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Yann Moix et la mauvaise réputation

Entretien sur son journal intime 2016-2017

D 24 octobre 2023     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



« Une des choses que je préfère au monde,
c’est la mauvaise réputation »

Yann Moix au JDD

INTERVIEW : :L’écrivain publie « Hors de moi », son journal intime qui couvre seulement un an, de 2016 à 2017.
SON PROGRAMME ? « Être le centre du monde ou rien ».

Journal intime dont nous avons eu l’occasion de publier quelques extraits :
- Yann Moix : "Modiano sert les mêmes croûtes depuis plus de cinquante ans"-/ Autour de son Journal "Hors de moi" - Entretien avec L’Express

- D’autres échos du Journal de Yann Moix / Suivis d’un nouvel extrait « ode à Houellebecq »

Propos recueillis par Joseph Macé-Scaron
22/10/2023


Yann Moix © ÉRIC FOUGÈRE/GETTY

Pour qu’une année littéraire soit réussie, il faut non pas un ou plusieurs goncourables mais un Olni (Objet littéraire non identifiée). On a des difficultés à se souvenir qui fut lauréat du prestigieux prix en 2015, mais tout le monde a en tête Soumission de Michel Houellebecq. En publiant Hors de moi, son journal intime, Yann Moix vient bousculer cette rentrée en nous rappelant combien la littérature est un art supérieur. Attention : l’écrivain ne donne pas dans la dissertation ni la démonstration littéraire. Ni pose, ni prose ici, mais de la jubilation. Yann Moix décrit ses goûts et ses dégoûts, il affirme et se contredit cent pages plus loin. On le lira donc « à sauts et à gambades », selon l’expression de Montaigne en passant du concret à l’abstrait et inversement, de Steve McQueen aux fourmis rouges. Au fond, c’est de nous dont il parle. On le lira avec d’autant plus de plaisir qu’il est un adepte du burlesque qu’il applique à lui-même. Ce faisant, il prend un risque en étant si sincère dans une époque qui ne l’est pas. Et c’est tant mieux. Cela donne des portraits irrésistibles de drôlerie comme celui d’Alain Minc ou de Raphaël Glucksmann. Et c’est heureux. Par les temps sombres que nous traversons, ce Journal, bourré de fulgurances, de traits d’esprits, d’anecdotes terribles et de vacheries cosmiques nous rappelle que « chaque jour est une page blanche » qu’il nous appartient d’écrire.?

Stendhal, Gide, Cocteau, Jouhandeau, Green… pourquoi le journal intime attire-t-il autant nos écrivains ?

Parce que c’est un espace d’expression totale ! Il sera lu-quelques années après avoir été écrit cela offre une liberté supérieure. J’ajoute qu’il fait cohabiter des éléments intimes et des réflexions intellectuelles. Et c’est bien le mélange des deux qui est explosif. Le Journal est aujourd’hui, le seul espace de liberté car on peut être soi-même sans crainte de l’être.

Certains répondront que, dans le roman, la narration offre un espace de liberté…

Mais qui l’utilise ? On n’a plus envie de lire « la marquise sortit à cinq heures ». Beaucoup d’auteurs racontent, bien peu ont quelque chose à dire. Il y a trop de romanciers qui ne sont pas des écrivains. Si vous prenez l’immense océan de médiocrité de la rentrée littéraire, il y a quoi ? Une quinzaine d’écrivains sur les 800 romans qui sont parus. Au fond, les romanciers m’ennuient. Tous les écrivains que j’adore sont des écrivains qui n’ont pas écrit de roman.

Est-ce la raison pour laquelle vous faites une place de choix à André Suarès dans ce Journal, connu surtout pour son magistral Voyage du condottière ?

Ce que j’adore chez Suarès c’est qu’il se parle à lui-même. Il n’a pas le temps de scénariser son génie avec une histoire, un début, un milieu et une fin. Le temps presse. Il a compris qu’il ne fallait pas raconter d’histoires et qu’il ne fallait jamais écrire pour le lecteur. Certes, il voulait être lu par ses contemporains mais quand il a compris que ce ne serait pas le cas, il a déployé sa puissance de feu pour plus tard. J’aime ces écrivains qui savent qu’on ne les lira pas. Suarès, comme Péguy, a pensé : « Personne ne me lira ? Eh bien, je vais continuer à écrire quand même ! » Et c’est par ce « quand même » que passe la littérature. 90% des romans qui sortent, aujourd’hui, sont des romans qui ne pensent qu’aux lecteurs. S’adresser aux lecteurs est un crime, l’assurance d’un livre médiocre.

La littérature doit-elle forcément donner à penser ?

Dès qu’un texte raconte quelque chose, je m’ennuie s’il n’y a pas de pensée derrière. Prenez un génie du roman d’aventures, Joseph Conrad : pourquoi je l’aime autant ? Mais parce que chaque page de Lord Jim donne à pense r ! Pareil pour Moby Dickd’ Herman Melville, ce roman est un page turner, on ne s’y ennuie pas une seconde et ça pense à chaque page ! Quand l’événement est gratuit, qu’il n’a rien à dire, cela ne m’intéresse pas, le livre me tombe des mains.

Comment un auteur de Journal parvient-il, à la fois, à n’écrire que pour lui et à parler autant de nous ?

Parce que dans le Journal, vous êtes totalement vrai. Vous êtes vous-même, mais vous êtes aussi tout le monde. J’ai compris un jour que tout ce que je pensais être le seul à ressentir, d’autres le ressentaient également. Grosso modo, nous habitons tous le même corps. Et le Journal, s’il est sincère, s’il ne triche pas, renforce ce sentiment. Il y a des journaux intimes où l’auteur déclare écouter toute la journée du Boulez et ne lire que des poèmes du XVIe siècle. Il est inutile de se déguiser pour toucher à une vérité universelle. Un grand écrivain ne va pas avoir peur, par exemple, d’aimer Franz Liszt et d’adorer Michel Delpech. En le lisant, des lecteurs vont dire : « Oh, ça me fait du bien parce que moi j’adore Mozart et Dave. » En fait, un écrivain sincère doit faire son coming out perpétuel sur sa finitude et son ridicule.

La mauvaise réputation fait-elle de la bonne littérature ?

Pas forcément, mais je dirais qu’il n’y a aucun écrivain digne de ce nom qui ait une bonne réputation. Une des choses que je préfère au monde, c’est la mauvaise réputation, mais quand elle va avec la panoplie d’écrivain. Se construire une mauvaise réputation puis devenir écrivain n’a aucun sens. En revanche, quand la mauvaise réputation est consubstantielle à l’œuvre, à ce que l’on écrit, à ce que l’on fait, cela témoigne d’une sincérité véritable. C’est extraordinaire la mauvaise réputation quand cette mauvaise réputation vous ressemble.

Quitte à avoir« une meute aux mollets »comme vous l’écrivez ?

Avoir la meute aux mollets signifie que l’on a touché à quelque chose de profond, de sensible. Si vous ne touchez à rien, il n’y aura aucune réaction, personne ne cherchera à vous mordre.

La grande différence avec les périodes précédentes nest-elle pas que la meute ne cherche pas seulement à vous mordre, elle veut aussi votre mort sociale ?

Oui, c’est vrai. Un mot, une phrase peuvent être prononcés et vous risquez, aujourd’hui, la mort sociale. À cela, je rajouterai deux éléments. Le premier est que la mort sociale n’est pas corrélée à la gravité de ce que vous dites mais à ce que vous n’avez pas le droit de dire parce que la majorité des gens ne pensent pas comme vous ou s’obligent à croire qu’ils ne pensent pas comme vous. À partir de là, se dégage un consensus porté par l’orage médiatique : « Tiens, et si on le tuait socialement ? » Pourquoi ? En raison de ce qu’il a dit sur les femmes, sur les enfants, sur le bruit… que sais-je encore. Ces propos n’engagent que vous et n’ont pas vocation à être généralisés, mais du seul fait que vous en êtes l’auteur, ils doivent immédiatement être portés à la connaissance universelle. On recherche donc avec passion des propos inacceptables pour pouvoir tuer les gens parce que ces gens nous embêtent, nous agacent ou nous troublent. Le second élément est que l’on tolère deux ou trois écrivains boules puantes pour donner l’illusion de la liberté. J’aime l’œuvre de Michel Houellebecq qui est un ami et un grand écrivain. Mais le système a choisi que, par sa seule bouche, pouvaient passer des propos, des réflexions que les autres n’ont pas le droit de prononcer sous peine de mort sociale.

Chaque écrivain a une faille en lui et c’est à travers cette faille que va naître une musique singulière. Quelle est la faille de Yann Moix ?

Sans doute le fait de conjuguer une grande immaturité sentimentale et une maturité intellectuelle. Attention : je ne dis pas que je suis très intelligent. Je dis qu’il se produit en moi un mélange très étrange et désagréable d’immaturité existentielle et de maturité intellectuelle. Pour être court : je ne ressemble pas au souci qui m’habite. Je peux aller tirer une sonnette et faire une blague de potache entre deux lectures de Heidegger. Je ne suis pas infantile, mais je suis enfantin. Je suis incapable socialement d’être adulte.

Il y a dans ce Journal qui, rappelons-le, va de juin2016 à juin2017, des portraits ou plutôt des caractères. Il y a un échange détonant avec Nicolas Sarkozy…

J’ai retranscrit le soir même notre conversation. Et je l’ai reprise plusieurs semaines plus tard. Le dialogue a été passé au tamis de ma mémoire, du souvenir que j’en gardais. Il apparaît drôle, ce qu’il est dans la vraie vie. Il sait développer aussi de l’empathie envers les personnes. Il est sans doute un des hommes les plus empathiques que j’ai rencontrés chez les politiques. C’est quelqu’un de vrai. Et je l’aime humainement beaucoup, indépendamment de ses idées politiques. J’ajoute qu’il a beaucoup d’humour sur lui-même et beaucoup de culture. Peu m’importe qu’il l’ait acquise sur le tard. Qu’est-ce que ça peut faire ? Oui, il a eu la curiosité de s’intéresser à Stendhal à 45ans. Et alors ? Faut-il lui faire un procès ?

Il y a eu pourtant le procès pour lèse-Princesse de Clèves

Il a le droit de trouver détestable La Princesse de Clèves. J’ai retrouvé un passage de Gide où il écrit que le roman est épouvantablement mal écrit, que c’est un faux chef-d’œuvre. Il reviendra plus tard sur ce jugement. Mais si Sarkozy avait fait l’apologie de La Princesse de Clèves, on le lui aurait reproché en disant que c’est là une posture d’un homme qui n’a rien lu dans sa vie. Il y a, à son égard, un délit de sale gueule permanent. Son seul problème est qu’il a voulu plaire à ses ennemis et, quand vous voulez plaire à vos ennemis, vous finissez par être détesté par votre camp et encore plus méprisé par ceux à qui vous avez voulu plaire. Reste que c’est quelqu’un d’irrésistible et j’ai voulu rendre ça dans le Journal, sa force comique et sa gentillesse.

En revanche, François Hollande se trouve habillé pour cet hiver...

Hollande n’a besoin, lui, de plaire à personne parce qu’il se plaît déjà à lui-même. Il s’est installé dans la présidence de la République comme s’il avait toujours été présent, comme si c’était un dû. Sarkozy est en quête permanente de légitimité, pas Hollande. Il est tout heureux d’être François Hollande, il trouve que c’est très bien. Si on lui offrait la possibilité d’être une autre personne, il choisirait… François Hollande. C’est en cela qu’il est de gauche. Les hommes politiques de gauche sont sûrs de leur légitimité intellectuelle. Être élu n’est qu’un adoubement. D’ailleurs, ils ont tout par adoubement et c’est tout à fait normal puisqu’ils campent du « bon côté ».À l’inverse, on a fini par considérer que tout ce que la droite obtient, c’est par effraction.

Il y a aussi des portraits d’écrivains dans ce Journal, Houellebecq, Duteurtre, Modiano…, mais un seul apparaît comme un running gag : Régis Jauffret.

C’est un homme extrêmement mesquin et jaloux et donc très intéressant. Au bout d’un moment, je n’allais dîner avec lui que pour leJournal,ce que je m’étais interdit de faire. C’est une amie qui m’a convaincu de continuer après l’avoir vu. Elle n’avait jamais été confrontée avec autant, non pas de haine, mais d’envie. C’est quelqu’un qui veut être tout. Il veut être tout le monde. Une personne mange une salade au crabe il veut la salade au crabe. Un type est chauve, il veut être chauve. Il est persuadé d’avoir le Goncourt, le Nobel et d’entrer à l’Académie française et dans La Pléiade. La seule chose dont il ne veut pas, c’est ce qu’il est. Du coup, l’effet comique est garanti avec cette obsession. Et puis, mon Journal permet qu’il reste dans la littérature car il lui sera difficile d’y rester par son œuvre.

Le Journal évoque la parution, cette année-là, de votre essaiTerreur...

Est-ce que la littérature nous protège de l’instinct de mor t ? Non. Nous avons connu, vous et moi, l’époque où un terroriste se piquait d’avoir une certaine culture. Nous avons même eu de l’ultra-intellectualisme chez les terroristes. Ils transformaient des gloses marxistes en une injonction à tirer sur des innocents, même dans leurs prisons ils continuaient à écrire. Mais, aujourd’hui, le fanatisme ne se greffe plus sur un corpus intellectuel, mais sur un corpus j’allais dire quasiment instinctif, intuitif, épidermique, celui d’une foi qui n’a besoin ni d’être étudiée, ni expliquée. Et cette foi, contrairement à l’idéologie, ne connaît ni borne, ni limite. Le problème est qu’en France notre façon de rebondir, notre résilience sont intellectuelles. Aussi les Français ont-ils cru « digérer » le Bataclan en se mettant à étudier le Coran, à regarder les textes religieux à comprendre ce qu’était un iman, ce qu’était l’islam. Nous aurons toujours des intellectuels pour penser l’horreur. On fera 14000 éditoriaux, 12000 émissions, on invitera 15000 spécialistes pour penser l’événement.

Le point central du terrorisme actuel nest-il pas la destruction du Juif parce que juif ?

Dans les horreurs qui ont été commises en Israël, le Hamas a voulu tuer, en effet, les Juifs, pas les Israéliens. Le Juif incarne la haine de la ressemblance. Ce qui est insupportable aux terroristes du Hamas comme aux antisémites est que l’autre puisse nous ressembler. C’est une pulsion de mort. Face à ce défi, Levinas a expliqué que les Juifs devaient cesser de s’excuser d’être juifs. Être juif, c’est considérer que la chose la plus difficile pour un être est de trouver sa place. Ce que les antisémites d’hier comme ceux d’aujourd’hui reprochent aux Juifs peut se résumer en une phrase : « Ils ont pris ma place, la place que je devais avoir. »

Est-ce que Yann Moix a trouvé sa place ?

Très honnêtement, oui. Dans la mesure où, lorsque j’écris, je me sens totalement invincible.

PROPOS RECUEILLIS
PAR JOSEPH MACE-SCARON

Le JDD, 22 octobre 2023


HORS DE MOI, JOURNAL *, YANN MOIX,
BOUQUINS/GRASSET,
1 202 PAGES, 32 EUROS
© BOUQUINS/GRASSET

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