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Un livre "Hommage à Philippe Sollers" célébré par Gallimard

Gallimard, 16 nov. 2023

D 11 novembre 2023     A par Viktor Kirtov - C 15 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


C’est à l’initiative des éditions Gallimard que sort en librairie, le 16 novembre, un livre hommage à Philippe Sollers, à celui qui en fut un auteur, un éditeur, un animateur de la revue L’Infini depuis 1983, et aussi pour Antoine Gallimard, un compagnon de route et un ami.


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En quatrième de couverture :

« Contrairement aux apparences, je suis plutôt un homme sauvage, fleurs, papillons, arbres, îles. Ma vie est dans les marais, les vignes, les vagues. »

Philippe Sollers, Agent secret

En page d’ouverture cette photographie :


Photographie signée Francesca Mantovani, novembre 2016 © Gallimard
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En exergue

sollers au fond en hommage aux aventuriers
Paradis (1981)

27 contributions à lire !

Des amis, des auteurs qui ont pratiqué l’éditeur, d’autres qui témoignent de l’œuvre.

Se garder de la goujaterie et du dithyrambe

« C’est presque une question de principe : à qui se mêle de vouloir faire l’éloge de Sollers il faut user ni de la goujaterie ni du dithyrambe » déclare Jean-Paul Gavard-Perret dans une brève critique du livre.
Il ne fait pas partie des contributeurs sélectionnés par Gallimard pour cet hommage.

C’est vrai néanmoins que si l’invective des détracteurs n’a pas place dans ce recueil, que la mort rend certains plus anges que démons, Jean-Jacques Schuhl, présent dans ce livre, témoigne des dangers de l’exercice, occasion pour nous de vous présenter cet extrait qui sonne juste entre les extrêmes du dénigrement et du dithyrambe :

« Je me suis approché tout près et j’ai récité les trois vers de Robert Frost que je lui avais psalmodiés au téléphone quelques jours plus tôt et qui évoquent le Ciel, le Temps et la Nuit. Je pensais que l’affaire importante dans sa vie avait été cette très ancienne et magique pratique : la poésie. (Il avait l’oreille fine et pesait les mots « au trébuchet ».)

0 luminary clock against the sky
Proclaiming time is neither bad nor right
I have been one acquainted to the night

Mais là, Dieu sait pourquoi, je les ai récités très fort, à réveiller un mort ou afin qu’il les perçoive dans les limbes ? « Ex cathedra », me dit plus tard Ingrid, un ton qui ne m’est pas familier. Sans doute étais-je moi aussi le jouet de la mort et de ses pompes. Elle nous rend solennels, le défunt « préparé », endimanché (il ne l’était jamais, ni le corps ni l’esprit ni l’écriture). Elle est une faussaire qui, autour d’elle, métamorphose tout dans l’instant. J’écris d’ailleurs ici avec un style et certains mots que je ne me connaissais pas ! Vient le temps des hommages, toujours un peu faux, pas la bonne distance, trop loin, trop proche. La mort n’était pas pour lui, si fragmenté, mobile, insaisissable. ».

Jean-Jacques SCHUHL

Un grand absent : Marcelin Pleynet

Marcelin Pleynet, le compagnon fidèle des années Tel Quel et L’Infini, - les revues de Sollers - n’a pas été sollicité par Antoine Gallimard pour participer à ce livre hommage. On peut s’en étonner.

Pleynet a été le directeur gérant et secrétaire de rédaction de la revue Tel Quel de 1962 à 1982, A l’époque où l’on excluait facilement les collaborateurs qui n’oeuvraient plus dans la ligne du « parti », celui orienté par Sollers, Marcelin Pleynet s’en faisait l’exécuteur… il collabore, ensuite avec Philippe Sollers à la rédaction de L’Infini depuis 1983. Longtemps, ces deux-là ont partagé le même petit bureau chez Gallimard. Pourtant, malgré cette promiscuité et ce long compagnonnage, les deux hommes ne se tutoyaient pas.

Une distance née de l’habitude, d’une pudeur peut-être, qui n’a plus cours aujourd’hui mais ne devait pas exclure l’estime et le respect.
Pourquoi donc Gallimard n’a-t-il pas sollicité Marcelin Pleynet ? Seul Antoine Gallimard pourrait l’expliquer.

Notons toutefois que d’autres amis proches de Sollers ne figurent pas au sommaire de ce livre hommage, ainsi Jacques Henric, Catherine Millet…
Notons aussi, qu’Antoine Gallimard n’a pas sollicité le témoignage d’autres éditeurs de la maison, les collègues de la maison, et Marcelin Pleynet, par sa contribution à la revue L’Infini était aussi, de facto, un collaborateur des Editions Gallimard.

Peut-être Antoine Gallimard a-t-il voulu limiter la liste des contributeurs amis et en particulier ceux qui avaient un lien avec la maison, pour éviter que le livre ne soit reçu comme une auto-congratulation, piège à éviter à tout prix ?

En parcourant le livre

On y trouve des noms connus, d’autres qui nous sont moins familiers, tous délivrent une facette de l’homme qu’ils ont connu, d’où ressort une constante : sa générosité dans les rapports humains. Il n’aimait pas dire non. Par égard pour l’autre.
Quelques extraits seulement mais la lecture de l’intégrale du livre s’impose pour mieux comprendre ce que Sollers a été et ce qu’il représente encore.

De son ami Jean-Paul Enthoven :

« Sur ses lèvres, les mots faisaient cascade, déluges scintillants, brouillards, feu follets. Ils coulaient si promptement, si habilement, que l’écoutant, je m’étais demandé ce que Sollers s’efforçait de ne pas dire. »

A propos de Claude Lanzmann et Sollers par Franck Nouchi

« Il demandait des nouvelles de nos amis communs. « Et notre Claude, comment va-t-il ? » Claude, c’était Claude Lanzmann, l’un de ses contemporains qu’il admirait le plus mais avec lequel il n’avait plus vraiment de contact depuis des années. « Un génie » disait-il, ajoutant : « Au moins, lui, il n’aura pas de problème avec la postérité. Shoah la lui garantit. Pour l’éternité. »

Parfois, Sollers poussait la curiosité jusqu’à demander : « Il a toujours ma photo, posée dans sa bibliothèque ? » La savoir en évidence, quelque part sur une étagère, dans l’appartement de la rue Boulard, le rendait fier.
En une curieuse symétrie, Lanzmann faisait de même.
Souvent, lorsque nous nous voyions, il m’interrogeait : « Et ton ami, comment va-t-il ? »
Un jour, Sollers lui fit un immense cadeau. Avec Juliette Simont, il nous était venu l’idée de rendre hommage à notre ami dans un livre qui s’appellerait Claude Lanzmann, un voyant dans le siècle (Gallimard, 2017). Des textes avaient été demandés à quelques personnalités, quand me vint une idée : et si j’en demandais un à Philippe ? À vrai dire, je n’y croyais pas trop, connaissant les curieuses relations qu’entretenaient nos deux artistes. Erreur : Sollers n’hésita pas une seconde.

Quelques jours plus tard, il me remit quelques feuillets. Intitulés « Lanzmann l’impossible », il y était question du Lièvre de Patagonie, et plus précisément de l’édition Folio. En couverture, on y voit une photographie du petit Lanzmann avec sa mère sur un bateau. « Bizarrement, note Sollers, il ressemble ici à Churchill. » De sa part, le compliment n’était pas mince. « Cet enfant voyagera beaucoup, ajoutait-il, ne cédera jamais sur son désir, et tombera un jour sur un bloc d’abîme, qu’il dévoilera comme personne, dans un film au-delà de tous les films : le terrible et admirable Shoah. » Claude, à qui je fis lire ce texte, eut les larmes aux yeux.
Sollers, on l’aura compris, était généreux. Il aimait aimer et être aimé. »

Franck Nouchi

Valentin Retz parle de « son esprit hors pair, tout pétri de l’histoire littéraire et des voix qui résonnent dans la bibliothèque. »

Sollers à Ljubljana.

Sortons du carré franco-français avec Brina Svit qui témoigne de sa lecture de Paradis, quarante ans plus tôt, et de la venue de Sollers dans son pays, à l’occasion de la publication de son Casanova en slovène. C’était en 2001.

Chantal Thomas  : « Bordeaux, un savoir-vivre et un art de vivre… […] Je lève la tête et vous cherche des yeux.

Le dépit de Catherine Cusset.

Une ‘groupie’ qui était prête à tout pour conquérir Sollers et être édité par lui. Son émouvant témoignage relate cette relation avortée qui lui inspira un livre de dépit « A vous ». Les derniers mots de son texte : « …je regrette immensément de ne l’avoir pas mieux connu - ou plutôt d’avoir dû le tuer [dans son livre], lui qui m’avait servi de père, pour trouver ma voie en littérature. » ( corrigé suite à message rectificatif ICI)

Avec Michaël Ferrier : « Plus de vingt années d’échanges… »

« Comme un corsaire à l’abordage, Sollers prend appui sur la fenêtre [de son bureau, qui donne sur le jardin intérieur des éditions Gallimard] pour se lancer : tout au long de nos échanges durant plus de vingt années, ponctués de débats autour des vertus comparées du vin de Bordeaux et du vin de Bourgogne, entrecoupés de lectures et de réflexions communes, la pensée jaillit et fuse. Céline, Chateaubriand, Rimbaud, Joyce, le haïku, la Chine, la Bible et le bouddhisme, Picasso, le jazz, Mozart : les sujets sont d’une grande variété, et pourtant, on y sent une grande cohérence. Sollers est un caméléon.

II peut bondir en quelques secondes d’une sonate de Scarlatti au portrait vitriolé d’une personnalité politique. Il est souple, rompu aux mutations et imitations.

Il sait imiter n’importe qui, le général de Gaulle ou le serveur du café L’Espérance, et c’est chaque fois hilarant. Sa conversation est une partition de Bach : on peut connaître par cœur la page précédente, on ne sait jamais quelle sera la prochaine note. Il est aussi capable d’attendrissements profonds : il expédie en dix minutes les grands problèmes sociaux de l’actualité mais un moineau sur sa fenêtre le captive durant des heures
-  je l’ai vu. »

Les fulgurances de Yannick Haenel

Yannick Haenel, peut-être le disciple le plus emblématique de Philippe Sollers. Il ne renie pas cette filiation, il la clame :

« Ce que m’a transmis Philippe Sollers est inestimable. Sa rencontre a changé ma vie ; son amitié a été un événement continuel. Il était à mes yeux le nom propre e la littérature, ainsi ai-je eu cette chance d’être lu, encouragé, édité par la littérature elle-même »

Et plus loin :

« Chez lui, les phrases viennent de partout, de la Bible ou des Veda, elles passent par Dante, se ressourcent chez Maître Eckhart et s’élancent jusqu’à Pascal, Stendhal et Proust, jusqu’à nous. »

Ou encore :

« A-t-il existé quelqu’un d’aussi peu intéressé par la respectabilité ? C’était un nietzschéen : la moraline n’était pas son affaire, il savait qu’elle appelle l’agglutination grégaire et le mensonge. Il savait aussi, comme l’a dit saint Thomas d’Aquin, que la tiédeur est un vice. »

Et cette affirmation :

« C’est grâce à lui, (grâce à Dante, grâce à Joyce, qu’il nous a personnellement transmis) qu’on y voit clair sur la jouissance – sur le rapport consubstantiel de celle-ci avec la littérature. Il aura insisté – c’est son rôle historique – sur le paradis, c’est-à dire sur la jouissance intérieure »

Et enfin, cette confidence finale :

« Je me souviens d’une fin d’après-midi de juin, où nous étions perchés tous les deux, en terrasse, sur les tabourets de L’Espérance. J’avais apporté la correspondance Bataille-Leiris. Il avait connu les deux. Bataille était l’écrivain qui lui avait fait la plus forte impression dans sa vie. Je n’osais lui dire qu’en ce qui me concernait, c’était lui. »

Yannick Haenel


Ph. Sollers en conférence avec Y. Haenel
Dans L’Infini N° 100, Automne 2007

Catherine Millot :

« Tous ceux qui l’ont approché ont été frappés par la différence entre sa face publique, souvent provocante, ironique, parfois agressive, et l’autre, que l’on découvrait à le fréquenter, et que la première servait à masquer. Il était curieux de vous et attentif, sensible et d’une grande gentillesse.

Ce qu’il appréciait chez les gens et, en particulier, chez ses auteurs, c’était ce qu’il appelait la singularité « Mille fleurs », disait-il en mémoire de Mao. C’était son combat. Tous ceux qui tenaient à la leur, d’une manière ou d’une autre, étaient pour lui des « camarades de combat ». Dans un de ses entretiens avec Franck Nouchi, il m’honora de ce titre, moi qui pensais n’avoir jamais connu de combat qu’avec moi-même ! »

 »Le plus vivant » par Philippe Forest

« Il était le plus vivant des écrivains. Je veux dire qu’au¬près de lui tous les autres avaient l’air d’être morts depuis déjà longtemps ou bien voués à disparaître d’ici peu. Sollers, c’était autre chose. Le plus vivant. C’est-à-dire : le plus vif, le plus brillant. Obscur et limpide en même temps. Toujours avec un paradoxe d’avance.[…] »

Vous en découvrirez beaucoup plus dans l’intégrale de son témoignage !

« Pendant trente ans, j’ai défendu l’idée que l’œuvre de Sollers était la plus essentielle. Je le disais, je l’écrivais, je le démontrais. Au total, un millier de pages au moins... Qui dit mieux ? Je ne vois personne à part sur l’encyclopédique site PileFace ! »

Ce fut une surprise (agréable, bien sûr) pour nous, de voir ainsi cité, notre site Pileface qui depuis 2005 s’exerce à rendre compte de la vie sollersienne (sous-titre du site : « Sur et autour de Sollers », )

Mais le grand maître en matière d’encyclopédie sollersienne c’est bien à Philippe Forest que nous la devons.

Bien d’autres noms mériteraient d’être cités pour leur contribution dans ce livre hommage : Frédéric Beigbeder, Frans de Haes, Arnaud Jamin, Jean-Hugues Larché - un fidèle de pileface qui partage avec Sollers son amour de Venise dont nous avons rendu compte, récemment, ICI, Jean-Luc Outers, Anthony Palou, Marc Pautrel, un auteur de Philippe Sollers, Bordelais comme lui. Elisabeth Roudinesco : « Adieu Philippe, adieu l’ami des controverses et des batailles. Vincent Roy qui comme Sollers s’intéresse au corps des écrivains, des peintres, des musiciens, le corps dans sa fonction sexuelle, dans sa fonction de jouissance, voila l’axe […]. » Josyane Savigneau, l’incontournable : « Sollers ? C’est curieux, on a toujours critiqué ma manière d’aimer et de défendre son œuvre. ». Arnaud Vivant avec en exergue, cette citation : « Le soleil n’est pas encore là, mais il va venir. Il viendra (Philippe Sollers Beauté)
Voir le sommaire du livre ICI.

Et mieux, lisez l’intégrale dans le livre. Une façon de décrypter ce « pape clandestin d’une divine (enfin presque) comédie humaine et littéraire qu’il a su marquer de son sceau ». Son intelligence s’y fit « redoutable et subtilement perverse ». ajoute Jean-Paul Gavard-Perret.

Sollers à l’infini par Antoine Gallimard


Antoine Gallimard, Josyane Savigneau, S.K. Kamanda, Philippe Sollers
(Salon du Livre 2008)

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Le bel hommage d’Antoine Gallimard, in extenso :

Sollers à l’infini

Par ANTOINE GALLIMARD

Cher Philippe,

Il m’est revenu que tu avais ouvert d’un « Requiem » l’aventure de ta revue Tel Quel, au printemps 1960. Un texte court, distant, presque clinique que tu avais consacre´ aux funérailles d’un de tes amis de jeunesse, Pierre de Provenchères, tué en soldat en Algérie ; un texte sans lyrisme qui renvoyait à l’insignifiance des hommages rendus aux disparus, aux éloges dérisoires, aux drapeaux, aux plaques commémoratives. En l’évoquant, tu confiais encore récemment que toutes les cérémonies de « recouvrement » de la mort t’étaient extraordinairement pénibles. « Là-dessus tout le monde ment », disais-tu, bien sûr de ton fait. Et la vérite´, la seule vérite´ peut-être, qui disait en creux tout le prix que tu accordais à la vie (tu me disais souvent « Carpe diem »), c’était celle mise au jour par Baudelaire dans ce poème des Fleurs du mal que tu aimais tant, dédie´ à une servante au grand cœur qui, éplorée, « dort son sommeil sous une humble pelouse ».

Ce silence de compassion et d’amitie´ complice, nous le devons a` toi qui as beaucoup vécu, à toi qui as aime´ la vie autant que tu as su t’en préserver, par ton agilite´, cette sollertia dont tu as tiré ton nom de plume, dans le sillage des mille ruses d’Ulysse. Chaque moment de ton œuvre, d’ Une curieuse solitude à La Deuxième Vie, ton dernier texte hélas inacheve´, exprime à sa manière cette double constance qui te caractérise et qui se prolonge dans notre souvenir affectueux et admiratif : la pleine adhésion à ce qu’est la Création et à ce que les femmes et les hommes, au meilleur d’eux-mêmes, sont susceptibles d’y ajouter ; la méfiance instinctive à l’égard de la fausse monnaie des valeurs admises, comme dirait Nietzsche, à l’égard de toutes les mauvaises raisons que nous nous imposons pour nous masquer ce que nous sommes. Écrivain, tu avais horreur des écrans ; « tutto fatto a mano », comme une garantie d’authenticite´ (celle, exemplaire, du clarinettiste de jazz manouche), comme un repoussoir aux écueils de l’abstraction, aux filtres flatteurs, aux discours convenus. « La beaute´ sur fond noir, voila` le vrai. »

Tu n’as jamais manque´ une occasion pour rappeler que la littérature, la poésie étaient une guerre. Une guerre essentielle, une guerre de position, une guerre amoureuse. Il y avait quelque chose en toi du moine soldat (et la NRF, j’ai la faiblesse de le penser, fut l’un de tes ermitages), gardien de cette forte expérience de la liberte´ que constitue la création littéraire et artistique. Vigile, tu as alerté la troupe du péril social que consti- tue, en ce temps qui est le nôtre, l’indigence de pensées. Ton amour des citations littéraires, tu l’as merveilleusement rappele´, ne relevait pas d’une volonte´de briller ; il était l’expression de ton désir insatiable de recueillir en archéologue les « preuves de l’exercice de la pensée humaine », comme tu le disais. L’or du temps, la grâce des mots, contre l’oublieuse mémoire.

Bien sûr, tu as pu parfois tromper ton monde dans ce costume d’homme pressé, avec ton art de la conversation s’apparentant plus au geste allègre et précis du pêcheur à la mouche qu’à l’acharnement du lourd pêcheur à la traîne, harnaché à son bateau. Mais, comme l’a écrit l’un de tes maîtres, « dans la pensée, toute chose devient solitaire et lente ». Cette solitude et cette lenteur, je sais bien qu’elles étaient celles de ton travail d’écrivain, ce territoire secret en prise avec le monde mais aussi disponible à une forme de grâce - celle des musiciens, celle du divin Mozart tenant la manivelle de « la petite boîte à musique céleste ».

Tu aurais rêve´ - il suffisait de t’entendre lire à haute voix pour le comprendre - être musicien ; poète, romancier, essayiste, et même éditeur, tu aspirais à exprimer « toute la mélodie du monde », comme disait Céline, et y ajouter ta part, « donner aux autres la chanson », avec les moyens infinis du langage. Je me demandais parfois pourquoi tu qualifiais de romans tes derniers essais. Je le comprends peut-être mieux aujourd’hui ; c’est que le souffle qui les animait était le même, il était le tien au sens le plus intime et relevait d’une même aspiration, inlassable, celle de célébrer le pouvoir des mots libres.

« Le pouvoir des mots », c’est le titre de l’un des premiers textes que tu aies donnés à La NRF de Jean Paulhan, où ton aîne´ et ami Francis Ponge t’avait présente´, il y a très exactement cinquante ans. Un très curieux divertissement à trois voix, un peu farfelu par sa manière, dont le propos était de donner des exemples de la façon la plus naturelle du monde, la plus inopinée, dont les mots prenaient leur place dans l’existence. Parmi ces pouvoirs presque magiques, il y avait celui de déclencher le rire en révélant à l’homme ce drôle de sentiment d’exister. Une grâce a` tes yeux, cher Philippe, nourrissant cet espoir, comme tu le faisais dire alors à l’un de tes personnages, que « Dieu existe au moins comme humoriste ».

Gardons au chaud cette hypothèse. Et tenons-nous-en au vœu qui réunit tes amis fidèles cet après-midi et qui saura sécher nos larmes autant que les tiennes. Que la promesse des « oiseaux nés libres », comme ceux que tu aimais observer en Ré, te soit tenue, mon cher Philippe : « Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous ! » Nous ne pouvons en douter.

Antoine Gallimard

Ce texte retranscrit l’hommage d’Antoine Gallimard
prononcé en ouverture de la cérémonie consacrée à Philippe Sollers
le 15 juin 2023, en l’église Saint-Thomas-d’Aquin.

La deuxième vie

C’est le titre du livre qu’était en train d’écrire Philippe Sollers, lorsqu’il nous a quittés. Livre inachevé dont la publication est prévue par Galimard le 7 mars 2024 (collection blanche).
Bernard-Henri Lévy et Yannick Haenel l’ont brièvement évoqué dans ce livre hommage :

Bernard-Henri Levy « …La Closerie des Lilas où je lui raconte que le guettent, depuis des semaines, de jeunes disciples en quête de Grand Écrivain ( et qui, comme moi jadis, ou comme, après moi, Yannick Haenel, François Meyronnis, d’autres, ont trouvé ce Grand en lui). Comment vont Marcelin ? Gilles ? Nos revues ? Et puis son roman, en chantier, qu’il compte bien pouvoir terminer (et dont Antoine Gallimard lira, lors de la cérémonie d’hommage en l’église Saint-Thomas¬d’Aquin, des pages rétrospectivement bouleversantes). Sollers, ce jour-là, n’est pas près de lâcher prise. Un vivant comme lui ne doit, dans son esprit, pas mourir. »
*
Yannick Haenel

« Dans La deuxième vie, le livre qu’il a pensé comme un testament, et dont j’ai eu la chance de lire à voix haute une page à ses côtés, alors que nous formions une couronne d’amis autour de son lit, il écrit ceci, qui évoque la résurrection avec l’audace d’un humour fou : « Je n’ai pas été un bon saint lors de ma première vie, mais j’en suis un très convenable dans ma deuxième. »
Je souris en recopiant cette phrase. Sollers avait le fou rire dans la voix, il était éblouissant de drôlerie. Comment a-t-il fixé derrière ses paupières le pays noir en attente de sa disparition ? Je sais que, dans les derniers temps, il était détaché. La « magique étude / du bonheur que nul n’élude » dont parle Rimbaud se poursuivait en lui. Les formes calmes procurent du silence ; lui, chantait intérieurement, comme les oiseaux qu’il aimait. »


Au Sommaire

Antoine Gallimard, Sollers à l’infini 11

L’HOMME
L’ami
Jean-Paul Enthoven, L’étincelant 19
Colette Fellous, Le passage 22
Bernard-Henri Lévy, Célébration de Philippe Sollers 26
Franck Nouchi, Le joueur d’échecs 31
Valentin Retz, Une voix qui résiste à la mor 35
Jean-Jacques Schuhl, Sollers animé 39
Brina Svit, Sollers à Ljubljana 42
Chantal Thomas, Noms d’enfance 46

L’éditeur
Catherine Cusset, « Vous voulez tuer l’érotisme ? » 51
Michaël Ferrier, Sollers le sans-pareil 59
Yannick Haenel, La voix du littoral 64
Lucile Laveggi, Avec et sans mélancolie 69
Catherine Millot, « Je prends » 72
Thomas A. Ravier, Le pluriel de Sollers 76

L’OEUVRE
Frédéric Beigbeder, Un adolescent d’autrefois 81
Frans De Haes, Lettre à Philippe Sollers 85
Philippe Forest, Le plus vivant 88
Arnaud Jamin, Sollers, roi secret 92
Jean-Hugues Larché, Sollers à l’étoile 96
Jean-Luc Outers, Écrire à la dynamite 110
Anthony Palou, Sollers ou la Guérilla permanente 114
Marc Pautrel, Le vrai corps est un texte 118
Élisabeth Roudinesco, Adieu à Philippe Sollers 121
Vincent Roy, Sollers, le corps 125
Josyane Savigneau, Sollers et Lui 129
Arnaud Viviant, Energie Sollers 133

Bibliographie Sollers

SUR PILEFACE

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SUR LE SITE GALLIMARD

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Dans la collection L’Infini

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15 Messages

  • jean petit | 19 février 2024 - 18:54 1

    Très juste commentaire d’Albert Gauvin. Il faut tout juger sur les textes, portant d’abord sur les écrits de Sollers. C’est la seule chose intéressante.
    Merci également à Cynthia DF Kalogeropoulos pour son témoignage.
    Quant aux rumeurs il y en a de toute sorte, certains corroborant ce témoignage, d’autres le contredisant et donnant une vision différente (à la Closerie des Lilas et ailleurs...). Mais qu’importe. Lisons Sollers avant tout. Comme le dit un des textes dans ce beau livre de témoignages, la vérité est d’abord dans le texte.


  • Albert Gauvin | 19 février 2024 - 15:11 2

    Un témoignage qui corrobore d’autres commentaires, mais ceux-là agressifs, injurieux, calomnieux, diffamatoires, qui plus est bourrés de fautes et toujours courageusement anonymes, et, tels quels, impubliables, que je reçois via Pileface ou Facebook. De ce dernier témoignage, je retiens la dernière phrase, très juste (au double sens du terme) : « les ennemis sont aussi allumés que les "fils" imaginaires, ou autres dévots ». A titre personnel, n’appartenant à aucun de ces clans, je m’en tiendrai à cette affirmation de Sollers, citée par Marcelin Pleynet dans La Fortune, la Chance (Hermann, 2007, p. 62) à la date du lundi 21 février 2000 (il y a 24 ans quasiment jour pour jour) et que je rappelais moi-même au début de mon article Sollers et Pleynet : une amitié littéraire et politique de plus de 60 ans :

    « La force de Tel Quel aura été de n’admettre aucune intervention dans la vie privée des uns et des autres. [...] Tout sur texte. Vous avez quelque chose à dire ? Écrivez-le ! (Sollers, 26 août 1998, dans L’Année du Tigre) — Je confirme. »

    Écrivez-le. Mais prouvez ce que vous écrivez !

    On dira, de ces nouvelles querelles métafamiliales (qui en annoncent d’autres !), qu’il ne s’agit pas là de "vie privée". Soit. Mais, plutôt que de prendre parti sur des rumeurs, je jugerai sur les textes, portant d’abord sur les écrits de Sollers, de préférence fondés sur des faits avérés et surtout argumentés, s’il y a lieu, par les protagonistes eux-mêmes. C’est la seule condition pour pouvoir lire et faire lire les livres (enfin !) "hors d’un trop petit cercle", souvent très parisien où chacun, homme ou femme, semble d’abord soucieux de se dire avoir été le plus proche parmi les proches de Sollers — lui si seul ! — pour pouvoir s’en prévaloir et ainsi, souvent, porter sa propre personne au pinacle. Il n’est pas nécessaire de faire appel à Freud pour savoir de quoi il retourne dans ce micmac. Amen.


  • Viktor Kirtov | 19 février 2024 - 10:31 3

    Merci Cynthia DF pour votre témoignage.


  • Cynthia DF | 19 février 2024 - 03:11 4

    Remercions encore Josyane Savigneau d’avoir inspiré ce livre d’hommage, autant que la messe du 15 mai 2023, à Antoine Gallimard. Une amie et bien plus…
    Les vicissitudes ont été extrêmes et éprouvantes entre l’ayant droit de Ph. S. et Antoine Gallimard, qui a été très peiné par le sombre épisode des obsèques, encore aujourd’hui. Une longue querelle en interne a eu lieu concernant la postface de la deuxième vie, pour que Kristeva puisse obtenir le monopole de l’édition.
    Les tensions sont grandes en interne.
    La blessure n’est toujours pas refermée côté Gallimard, et cela s’annonce bien difficile pour la suite à cause de ce ressentiment.
    Des démarches se multiplient, dont les miennes, directement auprès d’A. Gallimard. Mais rien n’est acquis pour la suite…
    Ph. S. avait refusé que les archives Tel Quel entrent à l’imec…
    On ne peut qu’encourager, collectivement, l’actuelle ayant droit de Ph. S. à pacifier ses rapports avec À. Gallimard, ami de l’auteur de Paradis, depuis 1967.
    Pensez en ce que vous voudrez. C’est extrêmement difficile de faire avancer les choses pour Ph. S.
    Et les ennemis sont aussi allumés que les « fils » imaginaires, ou autres dévots…
    Unissons nos forces si nous voulons faire vivre et lire son œuvre hors d’un trop petit cercle.


  • Viktor Kirtov | 9 février 2024 - 14:40 5

    L’écrivain, essayiste et éditeur français, figure première du monde littéraire et de Gallimard des dernières décennies, Philippe Sollers, s’en est allé le 5 mai dernier. Après un ouvrage hommage à l’auteur de Paradis, « le dernier livre de Philippe Sollers, écrit jusqu’au bout d’une main claire », présente son ancien auteur, Yannick Haenel. Un ouvrage au titre programmatique, La Deuxième Vie.

    PUBLIÉ LE :08/02/2024
    Hocine Bouhadjera
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    Ce roman, qui paraîtra dans la collection Blanche de Gallimard le 14 mars prochain, est une méditation sur la mort, son cœur, emporté par une euphorie sereine et une pointe d’humour, aspire à ce qu’il nomme la Deuxième vie : une « ivresse calme », de l’humour toujours : « Je n’ai pas été un bon saint lors de ma première vie, mais j’en suis un très convenable dans ma Deuxième », assure l’auteur d’outre-tombe.

    Certains de ses grands thèmes reviennent, une dernière fois : Dieu, Venise, la médecine, l’époque, ses passions fixes plus généralement, « et même de Houellebecq ». À la manière de ses derniers ouvrages, il note inlassablement ses pensées : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir. »

    Une histoire de la France littéraire

    Fondateur de la revue Tel Quel en 1960 aux côtés de Jean-Edern Hallier et Michel Deguy, Philippe Sollers a joué un rôle central dans le paysage intellectuel français, promouvant des textes expérimentaux et autres essais théoriques de ce temps ratiocineur et audacieux.

    Il a par ailleurs marqué le monde de l’édition avec sa collection L’Infini, chez Denoël puis Gallimard, introduisant des auteurs étrangers majeurs au public français. Elle permit de mettre en lumière des plumes étrangères comme Samuel Beckett, James Joyce, Ezra Pound, Virginia Woolf, Jorge Luis Borges, ainsi que des penseurs contemporains tels que Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy, Michel Foucault, Gilles Deleuze et Félix Guattari.

    Plus récemment, sa collection accueillait des plumes comme Jean-Jacques Schuhl, Yannick Haenel ou Jean-Luc Outers.
    Son écriture, à la fois novatrice, parfois provocatrice, explore des thèmes variés comme l’identité, le désir, et la politique. Parmi ses romans célèbres, Le Parc (Prix Médicis 1961), Paradis, Le Coeur absolu, ses biographies de Casanova et Mozart, ou encore L’Éclaircie>/i>. En 2007, il publiait son autobiographie, Un vrai roman. Mémoires, édité en 2007. Plus récemment, Gallimard a accueilli Désir (2020), Légende (2021) et Graal (2022).

    En novembre, sa maison historique a par ailleurs publié un ouvrage hommage  : Antoine Gallimard y explore la facette de l’homme et l’ami, Valentin Retz évoque une voix résistante, Jean-Jacques Schuhl anime l’écrivain, ou Chantal Thomas se plonge dans les noms d’enfance.

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    VOIR AUSSI ICI

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  • Thelonious | 27 novembre 2023 - 09:03 6

    Le meilleur article pour le moment sur cet hommage de Gallimard, c’est dans Livres Hebdo, très bon article d’Elodie Carreira.
    https://www.livreshebdo.fr/article/le-monde-de-ledition-rend-hommage-philippe-sollers

    Voir en ligne : Le monde de l’édition rend hommage à Philippe Sollers


  • Albert Gauvin | 19 novembre 2023 - 21:00 7

    Rappelons que Louis-Henri de La Rochefoucauld, l’auteur, dans L’Express, du fielleux Philippe Sollers, un héritage littéraire qui pose question, qui ose écrire que « l’enfant terrible des lettres s’institutionnalise en 1983 : il entre chez Gallimard » et que « ses romans d’esthète nietzschéen sont répétitifs, complaisants et creux » (sic), n’a pas refusé de publier, à 28 ans, La Révolution française chez Gallimard, dans la collection L’Infini en 2013... « La faiblesse est plus opposée à la vertu que le vice. » (François de La Rochefoucauld, Maximes)


  • Viktor Kirtov | 18 novembre 2023 - 18:30 8

    Marc Pautrel

    @marcpautrel

    Janvier 1923 Hommage à Marcel Proust, Novembre 2023 Hommage à Philippe Sollers : à un siècle de distance, deux hommages de @Gallimard _ à deux de ses plus grands auteurs https://gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/
    @PhilippeSollers


  • Viktor Kirtov | 18 novembre 2023 - 14:48 9

    Gallimard publie un ouvrage collectif en hommage à l’écrivain décédé au printemps. Il semble néanmoins que, en termes de postérité, l’auteur de "Paradis" se prépare à un purgatoire…

    Nota : critique publiée dans L’Express du 18/11/2023, un magazine qui, a rarement figuré dans le club des fans de Sollers, poursuit ici dans la même veine vitriolée :

    par Louis-Henri de La Rochefoucauld
    L’Express
    18/11/2023

    Le 9 octobre 2014, apprenant que le prix Nobel de littérature revenait à Patrick Modiano, nous étions allés avec François-Henri Désérable vivre l’événement en direct, chez Gallimard. Dans la rue, c’était l’agitation des grands jours : des tas de journalistes se pressaient, attendant l’arrivée de l’heureux lauréat. A un moment, une voiture noire aux vitres teintées avait fait son apparition au bout de la rue. Elle avait roulé très lentement, avant de se garer pile devant Gallimard. Enfin arrivait Modiano ! Sauf que ce n’était pas lui qui était sorti du taxi, c’était Philippe Sollers. Déçus, les journalistes avaient tourné le dos comme s’il ne s’agissait que d’un quidam.

    La scène avait quelque chose de crépusculaire. Sollers aura vu Jean d’Ormesson entrer dans la Pléiade ; et Le Clézio, Modiano et Annie Ernaux recevoir le Nobel. Après avoir longtemps régné sur la république des lettres (chroniqueur au Monde et à L’Obs, éditeur influent chez Gallimard), il a fini par être peu à peu occulté. Ces dernières années, plus personne ne lisait ses nouveautés, à l’exception peut-être d’Agent secret (2021), pour lequel il avait joui d’un regain d’intérêt dans le micromilieu des écrivains. Sa mort, le 5 mai dernier, a suscité relativement peu de réactions. Gallimard lui consacre aujourd’hui un livre hommage où l’on retrouve tous ses fidèles alliés et héritiers (Bernard-Henri Lévy, Josyane Savigneau, Yannick Haenel). S’il donne de Sollers l’image d’un homme libre, amusant et chaleureux, il nous conforte dans cette idée : n’a-t-il pas mis son talent dans sa vie plus que dans son œuvre ?

    Rappelons en deux mots quelle fut la légende dorée de Sollers. Né en 1936, il perce dès 1958 avec Une curieuse solitude, un premier roman salué à la fois par Mauriac et Aragon. Prix Médicis à 25 ans pour Le Parc, il se perd ensuite intellectuellement dans le maoïsme et littérairement dans une expérimentation fumeuse – ce qui n’empêche pas Roland Barthes de le célébrer en 1979 via son essai Sollers écrivain. L’enfant terrible des lettres s’institutionnalise en 1983 : il entre chez Gallimard (qu’il surnomme la "banque centrale"), à la fois comme directeur de collection (L’Infini) et comme auteur (Femmes).

    Homme insaisissable, à la fois provocateur et prudent, raffiné et florentin, il publiera de nombreux dandys (Bernard Lamarche-Vadel, Frédéric Berthet, Jean-Jacques Schuhl) et deux écrivains désormais maudits (Gabriel Matzneff, Marc-Edouard Nabe). Sa carrière d’éditeur n’ira pas sans brouilles, la plus fracassante étant sa rupture avec Philippe Muray. Comme écrivain, si ses romans d’esthète nietzschéen sont répétitifs, complaisants et creux, il brille par la justesse de ses admirations et son érudition, ainsi que le prouvent ses recueils d’articles La Guerre du goût, Eloge de l’infini et Discours parfait (moins Fugues…). Ajoutons que cet animal médiatique crevait l’écran, ce qui l’a sans doute desservi autant que servi – Sollers avait beau aduler Guy Debord, le gourou du situationnisme le considérait en retour comme un "arriviste", un "paon" et même une "merde" (mots employés dans une lettre à François Bott datée du 4 février 1991)…

    "Pour vivre cachés, vivons heureux"

    Dans Hommage à Philippe Sollers, plusieurs de ses proches dont Jean-Paul Enthoven citent sa devise (forgée par un léger détournement comme il les appréciait) : "Pour vivre cachés, vivons heureux." Le jeune Sollers avait rencontré Dominique Rolin en 1958, avant d’épouser Julia Kristeva, en 1967. Un amour clandestin, un mariage officiel : pendant des décennies, cet homme de passions fixes aura mené une double vie, allant chaque année à l’île de Ré avec Kristeva et à Venise avec Rolin. Cela lui faisait un sérieux point commun avec François Mitterrand, son double en politique.

    Une autre parenté entre ces deux stratèges est qu’on ne savait pas si Sollers était de droite ou de gauche. Faux mondain, vrai solitaire, ce grand dissimulateur avançait masqué, éclairant ses écrits de son gai savoir et son quotidien de son allégresse, se taisant sur le reste, et notamment sur ses moments de mélancolie. On trouve dans Hommage à Philippe Sollers un texte de Frédéric Beigbeder qui se termine par ces mots : "Philippe Sollers raconte l’histoire d’un homme qui prend son apocalypse pour une généralité ; et le pire est qu’il n’a peut-être pas tort : la mort de Sollers coïncide peut-être avec la fin du monde." Un brin excessif, certes ; disons plutôt qu’avec sa disparition s’efface une certaine idée de la vie littéraire.

    Hommage à Philippe Sollers, ouvrage collectif. Gallimard, 144 p., 12 €.


  • Viktor Kirtov | 17 novembre 2023 - 08:00 10

    Onction extrême

    Gallimard lui devait bien ça : quelques mois après sa mort, l’éditeur se fend d’un premier florilège d’articles In Memoriam sur et pour Philippe Sol¬lers. Tous ses proches sont là — du moins parmi les plus célèbres du Kamtchatka littéraire à l’exception de Marcelin Pleynet et Julia Kristeva qui manquent à l’appel.

    Pour une fois, une telle gerbe d’hommages n’a rien de compas¬sée et — à part B-H Lévy qui trouve l’occasion de vernir sur ses pompes d’ego sur le dos du disparu — les contributeurs se retrouvent au plus près l’homme et l’oeuvre.
    Chacun(e) d’eux ouvre une facette. Schuhl : le joueur, Outers : l’homme masqué vénitien. Histoire de mettre à nu celui qui, derrière sa faconde de fanfaron à l’italienne et écrivain à réactions, cachait un homme si secret qu’au moment même où il se dévoilait dans ses jeux de miroirs il pouvait être pris pour un autre.

    Ajoutons que cet ensemble reste en retenue plus qu’en dithyrambe. Chaque invité à témoigner s’est “défoncé” en un tel exercice. Pas question de servir un ragoût convenu et de passer pour un plouc. Et c’est comme si Sollers pouvait de sa tombe se moquer des postures de potentiels petits marquis de la Closerie des Lilas.

    D’autant qu’au nom d’une civilité dont il connaissait les lois, Philippe Sollers a su se retirer dès qu’il a senti qu’il n’était plus lui-même le Divin communiquant. Pour lui, Lacan aurait inventé sans doute et s’il n’avait pas existé l’inconscient. Et ce, non pour en montrer les ravages mais afin que le Roi Philippe en fasse son “Paradis” sur terre.
    jean-paul gavard-perret

    Collectif, Hommage à Philippe Sollers, Gallimard, novembre 2023, 144 p. - 12,00 €.

    Crédit : lelitteraire.com


  • Viktor Kirtov | 13 novembre 2023 - 09:54 11

    En commentaire au message de Gabriella Bosco, signalons sa "Lettre posthume à Philippe Sollers" que nous avons publiée sur ce site.

    Un autre correspondant, Michael Gormann-Thelen
    Hannover/Allemagne, s’est également ému de « tous les noms qu’Antoine Gallimard a ’oublié’ d’inclure ». Notre réponse est ICI. Elle peut compléter le message ci-dessus.

    Gabriella Bosco que nous aimons retrouver sur pileface, depuis notre premier échange en 2009. Elle nous y contait sa rencontre avec Sollers qu’elle avait invité à son université de Turin pour parler des Illuminations de Rimbaud. Il voulait aussi voir le Saint Suaire ainsi que la plaque de Nietzsche, son ami son frère…

    Gabriella Bosco sur pileface
    "la plus sollersienne des italiennes", un titre qui n’est pas usurpé !


  • gabriella bosco | 12 novembre 2023 - 19:37 12

    étant sans aucun doute la plus solllersienne des italiennes, j’aurais participé volontiers...


  • Viktor Kirtov | 12 novembre 2023 - 10:11 13

    Ajout d’une section « bibliographie Sollers » à l’article : « Philippe Sollers célébré par Gallimard avec un livre hommage » :
    - Dune part, SUR PILEFACE avec liens sur les articles publiés sur le site.
    - D’autre part SUR LE SITE GALLIMARD

    VOIR ICI


  • Viktor Kirtov | 12 novembre 2023 - 09:27 14

    Dont acte. Effectivement erreur de ma part qui m’a fait attribuer faussement à Catherine Cusset la phrase finale de Michaël Ferrier : « Pour tous ceux qui l’ont connu et aimé, l’aventure Sollers continue » Merci de votre lecture et de votre vigilance. Grâce à vous, c’est maintenant corrigé.
    Bien cordialement


  • Rectificatif | 12 novembre 2023 - 02:59 15

    La phrase finale de Catherine Cusset n’est pas celle que vous citez. Elle est beaucoup plus longue et d’un ton très différent : « Cet homme à la pensée virevoltante et raffinée comme une partition de Mozart, cet homme à l’érudition infinie et, je le crois, profondément gentil sous son ironie, cet homme qui ne disait pas non pour ne pas tuer l’érotisme (et ne pas décevoir ?), je regrette immensément de ne l’avoir pas mieux connu - ou plutôt d’avoir dû le tuer, lui qui m’avait servi de père, pour trouver ma voie en littérature. »

    La phrase : « Pour tous ceux qui l’ont connu et aimé, l’aventure Sollers continue » est de Michaël Ferrier.
    Elle fait allusion à une phrase de Paradis (« Sollers au fond en hommage aux aventuriers »), que Ferrier cite en exergue de son texte et qui a d’ailleurs été reprise en exergue du livre.

    Merci pour votre site et cordialement.