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Sollers : « en 2050, mort, j’ai été réévalué »

Bordeaux 2014-2019-2050

D 19 juin 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook




We Demain, 25 mars 2019.
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We Demain, 25 mars 2019. Photo Sophie Zhang
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Crédit : Philippe Sollers (le site)

« En 2050, mort, j’ai été réévalué »

MALICIEUSE, LA VISION DU GRAND ÉCRIVAIN PHILIPPE SOLLERS, NATIF DE TALENCE. C’EST SA COMPLICE, JOSYANE SAVIGNEAU, QUI NOUS LIVRE CET ENTRETIEN. ILS VIENNENT DE PUBLIER ENSEMBLE « UNE CONVERSATION INFINIE », AUX ÉDITIONS BAYARD.

EST-CE EN RAISON DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE QUE VOUS AVEZ DU MAL À IMAGINER BORDEAUX EN 2050 ?

En effet, je le pensais, mais à la réflexion, comme j’ai décidé d’être immortel je vais aller m’y promener pour voir ce qui est resté intact et ce qui a changé. Mon Bordeaux, en 2050, est toujours aussi beau. Dans cette ville splendide, agrandie, magnifique, je vais faire le trajet suivant, en commençant par mon vieux lycée Montaigne, cours Victor-Hugo. li a échappé de peu à la destruction il y a trente-deux ans, au moment de la crise des Gilets jaunes.
On a failli l’incendier. C’était un moment très étonnant, car, en général, même quand la France s’agite, Bordeaux reste calme. En 2018 ce ne fut pas le cas.
Ensuite, je m’achemine, par le cours Sollers...

ÇA M’ÉTONNERAIT, VOUS AVEZ TROP MAUVAISE RÉPUTATION ET VOUS LA CULTIVEZ.

Mais non, en 2050, mort, j’ai été réévalué. J’ai eu mauvaise réputation tant que je vivais. Au lendemain de ma mort, j’ai suscité des passions positives, et j’ai pu prendre place dans la lignée des grands écrivains bordelais, après Montaigne, Montesquieu, La Boétie et Mauriac. Avec le temps tout s’arrange et je vais pouvoir célébrer tout cela.

ET VOUS NE PRÉFÉRERIEZ PAS UN PARC ?

Non le jardin public de Bordeaux, qui sera toujours là, doit rester comme il est. Je me contenterai du cours.
C’est une assez bonne idée d’avoir rebaptisé de mon nom ce qui était autrefois le cours de l’Intendance, assez médiocre appellation.
Donc par le cours Sollers, je marche comme j’ai marché tant de fois...

MAIS IL FAIT 50 DEGRÉS.

Comme je n’ai plus qu’une âme, froide, je persiste et je continue.
Certes, je vois bien que les mortels qui empruntent ce cours semblent accablés par la chaleur, comme courbés, dans cette ville qui a gardé sa splendeur. Donc, moi, par ce cours, j’aboutis à une rue qui n’a évidemment pas bougé, c’est la rue Esprit-des-Lois. Par là je descends jusqu’aux quais, qui sont toujours aussi merveilleux. Comme Stendhal, en 1825, quand il a déclaré que Bordeaux était la plus belle ville de France, je me réjouis.
Et là c’est encore plus merveilleux, car la France ayant quasiment disparu, il ne reste que Bordeaux, qui a émergé du temps. J’arpente les quais, je vois des bateaux, notamment un très beau voilier, qui s’appelle Le Nouveau, comme le bateau que j’évoquais dans mon roman de 2019 portant ce titre. Que c’est surprenant.
La question climatique a remis la voile au goût du jour. Il y a beaucoup de trafic maritime. Tout le monde prend le bateau pour aller vers l’océan Atlantique. Mais il y a aussi, comme des sortes d’autobus, d’étranges embarcations dont j’aimerais bien qu’on m’explique comment elles fonctionnent. Sûrement pas à l’essence, tout ça est dépassé. je dois avouer que ça m’intéresse moins que de constater la persistance de la voile.

ET LA LIBRAIRIE MOLLAT ?

Elle est toujours là, car il y a toujours des livres. Mais elle a encore étendu son champ d’action. Mollat était naguère la plus grande librairie indépendante de France, maintenant elle est la seule. Pas la seule indépendante, mais la seule tout court, dans ce qui est désormais LA ville, Bordeaux. Et puis on a débaptisé la rue Vital-Carles pour l’appeler rue Mollat. Vital-Carles... non, ça n’a plus aucun sens. Mollat. Rue Mollat. C’est celle par laquelle on peut descendre à la cathédrale Saint-André qui évidemment n’a pas perdu de sa splendeur.
Vraiment, en 2050 on peut juger de la supériorité qu’a toujours eu Bordeaux sur le continent français.
La Nouvelle Aquitaine a tout englobé. Être sur Le Nouveau, le bateau, et naviguer dans La Nouvelle Aquitaine, comme si on se trouvait à New York ou à La Nouvelle-Orléans, quel plaisir.
Tout est nouveau, mais tout est ancien par la même occasion. Je n’ai pas parlé de la bicyclette car je me demande si on peut encore pédaler par une telle chaleur. Même pour se rendre au musée Sollers, pourtant bien climatisé. lise trouve non loin du jardin public et y sont notamment rassemblés tous les films que j’ai faits avec deux jeunes gens, Georgi Galabov et Sophie Zhang. Il y a à peu près dix ou quinze heures donc on peut y passer plusieurs après-midi à l’abri de la fournaise.

ET LE VIN ?

C’est inquiétant. Qu’est-il vraiment advenu des vignobles, par des températures aussi explosives ? Là je ne sais pas, il faut que j’aille me renseigner, C’est mon seul souci. Mais on a dû trouver la parade technique. Car le vin de Bordeaux doit être absolument immortel. Donc après avoir pris le bateau, je vais m’arrêter pour dîner, vers l’embouchure. Il y a toujours d’excellents restaurants et je pourrai boire mon Margaux préféré.

BORDEAUX SUR PILEFACE

LIRE NOTAMMENT :

Château du Tertre, Margaux
Spécialités bordelaises (I)
Spécialités bordelaises (II)
Philippe Sollers, Vénitien de Bordeaux

Lieux et Formules

Extraits

Mais enfin, parlez-moi plutôt du Grand Théâtre ou de l’Opéra, là oui... Je suis souvent là. Emmené par les « matinées classiques », comme on les appelait au lycée. Là j’ai vu bien des choses : Boulez diriger Eschyle, par exemple, ou Madeleine Renaud jouant en décolleté Marivaux, Les Fausses confidences. Parlez-moi de la Colonne des Girondins. Parlez-moi des Quinconces. Parlez-moi du Port, qui a ressuscité très récemment, et si vous y allez vous serez très surpris de voir que Stendhal avait raison en 1825 — c’est-à-dire à la fin du XIXème siècle, parce que le XXème commence en 1825-1828 — qui a dit que c’était la plus belle ville de France. Ça lui rappelait un certain nombre de quartiers de Venise, voilà.
C’est la plus belle ville de France ! Elle a été longtemps punie.
Parlez-moi de la place de la Bourse, et pourquoi elle s’appelait place Louis XV, et pourquoi personne n’a osé lui rendre son nom. Louis XV, le roi qui a plu à Bordeaux contrairement à Louis XIV ou à Napoléon. Parlez-moi de ce qui est magnifique, ou éclate. Le XVIIIème siècle architectural. Ça oui. Parlez-moi de la Place Gambetta, des allées de Tourny.
Parlez-moi du lieu où on a posé après deux siècles seulement une plaque pour célébrer la venue d’un poète allemand qui s’appelle Hölderlin... Je vais vous montrer cette plaque.

«  C’est la plus belle ville de France ! Elle a été longtemps punie. »
A gauche : Bordeaux, la place de la Bourse.

A droite : le Grand Théâtre.

Photo A. Gauvin, 16 août 2010. ZOOM : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Parlez-moi de politique, d’histoire, de la Gironde, des Girondins... On vient de rééditer le livre de Lamartine : L’Histoire des Girondins. C’est dommage, parce que vous ne connaissez pas l’histoire de Bordeaux et l’histoire des Girondins, et l’histoire de pourquoi ce lieu — les génies du lieu, génies au pluriel — a donné quand même un maire considérable qui s’appelle Montaigne. À un lycéen on faisait visiter, vous comprenez, la Tour de Montaigne. Moi, je regardais ce type qui s’était enfermé avec des inscriptions latines sur ces poutres. C’était curieux. On’ s’égorgeait sous ses fenêtres. Il avait peur des innovations calviniennes. Il est allé à Rome pour vérifier si les textes grecs et latins étaient bien conservés par le Pape Grégoire XIII. Oui, oui, ils étaient conservés.

Puis on allait à La Brède, là c’est Montesquieu. Il faut lire Stendhal, Voyage dans le Midi de la France. Et donc, il y avait La Boétie. Vous savez, De la servitude volontaire, à relire tous les jours, parce que s’il n’y a pas lieu de se plaindre d’une tyrannie, c’est parce que nous la voulons. Voilà, ce sont des leçons inoubliables. Et puis il y a le cher Mauriac, qui n’était pas bordelais mais landais, avec un caractère de Landais.
Ce qui crée un lieu, ce sont les personnes. C’est le lieu qui élit les personnes. Genet a été élu par Mettray. Mais il n’y a que lui et vous sur ses traces. Pourquoi a-t-il été élu par Mettray ? Eh bien, ça donne l’homme de Jean Genet. Cézanne a été élu par la montagne Sainte-Victoire. Vous y habiteriez, vous y prendriez des photographies, ce n’est pas le problème, le problème c’est le motif, c’était le fait que Cézanne était là. Il faut plutôt prendre les humains qui sont élus par des lieux, que dire, qu’ils sont issus de ces lieux.

A droite : la fontaine des Girondins. A gauche : le bas du monument à la mémoire des Girondins.
Photo A. Gauvin, Bordeaux, 16 août 2010. ZOOM : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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