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Sollers, après la répétition

La Deuxième Vie par Guillaume Basquin

D 8 avril 2024     A par Albert Gauvin - Guillaume Basquin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Je me concentre sur le mot "mot". Je le vois là-bas, dans la ligne de mire. Il respire un peu, il grandit, c’est lui que je vise, que je veux toucher et trouer. MOT. Avec une lettre de plus, c’est MORT. En anglais, ça ferait WORD et WORLD. Je tire sur la mort, je tire sur le monde. Petite plaisanterie, mais qui fait du bien. Ma voisine de stand, Viva, me félicite d’avoir mis dans le mille. Je ne sais rien de ses activités, ni elle des miennes. On se sourit, ça suffit. »

Philippe Sollers, Les Voyageurs du Temps.

Cette citation pour introduire un envoi sous word que j’ai reçu de Guillaume Basquin sur La Deuxième Vie de Philippe Sollers. A.G.

Sollers, après la répétition


Gustave Doré, "Le Paradis" de Dante.
ZOOM : cliquer sur l’image.
Les Éditions Gallimard publient les dernières pages écrites de Philippe Sollers, rassemblées en un titre éloquent : La Deuxième Vie. La couverture indique : « roman » ; mais en est-ce vraiment un ?

C’est un exercice rare en littérature : coucher ses dernières idées, sensations (tant l’art d’icelle fut importante chez l’écrivain), sur le papier (et puisque Sollers écrivait encore au stylo-plume, la première page du manuscrit en témoignant), en sachant/sentant pertinemment que les derniers jours sont proches — et ne parler que de « ça » : la grande faucheuse qui arrive. Je n’ai pas d’autre exemple en tête, en livre. Je me souviens de la projection du film voulu posthume par le grand cinéaste portugais Manoel de Oliveira, La Visite ou Mémoires et Confessions ; mais en littérature, rien de tel ne me vient à l’esprit… Les dernières pages de Proust ou de Céline sont la conclusion de l’œuvre romanesque, juste à temps ; mais elles n’affrontent pas directement la mort en face. Ici, si ; et ce n’est quasiment que cela, avec un violent Je exclusif et excluant (serait-ce parce que, depuis le Nouveau Roman, la fiction serait suspecte ? Suspecte de tricher ? Probable…), dès l’exergue (emprunté à la Juliette de Sade) : « Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir. » Et puis, ce bloc d’abîme : « La Deuxième Vie est très anti-spectaculaire. Son radar spécial décèle immédiatement ce qui a été pourri par le cinéma, c’est-à-dire aujourd’hui tout, et tout le monde. » On aura tout de suite remarqué les lettres capitales à « Deuxième » et « Vie » : c’est que le Maître se prend un peu, après s’être imaginé en tortue chinoise millénaire dans Médium, carrément ici pour le Seigneur ; d’ailleurs il écrit directement : « La jouissance du corps glorieux est continuelle. » Et aussi : « Le Deuxièmiste […] est un futur et gracieux squelette […] c’est bien lui qui allume une cigarette [quelle horreur !…] en plein soleil, au bord de la tombe dont il vient de sortir, pendant qu’un touriste lui demande s’il est le jardinier du cimetière. » Cette scène se passe certainement à Ars-en-Ré, près du carré des aviateurs anglais tombés pendant la seconde Guerre mondiale… et ce touriste pourrait être moi… qui ne l’aurait pas reconnu. Il est le même sans être le même. « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre » (Jean, 20:15). C’est que l’écrivain « ressuscité » s’est attribué des savoirs nouveaux : « Dans la première vie, seul mon cadavre m’encombre, d’autant plus que j’en ai une vision de plus en plus détaillée. Dans la Deuxième Vie, on est heureusement débarrassé de ce boulet » : « Vous comprenez tout ce à quoi vous avez échappé, accidents, maladies, propagande sociale. » Tout est accompli ; c’est le « Savoir Absolu », qui « en réalité opère un tri inlassable » ; « il ne juge pas, il choisit » : beaucoup d’appelés, peu d’élus… Cette nouvelle vie de M. Philippe Joyaux semble divine trop divine : Sollers mérite bien une messe : « Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône [dans les Lettres] sera stable pour toujours. »

On récapitule

Avant de s’en aller, Sollers récapitule toutes ses pensées qui ne sont même pas passées (plus personne ne lit vraiment…), il rumine (comme Nietzsche préconisait de le faire) ses obsessions : « Avec le temps, rien n’est plus romanesque que la philosophie des Lumières. Les acteurs et les actrices [on n’oublie personne ?] de ce grand mouvement, apportant la liberté au monde, sont tous très mystérieux. On a envie de les voir, au jour le jour, de les entendre, d’étudier leurs gestes. » Mais qui veut vraiment la Liberté aujourd’hui ? Et depuis que « la croyance comme quoi tout plaisir se paie » est désormais « inculquée dès l’enfance ».
La critique sociale n’est pas absente de ce dernier opus, en particulier la nouvelle guerre des sexes, sans oublier la guerre laïcarde en cours : un maire socialiste de province veut interdire la présence de la Vierge Marie dans la crèche de sa Mairie ; flèches de Sollers : « Lutte séculaire de l’Église Républicaine contre l’Église Catholique, laquelle a perdu la guerre sexuelle comme contrôle de la reproduction. La biologie a frappé, Dieu s’incline et la Vierge Marie sous son vieux nom d’Isis se retire profondément sur le Nil. » On ferme !…
Dans la préface de Julia Kristeva, son épouse, on apprend que l’écrivain a voulu relire le chant XXXIII du Paradis de Dante, dans la traduction de Jacqueline Risset (la meilleure) ; on comprend mieux pourquoi, en faisant ce petit montage-collision : « L’essentiel est qu’ici tout est fluide, que le jour et la nuit s’équivalent, que le soleil et la mer sont perçus comme de même nature […] Il s’ensuit un libre choix de mémoires, chacune reliée à un flash amoureux » (page 24 de La Deuxième Vie) / «  O lucce eterna che sola in te sidi, / sola t’intendi, e da te intelletta / e intendente te ami arridi !  » [« ô lumière éternelle qui seule en toi résides, / seule te penses, et par toi entendue / et t’entendant, ris à toi-même, et t’aimes ! »] (Paradis XXXIII 124-126).

VOIR SUR PILEFACE

On connaît la passion fixe de Sollers pour la Chine ; le voici revenu quasi en mystique taoïste : « La Deuxième Vie, elle a appris que la pensée et un acte. » Rien de moins religieux…

D’outre-tombe et après

La société se croit seule (Antonin Artaud), mais il y a quelqu’un : « Rien de plus facile que de choquer, rien de plus difficile que d’échapper à ses volontés d’emprise » (suivez mon regard) : un condamné à mort s’est échappé !
On dit que la mort, ni le soleil, ne se peuvent regarder en face ; voici pourtant les dernières lignes tracées par saint Sollers : « Si le néant est là, il est là, en train de voir le monde éclairé par un soleil noir » : soleil cou coupé.

Guillaume BASQUIN, Zone critique (réservé aux abonnés).

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