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art press n°356 (mai 2009)

D 21 avril 2009     C 0 messages Version imprimable de cette Brève Version imprimable   

Le n°356 d’art press est sorti.


L’Édito de Jacques Henric

Bouffonneries

Décembre 1861. Baudelaire, malade, pauvre, endetté, placé sous la tutelle de M. Ancelle, caresse l ?idée saugrenue de se lancer dans la course à l ?Académie française. Mal lui en prend : aux misères et vexations de la vie, vont s ?ajouter les humiliations des visites aux croulants de la « Vieille dame du quai Conti ». C ?est cet épisode de la vie de Baudelaire que raconte Allen S. Weiss dans un très séduisant récit intitulé le Livre bouffon [1], récit fait de citations et de propos apocryphes du poète, de ses proches et de quelques illustres Immortels de l ?époque (Vigny, Hugo, Lamartine ?). La prosopopée est un art délicat qui exige tact, finesse, intelligence et empathie avec les personnages dans la peau et l ?esprit desquels on se glisse et qu ?on fait discourir, et surtout elle requiert une vaste culture, littéraire et historique. Toutes qualités qui caractérisent précisément l ?art d ?Allen S. Weiss. Le Livre bouffon est le récit vengeur qu ?envisageait d ?écrire Baudelaire de ses avilissantes visites à ces « nullités absolues » qu ?étaient à ses yeux les assis du quai Conti. Naïveté de l ?auteur des Fleurs du mal : il aurait dû méditer les échecs de nombre de grands écrivains comme lui ? à qui on refusa l ?entrée sous la Coupole, et qui méconnaissait manifestement les statuts de 1635 de l ?Académie exigeant que le candidat soit de « bonnes m ?urs ». Comment cet immoraliste débauché pouvait-il espérer être adoubé par une majorité de vieux cachectiques puissamment réactionnaires ? Les imagine-t-on, les mêmes ou leurs clones, recevant dans leur palais Rimbaud, Lautréamont, Barbey d ?Aurevilly, Bloy, Artaud, Bataille, Genet, Breton, Céline, Aragon ? (trop de diable, trop de sexe, trop d ?incorrection morale et politique, chez ces écrivains qui, mieux que l ?immortalité, ont l ?éternité pour eux). Amusant télescopage : c ?est au moment où paraissait le livre d ?Allen S. Weiss qu ?on assistait à une course aux fauteuils de jeunes assoiffés d ?immortalité (jeunes par rapport à l ?âge moyen de ces messieurs-dames du Quai). C ?est qu ?on nous les a bien changés nos Impérissables, le politiquement correct n ?est plus ce qu ?il était. Au temps de Baudelaire, sur leurs fauteuils, ils penchaient nettement à droite, les assis de la Coupole.

Or voilà que près d ?un siècle et demi après, leurs clones ont préféré aux deux jeunots plutôt classés à droite un troisième ayant, lui, une réputation d ?anti-conformiste plutôt gauchisant, François Weyergans, lequel, au terme d ?un raid éclair, va occuper le fauteuil de Maurice Rheims (tiens, au fait, dans quel cul-de-basse-fosse du palais le
malheureux Alain Robbe-Grillet, a-t-il disparu [2] ?). ll y en avait bien un autre de candidat, plutôt de sensibilité de gauche lui aussi, Renaud Camus, mais un concurrent vicieux a dû lui jouer le mauvais tour de distribuer aux pensionnaires du palais Mazarin son livre Tricks, récit hard de ses dragues homosexuelles. Questions : les refusés ont-ils, comme Baudelaire, le projet d ?écrire leur Livre bouffon ? Les lettres envoyées par l ?élu à ses pairs immortels sont-elles de banals cirages de pompes, ou, le connaissant, des exercices déguisés de franche bouffonnerie ? À suivre.

Jacques Henric

Le sommaire du n°56.

Jacques Henric sur pileface


[1Le Livre bouffon. Allen S Weiss. Seuil. Fiction & Cie.

[2Élu à ce fauteuil, Alain Robbe-Grillet, mauvaise tête, n ?a jamais voulu porter l ?habit, et n ?a donc jamais été « reçu ».
Mort de l’écrivain Pierre Bourgeade.
Pierre Bourgeade est mort le 11 mars. Il était âgé de 81 ans. Romancier, dramaturge, essayiste, il est l’auteur de plus de cinquante livres. Il était un de nos amis. De nouveaux livres de lui vont paraître. Nous reviendrons sur l’homme et l’écrivain qu’il fut.