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Apollinaire, le meilleur ami de Picasso

Philippe Sollers, Marcelin Pleynet

D 29 août 2023     A par Albert Gauvin - C 7 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Seuls renouvellent le monde ceux qui sont fondés en poésie. »

Guillaume Apollinaire.

« Tenez, Apollinaire, il ne connaissait rien à la peinture, pourtant il aimait la vraie. Les poètes, souvent, ils devinent. »

Pablo Picasso.


Anonyme, Portrait de Guillaume Apollinaire au chapeau melon, Cologne 1902.
Tirage non daté. Musée national Picasso-Paris. Dation Dora Maar 1998.
Photo A.G., 20-01-16. Zoom : cliquez l’image.
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« De l’eau a coulé sous le pont Mirabeau depuis la disparition de Guillaume Apollinaire. Et nous aurions pu patienter quelques années supplémentaires pour fêter, en 2018, le centenaire de sa mort. Mais il nous semble plus opportun de célébrer, comme il se doit, ce 29 septembre 2013 car cela correspond très précisément à son entrée dans le domaine public. Avec l’entrée dans le domaine public, l’extinction des droits de reproduction et de représentation va permettre à tout un chacun de citer, copier, diffuser et adapter l’œuvre d’Apollinaire. » Libération, 29 septembre 2013.

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« Au commencement de l’aventure, Apollinaire est là. »

Philippe Sollers, Picasso, le héros.

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Apollinaire dans l’atelier de Picasso, automne 1910.
 

Le meilleur ami de Picasso

par Philippe Sollers

Quand ils se rencontrent pour la première fois à Paris, en 1905, dans un bar anglais du quartier Saint-Lazare, Picasso a vingt-trois ans et Guillaume Apollinaire vingt-quatre. Max Jacob est le troisième homme de cette amitié, dont tout indique qu’elle a été immédiate et intense. Toute sa vie, Picasso pensera et travaillera autour de la figure légendaire d’Apollinaire qui disparaît, en 1918, à trente-huit ans, des suites de sa blessure de guerre. Paris, on ne le dira jamais assez, a été cette ville incroyable, « cité sainte, assise à l’Occident » (Rimbaud), où l’essentiel de la création du XXe siècle s’est produit, non sans batailles, défaites, régressions et, parfois, avancées fulgurantes. Le minutieux et magnifique livre de Peter Read nous raconte et nous montre cette épopée de mots, de peintures, de dessins, de sculptures [1]. Où l’on s’aperçoit qu’un art de la liberté, pour s’imposer, doit savoir résister d’abord à toutes les falsifications du conformisme, aux mensonges comme aux lâchetés.

L’atelier de Picasso à cette époque ? Apollinaire le décrit :

Des idoles océaniennes et africaines, des pièces anatomiques, des instruments de musique, des flacons et beaucoup de poussière.

Ce jeune Espagnol, là, en bleu d’ouvrier électricien, fait découvrir ses tableaux à la lumière d’une bougie. C’est la nouvelle caverne de l’Histoire. Il est né à Malaga et arrive de Barcelone, ce destructeur-recompositeur, il pense que si Cézanne avait vécu en Espagne, on l’aurait brûlé.

Mais le moment est venu d’aller plus loin, de prendre des risques, de redéfinir les corps, l’espace, le temps. Ça tombe bien : le jeune poète, lui, vient de Rome et de Monaco, il veut poursuivre l’ouverture du rythme inédit noté par Rimbaud. Max Jacob sur Apollinaire :

Il tournait, rôdait, regardait, riait, révélait les détails des siècles passés, les poches pleines de papiers qui lui enflaient les hanches, riait encore, s’effrayait.


Picasso, Portrait de Guillaume Apollinaire, [La-Rue-des-Bois], août 1908.
Moitié supérieure. Fusain sur papier. Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso 1979.
Moitié inférieure. Fusain sur papier. Musée national Picasso-Paris. Don Maya Widmaier-Picasso 2014.
Photo A.G., 20-01-16. Zoom : cliquez l’image.
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Voilà, c’est l’enthousiasme. Soudain, tout est gaieté, humour, trouvaille profonde, désir ! « Bonjour, mon cher ami Guillaume, écrit Picasso, je t’embrasse et précisément sur ton nombril. » Non, la poésie, les surfaces, les lignes, les couleurs ne sont pas maudites, elles peuvent maîtriser l’abîme, la mélancolie, la folie. La morbidité est rejetée, l’érotisme s’affirme. Picasso caricature allégrement son ami en duelliste, en marin, en académicien, en pape. Il se représente avec lui en train de trinquer. Ils sont tous deux habités par le continent noir, ses têtes et ses masques qui sont autant de défis au puritanisme ambiant. Apollinaire appelle Picasso « l’oiseau du Bénin ». Ils savent bien, ces deux-là, qu’ils sont les messagers du destin :

C’était un temps béni nous étions sur les plages
Va-t-en de bon matin pieds nus et sans chapeau
Et vite comme va la langue d’un crapaud
L’amour blessait au coeur les fous comme les sages.

Telle est la percée "cubiste", mise en question radicale de la façon de vivre et de percevoir. Apollinaire est en première ligne, il compare Picasso à Michel-Ange. Il écrit :

Et aujourd’hui toute ombre a disparu. Le dernier cri de Goethe mourant : "Plus de lumière", monte de l’oeuvre sublime d’un Picasso comme il monte encore de l’oeuvre de Rembrandt.

Et encore :

Tout l’enchante (...), le délicieux et l’horrible, l’abject et le délicat.

On conçoit que cette apologie de la « quatrième dimension » venue de « l’infini » ne soit pas du goût de tout le monde. Au fond, la guerre n’a lieu que pour l’étouffer. Première guerre : Apollinaire va y laisser la vie, et Picasso devra, seul, continuer cette vision grandiose d’une Renaissance, dont l’auteur d’Alcools et de Calligrammes avait énoncé la trame :

Qu’y a-t-il encore aujourd’hui de plus moderne, de plus dépouillé, de plus lourd de richesses que Pascal ? Tu le goûtes, je crois, et avec raison.

Picasso en amateur de Pascal ? On n’a pas l’habitude de l’imaginer ainsi. Cela aurait bien étonné les fantômes décomposés des années 20 (le monde dont Proust décrit le naufrage) qui ne voyaient dans cette tentative qu’un mélange de « métèques, cubistes, bolchevistes, dadaïstes et autres sortes de boches » (Rachilde). Il est vrai que Les Mamelles de Tirésias ou Les Onze Mille Verges ne sont pas précisément des lectures de réconciliation nationale. Picasso exagère avec ses déformations érigées. Son ami poète, heureusement, est mort. Cela lui apprendra, malgré son patriotisme, à avoir osé dire que « tout ce qui touche à la sexualité a une importance de premier ordre ».

Et voici le surréalisme. Le mot, en 1917, a été inventé par Apollinaire :

J’ai pensé qu’il fallait revenir à la nature même, mais sans l’imiter à la manière des photographes. Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir.

Picasso, lui, développe de plus en plus, tout en restant, quand il le veut, impeccablement "classique", ses sphères, ses figures enchevêtrées, ses cascades de plans, ses sculptures en fil de fer. On n’avait jamais pensé que les choses pourraient être ainsi, d’un seul coup, ensemble. Aussi est-il passionnant de suivre Peter Read dans son récit de l’affaire du monument funéraire à Apollinaire.

Un Picasso au Père-Lachaise ? Pourquoi pas ? Mais voilà, le "comité" qui se charge de la commande ne digère pas les audaces de Picasso. Ce dernier n’est pas bien vu dans les cimetières. Contrairement aux "amis" d’Apollinaire, donc, qui ne demanderaient pas mieux que de l’enterrer à l’ancienne, Picasso va faire vivre la mort de son ami dans une création continuée. Apollinaire, qui avait rêvé, dans Le Poète assassiné, d’une « profonde statue en rien, comme la poésie et comme la gloire », va se profiler dans les inventions les plus aiguës de son camarade de jeunesse. Picasso dira avec humour :

Il semble qu’aujourd’hui on craigne la représentation des grands hommes dans nos villes.

Et c’est ainsi, après mille péripéties, qu’une tête sculptée de Dora Maar, en 1959, prendra place, en hommage à Apollinaire, dans le square Saint-Germain-des-Prés. Il y a eu une deuxième guerre, encore plus dévastatrice. Cocteau inaugure le monument. Breton proteste. La politique s’en mêle, comme toujours en France.


Picasso, Portrait de Dora Maar, 1959, bronze.
Square Laurent Prache, Paris.
Sur le côté gauche, on lit : « ce bronze oeuvre de Pablo Picasso
est dédié par lui à son ami Guillaume Apollinaire 1959 ».

Photo A.G., 13 octobre 2013. Zoom : cliquez l’image.
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En retrait, Picasso est toujours là, obstiné, fidèle. Le 8 avril 1973, il a plus de quatre-vingt-onze ans : il est, à la stupeur générale, en pleine activité. Cette fois, pourtant, c’est la fin. L’un de ses biographes raconte :

Il ne soupçonnait nullement qu’il allait mourir : parfois il se laissait aller, se parlait calmement à lui-même, et le médecin l’entendit souvent parler d’Apollinaire.

C’est ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées. Comme quoi on ne se débarrasse pas si facilement du mystérieux " Musicien de Saint-Merry " :

J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas
Ils passent devant moi et s’accumulent au loin
Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu
Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien
Je ne chante pas ce monde ni les autres astres
Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres
Je chante la joie d’errer et le plaisir d’en mourir.

Philippe Sollers, Le Monde des livres du 29.12.95.
Éloge de l’infini, folio 3806, p. 505-509.

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Carte de Picasso à Apollinaire.
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Picasso, illustrations pour Les Mamelles de Tirésias, 1946.
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Musée d’art moderne de la ville de Paris,
17 février 2011
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Le livre de Marcelin Pleynet Comme la poésie la peinture s’ouvre avec un texte sur Apollinaire... L’exergue du livre est de Nietzsche.

« Aujourd’hui, ce n’est plus la théorie qui pense l’art mais l’art qui comprend la théorie comme fiction. »

Nietzsche


Carte d’identité.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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Apollinaire illégitime
« La lettre volée »

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par Marcelin Pleynet

« Seuls renouvellent le monde ceux qui sont fondés en poésie. »

Apollinaire

Apollinaire, qu’est-ce à dire ? Que savez-vous d’Apollinaire ?

Il m’a toujours semblé que les héritiers et les amis d’Apollinaire avaient réussi le « mauvais coup » dont Cézanne soupçonnait ceux qui prétendaient s’intéresser à sa peinture. Je n’en veux pour preuve que les débats et tractations qui aboutissent à refuser, en 1924, puis en 1950, tous les projets de sculptures que Picasso proposa pour la tombe de son ami. C’est finalement un des artistes les plus médiocres du voisinage, un certain Serge Ferat, qui réalisera le monument. Pourquoi lui ? Quel rôle jouèrent effectivement Jacqueline Kolb (qu’Apollinaire épousa en mai 1918, sept mois avant de mourir) et les amis du poète dans cette mauvaise affaire [2] ?

Apollinaire aujourd’hui. Quatre volumes et un « Album » dans la « Bibliothèque de la Pléiade », qui n’a toujours pas publié la correspondance et notamment les Lettres à Lou, d’où sont extraits les poèmes qui figurent dans le tome I des Oeuvres complètes de la « Bibliothèque de la Pléiade », à partir d’une charcuterie poétique dont les éditeurs semblent ne s’être jamais demandé jusqu’à quel point elle dénaturait du tout au tout lesdits « Poèmes à Lou ». Pourquoi cette curieuse attitude vis-à-vis d’un poète dont on publie et commente par ailleurs la moindre notule journalistique ?

Il faut relire les Lettres à Lou, qui ne figurent pas dans les Oeuvres complètes, mais que l’on peut trouver dans la collection « L’Imaginaire » aux éditions Gallimard, et se demander quelle sorte de puritanisme poétique s’est employée à gérer l’oeuvre d’Apollinaire. Un puritanisme qui fera école (pour ne pas dire loi) dans l’histoire de la poésie du XXe siècle, et qui, n’en doutons pas, est à l’origine d’un grand nombre de jugements sur l’oeuvre d’Apollinaire.

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Guillaume Apollinaire, calligramme,
extrait du poème du 9 février 1915, (poèmes à Lou).

Apollinaire et les femmes... Importance des Lettres à Lou, si l’on veut clarifier ce qui se joue dans l’oeuvre et dans la biographie du poète : pas clair, mais justement... Apollinaire et les femmes : Annie Playden (1901-1904) l’écarte et part finalement pour l’Amérique. Marie Laurencin (une invention de Picasso ?), 1907, elle le quitte en 1912. Louise de Coligny-Châtillon, 1914, « Lou », ils passent une semaine ensemble et elle le quitte. Imposante et importante correspondance. Ils continueront à s’écrire jusqu’en 1916. Épisode de Madeleine Pagès, en 1915, il entretient encore une correspondance avec Louise de Coligny. Il abandonne Madeleine peu après avoir été blessé à la guerre, en 1916. 2 mai 1918, mariage avec Jacqueline Kolb. Apollinaire meurt sept mois plus tard. Les spécialistes nous disent que « la femme du poète » « sut veiller avec un soin vigilant sur son patrimoine artistique et intellectuel ». Est-ce en refusant l’hommage que Picasso (sans doute toujours trop « sulfureux » — trop vrai — aux yeux de « la femme du poète » et de ses amis) voulait rendre à Apollinaire ?

Marie Laurencin à Claude Mauriac en 1946 :

« Picasso est le seul homme dont on puisse dire qu’il ait influencé Apollinaire. »

Éditions. Dans la collection « Poésie / Gallimard », L’Enchanteur pourrissant, qui date de 1909, est publié dans le même volume que Les Mamelles de Tirésias.

En présentant Les Mamelles de Tirésias (« drame surréaliste, en deux actes et un prologue »), Apollinaire écrivait en 1917 :

« Sans réclamer d’indulgence, je fais remarquer que ceci est une oeuvre de jeunesse, car sauf le Prologue et la dernière scène du deuxième acte qui sont de 1916, cet ouvrage a été fait en 1903. »

Ce qui semble douteux, si l’on en croit l’éditeur, Michel Décaudin, qui note à juste titre que la représentation des Mamelles... fut « un grand événement de l’avant-garde de 1917 ». Mais alors pourquoi publier cette pièce dans le même volume que L’Enchanteur... et Couleur du temps ?

Apollinaire et Picasso ? Picasso, éclairage indispensable à l’oeuvre d’Apollinaire. D’un autre point de vue, ne pas oublier les rencontres d’Apollinaire avec Breton, si l’on veut comprendre ce qu’il en est de l’aventure (et des mésaventures) de la poésie en ce début du XXe siècle.
Rien de bien clair sur tout cela et sur ce qui se présente au nom d’Apollinaire dans les histoires de la littérature.

*


Apollinaire et Picasso

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Lettre de Picasso à Apollinaire, 1915.

Sur quoi Apollinaire et Picasso se rencontrent-ils ? Max Jacob, lui-même grand marcheur devant l’Éternel, rapporte :

« Apollinaire nous entraîna dans son éternelle ronde, sa ronde d’un trottoir à l’autre, dans tous les arrondissements de Paris, à toutes les heures. Il tournait, rôdait, regardait, riait, révélait des détails sur les siècles passés, les poches pleines de papiers qui lui enflaient les hanches, riait encore... »

Lorsque Apollinaire arrive à Paris, il a dix-neuf ans. C’est, à quelques mois près, à cet âge que Picasso vient, de Barcelone, à Paris pour visiter l’Exposition universelle de 1900 où un de ses tableaux figure dans la section espagnole.

Mais la famille Kostrowitzky (faut-il préciser que c’est le patronyme d’Apollinaire ?), entraînée par une mère qui semble-t-il est d’abord une aventurière, n’a rien de commun avec la famille Ruiz (faut-il préciser que c’est le patronyme de Picasso ?).

Lorsque Apollinaire et Picasso se rencontrent, en 1905, le poète ne peut pas ne pas être pourvu d’une aura romanesque. Né d’une mère polonaise (fille d’un émigré qui, installé à Rome, obtint, fin 1866, la charge de camérier d’honneur de cape et d’épée à la cour papale) et d’un père noble (mais qui ne le reconnaîtra pas), François Flugi d’Aspermont, ancien officier d’état-major du roi des Deux-Siciles, le jeune Apollinaire, après diverses pérégrinations en Italie, passera son enfance à Monaco où sa mère est une assidue du casino. Inscrit au collège Saint-Charles, Apollinaire reçoit une éducation religieuse. Il fait sa première communion le 8 mai 1892, il est secrétaire de la Congrégation de l’Immaculée Conception. Apollinaire, son frère et sa mère vivent à Monaco jusqu’en 1898. À cette date, la famille quitte Monaco, et toujours entraînés dans le sillage de leur mère, les deux garçons séjournent à Aix-les-Bains, Lyon, Paris qu’ils quitteront en juillet 1899 (Mme de Kostrowitzky ayant décidé de tenter fortune au casino de Spa) pour y revenir sans argent quatre mois plus tard.

Lorsque, en 1905, Apollinaire rencontre Picasso, il a vécu (et quelle vie !) à Rome, Monaco, puis, jeune homme, en Allemagne, à Berlin, Dresde, Prague, Vienne, Munich, Londres, Paris...

On ne connaît pas alors, dans l’immédiat entourage de Picasso, qui que ce soit qui dispose d’une semblable expérience vécue avec une force et une passion dont tout laisse supposer qu’elles sont aussi actives que désinvoltes et riches de conséquences [3].

Entre autres par sa collaboration régulière, pendant près d’un an, à La Revue Blanche, à La Plume (où il se lie avec Alfred Jarry, en 1903), au Festin d’Ésope qu’il a lui-même fondé, Apollinaire est déjà familier des milieux littéraires et artistiques parisiens, et extrêmement actif.

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Apollinaire en employé de banque, 1905.

Apollinaire et Picasso se rencontrent à Paris. Une ville dont l’un et l’autre attendent beaucoup et où ils trouvent ce qu’ils en attendent. Le Paris d’Apollinaire, comme on l’a vu, est très ouvert sur le reste du monde. Cette ouverture est sensible dans l’ensemble de son oeuvre, mais elle témoigne sans doute de son expression la plus accomplie (et la plus proche de ce qui occupe Picasso) dans Le Poète assassiné où Apollinaire, s’identifiant en quelque sorte à un de ses personnages, l’ingénieur hollandais Van der Vissen, écrit :

« Son établissement à Paris avait été le but de sa vie. Il pensait que les plaisirs que l’on y trouve sont supérieurs à ceux qui s’offrent aux voluptueux sur les autres parties du globe. »

On songe à la réflexion de Baudelaire : « La Révolution a été faite par des voluptueux. [4] » N’est-ce pas en voluptueux que Picasso « révolutionne » la peinture ? Il déclare alors :

« Si Cézanne avait peint en Espagne, on l’aurait brûlé. »

Apollinaire, sans avoir lu cette note de Baudelaire, encore inédite à l’époque, affirme de son côté :

« Seuls renouvellent le monde ceux qui sont fondés en poésie. »

Comment Picasso (qui avec humour, mais non moins significativement, a écrit sur la porte de son atelier : « Au rendez-vous des poètes »), comment Picasso aurait-il jamais pu oublier une telle déclaration ?

Dès le premier texte qu’Apollinaire publie sur Picasso, « Picasso peintre et dessinateur », dans La Revue immoraliste du mois d’avril 1905, il prend le contre-pied d’un des plus éminents critiques de l’époque, Charles Morice. Charles Morice qui, en 1902, à propos de l’exposition de Picasso à la galerie Berthe Weill, avait écrit, dans le Mercure de France, un article où il déclarait :

« Elle est extra-ordinaire, la tristesse stérile qui pèse sur l’oeuvre entière de ce très jeune homme. [...] Picasso semble avoir reçu la mission d’exprimer avec ses pinceaux tout ce qui est. On dirait un jeune dieu sombre, sans sourire. Son monde ne serait pas plus habitable que ses maisons lépreuses. Et sa peinture elle-même est malade. Incurablement ? Je ne sais, mais à coup sûr il y a là une force, un don, un talent. Tel dessin — une femme nue accroupie — donne la sensation d’une merveille presque accomplie. [...] Faut-il au bout du compte souhaiter que cette peinture guérisse ? Ne serait-il pas destiné, cet enfant d’une précocité effrayante, à donner la consécration du chef-d’oeuvre au sens négatif de vivre, à ce mal dont plus que pas un autre il souffre ? »

On imagine le sentiment de Picasso à la lecture d’un éloge de sa « tristesse stérile » ! Charles Morice est un personnage actif, influent et informé, très proche de Gauguin. N’offre-t-il pas alors une édition de Noa Noa à Picasso ?

La rectification critique d’Apollinaire est donc d’importance et elle ne peut pas ne pas être née d’une intelligence vive et spontanée entre le peintre et le poète. Voire d’une suggestion de Picasso. Qu’en est-il en effet du rapport qu’Apollinaire entretenait avec la peinture moderne en 1905 ? Il notera dans son Journal intime, à la date du 5 mars 1907, à la suite d’une visite au Louvre :

« Je ne veux plus parler de peinture, je n’y entends rien... »

Pourtant le premier article qu’Apollinaire publie sur Picasso témoigne d’une vigilance critique et d’une intelligence qui éclairent très efficacement la perspective dans laquelle s’inscrit aussi bien l’oeuvre du poète que celle du peintre. L’ouverture de l’article a-t-elle été suggérée par Picasso ? C’est vraisemblable, cela ne témoigne de toute façon que de l’immédiate complicité qui associe les deux hommes.

Apollinaire écrit donc, en revenant sur le jugement de Charles Morice :

« On a dit de Picasso que ses oeuvres témoignaient d’un désenchantement précoce. Je pense le contraire [c’est moi qui souligne. M.P.]. Tout l’enchante et son talent incontestable me paraît au service d’une fantaisie qui mêle justement le délicieux et l’horrible, l’abject et le délicat [...] et si Picasso est peu religieux (ce que je pense) il a dû réserver, je gage, un culte de dulie raffiné envers sainte Thérèse ou saint Isidore. À Rome, au moment du Carnaval, il y a des masques (Arlequin, Colombine, ou cuoca francese) qui le matin, après une orgie terminée parfois par un meurtre, vont à Saint-Pierre baiser l’orteil usé de la statue du prince des apôtres. Voilà des êtres qui enchanteraient Picasso. »

En 1905, Picasso en finit avec le deuil de Casagemas (peintre qui accompagne Picasso lors de son premier séjour à Paris en 1900, et se suicide spectaculairement l’année suivante) [5].

Apollinaire n’a rien de commun avec Casagemas : il n’est pas peintre, il n’est pas espagnol. Mais il a bien d’autres points communs avec Picasso. On l’oublie trop souvent, ils sont l’un et l’autre étrangers. Sur la feuille de renseignements militaires, lors de son engagement dans l’armée française, Guillaume Apollinaire Kostrowitzky est donné comme de nationalité russe (polonais). Il ne sera, sur sa demande, naturalisé français que le 9 mars 1916.
Picasso n’envisagera jamais sa naturalisation [6].

Les deux hommes partagent également, quoique diversement, un état d’esprit et une liberté de penser singulièrement beaucoup moins rares au début du XXe qu’au début du XXIe siècle.

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Apollinaire à la prison de la Santé (septembre 1911).
Documents.

À La Corogne aussi bien qu’à Barcelone, Picasso et sa famille fréquentent les milieux anarchistes, que le peintre retrouvera dans la colonie d’artistes espagnols vivant à Paris. Apollinaire n’est, lui non plus, pas étranger aux milieux libertaires et anarchistes : liens avec les frères Natanson, propriétaires de La Revue Blanche, et Félix Fénéon... voire fréquentation de Géry Piéret qui vole au Louvre les trois têtes ibériques qui vaudront à Apollinaire un séjour à la prison de la Santé.

Ce qui ne signifie pas qu’Apollinaire et Picasso aient été anarchistes, mais que leur mode de vie et de penser pouvait envisager et se prêter à de semblables complicités.

Il faut aussi tenir compte du partage des cultures, classiques et modernes, qui s’établit intelligemment entre le peintre et le poète. Apollinaire fait entre autres découvrir Rabelais, Pascal, Sade, Rimbaud... à Picasso. Ils auront un moment le projet de traduire ensemble une nouvelle de Cervantès.

Max Jacob rapporte :

« Nos opinions littéraires se résumaient dans ces mots si importants à l’époque : À bas Laforgue ! Vive Rimbaud ! »

Mais que sait-on vraiment de ce qui se joue, en ce début de siècle, de l’histoire de la pensée moderne ? Cette histoire a tout entière été écrite par des historiens essentiellement occupés à justifier les idéologies du XIXe siècle.
Qui se souvient que pour l’essentiel le débat passe alors par la revue des frères Natanson, La Revue Blanche, où Félix Fénéon occupe une place centrale ? Félix Fénéon qui fut, il ne faut pas se lasser de le répéter, le premier éditeur des Illuminations de Rimbaud.

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La Revue Blanche du 1er mars 1903.
Apollinaire, Verharen, Jarry.

La Revue Blanche prend l’initiative des premières représentations de l’Ubu de Jarry, régulièrement publié dans nombre de numéros. Elle publiera également Verlaine, Mallarmé, un des premiers textes de Proust (« Contre l’obscurité »), Léon Blum, Tristan Bernard, Barrès, Péguy, Benda, Dostoïevski, pour la première fois en France Nietzsche, Claudel, en 1895 un grand éloge de Cézanne par Thadée Natanson, dès 1901 un éloge de Picasso : « tout sujet l’énamoure et tout lui est sujet »...

On peut se demander si l’engagement sans équivoque de La Revue Blanche, lors de l’affaire Dreyfus, ne fut pas à l’origine de sa disparition, en 1903. On sait que Dreyfus n’a été réhabilité qu’en 1906.

Si on a suivi la carrière de La Revue Blanche, on est moins surpris de voir Apollinaire associer les noms de Jacques Copeau, de Claudel et de Félix Fénéon dans un des épisodes (« Arthur roi passé, roi futur ») du Poète assassiné. Apollinaire proche de Picasso, et qui peut écrire, en janvier 1910 : « Personne ne fait penser à Pascal comme Cézanne. » Pascal qui fut alors aussi bien une lecture de Picasso qu’une lecture de Matisse.

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La poésie d’Apollinaire

Apollinaire publie Alcools en avril 1913.

Légitimité d’Apollinaire. Apollinaire et Picasso, lorsqu’ils se rencontrent à Paris, sont l’un et l’autre étrangers, mais encore une fois selon des modes de légitimité fort différents et fort différemment vécus. Picasso ne songera jamais à s’engager dans l’armée française, ni vraisemblablement dans aucune autre armée.

Apollinaire ne connaît pas son père. Picasso connaît bien le sien, et sans doute même mieux que ce père ne se connaît lui-même.

Apollinaire abandonne le nom de sa mère, Kostrowitzky, pour signer son oeuvre du plus apollonien de ses prénoms.
Picasso abandonne le nom de son père, Ruiz, pour prendre celui de sa mère.

Picasso assume à lui seul toute l’« historialité » de l’Espagne.

Apollinaire, né à Rome d’une mère polonaise (alors russe), sera finalement naturalisé français.

Ce problème de légitimité occupera toujours Apollinaire, et notamment dès son premier livre, L’Enchanteur pourrissant (1909, pour la publication ; 1898, pour une grande partie de la rédaction). [...]

Marcelin Pleynet, Comme la poésie la peinture,
Éditions du Sandre / Éditions Marciana, 2010.

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Caricature de Picasso. Apollinaire, poète de mystification, mars 1967.
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En 1993, Pleynet avait déjà écrit un article dans Connaissance des arts à l’occasion de l’exposition « Apollinaire critique d’art », au Pavillon des Arts à Paris.

Apollinaire
Portrait du poète en critique

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par Marcelin Pleynet

« À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau de tes ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux ».

Cet extrait de « Zone », qui ouvre le plus célèbre volume de poésies d’Apollinaire, Alcools, témoigne aussi clairement que possible de la pensée poétique d’un des plus importants, si ce n’est du plus important, poètes français du XXe siècle.

La figure d’Apollinaire est en effet beaucoup plus complexe que ne permet de l’imaginer la mythologie avant-gardiste et moderniste qui s’en est emparée. La vie du poète qui, ne l’oublions pas, meurt à trente-huit ans, comporte il est vrai assez d’épisodes romanesques pour justifier l’image systématiquement insolite qu’on s’en fait aujourd’hui. Mais n’est-ce pas justement ce que l’oeuvre d’Apollinaire s’emploie à traiter en assumant déclarativement, dès l’ouverture de son premier volume de poésie, les expériences sensibles, esthétiques, les plus contemporaines, les plus modernes (la tour Eiffel, les hangars de Port-Aviation, l’automobile, les affiches, etc.), et la tradition chrétienne et catholique à laquelle il est intimement et, n’en doutons pas, affectivement, lié ?


Apollinaire, Pablo Picasso, poème-tableau paru dans la revue Sic, mai 1917.
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Il faut savoir que si Guillaume, Albert, Vladimir, Apollinaire de Kostrowitzky, né à Rome le 26 août 1880, et baptisé à l’église de San Vito le 29 septembre, est le fils naturel de François Flugi d’Aspermont et d’Angélique de Kostrowitzky, qui ne le reconnaîtra que le 2 novembre 1880, il est aussi, par sa mère, le petit-fils d’Apollinaire Kostrowitzky, camérier d’honneur de cape et d’épée à la cour papale dès 1868. On a beaucoup insisté sur les origines polonaises de la famille du poète, mais insuffisamment sur la personnalité de son grand-père maternel, qui ne fut certainement pas sans influence sur le caractère de l’enfant, sur ses ferveurs religieuses (à l’âge de quinze ans il est secrétaire de la Congrégation de l’Immaculée Conception) et, plus tardivement, sur les actions (en 1918, quelques mois avant de mourir, Apollinaire épousera religieusement Jacqueline Kolb à Saint-Thomas-d’Aquin) comme sur la pensée et la sensibilité de l’homme.

N’oublions pas que le nom sous lequel nous le connaissons aujourd’hui, ce pseudonyme qu’il choisit parmi ses quatre noms de baptême, Apollinaire, est aussi le prénom de son grand-père maternel.

Pour ne pas tenir compte de ce qui donne au caractère de l’écrivain sa complexité, la forme d’une pensée et d’une inspiration vraiment singulière, ses proches et ses amis parisiens ne comprendront pas toujours les motivations d’une œuvre qui par bien des aspects leur échappe. Les tout jeunes représentants des futures avant-gardes, Breton, Tzara, Soupault, Aragon, Reverdy, acceptent les tendances de « L’esprit nouveau », sans suivre clairement ce qu’il en est de l’attachement d’Apollinaire pour les valeurs traditionnelles : « L’ordre, le bon sens et l’expérience sont le point de départ », écrit-il en conclusion de sa conférence sur « L’esprit nouveau ». Conférence qui s’ouvre par une déclaration encore plus manifeste et aussi peu « dadaïste » que possible :

« L’esprit nouveau qui s’annonce prétend avant tout hériter des classiques un solide bon sens, un esprit critique assuré, des vues d’ensemble sur l’univers et dans l’âme humaine, et le sens du devoir qui dépouille les sentiments et en limite, ou plutôt en contient, les manifestations ».

À ne pas vouloir entendre que l’oeuvre témoigne aussi et explicitement d’une intelligence critique de son époque, elle se trouve versée au compte des turbulences de l’actualité et devient en partie incompréhensible.

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« A mon ami Guillaume Apollinaire », Picasso, 1916.

À travers l’humour dont témoignent les poèmes, les romans, le théâtre et les articles d’Apollinaire, se joue incontestablement une stratégie critique qui lui fera écrire à André Breton en 1916 :

« Je défends si âprement (même ce que je n’aime point) contre ce que je trouve une injustice, qu’il arrive souvent que l’on me croie très enthousiasmé d’une chose que je goûte médiocrement mais que l’on a attaquée mal à propos [7]. »

C’est pour ne pas suivre en effet la complexité d’une œuvre et d’une pensée que l’on réduit un peu trop facilement à un pur syncrétisme littéraire, que toute une partie de l’activité créatrice et critique d’Apollinaire échappe à ses contemporains et reste aujourd’hui encore peu connue. Qu’en est-il à présent objectivement de la querelle qui en 1914 oppose Robert Delaunay, qui veut se démarquer du cubisme, et Apollinaire, qui le considère comme « hérésiarque du cubisme » ? La vision d’Apollinaire dans ce cas ne fut-elle pas la plus juste [8] ? Qu’en fut-il de la mécompréhension des Mamelles de Tirésias et du reproche que l’on fit à Apollinaire de traiter de la reproduction de l’espèce comme d’une farce ? Les reproches viennent du groupe cubiste, mené par Juan Gris. Que faut-il entendre par là, si ce n’est chez ces peintres le confus sentiment qu’Apollinaire croit aux individualités avant de croire aux groupes et aux écoles, et que son activité est ainsi très activement critique ? Que faut-il retenir des réserves d’André Billy lors de la publication de Calligrammes en 1918, si ce n’est une réticence quant à la « vérité nouvelle » de l’oeuvre ? Que faut-il entendre des réserves d’Aragon sur l’inspiration guerrière des poèmes, si ce n’est une opacité critique qui ne tardera pas à conduire Aragon jusqu’à se tromper de guerre, en effet ?

Des proches et des amis parisiens d’Apollinaire, seul Picasso semble avoir effectivement entretenu avec le poète ce que je dirais une intelligence complice. Pas le moindre malentendu pictural ou poétique, entre eux l’essentiel, l’intelligence critique et créatrice, passe, ce qui permet à Picasso de déclarer tout à fait objectivement lors d’un entretien avec André Malraux :

« Tenez, Apollinaire, il ne connaissait rien à la peinture, pourtant il aimait la vraie. Les poètes, souvent, ils devinent [9]. »

« Moi, je n’ai pas la crainte de l’art et je n’ai aucun préjugé touchant la matière des peintures [10]. »

Cette déclaration qu’Apollinaire fait figurer dans les toutes premières pages de ses Méditations esthétiques sur Les Peintres cubistes, ne pourrait-on pas l’attribuer à Picasso ? C’est aussi qu’avec la peinture et la poésie, et au-delà de la peinture et de la poésie, beaucoup de choses, dès leur rencontre, rapprochent les deux hommes. Si Apollinaire rencontre Derain et Vlaminck lors d’une de ses promenades dominicales autour du Vésinet en 1904, ce n’est qu’à partir du moment où il a fait la connaissance de Picasso et après l’article qu’il consacre au peintre dans La revue immoraliste, qu’il s’intéresse plus manifestement à l’art contemporain et commence sa carrière de critique d’art. Comme l’écrivent Pierre Marcel Adéma et Maurice Décaudin :

« Avec Picasso, ce sera une sympathie immédiate et une communauté de recherches profonde [11]. »

Les deux hommes ont quasiment le même âge, Apollinaire est né en 1880, Picasso en 1881. Ils sont l’un et l’autre étrangers. L’Espagnol arrive pour la première fois à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Apollinaire, russo-polonais, ou italien-russe (comme l’indique sa carte d’identité), rejoint sa mère à Paris dans un meublé, 9, rue de Constantinople, en octobre 1899. Comme en témoigne un dessin de 1904 où Picasso s’est représenté contemplant Fernande Olivier endormie, le sentiment amoureux est alors chez chacun des deux jeunes gens lié à une effusion poétique. Apollinaire pourra écrire dans le premier article qu’il consacre à Picasso :

« Son naturalisme amoureux de précision se double de ce mysticisme qui en Espagne gît au fond des âmes les moins religieuses ».

Effusion poétique, naturalisme amoureux et fantaisie, vont réunir et déterminer ces deux caractères et ces deux oeuvres à un moment charnière de leur histoire, qui ne tardera pas à se confondre avec l’histoire de l’art et l’histoire de la littérature. En 1904 une déception amoureuse inspira à Apollinaire ce chef-d’oeuvre de la poésie du XXe siècle qu’est « La Chanson du mal aimé ».

par Mouloudji

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Le Salon d’automne de 1905 révèlera « la cage aux fauves » et celui qu’Apollinaire appellera « le fauve des fauves », Henri Matisse. À l’automne 1906 un événement intime, plus ou moins lié à la brouille qui le séparera, dans les mois qui suivent, de Fernande Olivier, conduit Picasso à réaliser un certain nombre de peintures comme préparant le style monumental des « Demoiselles d’Avignon ».

1907, Picasso a vingt-six ans, un savoir nouveau vient de naître :

« Point d’idéal, mais la vérité toujours nouvelle [12]. »

Critiques, amateurs et amis s’effraient. Apollinaire, comme il a suivi le Matisse fauve de La Femme au chapeau, Apollinaire, qui n’a pas « la crainte de l’art » et n’a « aucun préjugé touchant la matière de la peinture », note dans son Journal :

« Dîné chez Picasso, vu sa nouvelle peinture : couleurs égales, roses de chairs, de fleurs, etc., têtes de femmes pareilles et simples, têtes d’hommes aussi. Admirable langage que nulle littérature ne peut indiquer car nos mots sont faits d’avance [13]. »

La fabuleuse aventure du cubisme commence, Apollinaire peut écrire :

« Aucun peintre vivant n’a sans doute exercé une aussi grande influence que Picasso... »

— et avec une intelligence particulièrement subtile :

« La nouvelle école de peinture porte le nom de cubisme... les oeuvres les plus importantes et les plus audacieuses qu’elle produisit aussitôt furent celles d’un grand artiste que l’on doit considérer comme un fondateur : Pablo Picasso, dont les inventions [sont] corroborées par le bon sens de Georges Braque [14]. »

Dès lors le destin des deux oeuvres et des deux hommes est inséparable.

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Picasso, Portrait d’Apollinaire en frontispice d’Alcools.

En 1913 Alcools paraît au Mercure de France, avec en frontispice un portrait d’Apollinaire par Picasso [15]. Le 2 mai 1918, Picasso sera témoin au mariage d’Apollinaire et de Jacqueline. Le vendredi 12 juillet de la même année, Apollinaire sera témoin au mariage de Picasso et d’Olga. En janvier 1918, fidèle à son amour de la vraie peinture et lié à l’oeuvre des artistes qui s’imposent comme les deux plus grands peintres du XXe siècle, Apollinaire préface l’exposition « Matisse et Picasso » qu’organise la galerie Paul Guillaume. Nous savons, grâce à la correspondance qui vient d’être publiée, qu’Apollinaire et Picasso échangèrent au moins une lettre par mois entre 1905 et 1918 [16]. En 1928 Picasso réalise la maquette du Monument à Guillaume Apollinaire. En 1956 il offre, en hommage à Apollinaire, le Portrait de Dora Maar, la seule de ses sculptures qui se trouve aujourd’hui dans un espace public à Paris, près de l’église Saint-Germain-des-Prés.

Mais comment mesurer l’intelligence qui associe ces deux oeuvres et ces deux hommes, lorsque l’on sait que le 8 avril 1973, à quatre-vingt-onze ans, sur son lit de mort, le nom d’Apollinaire est une des dernières paroles de Picasso ?
Apollinaire a su ne pas se tromper en reconnaissant immédiatement les deux plus grands artistes de son siècle. Eux-mêmes ne s’y sont pas trompés. C’est avec cette certitude, c’est avec cette même certitude qu’il nous faut lire et relire, et découvrir Apollinaire poète et critique d’art, si nous voulons comprendre pourquoi, comme Picasso le dit :

« Au temps du Bateau-Lavoir les poètes devinaient. »

Marcelin Pleynet, Connaissance des arts, février 1993, n° 492.
Repris dans Essais et conférences, Beaux-arts de Paris les éditions, 2012, p. 91-99.

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Crédit : Marcelin Pleynet, Apollinaire illégitime (Comme la poésie la peinture, édition du Sandre, 2010) et site de Marcelin Pleynet.

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Pablo Picasso, Projet pour un monument à Guillaume Apollinaire


Pablo Picasso, Maquette en fil de fer, 1928. 50,5 x 18,5 x 40,8 cm.
Musée Picasso. Zoom : cliquez l’image.
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Picasso, projet pour le monument à Apollinaire, 1928.
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© Alain Kirili. Zoom : cliquez l’image.
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Saltimbanques

Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises

Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L’ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913.

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Saltimbanques. Illustrations de Picasso.
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Apollinaire lit Le Pont Mirabeau et Le Voyageur

Au matin du 24 décembre 1913, Apollinaire récite devant l’appareil enregistreur prêté par l’industriel Pathé trois fragments de son recueil Alcools : "Le Pont Mirabeau", "Marie" et "Le Voyageur". Il pressent que la fusion entre oral et écrit peut ouvrir à une poésie nouvelle. Puis écoute le résultat, stupéfait par le son de sa voix. Apollinaire lui-même confirmera plus tard son étonnement : "Après l’enregistrement, on fit redire mes poèmes à l’appareil et je ne reconnus nullement ma voix." écrit-il dans sa chronique au Mercure de France "La Vie anecdotique". Il éprouve un mélange de malaise et de fascination face aux progrès de la modernité, une ambiguïté par ailleurs au cœur de nombreux de ses poèmes, dont Le Voyageur.

Comme l’indique Pascal Cordereix, spécialiste du fonds des Archives de la parole à la Bibliothèque nationale de France, cette expérience de poésie enregistrée pousse les poètes présents à s’interroger sur l’avenir du livre et du disque, dans une "utopie techniciste" partagée par la petite assemblée. Ainsi le poète André Salmon, qui a participé à cette séance du 24 décembre avec Apollinaire, s’interroge-t-il en ces termes dans un article de Gil Blas : "La poésie va-t-elle, grâce à M. Brunot, connaître des jours nouveaux ? Le temps est peut-être proche qu’on ne vendra plus de livres, mais des disques. On aura les œuvres complètes de Henri de Régnier en dix rouleaux, lorsqu’on parviendra à inscrire de plus longs poèmes sur des disques plus petits."

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Guillaume Apollinaire, Sous le Pont Mirabeau. Manuscrit autographe.
Gallica BnF. ZOOM : cliquer sur l’image.
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A la recherche de Guillaume Apollinaire

L’émission de télévision, « L’art et les hommes », diffusée sur l’ORTF, le 29 mai 1960, était dédiée au poète Apollinaire. Un documentaire exceptionnel, réalisé par Jean-Marie Drot.

En début d’émission, Jean Marie Drot explique qu’à l’origine le film sur Apollinaire a été tourné en 1959-1960, c’était "une guirlande" de témoignages de ses amis encore vivants : : Pierre Mac Orlan, Daniel Henry Kahnweiler, Fernande Olivier, Philippe Soupault, André Salmon, Marc Chagall, Jean Mollet font son portrait.
Jean Marie Drot donne les éléments importants de sa biographie.
Armand Huysmans raconte le départ d’Apollinaire pour Paris.
André Salmon et Jean Mollet évoque la rencontre d’Apollinaire et de Pablo Picasso.
Fernande Olivier, Jean Mollet se souviennent de la mère : Madame de Kostrowiczky.
Arrestation de Guillaume Apollinaire lors du vol de la Joconde au Louvre. Sonia Delaunay raconte comment Apollinaire s’est ensuite réfugié chez eux.
André Rouveyre parle de l’écriture d’Apollinaire.
Jeanne Yves-Blanc, sa marraine de guerre, témoigne de son départ à la guerre. C’est un homme blessé qui revient de cette guerre.
L’appartement de Guillaume Apollinaire en 1959, intact tel que l’a gardé alors Jacqueline Apollinaire que l’on voit aussi à l’image.

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Guillaume Apollinaire (1880-1918)

Émission « Un siècle d’écrivains », numéro 175, diffusée sur France 3, le 18 novembre 1998, et réalisée par Jean-Claude Bringuier.

« Il y a d’abord le visage de Guillaume Apollinaire. Celui de l’enfant est déjà rond, ou plutôt carré, et massif. Celui de l’homme est étrangement ressemblant au premier, avec ce même regard profond et inquiet, comme blessé lorsque la gaieté ne le plisse pas. Le film de Jean-Claude Bringuier présenté dans la collection littéraire de Bernard Rapp rassemble ces images, selon un classique déroulement chronologique et événementiel, les mêle à celles de l’époque — de Rome, où il naît en août 1880, aux tranchées de la Grande Guerre, où un éclat d’obus l’atteint à la tempe le 17 mars 1916, et à la mort dans un Paris qui fête l’armistice, conspuant « l’autre » Guillaume, l’Ennemi. Histoire connue du Poète assassiné. Histoire au cours de laquelle s’écrivent quelques - uns des plus beaux poèmes de la langue française. De ceux-là, on ne se lasse jamais. » Patrick Kechichian, Le Monde du 15 novembre 1998.

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Guillaume Apollinaire, l’enchanteur étoilé

Le 1er février 2014 sur les ondes de France Culture, l’émission “Une vie une oeuvre” de Matthieu Garrigou-Lagrange était consacrée à la figure du poète français, Guillaume Apollinaire.

Un documentaire de François Caunac, réalisé par Anne Perez-Franchini

Apollinaire eut une vie courte et pleine, une vie tissée d’histoires innombrables. Poète de génie, conteur et créateur hors pair, Apollinaire est connu pour avoir soutenu tous les courants artistiques d’avant-garde de son époque, entre Montmartre et Montparnasse.

On connaît moins le combat qu’il a mené pour se créer un nom, un nom en littérature, au milieu de toutes les errances et de tous les dangers. La prison lors de l’affaire du vol de la Joconde et, plus encore, son engagement comme volontaire en 1914, constitueront de puissants moteurs de sa création, en ajoutant à tout ce qu’il écrivait, une tendresse, un supplément d’âme qui n’appartenait qu’à lui.

Sensuel, mangeur de livres, fumeur impénitent, gourmand de la vie, Apollinaire puisera son inspiration sur les rives de la Méditerranée, véritable géographie affective d’où jailliront d’inoubliables poèmes et lettres d’amour.

Jamais prisonnier du passé, indépendant, plutôt « non aligné » que chef d’école, Apollinaire parvint, au cours de sa brève existence, à se plonger dans tout ce qui lui permettrait d’inventer sa liberté.

Avec :

Laurence Campa, éditrice et biographe d’Apollinaire
**Peter Read, ** professeur à l’université de Kent, Canterbury, Angleterre
Jean-Yves Le Naour, historien, spécialiste de la première Guerre mondiale
Charles-Armand Klein, écrivain
Et Alexandre Dupouy, érotologue

Archives INA / Voix de Marie Laurencin, Fernande Olivier, Guy-Charles Cros, André Breton et Ossep Zadkine.

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Une vie une oeuvre

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Site Guillaume Apollinaire.
Oeuvres en ligne.
Plaquettes & Tracts sur Guillaume Apollinaire.
Apollinaire sur France Culture.


[2La tombe d’Apollinaire :


Tombe d’Apollinaire au Père Lachaise.
Photo A.G., 23-01-12.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

[3Voir, à la fin de ce texte, les extraits du Journal intime d’Apollinaire.

[4Cf. M. Pleynet, Poésie et « Révolution ». A.G.

[5Voir, à la fin de ce volume [Comme la poésie la peinture], « Picasso... il y a cent ans ».

[6On sait aujourd’hui que Picasso demandera sa naturalisation en avril 1940 et qu’elle lui sera refusée « au nom de ses prétendues activités anarchistes en 1905, de sa non-participation à la guerre de 14-18 et de la permanence, plus tard, de ses idées "extrémistes tout en évoluant vers le communisme" ». Cf. Picasso l’étranger. A.G.

[7Cité par Vincent Gille, « Des joies de toutes les couleurs », catalogue de l’exposition Apollinaire critique d’art, au Pavillon des Arts à Paris, 1993.

[8Voir R. Delaunay, Du cubisme à l’art abstrait, S.E.V.P.E.N., 1957.

[9A. Malraux, La tête d’obsidienne, Gallimard, 1974.

[10G. Apollinaire, « Les peintres cubistes », Oeuvres en prose, t. II, Gallimard, coll. « La Pléiade ».

[11P.-M. Adéma et M. Décaudin, Album Apollinaire, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1971.

[12Apollinaire cité par V. Gille, op. cit.

[13Apollinaire cité par V. Gille, op. cit.

[14Apollinaire cité par V. Gille, op. cit.

[16Correspondance Pablo Picasso / Guillaume Apollinaire, Gallimard, 1992.

7 Messages

  • Albert Gauvin | 3 septembre 2023 - 11:13 1

    "Apollinaire, l’enchanteur apatride", une sélection d’archives sur l’immense poète qui influença peintres, musiciens et écrivains. L’occasion de se replonger dans sa poésie inclassable grâce à des lectures mais aussi des témoignages de ceux qui l’ont connu, comme André Breton et Blaise Cendrars.
    Les Nuits de France Culture. Présentation.


  • Albert Gauvin | 27 juillet 2019 - 00:14 2

    Soyez témoins - Par André Gillois - Avec Jean Oberlé, Madame Simone, Jean-Pierre Morphé, Blaise Cendrars, André Billy, André Salmon, Louise Weiss et Raymone (actrice) - Réalisation Jacques Guinchard (1ère diffusion : 06/04/1956, Chaîne Parisienne).

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    Le Siècle, daté du 12 novembre 1918.
    Zoom : cliquez sur l’image.
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  • Albert Gauvin | 12 novembre 2018 - 18:27 3

    Lou et Apollinaire, la chair et la guerre

    En 1914, ils se sont aimés follement, violemment. Ce que décrivent magnifiquement les lettres effrénées de cette muse savante à Guillaume, mort il y a cent ans.

    Par Pierre Michon

    Lettres à Guillaume Apollinaire, de Louise de Coligny-Châtillon, Gallimard, édition établie, présentée et annotée par Pierre Caizergues, 128 p., 12 €.

    Ce petit livre est un trésor. Les lettres de Lou. Celles d’Apollinaire à Lou sont connues depuis longtemps (1969). Pas celles de Lou. Geneviève Marguerite Marie-Louise de Pillot de Coligny-Châtillon. Descendante en ligne directe de l’amiral de Coligny, massacré aux premiers instants de la Saint-Barthélemy. Comme enveloppée du sang de l’amiral. Elle est très belle, l’œil de feu, le sourire entier. Elle a 33 ans, l’âge de l’amour et de l’usage efficace du corps.

    Et Guillaume ? L’homme le plus aimable du monde. Grand, fort, lourd, vif, donnant et se donnant à tous, avide de donner et de prendre. « J’ai l’air de Mars quand il attend Vénus », dit-il de lui en uniforme.

    Il trouve Vénus. L’aventure est brève. En décembre 1914, ils se voient à Nîmes, où Guillaume est élève artilleur au 38e régiment d’artillerie de campagne et se prépare à monter au front ; c’est un ogre, un soldat, et un poète. Elle, sans ressources comme souvent, est hébergée par des amis titrés ; c’est une splendeur, une élégante, une lettrée. La liaison est immédiate, fulgurante, le désir et le plaisir en phase totale, les fantasmes emboîtés, l’assouvissement inouï – dans des hôtels, à Menton, à Grasse, à Nîmes, le Midi, le soleil, le souvenir des légions de Rome. Le 28 mars 1915, dans une de ces chambres, quelque chose se passe entre eux que nous ne connaissons pas ; peut-être une défaillance sexuelle d’Apollinaire. Il faut dire aussi que celui-ci avait dès janvier rencontré une certaine Madeleine, qu’il serrait de près. Lou aussi a des aventures. Leur amour est fini, mais dans leurs lettres, toute l’année 1915, ils font comme s’il ne l’était pas. Puis ils se taisent.

    L’article en pdf


  • A.G. | 9 septembre 2016 - 10:23 4

    L’intégralité de la Correspondance de Guillaume Apollinaire pour la première fois accessible.
    2077 lettres dont plusieurs centaines inédites.
    5 volumes, plus de 2500 pages.

    D’une première lettre de Guillaume à sa mère, à l’âge de onze ans, jusqu’à sa dernière lettre à Reverdy, du 31 octobre 1918, quelques jours avant sa mort, ce corpus unique et chronologique de l’intégralité de la correspondance d’Apollinaire recouvre la vie entière du poète. Il est l’aboutissement de plus de cinquante ans de recherche de l’universitaire belge Victor Martin-Schmets.
    Lettres à Lou, à Cocteau, aux Delaunay, Picasso, Marinetti, Juan Gris, Max Jacob, Matisse, Marcel Duchamp, André Breton… Lettres familiales, lettres galantes, lettres de soldat, lettres sur son œuvre, lettres griffonnées, lettres soignées, toutes sont différentes, mais toutes portent la marque de celui qu’on considère comme le plus grand poète du début du XXe siècle. Certaines révèlent des détails biographiques inconnus ou mal connus. Chacune est agrémentée d’un appareil critique complet.
    Toute l’intimité intellectuelle et amoureuse d’Apollinaire accessible aux chercheurs et au grand public. — Edition Honoré Champion.


  • A.G. | 2 mai 2016 - 13:15 5

    A l’occasion de l’exposition "Apollinaire, le regard du poète" à l’Orangerie, Laurence des Cars et Jean de Loisy décryptent l’oeuvre.


    Giorgio De Chirico (1888 - 1978), Portrait [prémonitoire] de Guillaume Apollinaire, printemps 1914
    Huile et fusain sur toile, 81,5 x 65 cm. Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris.
    Zoom : cliquez l’image.
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    ECOUTER ICI

    Peint au printemps 1914 par Giorgio de Chirico en hommage à son ami, le poète Guillaume Apollinaire, ce tableau a changé de titre. A l’origine, il s’intitulait "L’homme cible". Mais on l’appelle aujourd’hui "Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire". Car ce que l’artiste a peint sans le savoir, c’est l’avenir de son modèle !
    Regardez le profil d’Apollinaire qui se découpe en ombre chinoise à l’arrière plan. Sur sa tempe gauche, De Chirico a peint un demi cercle blanc qui rappelle ceux que l’on voit sur les silhouettes découpées servant de cible dans les stands de tir. Et l’illusion est renforcée par le clou blanc sur l’épaule, comme s’il s’agissait d’un autre point de visée. Or, en Aout 1914, la guerre éclate, et deux ans plus tard, Apollinaire se retrouve sur les champs de bataille où, comme tant d’autres il va servir de cible à l’armée ennemie. Mais c’est en mars 1916 que la prémonition va vraiment se réaliser. Alors qu’il sert dans l’artillerie Apollinaire est blessé par un éclat d’obus. Et devinez où ? Dans la tempe gauche, exactement à l’endroit où Chirico avait peint le demi cercle blanc ! Hasard ? Coïncidence ? Le poète, qui sera trépané, mais survivra à sa blessure, restera convaincu que Giorgio de Chirico était un peu voyant... et il gardera toujours accroché chez lui son "Portrait Prémonitoire de Guillaume Apollinaire". (arteo)

    Le tableau présenté par Robert Badinter.

    Le 16 mai 1915, Guillaume Apollinaire écrivait au marchand d’art Paul Guillaume

    16 mai 1915
    Mon cher ami,
    Vous êtes vraiment très gentil de vous occuper si spontanément de mes cigares. Cela ne manque pas d’ailleurs de me rendre bien service...
    J’aurais préféré que l’homme-cible fût chez moi où ma mère aurait pu le regarder quand cela lui aurait plu puisque outre que c’est une œuvre singulière et profonde c’est encore un portrait ressemblant. Une ombre ou plutôt une silhouette comme on en faisait au commencement du XIXe siècle.
    Ici, toujours la même chose, combats où on ne voit jamais l’ennemi, on le sent, on voit les obus qu’il envoie et la nuit les fusées éclairent le front, les projecteurs...
    C’est féérique.
    Dans nos huttes les rats et les couleuvres vivent en bonne intelligence sinon entre eux du moins avec nous, et le temps est très beau, les lilas tirent sur leur déclin, l’aubépine est en fleur, les escargots foisonnent et nous les mangeons ainsi que les asperges des potagers abandonnés... Au fond, la vie est ici assez amusante. Manquent les femmes, c’est évidemment quelque chose.

    Ma main
    Gui Apoll
    Écrivez-moi


  • A.G. | 28 avril 2016 - 17:17 6

    Exposition « Apollinaire, le regard du poète »

    Du 6 avril au 18 juillet 2016 - Musée de l’Orangerie, Paris, Ile-de-France
    Musée de l’Orangerie
    Jardin des Tuileries / Place de la Concorde
    75001 Paris
    Ouvert de 9h à 18h (dernier accès à 17h15). Fermé le mardi
    www.musee-orangerie.fr

    L’exposition « Apollinaire, le regard du poète » s’attache à la période où Guillaume Apollinaire a été actif comme critique d’art, essentiellement entre 1902 et 1918. Cette large quinzaine d’années, qui peut sembler réduite dans ses bornes chronologiques, va cependant concentrer un foisonnement prodigieux d’écoles, de manifestes, de tentatives et de découvertes dans le domaine des arts. La personnalité d’Apollinaire, sa sensibilité artistique, son insatiable curiosité, font de lui un témoin, un acteur et un passeur privilégié des bouleversements du début du XXe siècle.
    Le propos de cette exposition est de rendre l’importance qu’a pu avoir pour son époque le regard de ce poète-critique comme Baudelaire ou Mallarmé en leurs temps. Poète, critique, découvreur des arts africains, ami des artistes, Apollinaire s’est révélé un acteur central de la révolution esthétique qui donna naissance à l’art moderne.

    Apollinaire. Le regard du poète

    Ouvrage collectif de Carole Aurouet, Claire Bernardi, Émilie Bouvard, Laurence Campa, Sylphide de Daranyi, Claude Debon, Cécile Debray, Laurence Des Cars, Cécile Girardot, Donatien Grau, Étienne-Alain Hubert, Jean-Jacques Lebel, Maureen Murphy, Didier Ottinger, Émilia Philippot, Peter Read et d’Henri Soldani

    Coédition Gallimard / Musées d’Orsay et de l’Orangerie
    Livres d’Art, Gallimard
    Parution : 15-04-2016

    Guillaume Apollinaire fut actif comme critique d’art essentiellement entre 1902 et 1918. Cette large quinzaine d’années, qui peut sembler réduite dans ses bornes chronologiques, va cependant concentrer un foisonnement prodigieux d’écoles, de manifestes, de tentatives et de découvertes dans le domaine des arts. La personnalité d’Apollinaire, sa sensibilité artistique, son insatiable curiosité, font de lui un témoin, un acteur et un passeur privilégié des bouleversements du début du XXe siècle. Grand découvreur de l’art de son temps, Apollinaire avait « situé une fois pour toutes la démarche d’un Matisse, d’un Derain, d’un Picasso, d’un Chirico (…) au moyen d’instruments d’arpentage mental comme on en avait plus vu depuis Baudelaire », déclarait Breton en 1952.

    L’objet de ce catalogue d’exposition est de rendre compte de l’importance qu’a pu avoir pour son époque le regard de ce poète-critique, comme Baudelaire ou Mallarmé en leur temps. Poète, critique, découvreur des arts africains, ami des artistes, Apollinaire fut un acteur central de la révolution esthétique qui donna naissance à l’art moderne. On explore l’univers mental et esthétique d’Apollinaire à travers un parcours thématique : du Douanier Rousseau à Matisse, Picasso, Braque ou Delaunay, du cubisme à l’orphisme et au surréalisme, des sources académiques à la modernité, des arts premiers aux arts populaires. Les liens du poète avec Picasso sont bien évidemment tout particulièrement mis à l’honneur. Gallimard.

    Apollinaire et l’art

    Apollinaire fut un acteur central de la révolution esthétique qui donna naissance à l’art moderne. Critique d’art entre 1902 et 1918, il fréquenta les ateliers, les galeries et les salons, rencontra les peintres, les sculpteurs, les graveurs et les marchands d’art avec lesquels il correspondit, et dont quelques-uns lui inspirèrent textes en prose et poèmes. À l’occasion de l’exposition « Apollinaire, le regard du poète » (musée de l’Orangerie, 6 avril-18 juillet 2016), nous vous proposons une sélection de textes témoignant de l’acuité et de la singularité de son regard critique, de son rôle d’intercesseur auprès du public et des liens d’amitié et d’admiration réciproques qu’il entretint avec les artistes de son temps. LIRE ICI.


  • A.G. | 9 février 2014 - 11:32 7

    Guillaume Apollinaire (1880-1918)

    « L’enchanteur étoilé »

    Une émission de François Caunac, réalisée par Anne Franchini

    Apollinaire eut une vie courte et pleine, une vie tissée d’histoires innombrables. Poète de génie, conteur et créateur hors pair, Apollinaire est connu pour avoir soutenu tous les courants artistiques d’avant-garde de son époque, entre Montmartre et Montparnasse.

    Une vie une oeuvre