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Yann Moix en jeune écrivain visitant son aîné Philippe Labro

Extrait de son Journal « Hors de moi »

D 28 août 2023     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Deuxième extrait du Journal de Yann Moix « Hors de moi ».

Après le provocateur, le snipper des mots qui fait mouche, comme dans notre premier extrait : « Jean-Edern Hallier, une sacrée canaille par Yann Moix »,

voici, le même, dans un exercice d’autodérision, tournant son canon vers lui, avec sa verve affûtée, à nouveau, au rendez-vous.

Mercredi 29 juin [2016]

[…] Déjeuner au musée de l’Homme avec Philippe Labro, que j’aime toujours autant ; anfractuosités agréables, alvéoles salvatrices que ces déjeuners avec lui.

Philippe est « décrié » ; j’ai souvent entendu des médiocres le qualifier de médiocre. Ce ne sera pas mon cas : j’aime chez lui sa fragilité, cette façon d’incarner la France de la deuxième moitié du XXe siècle. J’aime qu’il ait été le dernier à voir Melville, puisque Melville est mort devant lui, le nez planté dans son assiette. J’aime ses articles écrits sans la moindre fioriture, sa prose sans lacets ni reliefs - j’aime qu’il incarne, tel un rabbin l’orthodoxie, cette permanence d’un style clair. Il est une sorte de Hergé de la littérature : limpidité, netteté. Je ne le crois pas capable de courage physique, mais il est capable de plus téméraire : être fidèle en amitié. Sa manière de m’aider à consisté à faire en sorte que, d’abord et pour commencer, je m’aidasse moi-même.


Yann Moix et Philippe Labro le 02 décembre 1996
ZOOM : cliquer l’image
Je suis allé le rencontrer au culot au mitan des années 1990, sortant d’à peu près nulle part sinon d’une pénombre orléanaise ; je voulais, exigeais qu’ immédiatement il m’ouvrît toutes les portes, lui qui alors dirigeait RTL. Je lui demandai mon émission sur-le-champ, fût-ce à 3 heures du matin. Il défit sa cravate :

- Je ne t’aiderai pas, coco. Tu vas te démerder. Et je suivrai de loin.

Écris partout, dans les revues, les magazines, les quotidiens. Fais des beaux livres. Pars en reportage. Sois curieux. Va voir ce qui se passe là où ça se passe. Fais du cinéma. Fais tout. Telle est la « Labro University ». Si tu veux en être diplômé, obtiens le diplôme par toi-même. Moi, je ne bougerai pas le petit doigt. Tu crois que parce que tu forces les portes de mon bureau au culot, que tu m’arraches un rendez-vous que je n’avais pas vraiment envie de t’accorder, je vais te mâcher le travail ? Que tout va te tomber droit dans le bec ? Tu plaisantes, j’espère. Tu crois que c’était plus facile, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, quand j’ai commencé ? Faux. C’était aussi dur. J’ai tout donné. Et je peux te dire que ce n’est pas la modestie qui m’étouffait. Il faut que tu sois humble. Ce sont les cons qui manquent d’humilité. Mais la modestie, tu oublies. Ce sont les cons qui sont modestes. Tu vois, là, dans quelques minutes, je vais te mettre à la porte, eh bien il faudra que tu reviennes par la fenêtre... Mais pas la mienne ! Je n’ai pas que ça à faire, tu es gentil. Je te fous à ma porte, mais tu reviens par la fenêtre d’un autre, s’il te plaît. Quand tu te seras aidé toi-même, on verra ce que je pourrai faire.

- En gros, vous m’aiderez quand je n’aurai plus besoin de votre aide.

- Tu comprends vite, coco ! Aider, ça ne sert à rien. Ça ne « tient » pas longtemps. C’est une fixation artificielle. Ça finit par se voir, par sonner faux. Ce que tu vas obtenir, tu vas l’obtenir non seulement grâce à toi, mais parce que la façon dont tu vas l’obtenir te ressemblera. Et d’ailleurs tu verras que ce sont les meilleurs moments. Quand on a ce qu’on veut, on s’emmerde. Sois obstiné sans être un emmerdeur. Ça demande de la finesse. On voit trop d’emmerdeurs. Aie du caractère, mais ne sois pas une grande gueule. Aie de la personnalité, mais ne le montre pas trop vite. Montre-leur d’abord que tu es capable de normalité. Insère-toi dans le système par la normalité, et ensuite, une fois dans la place, déploie tous les monstres que tu veux. N’aie jamais peur d’admirer, mais ne fayote pas. Les gens sentent quand on les flatte. Ou alors, si tu le fais, fais-le bien. N’oublie jamais d’accompagner un compliment par une réserve, un bémol, un « mais ». C’est comme une bonne sauce : ça donne de la crédibilité au plat. Mais je conseillerai quand même d’être toi-même. C’est ce qu’il y a de plus simple. Ça fait perdre un peu de temps au début, mais ensuite, quand tu pénètres dans les lieux convoités, ton assise est plus solide. Le greffon prend mieux. Si tu as du talent, tu vas en chier. Parce que ceux-là mêmes qui vont le repérer voudront s’en servir... Te publier. Le talent c’est toujours précieux dans une rédaction. Et en même temps ils voudront te tuer, parce que la jalousie, coco, explique à peu près tout dans ce monde, et même dans le monde tout court. Ne crois surtout pas que la jalousie ne soit qu’un défaut. Elle fait partie de l’homme. De même qu’il a un nez, deux yeux, deux oreilles, il a la jalousie en lui. Même ton meilleur ami ressentira un picotement désagréable quand tu auras une bonne nouvelle à lui annoncer. Sache aussi que nous sommes dans un pays où, contrairement aux États-Unis, que je connais par cœur, chacun de tes succès, si jamais tu en as et je ne vois pas pourquoi tu n’en aurais pas, sera suivi d’une punition. D’une fessée... En France, quand on te donne, on te reprend toujours la fois d’après. Tu passes à la caisse. Tu deviens trop visible, trop riche, trop tout. On te coupera ce qui dépasse. Et c’est là que ce sera dur, qu’il faudra persister à faire et à être. Si tu résistes, que tu persistes, que tu fais du sport et que tu es en forme, que tu continues et que tu leur dis « merde », ils se lasseront et passeront à autre chose. Alors, tu feras partie du décor. Tu auras été accepté. Ce qui présente d’autres dangers : celui, justement, de se banaliser, de ressembler à la masse. Ne te crois jamais arrivé. Sois toujours un débutant à tes propres yeux. Sinon, ça s’appelle être un petit vieux. Ici, à RTL, il y a des jeunes de soixante piges et des vieillards de trente.

- Oui.
- N’aie pas le melon. Pas bon, ça. Si je peux t’aider à une chose, c’est à ça. te dégonfler ta citrouille de temps en temps. Je connais le problème : ça m’est arrivé, le melon. Je ne vais pas te mentir. Quand J’ai cassé la baraque avec L ’Héritier... Je l’ai eu. Après ça s’est tassé, mais je l’ai eu. Et tu l’auras. Tout le monde finit par l’avoir. C’est un peu comme la rougeole. C’est la rougeole des imbéciles. Voilà. Quand je te vois, je me revois devant Lazareff. Mais je ne suis pas Lazareff et tu n’es pas moi. Allez, coco ! Bon vent. Et fais pas trop le con, hein. Des cons, il y en a déjà plein. Essaye autre chose. Ça nous changera...

Philippe est né en 1936. Il y a quatre « trente-sizards » à Paris, qui sont, de manières fort diverses, parvenus à se faire un nom : Philippe Labro, Gabriel Matzneff, Jean-Edern Hallier et Philippe Sollers. Labro : le prudent qui dure ; Matzneff : l’imprudent qui se prolonge ; Sollers : l’impudent qui perdure ; Hallier : le dément qui n’a su ni durer, ni se prolonger, ni perdurer.

Plus sur pileface (Journal "Hors de moi" de Yann Moix)

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