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Lettres à Dominique Rolin 1981-2008 par Philippe Sollers

AVEC BAUDELAIRE, la belle Irlandaise, CHIRAC, SAINT SIMON...

D 17 octobre 2019     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Viens d’être publié, chez Gallimard, le deuxième tome des « Lettres à Dominique Rolin » par Philippe Sollers.


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Présentation

La période que ponctuent ces 248 lettres de Philippe Sollers à Dominique Rolin est, pour les deux écrivains, un temps de création intense, sous le signe stable et dynamique de ce qu’ils n’ont cessé d’appeler « l’axiome ». Ce terme au parfum spinoziste vise la manière unique dont les amants ont vécu et affirmé, dès le début de leur aventure, ce qui relie indissolublement l’amour et un constant travail d’écriture et de pensée, signant de la sorte la vraie fidélité de l’un à l’autre, dans la vie et sur la page.

Si les lettres réunies ici s’avèrent plus brèves que celles de la période précédente (1958-1980), c’est que le travail des deux écrivains a gagné en force, en ampleur et en diversité. De nombreuses lettres varient les thèmes de Venise, de l’île-bateau (Ré), de l’orage, du sel, des oiseaux, des fleurs, des arbres, du temps qu’il fait, ou encore du lien étrange entre écriture et tennis. Nous suivons pas à pas les hésitations et les interrogations sur l’œuvre en cours, de même que les abondantes lectures qui accompagnent le travail. Autre filon important dans ces pages : la manière satirique, rapide, dont Sollers rend compte de la dégénérescence des politiciens.

La connaissance et la reconnaissance amoureuses se révèlent plus affirmatives, plus nettes et plus singulières au fil des ans et des jours.

• Nombre de pages : 298 pages
• Editeur : Editions Gallimard (17 octobre 2019)

Index des noms de personnes

En consultant l’Index des noms de personnes en fin d’ouvrage, on peut noter pour les plus de deux entrées les noms suivants.

On retrouve là, bien sûr, un échantillon du panthéon sollersien, avec sur le podium : Charles Baudelaire (15 entrées) et ex aequo Mozart, Proust, Rimbaud, Chirac (chacun 13 entrées)

Les noms cités concernent la littérature, poésie et l’art mais aussi la politique avec Mitterrand, Chirac, Jospin, Le Pen et Eltsine, acteurs politiques pendant la période concernée, mais aussi Louis XIV, Napoléon, Mao, Staline et Hitler..

BAUDELAIRE, Charles (15)
MOZART, Wolfgang A. (13)
PROUST, Marcel (13)
RIMBAUD, Arthur (13)
CHIRAC, Jacques (13)

CÉLINE, Louis-Ferdinand (11)
MITTERRAND, François (9)
JEAN-PAUL II, pape (Karol WOJTYLA) (8)
NIETZSCHE, Friedrich (8)
VOLTAIRE, (François Marie AROUET, dit) (8)

CÉZANNE, Paul (7)
DANTE ALIGHIERI (7)
FLAUBERT, Gustave (7)
SADE, marquis de (7)
DENON, Dominique Vivant (6)

HOMÈRE (6)
MANET, Édouard (6)
PICASSO, Pablo (6)
SARTRE, Jean-Paul (6)
WATTEAU, Antoine (6)

BACON, Francis (5)
FAULKNER, William (5)
FRAGONARD, Jean-Honoré (5)
JOYCE, James (5)
LE PEN, Jean-Marie (5)

LUSTIGER, cardinal Jean-Marie(5)
AUGUSTIN, saint (4)
BACH, Jean-Sébastien (4)
BERNINI, Gian Lorenzo, dit LE BERNIN (4)
HEIDEGGER, Martin (4)

JOSPIN, Lionel (4)
MAO ZEDONG (4)
MONTEVERDI, Claudio (4)
NABOKOV, Vladimir (4)
NAPOLÉON, Bonaparte (4)

SAINT-SIMON, duc de (4)
SÉVIGNÉ, marquise de (4)
SHAKESPEARE, William (4)
ARTAUD, Antonin (3)
BALZAC, Honoré de (3)

BENOÎT XVI, pape (Joseph Aloisius RATZINGER) (3)
CHAR, René (3)
CHATEAUBRIAND, François-René de (3)
DUMAS, Alexandre (3)
ELTSINE, Boris (3)

FREUD, Sigmund (3)
HAYDN, Joseph (3)
HITCHCOCK, Alfred (3)
HITLER, Adolf (3)
HÖLDERLIN, Friedrich (3)

LA FONTAINE, Jean de (3)
LAUTRÉAMONT, comte de (Isidore Lucien DUCASSE, dit) (3)
LE CLÉZIO, Jean-Marie Gustave (3)
LOUIS XIV (3)
MOLINIÉ, Louis (3)

MONET, Claude (3)
PASCAL, Blaise (3)
PIVOT, Bernard (3)
POE, Edgar Allan (3)
SPINOZA, Baruch (3)

STALINE, Joseph (3)
TIEPOLO, Giambattista (3)

Extraits

Les lettres 207 et 208 présentées ci-dessous ont été sélectionnées par Philippe Sollers en illustration de la page qu’il consacre sur son site à la publication de ce tome de correspondance.


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Feuilleter le livre ICI.
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Interlocution - DOMINIQUE ROLIN - PHILIPPE SOLLERS from PhilippeSollers on Vimeo.

LE FUTUR IMMÉDIAT
15 Décembre 2005
Réalisation : Laurène L’Allinec © 2006

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Lettres à Dominique Rolin 1981-2008 par Philippe Sollers
Parution le 17 octobre 2019, Gallimard
Edition établie, présentée et annotée par Frans de Haes
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BAUDELAIRE.

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Nota : les mots soulignés correspondent à la typographie des lettres originales. Les mises en gras sont de pileface.

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reçu à Paris le jeudi 16 juillet 1981 à 9 heures.
(mercredi) Le Martray, le 15 juillet 81

[…] Tu connais ce mot de Baudelaire à propos de Manet ? « Il n’a pas l’air de se rendre compte que plus l’injustice augmente, plus sa situation s’améliore (1). » C’est beau, non ?
Paysage impassible, toujours en mouvement. Je suis là depuis des siècles…
J’avance rapidement dans Femmes — la difficulté est de garder en même temps Paradis 2 sous la main. Femmes, ça va être du Paradis appliqué, ponctué, déplié, figuratif — la démonstration consistant à mettre en évidence que la 4ème dimension contient la 3ème sans que le contraire soit vrai.
C’est curieux et drôle (j’espère). Idée : une sorte de Possédés (2) des temps modernes. Dérision de tout…
Le Gâteau est un chef-d’œuvre. Repose-toi.
Garde bien le Veineux (3).
Je t’aime, je t’embrasse —


1. Charles Baudelaire, Lettre à Madame Paul Meurice, mai 1865 (in Correspondance, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1976, p. 501).
2. Voir F. Dostoïevski, Les Possédés (ou Les Démons).
3. Rappelons que « le Veineux » désigne l’appartement de Dominique Rolin, rue de Verneuil, à Paris. Voir Ph. Sollers, Lettres à Dominique Rolin, 1958-1980, Gallimard, 2017, passim. Sollers, quant à lui, écrit de sa maison du Martray dans l’Île de Ré

Philippe Sollers. Lettres à Dominique Rolin (1981-2008) (Blanche) (p. 26). Editions Gallimard


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reçu à Paris le samedi 1er août 1981 à 12 heures.
(vendredi) Le Martray, 31/7/81

[…] Tu sais ce qu’écrit Baudelaire : « Étant enfant, je voulais être tantôt Pape — mais pape militaire —, tantôt comédien. Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations » (1), les Gesuati (2) sont à toi. (le rêve).
Orage, ce matin. Tonnerre — et le ciel se dévoile, colère.
Je t’aime, je t’embrasse,

Ph

1. Ch. Baudelaire, « Mon cœur mis à nu », in Œuvres complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1975, p. 702-703.

2. L’église Santa Maria del Rosario o dei Gesuati, située à Venise sur la « Fundamenta Zattere ai Gesuati », le long du canal de la Giudecca non loin de la pension La Calcina où, pendant de longues années, D. Rolin et Ph. Sollers occupaient la chambre 32. D’où le sigle « 32 » qui reviendra dans plusieurs lettres.

(p. 29-30). Blanche, Gallimard


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(reçu à Paris le samedi 4 août 1984 à 12 heures.)
Le Martray, 3/8/84 (vendredi)

[…] Je relis Baudelaire sur Edgar Poe. Il l’appelle toujours « l’homme du Sud »… « Le Virginien »… Les attaches de Poe étaient à Richmond (Virginie) où il a dirigé le Southern Literary Messenger. Juste avant la guerre dite de Sécession, donc. De Poe à Faulkner, la tradition Sud, la tradition « française » perdue par la France elle-même (mais pas par Bordeaux !) se continue donc de façon évidente. (Évidente : c’est pourquoi personne n’en parle !) L’Histoire est écrite par les Nordistes… C’est-à-dire par les Allemands… (Juifs compris). Baudelaire prend d’ailleurs soin de noter que les textes de Poe sont « émaillés de termes français ». Il l’oppose à Goethe… Le compare à Balzac. Et à… Diderot !… « Diderot, le plus hasardeux et le plus aventureux, qui s’appliqua, pour ainsi dire, à noter et à régler l’inspiration ; qui accepta d’abord, et puis, de parti pris, utilisa sa nature enthousiaste, sanguine et tapageuse. » J’écoute Fairy Queen de Purcell à la radio. C’est pour toi. Je t’aime, Shamouth PJBB (1), je t’embrasse,

Ph

1. Explicité en exergue du Dictionnaire amoureux de Venise par Philippe Sollers : « Pour la Grande Petite Jolie Belle Beauté ».

(pp. 61-62) Blanche, Gallimard


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(reçu à Paris le lundi 13 juillet 1987 à 18 heures.)
Le Martray, le 11/7/87 (samedi)

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Jo, la belle Irlandaise
ZOOM : cliquer l’image

[…] J’ai une édition de poche du Spleen de Paris, de Baudelaire, avec, sur la couverture, la reproduction d’un tableau de Courbet : La belle Irlandaise. Sais-tu d’où vient ce tableau ? Je n’en ai pas la moindre idée. On dirait un des personnages contemplatifs de Bellini, à l’Accademia. Drôle de type. (C’est aussi un peu ton style dans le dessin).
Merci encore pour les Annonciations, Shamouth : très utiles !
Je t’aime, je t’embrasse,

Ph

SUR JO, LA BELLE IRLANDAISE
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Le modèle est l’artiste irlandaise Joanna Hiffernan (vers 1843 – après 1903), qui posa également pour Whistler, Le titre du tableau : "Jo, la belle Irlandaise" avec le diminutif du prénom souligne une certaine intimité entre elle et le peintre français : outre le diminutif du prénom, le qualificatif, et le motif laissent entendre une forme de complicité. Contrairement à la plupart de ses nombreuses représentations féminines, ici Courbet a prénommé son modèle.

En 1877, quelques semaines avant sa mort, Courbet écrit à Whistler :

« Où est le temps, mon ami, où nous étions heureux et sans autres soucis que ceux de l’art ? Rappelez-vous Jo, Trouville, et Jo qui faisait le clown pour nous égayer.(…) Nous nous sommes payé du rêve et de l’espace. J’ai encore le portrait de Jo que je ne vendrais jamais, il fait l’admiration de tout le monde. »

La romancière Christine Orban et l’essayiste Bernard Teyssèdre ont émis l’hypothèse que Joanna Hiffernan servit également de modèle pour le motif de L’Origine du monde, projet qui aurait meurtri Whistler, amant de la jeune femme. Mais cette thèse est réfutée, entre autres, par le critique d’art Thierry Savatier, l’un des spécialistes de Courbet, qui avance une autre possible source photographique pour L’Origine du monde

Notons aussi que Courbet réalisa quatre variantes de ce tableau avec de légères différences. Et sa lettre à Whistler sur la fin de sa vie témoigne bien d’une nostalgie à l’égard de Jo. Le choix de ce tableau pour illustrer la couverture d’une édition poche "Le spleen de Paris" de Paris de Baudelaire n’est donc pas sans résonance.

(note pileface, d’après Wikipedia.)

(pp. 91-92). Blanche, Gallimard


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(reçu à Paris le vendredi 18 juillet 1997.)
Le Martray, le 17/7/97 (jeudi)

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[…] Nous vivons dans un autre temps, dans le Temps lui-même :
« Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un (2). »
C’est du Père Hugo ! Plein de pépites comme ça dans des torrents de fadaises ! Peu importe.
Évidemment, Baudelaire c’est mieux :

« Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses (3)… » Lis de la poésie. Les Fleurs du Mal. Ça fait du bien ! Je pense à toi tout le temps. Ripatte ! Et mange-à-moi (4) !
Je t’aime, Shamouth, je t’embrasse,

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2. Vers de Victor Hugo issu de « Ce que dit la bouche d’ombre », poème XXVI du recueil Les Contemplations.

3. Premier vers du poème « Le Balcon », poème XXXVI du cycle « Spleen et Idéal » dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire.

4. Mots du code amoureux entre les amants.

(p. 201-202). Blanche, Gallimard


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reçu le vendredi 19 juillet 2002.
Le Martray, le 18/7/02 (jeudi)

Mon amour,

[…] Autant en emporte le rien. Vivons.

Dumas, oui, c’est très bien, bravo, pourquoi pas, et au Panthéon, d’accord : que ne ferait-on pas, en France, pour oublier Baudelaire !

« Mon enfant, ma sœur.
Songe à la douceur — » (2)

Je t’aime, Shamouth, à tout de suite, Nouba, je t’embrasse,

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2. Charles Baudelaire, « Invitation au voyage », poème LIII de « Spleen et Idéal », première section des Fleurs du Mal.

(p. 263). Blanche, Gallimard


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CHIRAC

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reçu à Paris le mardi 11 juillet 1995 à 18 heures.
Le Martray, le 10/7/95

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[…] Chirac m’a toujours fait penser à un canard sans tête courant au hasard en faisant coin-coin (mais avec quoi fait-il coin-coin puisqu’il n’a plus de tête ?).

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(p.177). Blanche, Gallimard


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reçu à Paris le mercredi 14 août 1996 à 14 heures.
Le Martray, le 13/8/96 (mardi).

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[…] Chirac allant à la messe en veston d’été ! Les gens se précipitant pour avoir son autographe ! Il joue le bon bougre, et c’en est probablement un.

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(p.191). Blanche, Gallimard


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reçu à Paris le vendredi 17 juillet 1998.
Le Martray, le 16/7/98 (jeudi)

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[…] Temps gris, ce matin, plus froid mais torchon. Une sorte de faux automne. Le déboussolage continue. Avec l’arrivée du tueur Syrien, Assad, comiquement surnommé par les radios « le lion de Damas » ! Rencontre avec Chirac, le coq de Paris ! (Tout cela surveillé par Hariri, l’homme des Syriens au Liban, et qui paye Chirac) (2).

Aucune importance. Je lève la tête, j’écoute le Temps, je pense à mon Shamouth courageux, je me remets au travail. [...]

Je t’aime, Shamouth, je t’embrasse,

Ph

2. Hafez al-Assad (1930-2000, père de l’actuel président Bachar al-Assad, né en 1965) était en visite officielle à Paris le 16 juillet 1998, invité par le président Chirac. Rafiq Hariri, homme d’affaires enrichi en Arabie saoudite, a dirigé cinq gouvernements au Liban entre 1992 et 2004. Il sera assassiné à Beyrouth le 14 février 2005.
(pp. 213-214). Blanche, Gallimard


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reçu à Paris le mercredi
Le Martray, le 22/4/2002 (lundi).

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[…] Eh bien Chirac-Le Pen, il faut le faire ! Sacré sale peuple français ! Et pauvre Jospin (1) ! Me revoilà en exil. Tant mieux, la littérature est faite pour ça.

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1. Aux élections présidentielles de 2002, le candidat socialiste Lionel Jospin est éliminé au premier tour. Au second tour s’affrontent Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac. Ce dernier l’emportera avec 82,21 % des voix.

(p. 260). Blanche, Gallimard


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SOLLERS A L’ELYSEE SOUS CHIRAC
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Julia Kristeva, Jacques Chirac, Philippe Sollers à l'occasion de la création du Comité Handicap (2003)
Julia Kristeva, Jacques Chirac, Philippe Sollers à l’occasion de la création du Comité Handicap (2003) De g. à d on peut reconnaître David (costume blanc, chemise noire, comme sa mère), Julia Kristeva (en blanc et noir), Jacques Chirac, Philippe Sollers.
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NOTA : Sauf erreur, il n’y a pas de mention de cette rencontre à l’Elysée. dans la sélection des lettres présentées dans le tome 2 de sa correspondance avec Dominique Rolin, malgré treize entrées consacrées à Jacques Chirac,

Pourtant Jacques Chirac et le couple Kristeva-Sollers sont tous deux concernés personnellement par le handicap : Jacques Chirac avec sa fille aînée, autiste, et le couple Kristeva-Sollers avec leur fils David, dont Sollers parle avec amour dans ses livres et confiait à Serge Moati : « Il est différent, ce n’est pas grave » comme pour dire qu’avec lui, il oubliait cette différence.

C’est vrai que c’était à l’occasion de la création du Comité national du Handicap, présidence confiée à Julia Kristeva par Chirac. Probablement pudeur et égard de Sollers vis-à-vis de Dominique, mais notons aussi que ce tome 2 de la correspondance ne rassemble q’une lettre sur quatre environ. .

(p. 260). Blanche, Gallimard


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SAINT SIMON

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reçu le vendredi 10 août 2007.
Le Martray, le 9/8/07 (jeudi)

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[…] Et maintenant, Domi Larousse !
Tu prends la lettre R, et puis la S ! Tu n’as à dépasser que Racine (pas simple), Rivarol, Robbe-Grillet (nul), Rubens.
Moi, c’est impossible : Saint-Simon, Sévigné, Sade, Shakespeare !
Enfin, que des grands vivants !
Domi, je ne te remercierai jamais assez de simplement exister ! Attention frigo, pain, Proxi ! Pharmacie ! Et vive Christine Simon, Viviana, Leonor (1) !
Je t’aime +++, Shamouth de rêve, je t’embrasse,

Ph


1. Aides à domicile de Dominique Rolin.

(p. 308). Editions Gallimard.


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vendredi
Le Martray, le 25/7/08

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Mon amour, MATRÉSOR !

Ce sera, aujourd’hui, la journée des 9 cygnes sauvages noirs qui ont succédé, avant de disparaître, aux cygnes sauvages blancs.
Maintenant, le temps bascule : du bleu on passe au gris (pluie bientôt), et les jours commencent à aller vers toi, comme les plumes à l’océan (image grandiloquente mais vraie).

Je suis en train de rattraper mon retard à la machine. Tu es assise sur mes genoux pendant que je tape, ce qui est un peu encombrant mais joyeux. Domi ! Ma Domi ! Musique !

Drôle d’époque, on se demande qui lit quoi (Saint-Simon !), et même s’il y a encore des cerveaux pour lire. Tunnel. Mais pourquoi pas ?

Je vais au château de Saint-Simon, le 6 septembre, un samedi, pour recevoir mon prix (1). C’est à la Ferté-Vidame (du côté de Chartres). Plus surréaliste, difficile à faire ! Mais la Providence y veillera.
Comme elle veille sur ma Trésor !

→ Boire !
→ Manger !

Je t’aime +++, Shamouth, je t’embrasse,

Ph


1. Ph. Sollers reçoit le prix Saint-Simon pour Un vrai roman. Mémoires. Le prix fut créé en 1975 sous les auspices de la ville de La Ferté-Vidame ; il est géré par l’association des Amis de la Ferté-Vidame avec le soutien de la Société Saint-Simon.

(pp. 314-315). Blanche, Gallimard


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DOMINIQUE ROLIN ET LES MEMOIRES DE SAINT SIMON
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In Plaisirs / Messages secrets (L’infini). Editions Gallimard

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J’ai beaucoup lu dans ma vie, et dans ma jeunesse en particulier, mais je découvre aujourd’hui, grâce à Lui [Philippe Sollers], les Mémoires de Saint-Simon, avec jubilation. C’est inouï de lucidité, de férocité et d’éclat. Saint-Simon invente des mots comme on trouverait des pierres précieuses, maléfiques ou enchanteresses, mais toutes magnifiques de vérité ; et il imagine les situations terribles qui sont enfermées dans les pages, dans les lignes, à chaque instant, par ensembles courts ou plus longs, comme autant de morceaux de vie à dérouler au plus près de ce qu’il a vu et saisi sur le vif.

Quand il commence à écrire ses Mémoires, on l’a mis en situation de silence : il a été banni de la Cour. On essaie de le faire taire. C’est alors qu’il ressuscite les unes après les autres toutes les personnes qu’il a connues dans son existence et qui deviennent des personnages à part entière dans une plénitude ronde, son univers à lui. Le temps n’existe pas, c’est l’écriture elle-même qui donne le temps.

Au-delà du silence imposé et de la parole transcrite « à la diable pour l’éternité » par Saint-Simon, on entre avec lui dans le tumulte d’un océan déchaîné. Ce qui est frappant, c’est que cet océan de mots arrachés bribe par bribe surgit dans la tête d’un génie absolu, sans égal dans la littérature. Cela va d’ailleurs bien au-delà de la littérature elle-même, à laquelle il ne croyait pas appartenir. Ce sont des blocs chiffrés qui démantèlent l’être humain et dont le tout constitue un organisme mangeable effrayant, quasiment cannibale et parfois bizarrement tendre, car sous les aspects d’un mémorialiste implacable pointent, ici et là, des étincelles de mansuétude, comme en passant. Telle femme, grossière dans son accoutrement, se révèle délicate par un détail dérobé, une main gracieuse ou un regard intelligent. La petite princesse, livrée à la cour d’Espagne, rote bruyamment par trois fois devant l’envoyé du roi de France qu’il est alors à ce moment-là, et il s’en amuse franchement. L’esprit d’enfance déchire son ambassade protocolaire, c’est à mourir de rire. Peu de ponctuation, mais un souffle de feu ; pas d’afféteries, mais une masse splendide d’expressions inédites qui vous tombe dessus ; aucun arrêt, mais un flux continuel de sensations contradictoires.
Curieux tout de même que cette lecture essentielle arrive si tard dans ma vie. J’en ai été ahurie et véritablement bouleversée.

Cela me ferait relire toute la littérature autrement, parcourir à nouveau tous les paysages de France, d’Espagne ou de Flandre que je connais déjà, et revoir toute la peinture que j’ai aimée, Rubens, Rembrandt et Picasso en particulier, parce qu’il y a chez ces très grands artistes un jaillissement comparable à celui de Saint-Simon, unique, sombre, profond, furieux.

J’admire la vie sous toutes ses formes et je l’accueille comme elle exige d’être accueillie. C’est un don à l’envers. On est le produit de ce qu’on découvre en naissant, puis en grandissant et en évoluant ensuite au fil des rencontres, des lectures et de sa propre existence. C’est un don magnifique, peut-être sacré… Le monde vit à travers nous, le temps nous est offert et nous sommes des êtres humains uniques.

Je me suis beaucoup construite à travers les livres que j’ai lus, et avec Saint-Simon j’ajoute de nouvelles couleurs à ma vie. Il faut aimer la vie, ne pas reculer devant les difficultés, s’aimer soi-même, découvrir de nouveaux territoires et être libre. On ne doit rien à personne qu’à soi-même. Tous les livres que j’ai aimés m’ont mise sur le chemin de ma liberté.

Il faut faire comme si nous nous mettions au monde nous-mêmes, comme si nous nous jetions nous-mêmes dans l’existence, qui peut être tour à tour blessante ou passionnante. Bien des gens blessés ne voient plus que leurs plaies, c’est-à-dire le pire de leur existence… Peut-être leur manque-t-il cette divination secrète qu’il s’agit de découvrir pour retrouver le goût des choses. Ils se laissent aller au refus du don qu’est la vie, au refus du corps, du visage et de la pensée qui sont nos plus précieuses richesses. Si on ne devine pas l’extraordinaire splendeur qui est là sur tous les plans dans le fait de toucher, d’aimer, de ressentir toutes les émotions, et même de haïr, on est perdu dès le début. Il faut être très humble face à la vie, il faut que celle-ci soit tentée de nous prendre en elle. Et pour cela, c’est vrai qu’il faut de l’énergie. Il y a des gens qui refusent tout. Or la vie nous attend partout ! Les êtres malheureux qui se laissent envahir par ce tourment sans couleur, sans goût, sans mouvement qu’est le fait d’être planté vivant sur la planète et de n’en rien faire, se trompent.

Il faut être heureux d’être soi, ne pas se regretter, être aussi pur que possible face à soi-même. On n’est pas seulement l’enfant d’un homme et d’une femme, on est beaucoup plus. Libre à chacun de se hisser au-dessus de tout cela pour devenir l’inventeur de sa propre vie, tout le temps qu’elle dure, avec modestie, secrètement, à travers le silence, la patience, la pauvreté comme la magnificence.

J’aime les créateurs, écrivains, peintres ou musiciens, parce qu’ils ont fait le pari de la vie. Comme Lui, que j’ai choisi autant qu’il m’a choisie. J’aime la force de résistance, l’honnêteté de l’esprit, la grandeur de cet homme qui n’a peur de rien, pose sans arrêt sur le monde un regard profond, reste constamment ouvert sur tout et va toujours jusqu’au bout de lui-même.

Dominique Rolin
Plaisirs / Messages secrets (L’infini) (pp. 279-282). Editions Gallimard.


Dominique Rolin
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Critiques


L’intégrale de la critique (pdf)
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Poursuite de la correspondance amoureuse de Philippe Sollers à Dominique Rolin. Une leçon de vie, de travail et d’amour.

Ça commence et finit toujours de la même manière. Le Martray, mon amour et puis, je t’aime, Shamouth, je t’embrasse. Naissance et mort. Chaque lettre en est une petite. Chaque jour où Philippe Sollers est « retiré » (car c’est bien de cela au fond qu’il s’agit) dans sa maison de l’île de Ré, il écrit à Dominique Rolin en son (leur) appartement de la rue de Verneuil à Paris [lieu souvent appelé le Veineux dans les lettres (note pileface)]. Que lui dit-il ? Les plaisirs et les jours. C’est souvent le petit matin, les mouettes, les canards qu’on attend, les arbres dans le jardin, les parties de tennis et eux, éternellement eux.

Sollers se sent seul. Il en tire une satisfaction morose et sensuelle. Bien sûr, ici ou là, il a la dent dure. Sur ceux qui nous gouvernent, son époque (« les gens sont complètement pris dans le spectacle. Ils ne font que ruminer sur place leur image, par rapport aux autres (...)C’est la maladie sociale habituelle mais multipliée par un million. »), l’acculturation générale. Mais l’essentiel n’est pas là, l’essentiel c’est ce « dialogue », engagé avec une femme aimée, sur les auteurs d’un passé dont il réprouve qu’il soit bel et bien passé, sur les peintres, les arts, la civilisation (dont Venise, surnommée « la 32 », du numéro de la chambre d’hôtel qu’ils y partagent deux fois par an) dont Venise demeure l’exemple subitement agonisant. On voit monter peu à peu chez lui un mépris du contemporain et de son pays en ces temps qui lui inspirera bien vite sous sa plume l’expression « la France moisie ». Lui est un homme des Lumières et de la joie. Pour le demeurer, une seule solution, le travail. Un travail acharné.« L’espace ? Vide. Le Temps ? Silencieux. Il ne reste plus qu’à écrire. »Et un travail qui se donne l’infinie élégance de ne pas s’afficher comme tel.

Bien sûr, il ne faut pas oublier qu’il s’agit bel et bien ici d’une correspondance amoureuse faisant suite à Lettres à Dominique Rolin 1958-1980, (Gallimard, 2017). A la lecture de ces pages, on a l’impression que le « couple », sans doute conviendrait-il mieux de parler de complices, trouve son équilibre dans cet échange qui est aussi fondamentalement littéraire. Dominique Rolin est une muse autant qu’une partenaire de « jeu ». Sollers s’en veut un peu parfois de ne pas assez lui « renvoyer la balle. » «  J’ai eu tellement de guerres à faire, que je me reproche souvent de n’avoir pas fait assez pour toi... ». Qu’importe, ils sont indéfectiblement au diapason de leur« passion fixe », titre d’un des plus beaux livres de l’auteur de Paradis, de leurs passions. Autant dans ses propres lettres Lettres à Philippe Sollers 1958-1980, (Gallimard, 2018), Dominique Rolin révélait un tempérament sublime d’amoureuse, autant Sollers est plus sur un quant-à-soi qui tient une bonne fois pour toutes l’amour en principe et même en principe constitutif. Se faisant, il révèle aussi toute sa solitude de dernier fils des grands maîtres. On attend maintenant les réponses de la toute et bien-aimée.

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