Je lis dans Le Monde d’aujourd’hui :
Il y a cinq ans, le 5 octobre 2017, le New York Times publiait une enquête qui allait créer une onde de choc sociétale à travers le monde. Dans les colonnes du quotidien américain, des femmes accusent Harvey Weinstein de harcèlement et d’agression sexuels. Des actes commis impunément, pendant trente ans. L’actrice Alyssa Milano emploie le hashtag #metoo sur le réseau social Twitter, le 15 octobre, pour appeler celles qui ont été abusées à témoigner. Il se propage à travers le monde, notamment en France. La libération de la parole est en marche, et ne s’arrête pas au producteur star du cinéma américain.
Au fil des années, #metoo a entraîné d’autres déclinaisons (#balancetonbar, #payetaplainte…) sur les réseaux sociaux. L’aspect massif, systémique, et répété, fait la force du message envoyé par les femmes pour dénoncer les agressions dont elles sont depuis longtemps victimes. Tous les milieux sont concernés : le monde du spectacle, celui des médias et de la culture, du sport, de la politique…
Nul besoin de vous énumérer toutes les affaires en cours. Elles font la Une quotidienne des journaux, des radios, des chaînes de télévision.
Dans L’OBS du 19 mars 2020, à Didier Jacob qui lui disait :
— Dans Désir, vous vous en prenez à #Metoo et à ce que vous appelez « l’Alliance féministe universelle ». N’est-ce pas risqué de prendre ce parti aujourd’hui ?
Philippe Sollers répondait (en deux temps dialectiques) : — Mais non, #Metoo est une excellente nouvelle. Le fond du sujet, c’est que les questions sexuelles aujourd’hui débattues ne devraient tromper personne sur le but recherché qui est une intimidation générale. Ce qui est visé, c’est l’ensemble de la bibliothèque. D’ailleurs, j’ai prophétisé, dans Femmes, dès 1983, ce qui s’accomplit sous nos yeux.
Mais qu’est-ce qui s’accomplit selon vous en ce moment ?
— C’est la Révolution française qui continue de plus belle. Avec l’émancipation de la substance féminine. Comme a dit quelqu’un que je n’oserai pas citer, « la Révolution n’est pas un dîner de gala », et les dégâts collatéraux sont considérables. Mais Désir permet de prendre la distance révolutionnaire qu’il faut pour trouver que tout cela est finalement très positif. D’autant que cette libération de la parole féminine, qui est partie du cinéma américain, trouve à mon avis son impact majeur en France. Pourquoi ? Parce que la France, à travers sa littérature du XVIIIe notamment, a pris une avance considérable sur l’expérimentation des choses dites sexuelles. On peut d’ailleurs m’accuser vivement d’avoir été très partisan de la publication en Pléiade du Marquis de Sade [1]...
Selon Adèle Haenel, le cinéma français n’a justement pas encore fait sa révolution…
— Moi, je soutiens à fond #Metoo. Je suis pour l’émancipation des femmes. Combien de temps a-t-il fallu pour qu’elles aient les droits élémentaires ? J’ai été fanatique de Simone Veil proposant l’IVG à la tribune de l’Assemblée nationale. C’est la moindre des choses. C’est un moment qu’il faut absolument soutenir, avec comme conséquence des dégâts considérables.
Vous voulez parler de la fin de ce que l’on pourrait appeler « l’horreur masculine » ?
— Ce qui m’intéresse, ce n’est pas qu’on fasse la chasse au mâle blanc hétérosexuel. La vraie question, que je pose dès le début du livre, c’est pourquoi maintenant ? La réponse la plus probable, c’est la régulation technique de la reproduction. Les femmes ont été obligées de subir pendant des millénaires des viols qui devaient consister à les faire engendrer pour les sociétés qui n’attendaient que ça. C’est une histoire terrifiante. « Mon corps m’appartient », c’est très récent. On n’en est qu’au début, ce sont les premiers pas. C’est de ça que je me préoccupe, et surtout à travers les écrivains, toujours meilleurs que les philosophes qui n’y ont jamais vu que du feu.
Pourquoi cette émancipation serait-elle forcément synonyme de contre-désir ?
— Elle peut l’être. Elle peut entraîner un violent mouvement de contre-désir, c’est ça que je condamne. Mais on ne peut pas me faire le procès de contester cette émancipation, si on veut être simplement correct avec moi. Après tout ce que j’ai écrit, tous les livres qui précisent mon amour pour les femmes, les lettres à Dominique Rolin, etc. [2]
Voici maintenant le petit montage que je mettais en ligne le 30 novembre 2019 alors que Philippe Sollers, après avoir publié Le Nouveau, s’apprêtait à publier Désir. Au rythme où vont les choses, il n’est pas impossible que je le remette en ligne chaque année, en l’actualisant bien sûr.


En 1983, Sollers publie Femmes, diagnostic implacable sur « la mutation de l’élément féminin » et la « guerre des sexes » dans les années 70 du siècle dernier — guerre « fatale et immémoriale » —, mais aussi, on l’oublie trop souvent, « apologie des femmes », pas de « LA femme », des « unes-femmes », héroïnes positives et singulières. Quarante ans plus tard, le Spectacle bat son plein et la situation a bien changé. En pire. Ça a commencé comme ça.
Journal télévisé, 15 octobre 2017.


SCANDALE
Il a suffi que des actrices américaines de Hollywood se plaignent des agressions sexuelles qu’elles ont subies de la part d’un ponte producteur, pour qu’un scandale mondial éclate. Les plaintes se sont vite multipliées dans tous les secteurs : les hommes sont des porcs violeurs, des obsédés de domination physique, ils sévissent partout, dans les entreprises, les hôpitaux, les couloirs, les toilettes, les studios de tournage ou d’enregistrement, les toilettes, les chambres d’hôtel. Un silence complice les protège depuis toujours. Les victimes osent enfin se plaindre, c’est un déferlement continu, parfois dix ou vingt ans après des harcèlements inqualifiables. Tous les pays et toutes les institutions sont concernés, jusqu’à l’Académie Nobel, c’est tout dire.
Des centaines de noms, plus ou moins connus, sont dénoncés dans la presse et sur les réseaux sociaux. Des pères de famille sont démasqués, les hommes politiques n’en mènent pas large. Certains s’excusent platement, ou portent plainte pour dénonciation calomnieuse, mais rien n’arrête cette immense libération de la parole féminine. On s’étonne qu’une expression comme « droit de cuissage » ait pu exister dans les siècles obscurs, mais elle se perpétue dans les têtes des malades modernes. Les prédateurs sont sournois, vicieux, inguérissables. Embusqués dans leurs positions de pouvoir, ils guettent leurs proies.
Les détails évoqués par les victimes sont répugnants. Souvent battues, elles ont été obligées, pour se débarrasser de leurs agresseurs, de râler faussement, ou de pratiquer des fellations et des masturbations sans nombre. L’une, violée, dit sobrement : « J’ai attendu qu’il finisse sa petite affaire. » Le plus stupéfiant est que ces agresseurs comptent tous sur des consentements tacites. Ces imbéciles s’imaginent que toutes les femmes sont des salopes en puissance. C’est leur religion.
Pour y voir plus clair, il faudrait connaître les mères de tous ces zozos. Qu’elles aient été, et restent, fanatiquement puritaines est probable. Leurs fils ont été habitués, très jeunes, à voir des tas de films ou de trucs pornos, ils se vengent. Le ponte producteur de Hollywood a fini par croire qu’il jouait dans un film : pas de raison de se gêner avec les épatantes actrices érotiques, supérieurement douées dans les scènes de sexe. Tous les harceleurs-violeurs jouent dans un film, sans se douter que leurs victimes féminines, elles, ne jouent pas. Elles peuvent faire semblant par intérêt, et alors, pas de problème : il s’agit de ne pas perdre un emploi.
Ce qui n’empêchera pas la victime, si le vent tourne, de porter plainte contre le zozo qui ne se doute de rien.
La banquise s’effondre, les ours blancs se noient, les violeurs n’ont jamais eu la moindre idée de la frigidité féminine. Elle monte peu à peu en surface, d’autant plus que la reproduction, livrée à la technique, s’installe à l’horizon du progrès humain. Pourquoi la plupart des femmes rêveraient-elles encore d’avoir des enfants via la dure loi dite normale ? Le serpent inséminateur n’a plus cours, on le tue d’un coup de seringue. Pour qui se prenait-il, ce diable en carton ? Pendant des millénaires, il a joui de ses privilèges, et les pauvres femmes lui ont doré la pilule, voilà tout.
Regardez un plateau télé, avec le sujet du jour : « La guerre des sexes aura-t-elle lieu ? » Comme si elle n’avait pas lieu depuis que la lune est lune ! On est consterné d’observer l’arrivée des habitants du monde nouveau : ils sont très retardataires. Les hommes ont de vieilles habitudes, inoculées de génération en génération, ils veulent les appliquer mécaniquement, et c’est aussitôt le scandale. La peur et la honte ont changé de camp, les farceurs hétérosexuels sont montrés du doigt, et l’antique Église homosexuelle triomphe. C’est la fermentation de Florence, mais sans les Médicis, aucune Renaissance à attendre. On exhibe un Sauveur du monde de Léonard de Vinci, et il est vendu 450 millions de dollars : ce peintre a tout l’avenir devant lui, le reste est vacarme.
Tentez le silence actif, vous ferez scandale. Vous serez vite repéré comme l’analyste mondial qui peut écouter, sans se lasser, pendant des heures, les fariboles sexuelles de l’humanité. Vous êtes puissamment aidé par le dieu nouveau et sa secrète réserve de mort. Vous êtes immortel, vous écoutez les mortels. Les mortelles vous apportent plein de renseignements inédits. Vous auriez fait un très mauvais Inquisiteur : pas de tortures, pas de bûchers, il suffit de laisser parler. Avec vous, plus de procès, de martyres, de saintes. Vous sauvez Jeanne d’Arc, et des milliers d’autres. C’est quand même simple, avouez.
Vous évitez toute manifestation extérieure et, pour cette raison, votre silence actif est capté partout. Comme vous entrez en contact, par la pensée, avec votre patrimoine génétique, vous savez que le signal du dieu extrême est parvenu à votre arrière-grand-père navigateur, Henri, et à votre grand-père escrimeur, Louis. Ils vous l’ont transmis.

Philippe Sollers, Le Nouveau, Gallimard, 2019, p. 115-118.
L’analyse se poursuit dans Le Philosophe inconnu, extrait du prochain roman de Sollers Désir.
CONTRE DÉSIR
[...] Le grand sujet, désormais, est la violence sexuelle, les agressions multiples et les viols, révélés par la libération de la parole des femmes. Ça a commencé aux États-Unis dans le cinéma, mais l’explosion est vite devenue générale, avec les slogans sur Internet, « balance ton porc » et « me too ». Les plaintes évoquent parfois des faits très anciens, et crépitent dans tous les sens. La chasse aux porcs masculins est ouverte dans les entreprises, les services publics, les milieux politiques, les producteurs de films. Une journaliste porte plainte, vingt ans après, pour agression sexuelle, contre une célébrité mâle, qui, lors d’une interview, a mis sa main sur sa cuisse. Le concept de cuisse résonne partout.
Les abus de faiblesse ne se comptent plus. En réalité, les femmes ont été harcelées, agressées et violées depuis la plus haute Antiquité, mais pourquoi parlent-elles maintenant ? Effondrement du patriarcat ? Mise en place de la reproduction technique ? Découverte plus que tardive de la différence sexuelle ? Sans doute, sans doute. En tout cas, un monde nouveau surgit, celui du contre-désir. Le désir était brutal et absurde, le contre-désir ramène la sécurité. Les hommes étaient ridicules de poursuivre les femmes de leurs fantasmes. Ça va continuer, mais le truc est crevé.
Regardez l’homme du contre-désir : il est très agité, son seul pôle est l’emploi qu’il occupe. Il veut monter de plus en plus haut dans l’ascenseur social, sa tête est pleine de chiffres, c’est un manager for ever. La femme de contre-désir est pareille, meilleure encore en termes de marketing. Si ces deux-là s’accouplent, d’une manière ou d’une autre, c’est juste pour vérifier la répulsion que son partenaire lui inspire. Elle l’ennuie, il la choque. Ils se parlent le moins possible, et toujours d’argent. Leurs enfants sont idiots et insatiables. Il faut sans cesse leur acheter autre chose, changer les téléphones portables et les ordinateurs, les emmener en vacances, les empêcher de consulter des sites porno, débrancher la télévision devant laquelle ils s’abrutissent pendant des heures, tenter de contrôler leurs contacts sur le net. Horreur : ils communiquent en prenant des pseudos, en jouant à être adultes, alors qu’ils ne sont même pas des ados.
Au moindre signe de vrai désir, la répression s’organise. Cette fille est bizarre, elle préfère jouer du piano classique et délaisse son ordinateur. Elle se passionne pour des vieilleries et des virtuoses de l’ancien temps, semble mépriser tout ce qui est rock ou pop. Elle ne va pas en boîte, et reste dans sa chambre en lisant des philosophes déconseillés par les professeurs. Il faut la marier, et lui faire passer des masters. Le garçon, lui, est rêveur, n’arrête pas de lire des poèmes, et s’emballe pour des auteurs d’autrefois répertoriés comme machos par l’Alliance Féministe Universelle. Le plus anormal est qu’il ne paraît avoir aucune tendance homo. Il faudra lui prévoir un stage dans une entreprise. Une banque peut le sauver, s’il n’est pas trop tard.
Grâce aux tornades de dénonciations, l’humanité prend enfin conscience que 80 % des femmes n’ont aucun intérêt pour la sexualité, et sont en général obligées d’y souscrire pour des raisons de pouvoir ou d’emprise. On peut répartir les 20 % qui restent en 10 % de spécialistes de l’auto-érotisme, et 10 % d’homosexuelles plus ou moins installées ou mariées entre elles. Inutile de dire que les hommes, à part le réseau gay en extension fulgurante, ne sont pas au courant de ces 20 %. Ces hétéros primaires foncent dans le tas, gros bêtas. Même s’ils tournent homos, ils restent les employés organiques de leurs mères.

Les Diables de Christophe Ruggia (2002) avec Adèle Haenel et Vincent Rottiers.
© Alta - Lazennec Films. ZOOM : cliquer sur l’image.


Adèle Haenel explique pourquoi elle sort du silence
Dans une enquête publiée dimanche 3 novembre sur Mediapart, Adèle Haenel accuse le réalisateur Christophe Ruggia d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » lorsqu’elle était âgée de 12 à 15 ans. La comédienne revient sur son choix de briser le silence qui pèse aujourd’hui sur d’autres victimes de violences sexuelles. A la fin de l’entretien, elle lit des extraits de la lettre qu’elle a envoyée à son père en avril dernier. Il n’est pas interdit d’être attentif à cette nouvelle version, féminine, de la Lettre au père (à 1h13’).


LIRE : Julia Kristeva : « La parole libre est encore à venir »
VOIR AUSSI : Le J’accuse de Roman Polanski.



Haendel, Cantate « La Lucrezia »


La Lucrezia.
ZOOM : cliquer sur l’image.

Le viol de Lucrèce


Tarquin et Lucrèce par Titien (vers 1571).
Musée de Cambridge. ZOOM : cliquer sur l’image.


« Sextus Tarquin laissa passer quelques jours, puis, à l’insu de Collatin, se rendit à Collatia escorté d’un seul homme. Dans l’ignorance de son dessein, on lui fit un accueil cordial. Après le repas il fut conduit dans la chambre réservée aux hôtes. Il brûlait d’amour et, quand il crut qu’il ne risquait rien et que toute la maisonnée dormait, il dégaina son glaive et vint auprès de Lucrétia endormie. De sa main gauche il pressa le sein de la femme : "Silence, Lucrétia, dit-il, c’est moi, Sextus Tarquin ! J’ai un glaive en main. Tu mourras, si tu cries." La femme s’était éveillée, paralysée de frayeur et ne voyait aucun moyen d’échapper à la mort qui la menaçait. Alors Tarquin de lui avouer son amour, de la supplier, de mêler menaces et prières, tiraillant ce coeur de femme dans tous les sens. Mais il la voyait toute décidée à se refuser. Même la peur de la mort ne la faisait pas céder. Alors il ajouta à cette peur la menace du déshonneur. "Quand elle serait morte, dit-il, il mettrait à côté d’elle le corps nu d’un esclave égorgé, pour qu’on dît d’elle qu’elle avait été tuée en flagrant délit d’un adultère de bas étage." Il avait réussi à ébranler Lucrétia et, comme si sa passion triomphait, il vint à bout de la pudeur qu’elle s’obstinait à préserver. Il s’en alla tout fier d’avoir pris l’honneur d’une femme assiégée.
Abattue par un si grand malheur, Lucrétia envoie le même messager à Rome à son père et à Ardée à son mari. Elle leur demandait "de venir chacun avec un ami sûr. Ils devaient le faire tout de suite. Quelque chose d’affreux était arrivé." Spurius Lucrétius arriva avec Publius Valérius, fils de Volésus, et Collatin avec Junius Brutus, avec lequel il regagnait justement Rome et avait croisé le messager de son épouse. Ils trouvèrent Lucrétia assise dans sa chambre. Affligée, elle fondit en larmes à l’arrivée des siens. Son mari lui demanda : "Qu’est-ce qui ne va pas ?" — "Plus rien ne va, répondit-elle. Que reste-t-il à une femme, quand elle a perdu son honneur ? Il y a la trace, Collatin, ici dans ton lit, d’un autre homme que toi. Seul mon corps a été violé. Mon coeur est pur. Ma mort en témoignera. Mais joignez vos mains droites et jurez que mon suborneur sera puni. C’est Sextus, le fils de Tarquin, qui est venu en hôte hostile. Il était armé cette nuit quand il a, par la force, arraché d’ici une jouissance funeste pour moi. Pour lui aussi, si vous êtes des hommes !" Tous s’engagèrent tour à tour. Ils consolèrent la femme affligée en attribuant à l’auteur du délit la faute à laquelle elle avait été contrainte. "C’est l’esprit qui fait le mal, disaient-ils, non le corps, et là où il n’y a pas d’intention, il n’y a pas de culpabilité." "Puissiez-vous voir, dit-elle, ce qui lui est dû. Mais moi, tout en m’absolvant de la faute, je ne me soustrais pas au châtiment. Pas une seule femme impudique ne vivra en se réclamant de Lucrétia."
Sous ses habits se dissimulait un couteau. Lucrétia s’en frappa en plein coeur. Elle s’affaissa sur sa blessure et tomba mourante, au milieu des cris de son mari et de son père. »
Tite Live, Histoire romaine I, LVIII. (Traduction de Danielle De Clercq, Bruxelles, 2001).

Le suicide de Lucrèce


Lucrèce par Artemisia Gentileschi, 1630-1635.
Collection privée. ZOOM : cliquer sur l’image.



Salvator Mundi

Le Sauveur du monde par Léonard de Vinci (?).
ZOOM : cliquer sur l’image.

Ce tableau qu’évoque Sollers, vendu 450 millions de dollars chez Christie’s, le 15 novembre 2017, est-il de Léonard de Vinci ? Les experts sont partagés. De plus, son dernier acquéreur reste mystérieux et le tableau semble introuvable. Son histoire récente, même si elle ne provoque pas le même délire, ressemble à celle de L’Origine du monde de Courbet ! Une seule chose est sûre : malgré des démarches insistantes des commissaires Vincent Delieuvin et Louis Frank, Le Sauveur du monde ne figure pas dans l’exposition Léonard de Vinci qui a lieu à Paris jusqu’au au 24 février 2020.
LIRE :
Enquête : La folle aventure du vrai faux tableau de Léonard de Vinci
L’exposition Léonard de Vinci / LES 500 ANS
[1] Le premier volume des Oeuvres de Sade est sorti en janvier 1990. Relisez Sade dans le Temps, écrit au début des années 90 peu après la commémoration du bicentenaire de la Révolution.
[2] Etc. et, par exemple, Portraits de femmes.
[3] Citations : « Toute fondation demande à être périodiquement refondée, toute grande découverte attend sa redécouverte. Freud découvre l’hystérie : c’est un continent nouveau, bientôt recouvert par un océan d’images. Elle est là, pourtant, l’hystérie, très changée, mais toujours la même. Bien que très déprimée, elle n’arrête pas de parler. Effervescente ou glacée, mutique ou jacassante, frigide ou déchaînée, vous pouvez l’appeler bipolaire. C’est le vrai pôle Nord de l’humanité. »
« Bipolaire », c’est plus chic que le nom ancien de psychose maniaco-dépressive. Une star bipolaire se remarque aussitôt. C’est l’étoile du spectacle un peu partout au café, au restaurant, à la radio, sur un plateau de télé. Les hommes n’ont pas le choix : soit ils s’identifient à cette astronomie perturbante, soit ils se taisent, se mettent entre parenthèses, de plus en plus déboussolés par des ellipses aussi convulsées. »
« Plus d’un siècle après, tout continue comme si rien n’avait été dit. »
[4] Cf. Où en est la femme française ?.
[5] Homonymie pour homonymie : Yannick Haenel est, lui, plus séduit par la Judith de Caravage que par Lucrèce (contrairement à Michel Leiris qui, dans L’âge d’homme, oscille continuellement entre les deux figures représentées sur une photographie d’un Cranach qui l’obsède).

Lucrèce et Judith par Cranach (vers 1540).
ZOOM : cliquer sur l’image.

5 Messages
Cependant une petite mise au point, nous sommes éternels, mais pas immortels .Nous mourons chaque seconde dans un ralenti indéterminé où la vie courtoise nous sauve de tout ce boucan alentour, aussi est-ce pourquoi nous avons quitté le National depuis longtemps, il n’est plus rien possible d’y vivre de façon normale, et le mot gagne à l’Étranger que le pays dérive à sa relégation . Il nous reste la courtoisie de fréquenter, la plus belle, la plus suave heure de l’après-midi n’est pas le coït ou ses environs, mais de plus profondes conversations animées du désir de tout, sauf de baiser . Dans les marges des centres urbains du système du travail horodaté, en plein cœur de Centre Ville, attablés aux terrasses ou aux courses dans le manège des commerces, une nouvelle façon d’être s’invente en se remémorant, que l’amitié amoureuse des femmes est la plus belle des échappées, laissée aux idiots utiles de la Générale Farcesque, aux branleurs de la vie universelle où, si nous mourrons bien un jour, nous continuerons la vie éternelle, qui n’est peut-être pas différente d’une heure au parc dans la roseraie légendaire, sur un banc à compter les rouges-gorges et à deviser d’avenir au pied d’une café allongé, dans la musique du Temps qui se recompose à mesure, que passent les figures chéries de l’âge d’homme, comme au carrousel des marionnettes ou le maître confucéen nous admet dans ses mémoires imprimées en 4x3 aux entrées des villes là-bas, où le dragon flotte dans la mesure où il apprend, que son adversaire est l’ami qu’il cherche depuis toujours, dans un grand sentiment déclamé et d’une paix endurant tout grief, de revenir à nos amoures pareilles, celle des cœurs endurcis de l’accolade du trouvère, quand la banquise se réveille, et l’ours blanc se casse encore une fois . Tant pis, pour l’éternité alors, et à l’heure de notre mort, amener sa conversation et des gâteaux secs au banquet de Samira, Judith, Salomé, Sylvie, YuanYuan, Yoko, MinYong, Dorothée, Marie-Josée, Amélie, Yvette, marie-Thérèse, Sandrine, Dolorès, Sabine, Soizic, Stana, Alexandra, Caroline, Laure, Élise, Imane, Maëlle, Marcelle, Nadine, Magali, Marisol, Ego, Béatrice, Jeanine, Nancy, et de la Sénéquier .
La révolution #MeToo et ses promesses est-elle une bonne nouvelle pour le féminisme et pour la société toute entière ? Faut-il se réjouir de cette tant attendue libération de la parole sans même questionner le bien-fondé du mouvement ? Sabine Prokhoris et Clotilde Leguil ouvrent le débat.
Alain Finkielkraut s’entretient avec la philosophe et psychanalyste, Sabine Prokhoris, auteure du Mirage#MeToo, et Clotilde Leguil, psychanalyste, philosophe et professeur au département de psychanalyse de l’université Paris 8, qui publie Céder n’est pas consentir. Un débat autour de la question de la révolution #MeToo et de ses multiples ses déclinaisons.
Répliques, 16-10-21
Sabine PROKHORIS
Collection : Documents
Date de parution : 07/10/2021
Une critique féministe et argumentée du mouvement #MeToo et de ses déclinaisons.
La révolution #MeToo est-elle une bonne nouvelle pour le féminisme, et pour la société toute entière ? La propagation immédiatement virale du hashtag, en ses diverses déclinaisons, est-elle le signe que cette « libération de la parole » n’avait que trop tardé ? Ne faut-il pas se réjouir que les violences faites aux femmes, et l’arrogance odieusement sexiste de certains comportements inacceptables, se voient de cette façon publiquement dénoncées ? Ce « moi aussi » ne porte-t-il pas un espoir neuf ?
Tous ou presque ont d’emblée passionnément voulu le croire, concédant tout au plus quelques regrettables excès. Portée par les #MeToo, #BalanceTonPorc, et autres piloris virtuels, la parole des victimes sexuelles auto-proclamées est alors apparue comme exclusive source de vérité. Et le mot d’ordre « On vous croit ! » a fermé tout questionnement sur le bien-fondé du mouvement #MeToo, comme sur la nature de ses promesses.
En prenant appui sur l’analyse du cas français, durablement marqué par le « moment Adèle Haenel », ce livre ouvre le débat interdit. Il entreprend de décrire, et de discuter précisément les croyances théoriques qui cimentent le hashtag désormais sacré. Et il démontre combien les conséquences en sont en réalité funestes, pour les femmes et pour tous.
Une approche clinique et politique du consentement
Date de parution : 03/03/2021
« Céder n’est pas consentir. » Cela semble une évidence. Il faut affirmer l’existence d’une frontière entre « céder » et « consentir ». Pourtant, il existe quelquefois une proximité dangereuse entre les deux. Le consentement en effet comporte toujours un risque : jamais je ne peux savoir à l’avance où celui-ci me conduira. Se pourrait-il dès lors que le consentement laisse la voie libre au forçage ? L’expérience de la passion, l’angoisse dans le rapport à l’autre, l’obéissance au Surmoi peuvent brouiller la frontière au sein même du sujet entre le consentement et le forçage. À partir de l’actualité du mouvement #MeToo et du récit de Vanessa Springora, Clotilde Leguil explore les racines subjectives du consentement. Depuis la psychanalyse, elle montre que le désir n’est pas la pulsion et que la confrontation au forçage laisse une marque ineffaçable. Pourquoi ne puis-je rien en dire une fois que celui-ci a eu lieu ? Comment à nouveau consentir à dire ?
Dans Le Nouveau (2019), Sollers écrit :
« On exhibe un Sauveur du monde de Léonard de Vinci, et il est vendu 450 millions de dollars : ce peintre a tout l’avenir devant lui, le reste est vacarme. »
Le tableau étant aussi introuvable que son acheteur, on pouvait se poser quelques questions sur l’authenticité du Sauveur. Ce que j’avais fait. Antoine Vitkine a enquêté. Son documentaire, « la Stupéfiante Affaire du dernier Vinci », passera sur France 5 le 13 avril. Je lis aujourd’hui dans la presse :
Alors qu’à New York a commencé le procès du producteur américain Harvey Weinstein...
Accusé par Adèle Haenel, Christophe Ruggia est mis en examen pour « agressions sexuelles sur mineur de 15 ans »
L’actrice accuse le cinéaste, âgé de 55 ans, d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » lorsqu’elle était adolescente, entre 2001 et 2004. LIRE ICI.
Un psychanalyste a écouté le témoignage d’Adèle Haenel dans Mediapart et s’interroge.
Pour une intimité politique ?
par Florent Cadet
Une femme a repris autrement la parole. Son visage paraissait concentré, ses traits semblaient tirés par la fatigue et par l’émergence d’un nouveau dire avec lequel composer. Un dire chargé par la force de dévoilement d’une fracture intime. Un dire donnant plus de corps à un moment politique inauguré par #MeToo. Adèle Haenel a parlé sur le site d’information Médiapart, et j’ai été ému. La gorge se noue. Un frisson accompagne la justesse de son ton et de son énonciation. Une attention inhabituelle se tend vers son discours. En quoi cette émotion convoque-t-elle l’analysant ?
Que s’est-il donc passé ? Cette chose toute bête et émouvante que des analysants vivent à certains moments de leur analyse : elle prenait la parole à partir d’un endroit jusqu’ici tenu à l’écart, rejeté ou mis à distance. D’un moment traumatique, elle faisait, sous nos yeux et à nos oreilles ébahis, une parole politique. À la différence de l’analysant, son intimité en souffrance a immédiatement pris un tournant politique, du fait de sa notoriété.
En visionnant son témoignage, j’ai aussi pensé au risque de l’indécence. Je me suis demandé, quand elle s’est mise à lire la lettre écrite pour son père, si son témoignage allait devenir gênant et impudique. Ce ne fut pas le cas, par la grâce d’un moment politique prêt à entendre qu’une nouvelle voix naissait.
Parfois turlupiné par la question de la fin de l’analyse, je me suis dit : n’est-ce pas l’exemple d’une voix de sortie ? Quand l’intimité peut trouver un moyen de résonance dans le politique ? Cette question s’est ouverte depuis le témoignage d’Adèle Haenel : une voix de sortie de l’analyse, est-ce la production d’une intimité politique ? Et maintenant il s’agit de lâcher la question pour que l’analyse se poursuive sans excès de raisonnement…
Lacan Quotidien 857, décembre 2019