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D’autres échos du Journal de Yann Moix

Suivis d’un nouvel extrait : "Ode à Houellebecq"

D 11 septembre 2023     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Trois bonnes raisons d’aimer le nouveau livre de Yann Moix

Vu par son éditeur Jean-Luc Barré (Editions Bouquins)

Jean-Luc Barré dirige depuis novembre 2020, les Editions Bouquins, au sein du groupe Editis,

Éditions Bouquins

Moix, et moi, et moi

Vu par l’Echo (Belgique). Une voix dissonante.


Yann Moix.© Photo News

SIMON BRUNFAUT

L’Echo (Belgique), 02 septembre 2023

Yann Moix publie chez Grasset "Hors de moi", le premier volume d’un journal-fleuve qui se digère comme un long fil Twitter.

En 1966, Jacques Dutronc chantait "Et moi, et moi, et moi". Près de cinquante plus tard, la chanson n’a pas pris une ride et notre époque pourrait en faire son hymne. En effet, l’individualisme, que Dutronc critiquait avec ironie dans les années60, s’est transformé en hyper-individualisme.Bien aidé par les réseaux sociaux, le narcissisme contemporain se porte comme un charme.Et Narcisse semble bien s’être emparé d’une certaine littérature, devenue célébration absolue du "moi". Un bon exemple de cettepoussée égotisteest sans doute Yann Moix.

Marcel Proust disparaissait à travers le narrateur de la "Recherche", Yann Moix, lui, prend le pas sur son double littéraire : son ego étouffe sa littérature.

Yann Moix est ainsi son grand – pour ne pas dire unique – sujet depuis longtemps, aussi bien dans ses livres que dans ses apparitions médiatiques.Tout semble constituer pour lui une occasion de parler de soi, le bon comme le mauvais.Il lui restait encore à se frotter au genre du journal. C’est désormais chose faite, puisqu’il publie le premier tome d’un journal-fleuve :"Hors de moi".

On aimerait en effet que Yann Moix soit "hors de lui", mais c’est peine perdue : il est toujours là, partout. Il ne manque certainement pas de style et le problème n’est pas, en soi, son "moi", mais ce qu’il en fait en tant qu’écrivain. Marcel Proust disparaissait à travers le narrateur de la "Recherche", Yann Moix, lui, prend systématiquement le pas sur son double littéraire :son ego étouffe sa littérature.

Entre voyeurisme et exhibition

Bien sûr, on nous objectera que Yann Moix n’a pas inventé le récit autobiographique et le culte du moi. La littérature française, tout particulièrement, en a fait une tradition même : les"Confessions"de Rousseau,les "Mémoires d’Outre-Tombe" de Chateaubriand,"La Vie d’Henry Brulard"de Stendhal, "Les Essais" de Montaigne, etc. Les journaux d’écrivain ne manquent pas. Mais, tandis queles "moi" de

Chateaubriand, de Montaigne ou de Stendhal, rendaient le monde plus vaste, unissant leur singularité à la plus grande universalité, ce monde semble désormais réduit à l’ego et aux plus petites vétilles du quotidien qui ne parviennent jamais à se transcender.

Cette littérature du moi se digère comme un long fil Twitter : elle fait le "buzz", et puis on passe à autre chose.

Un principe guide cette littérature : tout doit être dit, sans filtre, tel quel. La transparence doit dominer : tout savoir, tout dire, sous prétexte que tout mérite d’être dit puisque c’est "moi" précisément qui le dis. À l’image de notre époque,cette littérature oscille ainsi en permanence entre voyeurisme et exhibition. À grand renfort de "punchlines", l’écrivain donne son avis sur tout, donc sur rien. Cette littérature se digère comme un long fil Twitter : elle fait le "buzz", et puis on passe à autre chose. En 1955, Julien Gracq publiait son célèbre pamphlet "La littérature à l’estomac", dans lequel il dénonçait ce qui faisait de nos jours, selon lui, d’abord un livre, à savoir le bruit et le besoin incessant de nouveauté. L’heureest aujourd’hui plus que jamais à "la littérature au nombril".

JOURNAL, "Hors de moi"
_Par Yann Moix
Grasset/Bouquins
1216 p. - 32 €

L’Echo (Be)

Ode à Houellebecq par Yann Moix

« Hors de moi », Journal

Nous avons vu, précédemment, le snipper de mots, Yann Moix, à l’œuvre avec dans son viseur : Jean-Edern Hallier, puis contre lui-même lors de sa visite à son aîné Philipe Labro. Aujourd’hui, nous le découvrons dans un tout autre genre, un exercice laudatif dédié à Michel Houellebecq. Ainsi, ne pourra t-on pas dire que ce Journal n’est qu’un jeu de massacres, d’ailleurs on avait pu s’en rendre compte dans deux brèves que nous avons déjà publiées : « Regarder la mer », « de la querre », où Yann Moix ne tire sur personne et livre ses réflexions, ses coqs-à l’âne au rythme de ses propres associations d’idées. Laissez-vous surprendre en ouvrant ce Journal. Tout n’est pas à retenir bien sûr. D’ailleurs Moix qui ne s’y épargne pas et nous met en garde indirectement en citant Montherlant, ‘’La Marée du soir, carnets 1968-1971’’ : « Quelqu’un qui dit tout ce qu’il pense est à peu près comme un enfant qui pisse au lit » [1]. Aussi, secouez, triez, pressez, laissez reposer, ajoutez-y un zeste de citron ou autre, et dégustez votre propre cocktail.

Ce Journal s’avère une mine très riche, et nous sommes encore très loin d’en avoir exploité tous les filons. Aussi, au fil du temps, continuerons-nous à piocher dans cette mine à ciel ouvert et vous faire partager nos trouvailles.

Mercredi 22 juin [2016]

[…] Exposition Houellebecq au palais de Tokyo [2]. Après une heure de natation à la piscine de Puteaux, je m’y rends […]

Je retrouve un Houellebecq en pleine forme, hilare et gai. Entouré de filles (on sent vraiment qu’il tient sa revanche et qu’après toutes ces années - c’est ce qui Je rend si attachant - il n’en revient itoujours pas/i). J’aime Michel ; son intelligence est aussi grande que son humour, ce qui n’est pas étonnant : je n’ai jamais mesuré l’intelligence qu’à l’aune de l’humour (et de la curiosité). La force de Michel, c’est d’être lui-même comme personne, si j’ose dire. Tout passe avec lui : il peut tout dire, tout penser, tout penser tout haut. Il y a, dans chaque génération (ou un peu moins), toujours une place, une seule, pour une parole non pas seulement alternative, différente, mais « scandaleuse », inadmissible. Michel a génialement compris que cette place était libre que toute société avait toujours besoin de son anti-héros, de son anti-penseur, de son anticorps. Aussi, les Français n’acceptent-ils d’être insultés ique/i par Michel Houellebecq. Quiconque n’étant pas lui viendrait à écrire, à dire les mêmes choses que lui serait immédiatement mené à la potence sans autre forme de procès. Occuper cette place demande un peu de virtuosité, quelques nerfs, une légère, très légère dose de cynisme (juste un zeste), un détachement constant et beaucoup de travail. Houellebecq sait « jouer » de la société comme un bluesman de sa vieille guitare : il la connaît sur le bout des doigts.

La « différence » de Michel a donc été entérinée par la société culturelle et même par le, pouvoir politique. Ceux sur lesquels il défèque sont extrêmement heureux, honorés de le recevoir à dîner. Tout devient comestible de ce qu’il pense, écrit- sa façon de déranger relève désormais, au sein du système, d’une attraction dans un parc Disney. À la fête foraine, on appelait cela le train fantôme : on aimait aller se faire peur, se donner des sensations, sachant malgré tout que c’était « pour de faux ». Or, aux yeux des instances politiques et du pouvoir culturel, on considère que le roman est toujours paré de ce côté « pour de faux ». Ce en quoi on se trompe lourdement. Ce en quoi on se méprend. Peu importe pour Michel, qui sait en abuser comme personne ; on sent sa jubilation d’avoir roulé tout le monde et d’avoir gagné sur tous les tableaux. Quand le monstre fait partie de la galerie à la place réservée au monstre, quand l’unique a endossé le costume de l’unique, alors l’intolérable a, comme tel, droit de cité. Sachant évidemment que ce sera le seul, en attendant le prochain. Cette posture exige toutefois, derrière, une œuvre consensuellement reconnue comme digne de ce nom. Si Jean-Edern Hallier, qui postula en son temps à cette place, très prisée, de maudit de la République, ne parvint pas à concrétiser ses ambitions, c’est tout simplement parce que son talent littéraire ne suivait pas. Son écriture, trop déconnectée du réel (bien qu’il traitât maintes fois de l’actualité dans ses livres) et trop prisonnière de son moi, ne parlait qu’à peu de monde. Il voulait occuper par les actes, les gestes, les attitudes, un espace que son œuvre ne parvenait pas à combler. C’était la provocation d’abord, et l’écriture ensuite. Houellebecq, très intelligemment, très stratégiquement, a opté pour la solution opposée : l’œuvre d’abord - des romans qui concernent vraiment les contemporains et évitent toute boursouflure (la prose de Michel est infiniment ilisible/i) - et la provocation ensuite.

La « salle Clément » est extraordinaire : un mausolée à son petit chien. Des ustensiles et des jouets ayant appartenu à Clément, et des diapos du chien sur fond de Iggy Pop. Je cherche si Jed Martin est dans les parages... Jed Martin, dans iLa Carte et le Territoire/i, entame sa carrière d’artiste en photographiant des cartes Michelin. Outre que « Michel » et « Michelin » sont des mots frères, la carte Michelin est la meilleure image qu’on puisse donner du style de Houellebecq. C’est une représentation du réel fidèle et sans fioritures, mais ce n’est pas la réalité. Et sa propre beauté, spéciale, un peu étrange, réside dans ces paysages reformulés, ces routes synthétisées, ces villes redessinées, ramassées sur le papier dans une langue accessible et complexe à la fois, épurée mais fouillée, où l’enchevêtrement des lacets reste non seulement intact, mais plus visible encore. Si la carte prenait la dimension du territoire, à l’échelle 1/1, alors le monde serait houellebecquien. Photographier (réalité) le dessin (irréalité) de la réalité : les livres de Michel Houellebecq sont au monde contemporain ce que la carte autoroutière est au territoire. Ils n’omettent rien, et suivant le zoom, accompagnent au plus près une dénivellation sur un chemin de traverse, ou permettent d’entrevoir un chamboulement tectonique. On parlera donc, avec le même flegme positiviste de celui qui ne fait que rendre compte et constater, de Jean-Pierre Pernaut et de Steve Jobs. On entend souvent que Houellebecq n’aurait pas de style : c’est reprocher à Michelin que de n’être pas Picasso.

Yann Moix,

‘’Hors de moi’’, Journal. pp. 70-72


Houellebecq et Sollers sur pileface (une sélection)

Houellebecq sur Sollers suivi de Sollers sur Houellebecq

Houellebecq face à Sollers

Houellebecq face à Sollers (suite) / L’Année du Tigre

Houellebecq dans Une vie divine

Sur Houellebecq et "La possibilité d’une île" / Beigbeder, Sollers, Arrabal

L’appel du 18 « joint » et le procès Houellebecq (2002)



[1Yann Moix, ‘’Hors de moi’’, Journal, p.242.

[2Une exposition par Houellebecq mais qui n’est pas sur Houellebecq

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