vie professionnelle de Jean-Luc Godard. Faber & Faber.
Deleuze, G. (2013) [1985]. Cinéma II : L’image-temps. Bloomsbury Academic.
Dubois, P. (1992). "La vidéo pense ce que le cinéma crée : Notes sur le travail de Jean-Luc Godard en vidéo et télévision". In Jean-Luc Godard : Son + Image 1974-1991. Edité par Bellour, R. et Bandy, M. L. Museum of Modern Art. pp.168-185.
Emmelhainz, I. (2009). "Du tiers-mondisme à l’empire : Jean-Luc Godard et la question palestinienne". Third Text 23 (5), 649-656.
Habashneh, K. (2023). Knights of Cinema : The Story of the Palestine Film Unit. Traduit par Fattaleh, N. Palgrave Macmillan.
Kim, J. (2018). "La vidéo, le cinéma et le post-cinéma : On Jean-Luc Godard’s Histoire(s) du Cinéma." Journal of Film and Video 70 (2), 3-20.
Warner, R. "The Cinematic Essay as Adaptive Process". Adaptation 6(1), 1-24.
Williams, R. (1990). Television : Technology and Cultural Form Londres. Routledge.
Witt, M. (2018) [1998]. "Introduction à "Sur la communication : L’œuvre d’Anne-Marie Miéville et de Jean-Luc Godard comme Sonimage de 1973 à 1979". La Furia Umana.

James Slaymaker

James Slaymaker est journaliste, chercheur et cinéaste. Ses articles ont été publiés dans Senses of Cinema, Bright Lights Film Journal, MUBI Notebook, Little White Lies, McSweeney’s, Kinoscope, The Interactive Film and Media Journal, etc. Son premier livre est Time Is Luck : The Life and Cinema of Michael Mann (Telos Publishing, 2022). Ses films ont été présentés sur Fandor, MUBI et The Film Stage, et ont été projetés au London DIY Film Festival, au Concrete Dream Film Festival, au InShort Film Festival et au Straight Jacket Film Festival. Il est titulaire d’un doctorat de l’université de Southampton, où ses recherches ont porté sur la technologie numérique, le film d’essai et la mémoire collective. Il est actuellement en train d’en faire une monographie.

brightlightsfilm.com

Documents sur JLG, Ici et ailleurs et la « question juive »

Serge Daney, Le thérrorisé (pédagogie godardienne) (Cahiers du Cinéma, n° 262-263, janvier 1976)

Hejer Charf, Anne-Marie Miéville et Jean-Luc Godard repensent les images de la lutte palestinienne (2021)

André Habib, Notes (lointaines) sur Ici et ailleurs (2009)

Jean-Luc Douin , Godard et la question juive (2009)

Bernard-Henri Lévy, Godard est-il antisémite ? Pièces et documents inédits autour de quatre films inaboutis (2010)

Vincent Jacques, Godard et son langage (2015) (Georges Didi-Huberman, Passés cités par JLG. L’œil de l’histoire 5, Paris, Les Éditions de Minuit, 2015)

Martin Rass, Des idées et du gaz (2017)

Mort de Jean-Luc Godard : avec Elias Sanbar, l’étrange odyssée palestinienne de 1970 (2022)

Cinéaste d’avant-garde, Jean-Luc Godard était une figure polarisante pour les Juifs en dehors de l’écran (14-09-2022)

Bertrand Bacqué, Deleuze, Rancière et le montage : le cas Godard


[1Le film a été réédité dans le coffret DVD « Jean-Luc Godard politique », Gaumont, 2012.

[2Je rappelle ce qu’écrivait, en 2000, Marcelin Pleynet, dans « Poésie et Révolution » :

« En cette fin de siècle, je crois que la grande terrorisation, c’est la technique (avec Hiroschima et Nagasaki, on ne peut pas produire plus terrorisant du point de vue de la technique) c’est-à-dire aussi et par voie de conséquence de la liberté que la technique peut apporter. Ces religions et ces formes de contraintes, cette diffusion implicite de la terreur va être de plus en plus forte en fonction du développement de la mondialisation par exemple. On a besoin de moins de terrorisation pour gouverner une petite nation que pour gouverner toute l’Europe. Un appareil est commis à cette fin et fonctionne tous les jours dans les foyers, la télévision, elle gère pratiquement la planète avec, à la clé, comme mode de sublimation et comme aveuglement, une marchandise, un culte de l’image délibérément oblitéré puisque tout finalement est vécu comme image et transformé en produit de consommation : en marchandise. »

Cf. La puissance cachée de la technique à l’âge atomique.

[3« Septembre noir » désigne le massacre de milliers de Palestiniens dirigés par l’OLP de Yasser Arafat par le Royaume de Jordanie en septembre 1970. Il est en cela révélateur de conflits inter-arabes et, on l’oublie souvent, encore aujourd’hui, de l’abandon par les États arabes de la « cause palestinienne ». A.G.

[4El-Moudjahid est en fait une publication algérienne. A.G.

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