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Qu’avez-vous choisi comme vin ? - Un Haut-Brion...

Philippe Solllers interviewé par Frédéric Taddéî

D 6 novembre 2013     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Il m’avait donné rendez-vous à la Closerie des Lilas, son QG, à deux pas de chez lui. Une table en terrasse pour pouvoir fumer. Il était tout sourire en choisissant une bonne bouteille de bordeaux. C’est un joyeux, Philippe Joyaux, alias Philippe Sollers. Plus je le connais, plus je l’aime et plus il me fait penser à un chat, à un vieux matou qui ne fait pas son âge. Ce soir-là, il était très élégant. Pas du tout l’écrivain dépenaillé et vociférant que l’on voit à la télévision. Il avait la voix de basse de L’Éclaircie, son dernier roman. Ce qui ne l’a pas empêché d’être drôle. Très drôle, même. Sollers est un farceur. C’est son problème, d’ailleurs. La majorité des gens ne prennent pas les farceurs au sérieux, alors que lui se prend très au sérieux. Mais qu’importe ce que pense la majorité.

Frédéric Taddéï
pour le Magazine homme GQ (Juin 2012)

GQ : Qu’avez-vous choisi comme vin ?

PS : Un Haut-Brion, c’est-à-dire un graves de Bordeaux. Ce sont des vignes qui sont pratiquement à l’intérieur de la ville. Je suis né à 150 mètres de là. Je faisais beaucoup de vélo dans ma jeunesse, et, en rentrant du lycée Montesquieu, je m’arrêtais pour regarder les vignes du château Haut-Brion, les roses que l’on met au début de chaque projet de vigne qui renseigne sur le climat, etc. D’ailleurs, cela m’intéresse beaucoup de savoir ce qui se passe en ce moment dans la région de Bordeaux.


HAUT-BRION - Extrait du documentaire "Histoires de Châteaux" présenté dans l’émission
"A l’ombre d’un doute" par Franck Ferrant (France 3, le 2 octobre 2013)
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GIF Diplomatie par le vin

Talleyrand fut un temps l’heureux propriétaire du Château Haut-Brion ! Lieu idéal pour déployer ses talents, l’aide du divin nectar, en bonus.

Déjà, au temps des guerres de religion, la diplomatie par le vin avait cours. C’est ainsi que Michel de Montaigne, maire de Bordeaux et aussi propriétaire viticole reçut dans son château, Henri de Navarre, le futur Henri IV - une réunion secrète, autour d’un verre, où le philosophe conseilla à son hôte de se convertir au catholicisme pour accéder au trône du Royaume de France.

Ci-dessous, l’extrait du documentaire qui nous relate cet épisode. Hasard du calendrier, nous mettons cette vidéo en ligne, le jour où un Béarnais - de l’ancien Royaume de Navarre, donc - François Bayrou, s’est converti à droite pour conquérir la République de France, avec l’aide de son allié le Chevalier Borloo.

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Extrait 2 : la rencontre secrète de Montaigne et Henri de Navarre.

Suite de l’interview

GQ : Qu’est-ce qui s’y passe [A Bordeaux] ?

PS : Eh bien, voyez-vous, les Chinois sont là. Ils envahissent la région. Ce sont les plus gros importateurs de vins de Bordeaux maintenant. L’exportation des vins de Bordeaux, c’est cent Airbus par an [1]. Deuxième importation chinoise, le cognac. Contrairement à ce qu’a dit Céline qui était un buveur d’eau impénitent, les Chinois ne se sont pas arrêtés en Champagne dans les bulles effervescentes. Ils ne se sont pas non plus arrêtés à Cognac. Ils sont arrivés directement chez moi.

GQ : Et pour cause, ils savaient qu’ils avaient en vous un ami !

PS : Deuxième surprise dans mon existence : je viens de recevoir le journal de l’île de Ré où j’ai une petite maison au bord des marais salants et qu’est-ce que je vois ? Que les Chinois sont venus étudier la fleur de sel dans l’île de Ré décidément, ils me suivent à la trace, putain !

QG : Puisque vous me tendez la perche, commençons par la question que tant de gens se posent et depuis si longtemps : comment un fils de bonne famille bordelaise comme vous qui a fait tune grande école de commerce, l’Essec, a-t-il pu devenir maoïste et pro-chinoïs ?

PS : D’abord je n’ai pas « fait » une école de commerce, j’ai fait semblant pour obtenir de l’argent de mes parents avant d’abandonner, Je n’ai rien foutu. Et ex-mao, il ne se passe pas deux jours sans que ça ne surgisse, comme dans un « dossier » ! C’est insubmersible, comme Mao lui-même se baignant dans le Yangtsé avant de lancer la Révolution Culturelle. Horrible histoire ! Eh bien il se trouve qu’à l’époque, ces documents de la fameuse baignade de Mao m’avaient fortement impressionné... Vous les avez vus ?

GQ : Oui magnifique. Je les ai même publiés dans Maintenant, mon premier journal, en 1990.

PS : Alors vous voyez ce vieil hippopotame de 73 ans se baigner avec des types avec les drapeaux rouges dans le Yangtsé. Bon, la Chine m’intéressait déjà, et pour quelqu’un qui en avait résolument marre de l’Hexagone...

GQ : Aujourd’hui encore, c’est vous qui avez écrit “La France moisie” !

PS : La France moisie, merci ! On ne me parle que de ça. C’était il y a douze ou treize ans dans Le Monde.

GQ : Oui, généralement, c’est ce qu’on vous rappelle en premier juste après Mao, et juste avant “papiste”.

PS : Attendez, on va y venir. A l’époque, donc, la Chine m’intéressait, ce que personne ne comprenait ni ne comprend toujours. Il n’y a pas cinq ou six personnes avec qui je peux parler de la culture chinoise. Et c’est étrange qu’un pays comme celui-là arrive à la suprématie mondiale... Vous n’en doutez plus ?

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SI QUELQU’UN A DETRUIT
LA CONCEPTION BOURGEOISE
DE LA SEXUALITE, C’EST BIEN MOI.
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GQ : On pourrait en discuter longtemps, mais c’est l’usine du monde, c’est sûr !

PS : Je crois qu’il y a une profonde ignorance, un profond obscurantisme, et si on gratte un peu, un profond racisme par rapport aux Chinois. J’ai fait trois ans de chinois, c’est trop peu ! Il faut commencer tôt à l’âge de 8 ou 9 ans, simplement pour voir comment ça fonctionne. Pour mon dernier roman, L’Éclaircie, j’ai discuté avec ma petite-nièce qui vit là-bas et qui pense que je pourrais y faire carrière... D’ailleurs, j’ai des propositions de l’université de Shanghai pour enseigner le goût ! (Avec l’accent chinois) : “Voici maintenant Philippe Sollers qui va vous parler du vin de Bordeaux dont il est spécialiste”, tout cela devant 2 ooo Chinois et peut-être Chinoises, sans doute même. Parce que la Chinoise est appelée à remplir un rôle considérable dans la planétarisation à laquelle nous assistons. Vous comprenez, il ne faut pas choquer les jeunes filles qui vont nous lire, mais tout de même, il faut qu’elles soient au courant : si elles ne se forment pas de façon stricte à la planétarisation de l’amour, il faudra qu’elles se rendent compte que la jeune fille “blanche” a fait son temps.Elle a fait son temps de névrose. Mademoiselle Bovary, c’est fini.

GQ : Cela dit, le règne de la “femme blanche” aura duré plus longtemps que celui de “l’homme blanc”. Du jour où celui-ci a quitté la veste et l’uniforme et a enfilé un bermuda et un T-shirt pour arpenter le monde, il a perdu de son prestige. La femme blanche, elle, en conserve encore un peu.

PS : J’en reviens aux appétits chinois. Vous savez comment s’appelle ce cognac que les milliardaires boivent ? Louis XIII. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir combien de Chinois et de Chinoises vont se demander qui est Louis XIII ? Et le reste va suivre petit à petit.
Non seulement ils prendront mon vin, non seulement ils prendront mon sel mais ils prendront mes mots.

GQ : (Rires).

PS : Vous voyez comme mon intérêt pour la Chine était une anticipation de ma part, avec cette intuition enfantine, mais fondamentale : il y en a marre de Staline, d’Hitler, de cette Europe épouvantable et de cette France qui moisit ! Et posons une équation terrible : thèse, antithèse, synthèse, c’est-à-dire Staline, Hitler, Mao. Grand criminel, mais quelle réussite pour la Chine ! C’est un blasphème épouvantable de dire cela aujourd’hui :
“Comment, vous me dites que Mao a produit une Chine extravagante qui est en train d’avaler la planète ?” Eh bien oui.

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Juin 2012, Philippe Sollers

GQ : Je vous trouve beaucoup plus élégant ce soir que lorsque vous venez dans mon émission à la télévision. Je me demande si vous ne faites pas un peu le coup de l’écrivain qui crie misère.
Là, je vous vois en chemise blanche, pull over noir, écharpe en cachemire noire...
Un vrai gentleman !

PS : Je ne fais pas d’effort parce que je sais qu’il faut apparaître comme le prolétaire de l’émission.

GQ : A une époque, vous aviez la frange. Vous vous étiez fait la tête de Guy Debord.

PS : Non, c’est un fantasme encore.

GQ : Je m’en souviens très bien. Il y a des photos de vous qui le prouvent.

PS : Vous savez, Debord a fini sa vie très épais, et les photos de lui sont rares. La seule photo en couleur de Debord qui existe m’a été donnée par sa veuve Alice ( Becker-Ho, ndlr) pour le film que j’ai réalisé sur lui. Je ne saurais trop vous conseiller, comme à toutes les jeunes femmes qui nous lisent, de consulter mon site Internet philippesollers.net. Elles auront là une documentation considérable sur mon histoire, mes aventures... Elles seront ravies de voir des tas de photos, et notamment la seule photo en couleur qui existe de Guy Debord, qui a tout fait en noir et blanc, ce qui à mon avis est une sorte d’erreur qui l’a poursuivi. Car si vous filmez ou prenez en photo Venise en noir et blanc, vous n’êtes pas à Venise. En revanche, cette photo en couleur est passionnante. Vous verrez comme il se penche parce qu’il n’aime pas être photographié.
C’est au restaurant Linea D’Ombra. Allez-y un jour, demandez où était assis Philippe Sollers, où était assis Guy Debord, et ne m’envoyez pas la note.

GQ : Je vous imagine bien à Venise vous demandant s’il ne serait pas passé par cette ruelle, s’il n’aurait pas dormi dans telle ou telle chambre.

PS : C’est classique. J’ai publié chez Plon un Dictionnaire amoureux de Venise, un livre personnel recommandé dans les agences de voyage. C’est un ouvrage extraordinairement précis, un best-seller si vous voulez, battu seulement par Pivot sur le vin. Comment voulez-vous faire mieux que Pivot sur l’ignorance du vin ? Il m’en veut beaucoup, parce que lui, c’est Beaujolais forever. Vous savez comment se terminent la plupart de ses entrées ?
Par “glou glou”. Chez nous, on ne fait pas “glou glou” ! Il y a toute une flopée de touristes et d’académiciens qui me reprochent de ne pas les fréquenter, de vivre ma vie à l’écart. Mais quand vous êtes à Bordeaux, vous vous tenez bien à table, vous buvez votre Haut-Brion tranquille. Vous avez vos lunettes ? Regardez !

Il lui tend une médaille qu’il garde précieusement dans sa boîte.

GQ : Oui, c’est la médaille de la ville de Bordeaux. tout bêtement.

PS : Oui, Monsieur,tout bêtement.

GQ : Ils ne la donnent pas à tous les indigènes ?

PS : C’est signé Alain Juppé. Que c’est drôle la vie !

GQ : A votre avis d’ailleurs,cette médaille, à qui on la donne ? A l’écrivain Sollers ou à l’homme de lettres ? Parce que vous avez toujours joué sur les deux tableaux : à la fois très écrivain, mais quand même très homme de lettres, c’est-à-dire éditeur, une revue, L’Infini, une collection, un bureau chez Gallimard, un réseau... D’ailleurs, de quel écrivain l’éditeur Sollers est-il le plus fier ?

PS : Michaël Ferrier pour Fukushima. C’est un grand livre. Je le réimprime sans arrêt. C’est curieux. Il y a quelque chose qui bloque concernant ma reconnaissance... Alors d’accord, il faut mourir, il faut se suicider, et ma cote montera dans les huit jours : "Oh qu’est-ce qu’on regrette Sollers !" Voulez-vous que je me suicide ? Je ne suis pas pressé.

GQ : Grâce à "Apostrophes", en un soir, en 1983, vous êtes passé d’écrivain d’avant-garde qui publiait des livres considérés comme illisibles et peu lus par le grand public à...

PS : Ce n’est pas grâce à "Apostrophes", c’est grâce à un livre !

GQ : En tout cas, vous êtes devenu l’écrivain préféré de la bourgeoisie. Femmes ça a été un gros succès bourgeois.

PS : Mais mon cher camarade, vous vous trompez absolument. Femmes a été un succès prolétaire !

GQ : Vous croyez ?

PS : Absolument. J’ai fait découvrir aux classes moyennes et aux basses classes qu’elles avaient en moi un allié considérable contre la conception bourgeoise de la sexualité. Si quelqu’un a détruit la conception bourgeoise de la sexualité, c’est bien moi.

GQ : Je suis d’accord. Je dis juste que du jour au lendemain, la bourgeoisie vous a découvert. La vraie bourgeoisie. Je me souviens de cette époque, les parents de mes amis, les femmes venaient de vous découvrir, elles vous lisaient et vous êtes devenu à ce moment-là, subitement grâce à ce livre puis à cette émission, l’écrivain de la bourgeoisie.

PS : Je vais vous répondre précisément sur ce terme de bourgeoisie. Je revendique hautement mes origines bourgeoises. Je les revendique d’autant plus qu’elles ont été, dans un angle de politique particulier, c’est-à-dire anglophile échappant à la malédiction Vichy-Moscou, sur laquelle je n’ai pas arrêté de taper toute ma vie. Deuxièmement, si vous pouvez me trouver un révolutionnaire qui ne vienne pas de la bourgeoisie, je vous paye un diner à Haut-Brion, encore supérieur à celui que nous sommes en train de vivre. Santé ! (ils trinquent, ndlr). Nous sommes dans une situation où tout le monde s’époumone sans rien dire, et il n’y a pas un seul bourgeois qui vienne vous dire qu’il est révolutionnaire. Révolutionnaire, ça ne veut pas dire Mélenchon, ça veut dire...

GQ : Ça veut dire quoi révolutionnaire ?

PS : Pour connaitre le fond des choses, il n’y a rien de mieux qu’un bourgeois décalé et qu’un bourgeois révolutionnaire comme moi. C’est pour ça que tout le monde m’en veut, parce que je connais le fond des choses, je connais le trafic qui s’opère dans la bourgeoisie.

GQ : Il faut voir aussi que la bourgeoisie a toujours aimé la littérature qui lui est nocive, qui sape ses fondements. Je ne parle pas de la bourgeoisie révolutionnaire mais de la bourgeoisie qui se laisse révolutionner régulièrement. La bourgeoisie aime Baudelaire qui la conchie, elle aime Nietzsche qui la vomit, elle aime Femmes qui, selon vous, sape ses fondations sexuelles.

PS : Et alors ? Ça vaut beaucoup mieux que les classes moyennes virulentes, que le pseudo-prolétariat à l’assaut d’un ciel qui n’existe plus. La bourgeoisie s’est très compromise dans des tas d’aventures historiques. Je ne revendique pas autre chose que son impact politique. La bourgeoisie dans ce qu’elle a de plus aristocratique, excusez-moi, c’est le sel de cet Hexagone moisi.

GQ : Depuis que vous avez écrit Femmes en 1983.vous vous êtes beaucoup posé en expert en femmes. Le personnage sollersien, celui que l’on retrouve dans à peu près tous les romans - Portrait du joueur, Le Lys d’or, La Fête à Venise - est un expert en femmes. En quoi êtes-vous plus expert en femmes que moi ? Qu’est-ce que vous savez que nous ignorons ?

PS : Attendez, vous êtes passé de moi à vous puis de vous à tous ! C’est un emportement démocratique...

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LES HOMMES SONT DES NIAISEUX, DES NIGAUDS,
QUI N’ONT MÊME PAS ACCES A
LA CONNAISSANCE DE LEUR PROPRE CORPS.
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GQ : C’est pour ça que je me mets dans la peau de tous.

PS : Mais la peau de tous n’existe pas camarade ! Les femmes savent tout.

GQ : Et les hommes ?

PS : Les hommes. mon cher, sont des niaiseux, des nigauds, qui n’ont même pas accès à la connaissance de leur propre corps ni à celui de la différence sexuelle. N’oubliez pas que j’ai beaucoup fréquenté un type ahurissant, très intéressant. on allait dîner ensemble assez souvent, c’était Lacan. La différence sexuelle, putain, c’est quelque chose ! Qu’est-ce qu’il y a comme connaissance dans cette affaire ? Qu’est-ce qu’il y a comme sujet connaissant ?

GQ : Dans ce domaine, tout le monde croit qu’il sait, qu’il invente, alors qu’en réalité...

PS : Vous êtes un démocrate fanatique, ce n’est pas vrai ! Tout le monde, mon œil. Et tout le monde est peintre, musicien. “Manet, ce n’est rien, j’en fais autant.” Si vous voulez, mais ce n’est pas vrai !

GQ : Beaucoup pensent ça.

PS : Ce mensonge démocratique est absurde.

GQ : Un autre thème sur lequel vous n’arrêtez pas d’écrire, ce sont les illusions sexuelles. Votre héros, l’expert en femmes, fait beaucoup l’amour, il le fait joyeusement, mais sans passion, sans drame et il n’est jamais très amoureux...

PS : Mais nous ne sommes pas dans le romantisme, le problème est là ! L’illusion est une conception névrotique de tous ces rapports humains influencés de façon effrayante par le romantisme. C’est-à-dire la propagande, relayée à fond par le cinéma et le roman américain, que de toute façon tout cela conduit à l’échec. Quel scoop ! Et bien ce n’est pas vrai. Parce qu’il y a une autre civilisation beaucoup plus précise, écrite en français parce que Casanova écrit en français, comme par hasard, et qui propose une autre conception du monde, de la liberté féminine, une autre conception de la liberté masculine par rapport à la liberté féminine. Tout n’est pas négatif ou senti mental, effrayant, agression. La différence sexuelle peut-elle être surmontée ? Non dit la propagande de façon très étrange,parce que publicitairement oui, vous n’arrêtez pas d’avoir des appels à l’amour, à la fusion, ce qui est faux.
Et bien moi je dis le contraire. Je suis décalé dans mon époque au point que ça en devient majestueux.

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Illustrations de bas de page de l’article original du magazine GQ
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GQ : Est-ce que vous avez le permis de conduire ?

PS : Oui.

GQ : C’est étrange, mais je ne vous imagine pas du tout conduire. Vous avez déjà possédé un engin à moteur ? Vous m’avez parlé de votre vélo.

PS : J’ai eu un tas de bagnoles avec lesquelles j’ai fait des périples insensés notamment en Espagne dans les années 1960...

GQ : Ah, vous alliez en Espagne sous Franco ?

PS : Mais Monsieur je n’étais pas en Espagne sous Franco, j’étais un Barcelonais dans les bordels et vous ne les avez pas connus. Le Barrio China !

GQ : Je trouve Madrid plus excitante. Barcelone, c’est un port. La Catalogne, ce sont des libéraux tolérants. Rien ne les choque à part la corrida. Alors que Madrid, castillane, froide, austère, catholique au milieu de nulle part, qui se retrouve avec des boîtes de nuit insensées, des bordels, des clubs échangistes, des homos qui défilent, des transsexuels, de la drogue à tout va, c’est le choc des civilisations ! C’est pour ça que j’aime Madrid et que Barcelone m’ennuie.

PS : Je vous écoute avec intérêt, mais là vous parlez de votre génération...

GQ : Est-ce qu·on ne parle pas toujours de sa génération ?

PS : A ses risques et périls. Cela dépend de ce qu’on a vu d’exceptionnel.

GQ : C’est quoi la pensée Sollers ? Votre vision du monde ? Si je devais la résumer, je dirais : le couple, la famille, le milieu social, l’Église, la politique, l’armée, les médias sont les tentacules d’un grand complot de la collectivité pour nous contrôler.

PS : Ajoutez une chose qui me paraît importante, c’est que Dieu est mort.

GQ : Je continue : pour nous contrôler, la collectivité nous culpabilise. Et pourquoi nous culpabilise-t-elle ? Pour nous, empêcher d’être heureux. C’est bien cela ?

PS : Oui, parce que si vous êtes vraiment heureux, vous devenez cachés. Pour vivre cachés, vivons heureux. Essayons donc. Chaque assouvissement des désirs, c’est quelque chose que la société ne supporte pas, parce que cela produit une connaissance absolument anarchique. Si l’amour entre hommes et femmes existait, il serait détruit très vite. Il faut donc se défendre.

GQ : L’amour n’existe pas, selon vous ?

PS : Si, cela peut exister, à condition de prendre des moyens.

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CE QUI EST INTERESSANT CHEZ
LES JEUNES GENERATIONS,
C’EST LE ROLE DE LA COMMUNICATION QUI
PREND LA PLACE DU LANGAGE.
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GQ : Des moyens contraceptifs ?

PS : Non, des moyens et la volonté de préserver ce qui vous arrive.

GQ : Mais c’est étrange que vous me vantiez cette opacité.

PS : (Il le coupe) Ce secret...

GQ : Oui, ce secret, alors que vous ne cessez de raconter dans vos aventures, dans vos livres, de faire de la publicité pour vous-même, pour votre expertise.

PS : Il y a les deux, car si je faisais l’apologie du secret sans montrer exactement de quoi je parle, cela n’aurait aucun sens.

GQ : Le héros sollersien est heureux car il ne se sent pas coupable. C’est un joyeux.

PS : C’est un imbécile heureux, c’est plus profond.

GQ : Vous avez beaucoup écrit sur Nietzsche, mais entre lui et vous, il y a un monde. Nietzsche est pessimiste, frustré, malheureux. C’est un prophète, le rival du Christ. Il signe “le crucifié”. Vous, on ne vous a pas crucifié, jamais ! A part quelques plaisanteries sur votre maoïsme, l’homme de lettres Sollers est quand même extrêmement bien traité.

PS : Il n’y a pas plus émouvant que la confidence de Nietzsche faite à la fin de sa vie, sur le fait qu’il aurait dû connaître les petites femmes de Paris.

GQ : C’est ce qui lui a manqué, d’après vous.

PS : Voilà, moi cela ne m’a jamais manqué, j’ai commencé très jeune.

GQ : La recette du bonheur, pour vous, c’est : le vin, le jeu, les femmes et les grands artistes, c’est cela en fait “être heureux“ ?

PS : C’est cela. Je vais vous citer un peu de La Fontaine , qui est toujours le bienvenu : “J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique, la ville et la campagne, enfin tout. Il n’est rien qui ne me soit souverain bien, jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique“. Ça, c’est du français !
Vous savez en quoi je suis étrange ? Ce n’est pas à cause du Sollers ceci ou du Sollers cela, c’est la vocation pour la langue française. Quelque chose qui m’appelle. Je l’entends d’une certaine façon. Et c’est pour cela que je suis un des rares révolutionnaires de mon époque, car c’est moi et moi seul qui attaque fondamentalement ce qui est en train de monter comme fascisme en France. Je suis un antifasciste de nature, par instinct nerveux. Le corps humain, la communication des cinq sens, c’est cela la résistance.

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Vous ne trouverez pas un autre écrivain français qui prenne autant de responsabilités que moi. Le prix Nobel de Le Clézio, c’est charmant, Modiano qui a du mal à arriver jusqu’à notre époque, aussi. Le problème, il n’est pas là. Le problème, c’est la guerre, une guerre totale contre l’ignorance, l’obscurantisme et l’oubli des Lumières. Moi je suis en guerre et tous ceux qui parlent de moi le savent très bien.

GQ : Ce fascisme, c’est celui de la collectivité ? Ce sont les tentacules que j’énumérais tout à l’heure ? Le couple, la famille, le milieu social, l’Église, la politique, l’armée, les médias ?

PS : Ce sont des vieilles marionnettes.

GQ : Elles sont dans vos livres.

PS : Il faut aller plus loin. Ce n’est pas un fascisme ancien, c’est un fascisme totalement nouveau. C’est les marchés financiers par exemple. Au final, je me sens tout à fait seul dans ce que j’écris. Je me sens seul dans cet étrange pays.

GQ : Parlons d’autre chose. A la rédaction, ils voudraient savoir la marque de fume cigarette...

PS : C’est n’importe quoi comme question ! En tout cas, je peux vous dire qu’il est tout mâchouillé. Avec, je fume des Camel sans filtre.

GQ : C’est donc pour vous protéger les doigts. Il n’a pas de marque...

PS : Non, c’était en vente dans n’importe quel buraliste à l’époque. J’espère que cela existe encore bien que j’en ai fait une réserve. Je suis sûr que c’est une question d’homme. Parce que les différences sexuelles sur les états de perception expliquent cette aliénation. C’est intéressant de suivre les symptômes de cette aliénation. Je suis marxiste au fond.

GQ : Vous qui avez toujours vanté le secret, comment regardez-vous la jeune génération qui a tendance à s’étaler, à se mettre en vitrine sur les réseaux sociaux ?

PS : Je la regarde avec intérêt, car je pense que toute cette dépense pour dire “j’existe, j’existe, j’existe”, qui veut dire en fait “je ne suis pas, j’attends d’être”, c’est passionnant à observer. Ce qui est intéressant d’abord c’est le rôle de la communication qui prend la place du langage. Je passe mon temps à observer les nouvelles générations. Rue d’Assas, à la sortie de la faculté de droit, il y a un flux de jeunes gens qui viennent s’asseoir à côté de moi et je les écoute. J’étais anticipateur parce que j’écoutais quand j’étais adolescent, derrière les cloisons, les discussions de mes sœurs qui rentraient le soir. J’ai été édifié pour la vie. J’ai beaucoup écouté et croyez-moi, une société, c’est ce qu’elles disent. C’est le dialogue entre filles qu’il faut écouter attentivement.

GQ : Un jour vous m’aviez dit que c’est une génération qui se vit comme une marchandise.

PS : Oui, bien sûr, une marchandise humaine.

GQ : Les hommes surtout. Les femmes ont depuis toujours l’impression d’être une marchandise.

PS : Les hommes ou les femmes ?

GQ : Les hommes surtout. Peut-être aussi que les femmes ont l’impression de vivre depuis tellement longtemps comme une marchandise que la nouveauté c’est plutôt que les hommes se vivent comme cela maintenant.

PS : Elles ont une expérience millénaire dans ce sujet.

GQ : Elles ont d’ailleurs développé tout un armement en conséquence. Mais les hommes ?

PS : Les hommes qui savent dissimuler leur décence sont très rares.

GQ : Quels conseils donneriez-vous à un garçon ou à une fille âgés de 20 ans ?

PS : Mais tout dépend de leur intelligence perceptible. Est-ce qu’ils ont une volonté de liberté ou pas ?

GQ : J’imagine, puisque je prends l’exemple de jeunes qui viendraient vers vous.

PS : S’ils viennent vers moi, c’est souvent névrotique et, à ce moment-là, je les aiguille vers le divan.

GQ : Mais Lacan est mort.

PS : Oui, mais ma femme est une très bonne psychanalyste (Julia Kristeva, ndlr).

GQ : On n’en parle pas assez de votre femme.

PS : C’est quelque chose qui est tabou.

GQ : On n’ose pas parler de sa femme à l’auteur de Femmes .

PS : Pour mes conseils tout dépend vraiment de l’interlocuteur, si je sens une volonté de liberté.

GQ : Et à une fille, vous lui diriez la même chose qu’à un garçon ?

PS : Évidemment, ce sont des espèces très différentes. Celui qui ne conçoit pas cela ne sait pas grand-chose. A une jeune femme, je lui conseillerais probablement de se marier. d’avoir deux enfants et après on se revoit pour parler de choses vraiment sérieuses. Avant, c’est peu probable qu’on puisse le faire. C’est à cet âge que les femmes sont intéressantes, vers 28-30 ans, quand elles veulent vivre leur vie en dehors de ce qui va leur peser comme fatalité. On peut alors leur parler de vision du monde, avant, c’est plus difficile. Il y a un savoir dans la vie humaine, ce vieux Lacan était parfait.
Vous connaissez sa formule : “Il n’y a pas de rapport sexuel.” En réalité, Lacan n’était pas très heureux. Moi, je crois qu’il peut y avoir du rapport sexuel. Mais c’est très rare.

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Illustrations de bas de page de l’article original du magazine GQ
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Crédit : Magazine homme GQ

Sur Frédéric Taddéï

Journaliste, animateur radio et télé. Présentateur de Ce soir (ou jamais !) depuis septembre 2006, d’abord sur France 3, et aujourd’hui sur France 2.
Né le 5 janvier 1961, Frédéric Taddeï commence sa carrière en 1990 en lançant le magazine Maintenant. Ainsi repéré par Jean-François Bizot, il est recruté pour collaborer au magazine Actuel, et présente, en parallèle, sur Radio Nova, une chronique littéraire intitulée Aujourd’hui, j’ai lu pour vous. Il participe également à L’Idiot international, le journal de Jean-Edern Hallier, et Sollers n’est pas un inconnu pour lui. Fin connaisseur de l’écrivain.


[1"Le marché du vin représente 6,9 milliards d’euros par an de recettes à l’exportation, c’est comparable à la vente de 137 airbus", rappelait Bruno Le Maire, alors Ministre de l’Agriculture, lors de l’inauguration du salon Vinexpo 2011 (Le Figaro, 19/06/2011) - note pileface

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1 Messages

  • V. K. | 11 novembre 2013 - 11:11 1

    Portrait de l’interviewer, Frédéric Taddéï, interviewé par
    Judith Perrignon pour "M", Le magazine du Monde,
    ici (pdf).