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L’Art de la guerre

A propos de Sun tzu (孫子) et de Tchouang tseu

D 19 décembre 2021     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Attaquez à découvert, mais soyez vainqueur en secret... Le grand jour et les ténèbres, l’apparent et le caché : voilà tout l’art. »

Sun Tse [1], L’art de la guerre,
exergue à Ph. Sollers, Portrait du Joueur, 1984.

« Quelque critiques que puissent être la situation et les circonstances où vous vous trouvez, ne désespérez de rien ; c’est dans les occasions où tout est à craindre, qu’il ne faut rien craindre ; c’est lorsqu’on est environné de tous les dangers, qu’il n’en faut redouter aucun ; c’est lorsqu’on est sans aucune ressource, qu’il faut compter sur toutes ; c’est lorsqu’on est surpris, qu’il faut surprendre l’ennemi lui-même ».

Sun Tse, L’art de la guerre,
exergue à Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, 1988.

« Car l’Adversaire est inquiet. Ses réseaux de renseignement sont mauvais, sa police débordée, ses agents corrompus, ses amis peu sûrs, ses espions retournés, ses femmes infidèles, sa toute-puissance ébranlée par la première guérilla venue. »

Philippe Sollers, Avertissement à Éloge de l’infini, Londres, janvier 2001.


L’art de la guerre

Après avoir déjà publié, en 2000, une traduction de L’art de la guerre de Sun tzu, accompagnée de nombreux et passionnants commentaires chinois (Hachette, coll. Pluriel), puis, en 2007, Les 36 stratagèmes (Rivages poche. Petite bibliothèque) et, enfin, Les sept traités de la guerre en 2008 (Hachette, coll. Pluriel), Jean Levi publie à nouveau sa traduction du livre de Sun tzu (« dans le droit fil de [ses] précédentes traductions ») aux Editions Nouveau Monde, assortie d’une riche iconographie.

Présentation

Écrit à l’époque des Royaumes combattants, L’Art de la guerre, dont l’auteur présumé est un général chinois du nom de Sun tzu (ou Sunzi), est le plus ancien traité de stratégie connu (Ve-IVe s. av. J.-C), et l’un des plus célèbres. Mais il est davantage : une leçon de sagesse et d’art de vie inspirés du Tao.

Dans la belle traduction proposée ici, Jean Levi rend la concision et la force littéraire de l’original. Il replace aussi le Sun tzu (ou Sunzi) dans son contexte historique et culturel, et l’accompagne d’extraits de textes de grands penseurs traditionnels chinois.

L’iconographie, riche et rigoureusement choisie et commentée par Alain Thote, apporte un éclairage précieux à ces textes très anciens, emblématiques de la pensée chinoise. À travers trouvailles archéologiques, décors funéraires, peintures rupestres, sculptures, représentations de divinités, objets du culte, portraits (imaginaires ou non), scènes de bataille ayant inspiré des artistes occidentaux, et même films récents, elle reflète le développement d’une civilisation et montre à quel point l’imaginaire chinois puise ses racines dans l’Histoire.
Traduit et commenté par Jean Levi
Illustrations choisies et commentées par Alain Thote.

Jean Levi s’entretient avec Jacques Munier le 16 novembre 2010 (à plus d’un titre).

Une anecdote significative : le général doit combattre non pas l’ennemi, mais ses propres troupes, voire son propre souverain.
une histoire de femmes (cf. Sollers, Guerres secrètes et, dans ce dossier, Le Secret).
la vertu c’est l’efficacité (taoïsme).
une philosophie du non être, du vide.
une guerre de l’insu.
l’art du mensonge, de la souplesse, de la dérobade.
une dialectique du visible et de l’invisible.
force irrégulière (qi) et force régulière (zheng).
la métaphore de l’eau.

crédit : France Culture

*


La Chine en guerre

par Philippe Sollers

Giuseppe Castiglione, Ayusi attaquant les rebelles avec une lance .
National Palace Museum, Taipei.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Oubliez un moment les prédications morales, destinées, en général, à cacher vos mauvaises actions, et intéressez-vous de plus près à la guerre. Elle a lieu sans arrêt dans tous les domaines, le dernier, brûlant, étant celui des monnaies. Voici donc un nouveau géant qui n’en est qu’à ses débuts : la Chine. Ce n’est pas moral ? Eh non, c’est la guerre.

Contrairement à la croyance américaine dans la toute-puissance du choc militaire frontal (erreur au Vietnam, erreur et enlisement en Irak, prolifération du terrorisme), la stratégie chinoise est comme l’eau : pas de forme fixe, fluidité, ténacité, enveloppements, sinuosités, silence. Ouvrez ce livre magique, magnifiquement illustré, votre bibliothèque l’attendait, il resurgit du fond des âges (Ve siècle avant notre ère), et, sans une ride, il vous montre clairement l’essentiel.

Au moins, c’est net : « La guerre repose sur le mensonge. »

« Grande affaire des nations, elle est le lieu où se décident la vie ou la mort, elle est la voie de la survie ou de la disparition, on ne saurait donc la traiter à la légère. »

Ce « Sun Tzu » (ou Sun Zi) est le plus ancien traité de stratégie connu. Où était le monde occidental à l’époque ? Vous auriez avantage à relire « l’Iliade » et « l’Odyssée ». Mais ici, en passant, parmi ses commentaires inspirés, Jean Levi ne craint pas de citer Mao lui-même comme continuateur de Sun Tzu, notamment dans un texte de 1938, « De la guerre prolongée ». L’actuel président chinois est-il le successeur de Mao dans un sens qui paraît carrément inverse ? Avec les Chinois, tout est possible. Voyez l’impassible Hu Jintao, à Paris, citant Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Hugo et Alexandre Dumas, devant un Sarkozy fasciné par des contrats à milliards. Courtois, ce Chinois indéchiffrable, principal banquier de la planète, n’a pas évoqué « la Princesse de Clèves ». C’est dommage, il aurait dû.

« L’Art de la guerre » a été dix mille fois lu et relu, il le reste, sauf par les intellectuels enfermés dans leurs préjugés. C’est un livre immoral (comme Machiavel, après tout), mais d’une éthique très stricte.

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Shang Yang (v. 390-338 av. J.-C.)

Ecoutez Shang Yang :

« Gouverner, c’est détruire, détruire les parasites, détruire ses propres troupes, détruire l’ennemi. »

Ici, le général est supérieur au souverain, il agit selon les situations, c’est un « accoucheur du chaos » (Levi), un vrai situationniste. Il est secret, impénétrable, léger, profond, insaisissable. Il connaît parfaitement le terrain, les points forts et les points faibles de l’adversaire. Il se connaît lui-même, surtout, mais cette connaissance échappe à ses ennemis : « Je sais tout de l’autre, parce qu’il ignore tout de moi. » Et voici quelques conseils :

« Capable, passez pour incapable ; prêt au combat, ne le laissez pas voir ; proche, semblez donc loin ; loin, semblez donc proche ; attirez l’adversaire par la promesse d’un avantage ; prenez-le au piège en feignant le désordre ; s’il se concentre, défendez-vous ; s’il est fort, évitez-le ; coléreux, provoquez-le ; méprisant, excitez sa morgue ; dispos, fatiguez-le ; uni, semez la discorde. »

Vous avez le vertige ? Moi aussi. L’armée chinoise est partout et nulle part, elle est à la fois très structurée (hiérarchisation, sanctions) et informe, car « le sans-forme domine l’ayant-forme ».

« J’oblige l’ennemi à dévoiler ses formations sans jamais trahir ma forme. Je concentre mes forces, l’ennemi disperse ses hommes ; je forme un corps unique, il est fractionné en dix endroits ; attaquant à dix contre un, je me trouve toujours en supériorité numérique. »

Bref, j’attaque là où l’adversaire ne m’attend pas, je surgis toujours à l’improviste. J’utilise une tactique de harassement, méthode qui consiste à user l’ennemi jusqu’à épuisement total pour l’anéantir ensuite. Tout cela n’est pas « bien », mais les embarras à ce sujet conduisent automatiquement au désastre.

« Une armée doit être preste comme le vent, majestueuse comme la forêt, dévorante comme la flamme, inébranlable comme la montagne. Insaisissable comme une ombre, elle frappe avec la soudaineté de la foudre. »

Tout repose sur le général, qui devient, en exposant sa vie, un personnage métaphysique.

« Le grand général est dépositaire d’un art dont nul discours ne saurait rendre compte, aussi est-il mystérieux comme les dieux ; il voit ce qui échappe à la vue des autres, aussi est-il infiniment clairvoyant. Qui sait l’art de se rendre invisible et de tout voir ne rencontrera pas d’ennemis dans les campagnes ni de pays pour se dresser en face de lui. »

Je ne peux pas être deviné puisque je suis capable de faire passer le vide pour le plein et le plein pour le vide. Je m’appuie sur les mouvements de l’adversaire, il travaille pour moi à son insu, ma force ne se présente que sous les dehors de la faiblesse, elle est féminine (le masculin étant trop voyant), je me propulse en avant en me tenant en retrait. Comme la guerre a lieu à chaque instant partout, vous pouvez appliquer ce comportement insolite en affaires, en politique, en littérature, en amour.


Giuseppe Castiglione, Officier de l’armée Qing, 1755 [2]. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Le chapitre 13 du « Sun Tzu » est le plus important. Il traite du renseignement et de l’espionnage, autrement dit des agents secrets.

« Il existe cinq sortes d’agents : les agents indigènes, les agents intérieurs, les agents retournés, les agents sacrifiés, les agents préservés. Lorsque ces cinq sortes d’espions sont simultanément à l’oeuvre sans éveiller les soupçons, le souverain a tissé un filet magique, lequel constitue le plus précieux de ses trésors. »

Un agent « sacrifié » est chargé de transmettre de faux renseignements aux services ennemis : il sera donc démasqué tôt ou tard, la pratique de la désinformation ayant ses limites. Quant aux agents doubles, ils doivent être d’une « intelligence supérieure », ce sont les « intimes » du commandement. En voici un, extraordinaire : le jésuite italien Giuseppe Castiglione, dont vous pouvez admirer le rouleau parfaitement chinois de 1759. Les jésuites avaient tout compris très tôt, ils n’ont pas été suivis par Rome, grosse erreur géopolitique. La tombe du plus célèbre d’entre eux, Matteo Ricci, est aujourd’hui très bien entretenue à Pékin. Qui a le meilleur service de renseignement du monde ? La grande multinationale qu’est le Vatican. La récente parution du dictionnaire chinois-français, le « Ricci », avant toute publication en anglais, en est la preuve : sept gros volumes venant de Taipei, plus d’un siècle de travail, patience et longueur de temps, guerre prolongée dans l’ombre. Un improbable écrivain français de l’avenir le consultera.

La première chose que Mao a demandée à Malraux, lors de la reconnaissance de la Chine par la France, en 1964, a été de lui parler de Napoléon (donc de Clausewitz). On oublie trop souvent cette initiative de De Gaulle, mettant fin au cordon sanitaire occidental établi autour de l’Empire du Milieu. Bien entendu, la cause des droits de l’homme doit être sans cesse rappelée aux Chinois, mais un peu de respect, et moins d’ignorance, pour cette admirable civilisation millénaire serait souhaitable.
On rêve donc du toast qu’aurait pu porter le président de la République française, en réponse aux noms de Montesquieu et de Voltaire prononcés par son homologue chinois : « A Sun Tzu, à l’art de la guerre ! »

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 2 décembre 2010.

La Victoire de Khorgos, 1758. Musée Guimet, Paris.
Gravure de Jacques-Philippe Le Bas destiné à l’empereur Qianlong,
d’après un dessin de Jean-Denis Attiret, 1774.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

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Mao et le groupe de Yanan en 1942. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

De Sunzi à Mao

Philippe Sollers, dans son article, La Chine en guerre, écrit :

Jean Levi ne craint pas de citer Mao lui-même comme continuateur de Sun tzu, notamment dans un texte de 1938, "De la guerre prolongée".

Mao a-t-il lu Sunzi ? Si l’on en croit Simon Leys, pendant la révolution culturelle, Mao aurait déclaré :

En ce qui me concerne, je n’ai jamais étudié dans des académies militaires, je n’ai jamais étudié les traités de stratégie. Il y a des gens qui prétendent que dans mes campagnes, je me suis basé sur Les Trois Royaumes et sur L’art de la guerre de Sunzi : et moi je vous dirai bien simplement que moi, Sunzi, je ne l’ai jamais lu. Mais pour ce qui est des Trois Royaumes, ça oui, je l’ai lu [3].

Il n’en demeure pas moins que Les trois royaumes relate les exploits du général Cao Cao qui fut le premier commentateur de Sunzi. Et on peut trouver plusieurs endroits où Mao cite explicitement Sunzi :

dans Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire (1936) :

Le précepte contenu dans l’ouvrage du grand théoricien militaire de la Chine antique, Sun Tzu, "Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait" se rapporte à deux étapes : celle de l’étude et celle de l’application pratique des connaissances ; il concerne tant la connaissance des lois du développement de la réalité objective que la détermination, sur la base de ces lois, de notre propre action en vue de vaincre notre adversaire. Nous ne devons pas sous-estimer la valeur de ce précepte. (chapitre 1)

Sun Tzu a dit : "Un bon général évite l’ennemi quand il est d’humeur belliqueuse pour l’attaquer quand il est indolent ou nostalgique." Il entendait par là qu’il faut épuiser moralement et physiquement l’adversaire pour le priver de sa supériorité. […] De plus, nous pouvons agir intentionnellement de façon à susciter des fautes chez l’adversaire, par exemple en faisant ce que Sun Tzu appelait "créer des apparences" (donner l’apparence de vouloir frapper à l’est et porter l’attaque à l’ouest, autrement dit : faire des démonstrations d’un côté pour attaquer de l’autre). (chapitre 5)


Mao à Yenan en 1938. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

et dans De la guerre prolongée (1938) :

Cependant, [la guerre] n’a rien de surnaturel ; elle n’est qu’un évènement de la vie soumis à des lois définies. Voilà pourquoi la règle de Sun Tzu "Qui connaît l’autre et se connaît, en cent combats ne sera point défait" reste une vérité scientifique. Les erreurs viennent de ce que l’on ne connaît pas l’ennemi et qu’on ne se connaît pas soi-même ; d’ailleurs, dans bien des cas, le caractère scientifique de la guerre ne nous permet pas de connaître parfaitement l’ennemi et nous-même, d’où l’incertitude dans l’appréciation de la situation militaire et dans les actions militaires, d’où les erreurs et les défaites [4].

Jean Levi précise que Mao avait fait de la lecture de Sun tzu le sujet d’un de ses séminaires de Yenan, mais il insiste aussi sur « l’écart entre les principes de L’Art de la guerre et la pratique de la guerre des partisans. »

Sunzi élabore la théorie d’une guerre classique, opposant les armées régulières de grandes principautés fortement centralisées, disposant d’infrastructures étatiques et économiques ; dans de telles conditions, la brièveté des campagnes militaires est un impératif vital pour la pleine réussite de l’opération. Tout au contraire Mao se situe dans le contexte d’une guerre subversive dont l’un des principaux objectifs est l’enlisement de l’adversaire. [...] Il s’agit d’engluer l’autre dans d’interminables escarmouches afin de gagner du temps. Gagner du temps, c’est en faire perdre à l’ennemi.

C’est la grande différence entre la guerre « régulière » et la guerre « irrégulière ».

Jean Levi, bien sûr, n’est pas le premier, ni le seul, à faire le rapprochement entre Mao et Sunzi. Sollers lui-même, dans le chapitre de Guerres secrètes consacré à La guerre chinoise (2007, Folio, p. 311-346), après avoir cité Raymond Aron, n’écrit-il pas :

Quant à Mao, ce fut un grand criminel, personne n’en doute... Mais remettre en cause ses talents militaires me paraît bien léger.
Contrairement à ce qu’on a dit, il est très probable que Mao avait lu et travaillé Sunzi. Michel Jan rappelle ainsi qu’en 1936, dans Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire, Mao médite l’un des préceptes les plus connus de L’Art de la guerre : "Connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles." Que Mao ait lu ou non Sunzi, il connaît évidemment, d’instinct, la vieille tradition de la stratégie indirecte [5]. Il a en outre un génie militaire indéniable, ce qui n’est pas le cas des deux autres grands criminels du XXe siècle : dans l’ordre, comme il faut toujours les citer, Staline et Hitler.
(p. 317)

Le grand spécialiste des questions de stratégie, Gérard Chaliand, soulignait lui aussi, récemment, cette "filiation" dans Le nouvel art de la guerre (Edition Pocket, 2008), après l’avoir fait dans sa monumentale Anthologie mondiale de la stratégie (Robert Laffont, coll. Bouquins, 1990 (2009), Sun tse, p. 281 ; Mao tse-toung p. 387). Dans Le nouvel art de la guerre, Chaliand met l’accent sur l’innovation de Mao par rapport aux théoriciens du XIXe siècle : la transformation d’une guerre irrégulière en force régulière et la politisation de la guérilla. Il écrit :

« La guérilla, ou guerre irrégulière, prend une importance toute nouvelle avec Mao Zedong. [...]
Alors que l’agression japonaise de 1937 ouvre une phase nouvelle d’alliance pleine d’arrière-pensées avec le Guomindang, c’est entre 1936 et 1938 que Mao Zedong publie ses trois ouvrages majeurs sur ce qu’il appelle la « guerre révolutionnaire », respectivement intitulés Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine (1936), Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon (1938), et De la guerre prolongée (1938). Dix ans plus tard, au cours de la période 1946-1949 qui voit de nouveau le parti communiste disputer le pouvoir au Guomindang, Mao Zedong publie La Situation actuelle et nos tâches (1947).
En quoi Mao est-il neuf ?
La guérilla, selon tous les théoriciens du XIXe siècle, est une technique utilisée par des irréguliers, fondée sur la mobilité, la surprise et le harcèlement et visant à affaiblir une armée régulière. Cette définition perdurera notamment sous la plume de T. E. Lawrence, qui écrit au début du XXe siècle quelques pages très remarquables sur la guérilla et son importance.
La stratégie initiale de Mao ne déroge pas à cette définition, la guerre révolutionnaire étant également pour lui fondée sur la guérilla, comme toute tactique adoptée par le faible face au fort, le combat n’étant envisagé qu’à la condition de bénéficier d’une large supériorité. Mais, avec le temps, dimension essentielle, l’objectif principal consiste à se transformer en force régulière et à s’emparer du pouvoir, grâce à un incessant travail politique de mobilisation et d’encadrement.

[...] La stratégie maoïste est fondée sur le temps. Seul celui-ci permet, à force d’organisation et de mobilisation, de transformer graduellement durant le combat sa faiblesse initiale en force, ou, si l’on préfère, de passer d’une stratégie défensive à une stratégie offensive. » (p. 96-98. Je souligne.)

On se souvient que Sollers, dans Les Voyageurs du Temps, développe longuement les rapports complexes entre « guerre irrégulière » et « guerre régulière » — l’une pouvant se transformer en l’autre et vice-versa —, en s’appuyant, cette fois, sur les écrits de T. E. Lawrence, et une longue méditation sur le Temps.

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1972

Andy Warhol, Mao, 1972. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Question de temps. Il n’est donc pas inutile de rappeler ce qu’on pouvait lire, l’été 1972, dans la toute dernière note (p. 143) du numéro 50 de la revue Tel Quel — sous-titré « CHINE 2 » (la République populaire de Chine est entrée à l’ONU le 25 octobre 1971) —, sous la plume de... Julia Kristeva.

Sun tse : « Les treize articles »

Dans son étude " De la contradiction " (1937), Mao Tsé-toung insiste sur le caractère spécifique des contradictions considérées dans leur ensemble et dans leur liaison mutuelle : faire apparaître le caractère spécifique des deux aspects de chacune des contradictions, c’est précisément les situer dans un processus, et, inversement, c’est démontrer tout phénomène comme un procès. Voilà ce qui semble être une condition indispensable pour tout travail révolutionnaire à ses divers niveaux, condition sans laquelle, écrit Mao Tsé-toung,

il impossible de trouver la méthode pour résoudre les contradictions, impossible de s’acquitter des tâches de la révolution, impossible de mener à bien le travail qu’on fait, impossible de développer correctement la lutte idéologique dans le Parti.

C’est à ce lieu précis du texte que vient la référence à un des plus grands stratèges de l’art militaire chinois, Sun Tse (VI-Ve S. av. J.-C.) :

Quand Souentse, exposant la science militaire, disait : " Connais ton adversaire et connais-toi toi-même, et tu pourras sans risque livrer cent batailles ", il parlait des deux parties belligérantes.

Nous pouvons lire aujourd’hui, présentés au public français, les éléments essentiels des traités stratégiques de Sun Tse [6], tels qu’on les trouve dans les manuscrits chinois publiés, mais aussi à travers les éditions japonaises et les versions antérieures françaises, allemandes, anglaises et russes. Les Treize Articles présentent les pratiques militaires basées sur une appréciation dialectique des contradictions spécifiques de la guerre : les lieux, les armements, les moyens d’attaque selon les dispositions matérielles et idéologiques des deux parties, etc. Chaque élément est vu comme un procès dans lequel se confrontent deux aspects sous des formes à chaque fois concrètes et spécifiques. La pratique juste est celle qui tient compte des deux aspects du procès, utilise l’un pour atteindre l’autre à l’intérieur d’un mouvement qu’aucun arbitraire ne peut arrêter. Pour avoir placé la dialectique comme loi du monde objective, pour l’avoir décelée dans les rapports des sujets et des groupes humains, et pour en avoir fait — en conséquence — la science de la pratique militaire, les écrits de Sun Tse nous apparaissent aujourd’hui comme des précurseurs de la logique de la guerre populaire en même temps que de la lutte idéologique. Ainsi :


L’Impensé radical.
Édition de juin 1971.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.
Enfin, par des lieux de mort, j’entends tous ceux où l’on se trouve tellement réduit que, quelque parti que l’on prenne, on est toujours en danger ; j’entends des lieux dans lesquels, si l’on combat, on court évidemment le risque d’être battu, dans lesquels, si l’on reste tranquille, on se voit sur le point de périr de faim, de misère ou de maladie ; des lieux, en un mot, où l’on ne saurait rester et où l’on ne peut survivre que très difficilement ; en combattant avec le courage du désespoir... Si vous êtes dans des lieux de mort, n’hésitez point à combattre, allez droit à l’ennemi, le plus tôt est le meilleur ».

Ou bien :

Procurez-vous pacifiquement tous les secours dont vous aurez besoin ; n’employez la force que lorsque les autres voies auront été inutiles ; faites en sorte que les habitants des villages et des campagnes puissent trouver leurs intérêts à venir d’eux-mêmes vous offrir leurs denrées ; mais, je le répète, que vos troupes ne soient jamais divisées.

Mais ce n’est que sur la base d’une analyse de la société, telle que le matérialisme historique et dialectique la permet, que la logique de la lutte selon Sun Tse trouve son application dans la lutte politique et idéologique aujourd’hui. C’est dire que, si la tradition nationale facilite la compréhension et l’assimilation d’une stratégie révolutionnaire scientifique, toutes les deux n’en restent pas moins deux aspects d’une contradiction idéologique qu’il faut connaître et utiliser dans la pratique pour la transformation sociale. J. K.

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A l’évidence, il fut un temps où les membres de Tel Quel à l’initiative des Positions du Mouvement de juin 1971, eurent recours à la lecture de Sunzi pour mener leur « lutte idéologique » et sortir « des lieux de mort » dans lesquels ils se sentaient alors enfermés (après mai 68 : reprise en main de l’université, alliance conflictuelle, puis rupture avec le PCF, voyage en Chine) [7].

*


1992

Le Secret et l’Art de la guerre

Vous ne l’aviez pas remarqué ? Relisez les dernières pages du Secret (1992), c’est pourtant clair :

Mais puisqu’il faut faire la guerre minute par minute, je propose sur un plan technique, d’étudier la stratégie mise en oeuvre en Chine, à l’époque des Royaumes combattants (entre le cinquième et le troisième siècle avant J.-C.). La première traduction occidentale des Treize articles, le classique chinois de la guerre, date de 1772 [8] (un an avant la parution du dix-septième volume des bibles envoyées par Mother [9]). On peut la refondre et la repenser grâce aux manuscrits chinois de 812 et 983 après J.-C., publiés, eux, en 1859, 1910, 1935 et 1957. On consultera donc la version Giles, de Londres (1910) ; celle de Sidorenko, ex-Berlin-Est (1957) ; celle de Kuo Hua-Jo, Pékin (1957) ; celle de Konrad, Moscou (1958), celle de Griffith, Londres (1963) ; une centaine d’éditions japonaises ; et enfin celle, très précieuse, publiée en juin 1971 (date intéressante), par la librairie L’impensé radical, qui se trouvait alors au 1, rue de Médicis, dans le sixième arrondissement, à Paris. (Je souligne. A.G. [10])

Juin 1971, « l’impensé radical » ? Pour certains jeunes lecteurs, ce sera déterminant pour la suite...

Le narrateur du Secret, Jean Clément, est un agent secret français (agent double, si ce n’est plus, c’est aussi un écrivain français) qui travaille pour Rome (il a écrit une « note » sur la tentative d’assassinat du pape Jean Paul II [11]). Il enchaîne sur Sun-tse en commençant, c’est logique, par l’article 13 qui traite « de l’espionnage » et des agents secrets (Le Vatican n’a-t-il pas « le meilleur service de renseignement du monde » ?), puis se livre à une lecture-réécriture logique de L’Art de la guerre et de ses treize articles (insistance sur le rôle fondamental du général « pleinement accompli », sa science et son art) :

De l’hébreu, du chinois : c’est ce qu’il nous faut à l’entrée du troisième millénaire, pour renforcer le français classique et moderne, celui de toujours et de demain, en fonction du secret de Rome. Voici donc un nouveau Secretum à l’usage des temps où nous vivons et mourrons (ma note ! ma note !). [...]

La conclusion de Sun-tse, c’est-à-dire la fin de l’article 13, De la concorde et de la discorde, est la suivante : « Une armée sans agents secrets est un homme sans yeux ni oreilles. » S’il y avait une maxime à imprimer sous le titre de l’ISIS [12], ce serait celle-là. « Soyez vigilant et éclairé, mais montrez à l’extérieur beaucoup de sérénité, de simplicité et même d’indifférence ; soyez toujours sur vos gardes, quoique vous paraissiez ne penser à rien ; défiez-vous de tout, quoique vous paraissiez sans défiance ; soyez extrêmement secret, quoiqu’il paraisse que vous ne faites rien qu’à découvert ; ayez des espions partout ; au lieu de paroles, servez-vous de signaux ; voyez par la bouche, parlez par les yeux ; cela n’est pas aisé, cela est très difficile. On est quelquefois trompé quand on veut tromper les autres. »


Calligraphie récente d’un passage du Sunzi. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.
« Un général qui a compris l’essence de la guerre
est l’arbitre de la destinée de son peuple ;
il détient entre ses mains
la stabilité de la nation. » [13].

Tout est frais, vert, complexe et clair, tonique et profond, calligraphiquement net et enthousiasmant chez ce Chinois du fond des siècles. Le peu qu’on sait de sa vie tient en ceci : un roi veut se moquer de lui parce qu’il prétend que n’importe qui peut devenir expert dans l’art de la guerre. Le roi lui donne donc à entraîner sur-le-champ ses cent quatre-vingts femmes. Elles lui rient au nez. Il garde son sang-froid, prend son épée et décapite les deux favorites. Après quoi, comme par enchantement, les autres femmes exécutent toutes les figures de l’entraînement. Le roi est très fâché, il pleure ses préférées chéries, chasse Sun-tse, commence à se faire battre à la guerre, et, donc, le rappelle. Ce qu’il fallait démontrer [14].

Dans l’article 11, Des neuf sortes de terrains, on retiendra surtout ce grand principe : « Le secret des opérations militaires dépend de votre faculté de faire semblant de vous conformer aux désirs de votre ennemi. » Mêmes conseils à l’article 6, Du plein et du vide : « La grande science est de faire vouloir à l’ennemi tout ce que vous souhaitez qu’il fasse, et de lui fournir, sans qu’il s’en aperçoive, tous les moyens de vous seconder. » (Kafka : « Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde »). Ce qui entraîne logiquement, dans l’article 10 (De la topologie), cette remarque désagréable contre tout général vaincu : « Un général malheureux est toujours un général coupable. » (Ou encore, à l’article 4, De la mesure dans la disposition des moyens : « On n’est jamais vaincu que par sa propre faute ; on n’est jamais victorieux que par la faute de l’ennemi. »)

On peut, de même, rapprocher utilement, en se souvenant que « la victoire est le fruit des comparaisons », deux remarques capitales. Une de l’article 9, De la distribution des moyens : « Si vos espions disent qu’on parle bas dans le camp ennemi et d’une manière mystérieuse, allez à eux sans perdre de temps, ils veulent vous surprendre, surprenez-les vous-même. Si vous apprenez au contraire qu’ils sont bruyants, fiers et hautains dans leurs discours, soyez certains qu’ils pensent à la retraite et qu’ils n’ont nullement envie d’en venir aux mains. » Et la deuxième à l’article 4 : « Une armée victorieuse remporte l’avantage avant d’avoir cherché la bataille ; une armée vouée à la défaite combat dans l’espoir de gagner. »

Sun-tse, lui aussi, est formel : « L’art de se tenir à propos sur la défensive ne le cède en rien à celui de combattre avec succès. » Cependant, il ne va pas, comme Clausewitz, jusqu’à énoncer la supériorité absolue de la défensive. On peut cependant entendre ainsi ce principe : « Les troupes qui demandent la victoire sont des troupes ou amollies par la paresse, ou timides, ou présomptueuses. » (Les troupes doivent demander, en effet, non la victoire, mais le combat.)

De toute façon, la victoire, si elle a lieu, c’est qu’elle a déjà eu lieu : « Qu’une victoire soit obtenue avant qu’une situation ne se soit cristallisée, voilà ce que le commun ne comprend pas. » Rappel de l’article 13 : « Quand un habile général se met en mouvement, l’ennemi est déjà vaincu. »

La guerre, à la chinoise, convoque les extrémités naturelles : « Les experts dans la défensive doivent s’enfoncer jusqu’au centre de la terre. Ceux, au contraire, qui veulent briller dans l’attaque doivent s’élever jusqu’au neuvième ciel. » Cette disproportion est essentielle, sans quoi on ne comprendrait guère l’image suivante (article 4) : « La disposition des forces est comparable aux eaux contenues qui, soudain relâchées, plongent dans un abîme sans fond. » « Les grands généraux, dit encore Sun-tse (j’ai failli écrire : les grands écrivains), sont prêts à tout ; ils profitent de toutes les circonstances. » Ils savent « faire naître la force du sein même de la faiblesse » (ma note ! ma note !). Les mots clés : division, disposition, régulation. Exemple : « La suprême tactique consiste à disposer ses forces sans forme apparente. » Et aussi : « Quand j’ai gagné une bataille, je ne répète pas ma tactique, mais je réponds aux circonstances selon une variété infinie de voies. » Et de même : « Si un bon général tire parti de tout, c’est qu’il fait toutes ses opérations dans le plus grand secret. Ses propres gens ignorent ses desseins, comment l’ennemi pourrait-il les pénétrer ? »


Général (officier supérieur de l’armée
enterrée du Premier Empereur) [15]. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Le bon général, donc, se bat d’avance avec tout : les éléments, le terrain, la configuration des forces, l’évaluation incessante, la surprise, ses proches, lui-même. Il gagne non pas s’il s’élève au-dessus du bon (« car il est des cas où s’élever au-dessus du bon revient à s’approcher du pernicieux ou du mauvais »), mais s’il parvient, négativement, à éviter la moindre faute : « Éviter jusqu’à la plus petite faute veut dire que, quoi qu’il arrive, il s’assure la victoire, il conquiert un ennemi qui a déjà subi la défaite : dans les plans, jamais un déplacement inutile ; dans la stratégie, jamais un pas en vain. » Son armée ressemble au serpent Choua Jen : « Si on frappe sur sa tête, à l’instant sa queue est à son secours, elle se recourbe sur la tête ; si on frappe sur sa queue, la tête s’y rend instantanément pour la défendre ; si on frappe au milieu ou sur quelque autre partie de son corps, sa tête et sa queue s’y trouvent instantanément réunies. »

Telle est la science. Elle consiste aussi dans une connaissance toujours plus approfondie des lieux : lieux de division et de dispersion (frontières), lieux légers (frontières avec brèche sur l’ennemi), lieux disputés, lieux de réunion, lieux pleins et unis, lieux à plusieurs issues, lieux graves et importants, lieux gâtés ou détruits, lieux de mort.

Telle est la science, tel est l’art : on n’écoutera qu’eux, passant outre à toute considération humaine, parahumaine, subhumaine, suprahumaine, psychologique, métapsychologique, sociologique, sexologique, métaphysique, nihiliste, plaintive, ahurie, fascinée, agitée, poétique, effondrée, allumée, accrochée. La science et l’art sont inépuisables comme l’harmonie, les couleurs, les saveurs, les nuances,les fugues, les variations ou encore le néant lui-même. Ils savent que la vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible et même, désormais, de plus en plus médicalement imposée. Ils sont fondés, comme le dit l’article l, De l’évaluation, sur cinq études : la Doctrine, le Temps, l’Espace, le Commandement, la Discipline.
« La Doctrine fait naitre l’unité de la pensée, elle nous inspire une même manière de vivre et de mourir, elle nous rend intrépides dans les malheurs et dans la mort. »

On a vu, plus d’une fois, des généraux qui, parce qu’il leur était indifférent de mourir, gagnaient soudain la bataille, par une attaque désespérée, dans les « lieux de mort ». Ce n’est pas fréquent, mais cela arrive. On doit considérer ces généraux-là comme pleinement accomplis.

1971-1972, 1992. C’était hier. La guerre, sous d’autres formes, se poursuit aujourd’hui. Vous pouvez relire La Chine en guerre. « Telle est la science, tel est l’art ».

*


La Chine est un cheval et l’univers une idée

Parallèlement à L’art de la guerre, Jean Levi publie un recueil d’essais important.

« La Chine est un cheval et l’univers une idée » est une citation de Zhuangzi (350-275 av. J.-C.) dans laquelle il tourne en ridicule les paradoxes sophistes, et en particulier le plus célèbre d’entre eux, le fameux "un cheval blanc n’est pas un cheval" de Gongsun Long. À travers le pastiche de l’argumentation sophiste, c’est le langage humain en tant que tel que le philosophe entend disqualifier. Tout jugement, dans la mesure où il est jugement, est l’expression d’une subjectivité qui opère un découpage arbitraire dans le réel. Le langage, produit et support de l’intelligence, ne peut rendre compte d’une réalité continue et fluide qu’en termes de discontinuité. Au lieu de tenter de retrouver la totalité dans l’unité, les hommes ne s’occupent que d’établir des distinctions. Or sitôt que se trouvent isolées dans le réel des entités discrètes et distinctes, ayant des contours et des qualités, celles-ci deviennent justiciables de la loi de l’avoir et appellent l’appropriation.

Aussi ces essais entendent-ils se placer sous la bannière du cheval blanc de Zhuangzi et d’en faire un cheval de bataille contre cette activité discriminatrice de la pensée et du langage dont les méfaits se font plus que jamais sentir aujourd’hui.

Le lieu de cette adéquation est tout d’abord la Chine. Alors que l’empire du Milieu a toujours été posé dans le discours occidental dominant comme l’Autre absolu de l’Occident, il n’est ici considéré que comme un moment singulier et significatif d’une histoire universelle.

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Autres extraits de l’entretien avec Jean Lévi.

Frédéric Ferney présente le livre de Jean Levi lors de l’émission Jeux d’épreuves du 13 novembre 2010 (14’15).

Crédit France Culture.

Lire : « Penser pour réveiller les morts », un article de Maurice Mourier.

Voir aussi : Le petit monde de Tchouang-Tseu.

Et enfin : Jean Lévi, Réflexions chinoises : Lettrés, stratèges et excentriques de Chine.

***


Notes sur Tchouang-tseu et la philosophie

Jean François Billeter, comme Jean Levi, est l’auteur de plusieurs livres sur Tchouang-tseu : Leçons sur Tchouang-tseu et Etudes sur Tchouang-tseu (Allia, 2002 et 2004) dont Philippe Sollers a rendu compte en son temps (voir notre dossier). Il vient de publier un nouveau petit essai sur le penseur chinois — Notes sur Tchouang-tseu et la philosophie — ainsi qu’une version remaniée et augmentée de son Essai sur l’art chinois de l’écriture et ses fondements [16].

Présentation

« Les lecteurs qui n’ont pas la passion des textes anciens trouveront peut-être absurde l’idée de demander un appui, dans une aussi grande affaire, à un auteur de l’Antiquité dont on sait si peu de choses et dont on a si peu de textes. Mais c’est que ces textes ont une teneur très particulière. Ils contiennent une matière dont nous n’avons pas d’autres échantillons et qui pourrait constituer un antidote puissant, même en petite quantité, contre la tradition dont il s’agit de se libérer. Puissant par ses vertus propres, mais aussi à cause du rôle que ces mêmes textes ont continûment joué à travers les siècles. On les a constamment admirés, mais dans un esprit qui n’était pas le leur. Ils constituent donc, contre la tradition, un argument interne. »

Cet ouvrage reprend certains problèmes abordés dans les Leçons sur Tchouang-tseu et les éclairent d’un jour nouveau. Il aborde en particulier la nature des difficultés sur lesquelles butent les échanges entre l’Europe et la Chine sur le plan de la pensée. Le Tchouang-tseu permet d’appréhender des aspects inaperçus mais essentiels de l’expérience humaine la plus commune. Nul problème n’est compliqué dès lors qu’il est ramené à l’essentiel.

Rencontre avec Jean François Billeter.

J.F. Billeter, La conception chinoise du signe (in L’art chinois de l’écriture, essai sur la calligraphie).

Jean François Billeter s’entretient avec Jacques Munier le 17 novembre 2010 (à plus d’un titre, 30’). La fin de l’entretien est consacrée à l’édition de Essai sur l’art chinois de l’écriture et ses fondements.

crédit : France Culture

***


Les passeurs de Chine

France Culture, Tout un monde, 28 novembre 2010.

Avec : Jacques Pimpaneau, auteur de l’essai « A deux jeunes filles qui voudraient comprendre la religion des chinois » et du roman « Les quatre saisons de Monsieur Wu » (Picquier 2010)
Jean Lévi, directeur de recherche au CNRS, auteur de l’essai « Le petit monde du Tchouang-Tseu » (Picquier) et de Sun Tzu « L’art de la guerre » (Nouveau Monde éd.)

Tout un monde

*


A nouveau sur « L’art de la guerre »

Du 21 au 25 février 2011, Raphaël Enthoven consacrait une série d’émissions à « L’art de la guerre ». La première émission portait sur Le Traité militaire de Sun Tzu

avec Valérie Niquet, maître de recherche, Responsable du Pôle Asie à la Fondation de la recherche stratégique, et spécialiste de stratégie chinoise, traductrice du Traité militaire de Sun Bin, Economica, 1988.

La fin de l’entretien portait sur les rapports entre Sun tzu et Machiavel.

*

[1Ou Sun tseu ou Sun Tzu ou Sun Zi ou encore Souen Tseu, selon les époques et les auteurs cités.

[2Voir Oeuvres de Giusepppe Castiglione et autres.
Giusepppe Castiglione, d’origine italienne et membre de la Compagnie de Jésus, fut peintre et architecte à la cour de Chine.

[3Traduction de Simon Leys in « Ombres chinoises » (Essais sur la Chine), Robert Laffont, Bouquins, p. 366. Cité par Michel Jan in L’art de la guerre de Sunzi – L’art de la guerre de Sun Bin, éditions Rivages poches, 2004.

[5C’est moi qui souligne. A.G.

[6Paris, librairie "l’Impensé radical", 1971.

[8Pour mémoire : L’art de la guerre traduit en 1772 par le père Amiot, un jésuite qui vécut en Chine de 1750 à 1793.

[9La mère du narrateur. Voir Mother.

[10A deux pas du boulevard Saint-Michel et de la rue Gay-Lussac où furent dressées les premières barricades en Mai 1968.

[11Voir Le Secret.

[12« ISIS ? Institut des Systèmes Intelligents Sélectifs. Travaux sur la mémoire. »

[13Cette calligraphie en style cursif (Xinshu), de la main d’un certain Han Qiong, figure dam le recueil des calligraphies des maximes les plus connues du Sunzi, compilé et édité par la Société des études sur Sunzi, de la ville de Suzhou. Cette association a pour but la promotion des oeuvres et de la pensée du stratège, et par là-même de la ville de Suzhou, qui serait, aux dires des membres de ladite société, la "seconde patrie" du grand homme. Aujourd’hui, plus qu’autrefois, le Sunzi est l’une source d’inspiration en Chine pour les calligraphes. Sans doute ce phénomène est-il à la mesure de la popularité dont jouit ce texte dans des milieux toujours plus larges. Source : L’Art de la guerre, nouveau monde Editions, 2010.

[15Terre cuite de 1,96m de haut (fin du IIe siècle av. J.-C.). Exhumé en 1979 de la fosse n° 1 de Lintong (Shaanxi). Source : L’Art de la guerre, nouveau monde Editions, 2010.

[16Première édition : L’art chinois de l’écriture (Skira, Genève 1989).

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2 Messages

  • Albert Gauvin | 10 août 2023 - 15:40 1

    L’Art de la guerre » : le livre que Vladimir Poutine et Xi Jinping auraient dû lire

    Avant de s’en prendre, l’un à l’Ukraine, l’autre à Taiwan, les deux dirigeants n’auraient pas dû négliger le texte écrit par le stratège Sun Zi il y a 2 000 ans, parfaitement adapté aux guerres asymétriques d’aujourd’hui. D’après la chercheuse Valérie Niquet, il affirme que la meilleure des victoires se remporte en avançant ses pions sans prendre le risque d’un conflit ouvert.


    Collage réalisé à partir d’une photo de Vladimir Putin (Sipa) de 2022
    et deux photos (AP et AFP) de frappes russes en Ukraine de juin et juillet 2023.

    (Julien Langendorff). ZOOM : cliquer sur l’image.
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    par Valérie Niquet, Politologue, chercheuse en géopolitique française spécialiste de la Chine et de l’Asie du Sud-Est.

    Ils prennent la poussière dans nos bibliothèques, et pourtant : pour penser l’époque, certains vieux bouquins sont aussi utiles que les textes contemporains. Libé les remet au goût du jour en les plongeant dans notre actualité.

    Le traité de Sun Zi est la première tentative chinoise connue de réponse rationnelle et systématique au problème le plus essentiel qui se posait aux princes autour du Ve siècle av. J.-C. : la guerre. Comme pour tous les textes de l’Antiquité, grecque ou chinoise, il est impossible de savoir quand le texte a été écrit, ni même quel est son auteur.

    Mais, il y a plus de 2 000 ans, il en existait déjà des exemplaires copiés sur lamelle de bambous, pratiquement identiques aux éditions plus récentes, résultats de copies multiples. Sous la dynastie des Han occidentaux (220 av. J.-C. –9 après J.-C.) un haut dignitaire se faisait enterrer avec les classiques de la stratégie militaire, de l’époque, dont le texte de Sun Zi.

    Le traité de Sun Zi a été très rapidement connu et commenté en Chine. Sous la dynastie des Song (960-1279), un édit de l’empereur Shen Zong (1068-1085) l’élève au rang de classique militaire officiel avec six autres ouvrages, au même titre que les canons confucéens qui président à l’administration de l’Etat. Pourtant, l’art militaire n’est pas le plus légitime dans la Chine impériale, la guerre et la répression des rébellions sont courantes mais apparaissent comme des échecs à séduire, à convaincre, à manipuler un adversaire pour l’emporter sans avoir à mettre en danger ses réserves.

    C’est en ce sens que Sun Zi est moderne, parfaitement adapté aux situations de guerre asymétrique, où la meilleure des victoires se remporte « sans combattre », à l’économie, sans épuiser ses forces et la richesse de l’Etat en affrontant sur le champ de bataille un ennemi plus puissant.

    Dans sa volonté de systématiser la réflexion sur la guerre, les avantages et les inconvénients du combat, la prise de décision et les facteurs qui doivent y présider, l’Art de la guerre de Sun Zi était novateur et ses courtes maximes réunies en treize chapitres demeurent très éclairantes. Ça n’est pas la pensée magique, les rites de divination aux temples ou aujourd’hui les idéologies irrationnelles qui font la victoire, mais le calcul froid des avantages et des limites de chacun.

    Les éléments essentiels à la victoire
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    Le Prince, ou le pouvoir politique, décide, mais ensuite le choix des généraux, le professionnalisme de l’armée, l’adhésion politique du peuple, les ressources humaines et économiques qu’il faut toujours maîtriser sont des éléments essentiels à la victoire. Et Vladimir Poutine, avant d’envahir l’Ukraine, aurait sans doute dû lire ou relire Sun Zi avant de prendre une décision mal informée ou, autre défaut majeur listé par Sun Zi, sous le coup de l’émotion ou de la colère.

    En Chine, le retour à Sun Zi amorcé à la fin des années 70, après la Révolution culturelle et sa volonté d’en finir avec toutes les « vieilleries », participe aussi de la renaissance d’un sentiment de fierté national qui s’appuie sur l’exaltation de la « grandeur de la Chine » dans tous les domaine.

    L’Art de la guerre a aussi permis aux dirigeants chinois contemporains jusqu’à Hu Jintao d’élaborer un discours et d’établir une dichotomie entre un art de la guerre occidental, qui serait exclusivement fondé sur la force, et un art chinois plus détourné, faisant usage de toutes les ressources de la guerre asymétrique, celle qui exploite les zones grises qui permettent d’avancer des pions sans prendre le risque d’un conflit ouvert.

    Xi Jinping pourtant, avec sa stratégie agressive, ses manœuvres impressionnantes, ses appels à une armée « prête au combat » et ses déclarations brutales semblait avoir oublié comme Vladimir Poutine, mal informé et victime de son hubris, ce principe de prudence dans sa volonté de conquérir Taiwan.

    Des ambitions accessibles par d’autres moyens
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    La guerre en Ukraine et les difficultés de Moscou sont venues lui rappeler les risques à se lancer dans des opérations militaires sans être certain de vaincre « par avance ». Et les dommages insupportables qu’il pourrait infliger à la montée en puissance économique de la Chine et à sa stabilité politique. Déjà, Sun Zi soulignait : « Lorsqu’on lève une armée… qu’on l’envoie en expédition… cela provoque des troubles à l’extérieur et à l’intérieur. »

    Mais renoncer à la guerre ouverte ne signifie pas renoncer aux ambitions accessibles par d’autres moyens. Sun Zi apparaît aujourd’hui comme particulièrement adapté aux conditions nouvelles de la guerre de l’information, notamment en ce qui concerne les possibilités offertes aux opérations de manipulation de l’ennemi, soit par la manipulation de l’information elle-même, soit par le brouillage des systèmes informatisés, notamment au moyen de virus ou de faux messages qui pourraient dans l’idéal aboutir à la division ou à l’effondrement des puissances démocratiques les plus dépendantes des moyens modernes de communication.

    Le chapitre le plus fascinant est sans doute celui qui clôt l’ouvrage, entièrement consacré aux espions, « écheveau des esprits » entre les mains du Prince. Ce sont eux qui permettent de dominer l’information, élément essentiel de la guerre à l’époque de Sun Zi comme aujourd’hui. En ce sens aussi Sun Zi reste actuel pour mieux décrypter, au-delà même du monde chinois, des choix stratégiques qui affectent le monde contemporain, et mieux comprendre en quoi – fondés sur des illusions et des mauvais calculs en dépit de la puissance apparente – ils ne peuvent mener qu’à des échecs.

    Libération, le 10 août.

    VOIR AUSSI : En Chine, le chef de la diplomatie a été relevé de ses fonctions et remplacé par son prédécesseur : interview de Valérie Niquet.


  • jean-michel lou | 7 décembre 2010 - 22:10 2

    oui Sunzi, l’art de la guerre comme art de vivre, ou encore : aikido, judo ; utiliser les forces de l’adversaire à son profit, vaincre sans combattre, "le fort, c’est le faible"... là où le non-agir taoiste aboutit à la plus grande efficacité ; l’autre versant de Zhuangzi, mais c’est la même chose, dedans et dehors, adret et ubac, yin et yang... on n’a pas fini de le méditer et de l’appliquer, dans tous les domaines.