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Rire avec Sollers, un texte inédit de Jean-Paul Fargier

Françoise Dax-Boyer, Les Cahiers de la Montagne Noire n°7 (été 2023)

D 29 septembre 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



28 sept. 2023 11:09

Cher Albert Gauvin,

je vous envoie deux textes hommages à Philippe Sollers tirés de la revue Les Cahiers de la Montagne Noire n°7, revue conçue par ma mère, Françoise Dax-Boyer qui a réalisé avec Jean-Paul Fargier Sollers/Rodin : Rapports secrets et Cher Mallarmé.
Un beau texte inédit de Jean-Paul Fargier.
Je vous envoie également la couverture de la revue.

En vous souhaitant une belle journée,
Amitié
Lionel Dax


Les Cahiers de la Montagne Noire n°7.
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Les Cahiers de la Montagne Noire n°7.
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Philippe Sollers, Françoise Dax- Boyer et Jean-Paul Fargier.
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Questionnaire Mallarmé posé à Philippe Sollers à la Closerie des Lilas.
Les Cahiers de la Montagne Noire n°7. ZOOM : cliquer sur l’image.

Quant au questionnaire Marcel Proust (car, sauf erreur, c’est bien de lui dont il s’agit), vous pouvez vous reporter aux innombrables réponses de Sollers ICI et notamment à celui qu’il a retenu dans Un vrai roman. Mémoires (2007) (A.G.).

Pour les Cahiers de la Montagne Noire


Philippe Sollers et Jean-Paul Fargier en 2015.
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RIRE AVEC SOLLERS (un goût de Paradis)

Jean-Paul Fargier

Philippe riait, et soudain, entrainés par son rire, nous débarquions au paradis ! Son paradis. Un paradis à jouir subitement, immédiatement, sur terre, sans attendre l’improbable éden céleste. Le rire de Sollers était la promesse, immédiatement tenue, de décollage vertical horizontalement propulsé.
Avant d’en témoigner personnellement, voici deux « échos » paradisiaques du rire de Sollers. Attestés, l’un par Jean-Luc Godard, l’autre par Dominique Rolin.

Dans mon film L’Entretien Godard/Sollers (1984), Jean-Luc le protestant grognon confesse soudain à son interlocuteur : J’ai voulu te rencontrer parce que tu es quelqu’un qui rit… j’ai voulu être réconforté par ton rire…
Et Sollers éclate de rire, tandis que Godard pouffe. Puis s’arrête brusquement : Mais il t’arrive de pleurer ? Moi je pleure tout le temps… Sollers, calme : Oui, tu sais, il y a la nuit, il y a tout ce qu’il faut…

Dominique Rolin, dans ses entretiens avec Patricia Boyer de Latour, évoque celui qu’elle appelle Jim (qui est, comme on le sait, Sollers).
« Jim aime rire, il est d’une gaieté ! Au début de notre rencontre, il m’emmenait déjeuner du côté des Champs-Elysées et il me faisait rire. J’explosais alors en troublant l’anonymat de l’avenue, les gens se retournaient sur nous, et il me disait à mi-voix, « chut ! plus bas » en se penchant vers moi. Depuis que je le connais il me met en état de rire. »

Lettre de PS à DR du 13/7/74
Mon amour,
Nietzsche écrit quelque chose pour nous : « Toutes les bonnes choses s’approchent de leur but en marchant de travers. Comme les chats, elles font le gros dos, elles ronronnent intérieurement à la pensée de leur bonheur prochain – toutes les bonnes choses rient. »
Est-ce que ce n’est pas le souffle de Venise ?
Et encore : « Celui qui dit vrai, celui qui rit vrai, ni impatient ni absolu, quelqu’un qui aime les bonds et les écarts : je me suis posé moi-même cette couronne sur la tête. » (p.247 des Lettres à Dominique Rolin 1958-1980, éd. Gallimard 2017)

« Tiens ferme ta couronne ! » s’exhortait Yannick Haenel, en vrai disciple de ce maître rieur, aux éclats (bonds et écarts) irrésistiblement communicatifs. On voit maintenant de quelle couronne il s’agit : le diadème du rire.

Je me souviens des repas qui suivaient les séances de Paradis Vidéo, à Paris. De l’autre côté de la piazza du Centre Pompidou, chez Jean-Pierre Coffe (qui exerçait là ses talents, à cette époque). Des repas traversés de rires, lancés par Sollers, amplifiés par tel ou telle invitée. Un soir, nos rires, malgré les « chut ! plus bas » enjoués de Philippe étaient si éclatants, débordants, que le maître des lieux nous menaça d’expulsion. Afin qu’il comprenne que rien ne nous arrêterait, on lui commanda sur le champ une nouvelle bouteille de Chasse Spleen. Ce que Coffe, en haussant les épaules, s’empressa d’aller chercher, tandis que Philippe, victorieux, lançait en sourdine son fameux staccato de trompette bouchée qui avait déclenché le rire franc du public quelques minutes plus tôt, tut tut tut, un des sommets de son spectacle.

Pendant la lecture de Paradis, les spectateurs souriaient souvent à voir cet écrivain propulser ses mots, ses jeux de mots, ses rimes, ses assonances, ses mélopées, ses rythmes entrelacés, toute cette musique de phrases exubérantes, chaotiques, profilées. Jusqu’au tut tut tut. Vif et tonitruant. Libérateur d’un rire éclatant. Ponctuation unique dans un texte fleuve imprimé sans ponctuation. Tut tut tut abyme inversée par où toutes les virgules et tous les points absentés des phrases non pas s’engouffraient mais au contraire jaillissaient, volcaniques, fusionnés en une lave ardente de stridence rieuse. Tut tut tut évidemment inimprimable : audible seulement et soudainement parce que Sollers, en homme orchestre, avait ordonné à tous ses instruments de se rassembler en un unisson comique, métaphore du rire infini de son Paradis.

J’ai cherché dans le livre Paradis II (publié en 1986) si ces coups de trompette étaient indiqués. Non, rien, nul signe. Ils surgissaient de la lecture que son auteur en produisait chaque soir. Toujours au même endroit du texte. Peut-être comme une réminiscence de l’état vibrant de sonorités dans lequel se trouvait l’auteur en écrivant cette scène de duel de mâles, combat homérique, médiéval, millénaire…
les dieux vont rentrer chez eux le combat va bientôt avoir lieu ferraille remuements d’entrailles forge soufflet étincellement des épées… tut tut tut vroum vroum… oui oui non non oh non mais si tu me l’avais prédit et promis oh vois comme l’esprit des fleuves des blés court dans mon sang mes bras ma chevelure platinée zling marteau du charron sur l’enclume et rezling et vlan dans les plumes chant des métaux hurlements lascifs des héros six heures d’affilée comme ça dans les cordes les cuivres les bois et le stéréo du cor qui aboie et la chasse à courre des trombones quel vertige quel déferlement cosima que de lizst que de catalogues quel d’agoult quelle mixture de roi…
Arrêtons, eurêka, on a compris. Le tut tut wroum vroum ajouté (au texte) pendant les performances annonçait, comme par un rire mutin, la parodie de Wagner qui allait suivre, exécutée par une suite de métaphores musicales (stéréo du cor qui aboie) et par toutes ces onomatopées (zling, rezling et vlan) avant d’être finalement avouée avec cette trinité nominale : Cosima, Lizst, Marie d’Agoult. Sollers se rit ainsi de Wagner et de ses lourdeurs symboliques, assimilées un peu plus loin au système jungien quand surgit ce donjung – où la princesse attend le vainqueur du combat.
Le contraste du visage clownesque de Sollers, lèvres gonflées imitant les trompes, cors, trombones et trompettes, est sidérant, en regard de sa prestance maintenue tout au long de sa lecture d’une heure à un rythme effréné, regard droit dans la caméra.

Soudain c’est un corps burlesque qui surgit effrontément. Le corps de Sollers au Paradis de ses mots se signale par son tut tut vroum vroum ajouté au texte comme un corps inséparablement musical et grotesque en sous texte. Deux façons de rire à fleurs de mots. En chatouillant leurs sens, en tricotant leurs sons. En brouillant leurs échos. A tout bout de champs.

Je me souviens du rire de Sollers lorsqu’au creux d’une conversation, dans un café, il reprit au vol une saillie d’un contradicteur qui avait opposé à l’antagonisme Trotsky/Staline cette singulière réduction : Trotsky/Staline c’est comme Racine et Corneille, un poncif ! Sollers aussitôt éclatant de rire et lançant : Ah oui très bon, Trotsky peint les hommes tels qu’ils sont, Staline tels qu’ils devraient être ! Ou le contraire… Et la petite assemblée d’intellectuels maoïstes (représentant les revues Tel Quel, Cinéthique, Cahiers du Cinéma, Peinture Cahiers Théoriques) en train d’élaborer un brûlot anti-révisos (contre le PCF relai des thèses de Moscou), tout à coup prise de fous rires, hoquetant des tels qu’ils sont, tels qu’ils devraient être, Staline Racine, Corneille Trotsky. Quelques mois plus tard, en ouvrant Lois qui venait de paraître, je tombais sur plusieurs passages reprenant (disséminant) ces facéties. Page 55 : « le mimi racine à cinquante francs et la mère corneille dans chaque inconscient ». Et un peu plus loin (p. 63) : « Vous étiez inscrit au parti ? Oui, et vous ? Non. C’est vrai, deux erreurs à pas faire : 1) s’inscrire au parti 2) en sortir. Et le coup des réconciliations posthumes ? Extra ! Surréel ! Couple new-look joseph moustache et léon barbiche ! La joie de ces dames ! Le refoulé des cercueils ! Deux fusionnent en un ! Un coup de piolet si vite effacé ! ». Tout ça (écrit sans doute en se gondolant) préparant le coup de trompette ricaneur de la page 73 : « en vérité en vérité je vous le dis racine a peint le parti tel qu’il est, corneille tel qu’il devrait être ».

Lois est une livre hilarant. Tout comme H qui le suit et se présente déjà sans ponctuation, annonçant Paradis et son discours fleuve emporté par le rire rusé permanent, sans cesse affleurant, secret jusqu’à l’épiphanie trompetée de cet unique tut tut vroum vroum filmé. Claironnée ? Oui plutôt, car là tout devient clair. Chaque mot, jeu de mot, enfilade de mots, est un éclat (bond/écart nietzschéen) de rire transmué.

Rire qui vient de loin. Du nom reçu du père, à la naissance : Joyaux. Que l’écrivain apprécie, comme il l’explique au début de H : « parce qu’on y entend à la fois jeu joie juif jouissance ». A contrario des sarcasmes que ce nom provoque chez ses condisciples à l’école primaire et même chez leurs maîtres : « par exemple ce joyaux messieurs ce joyaux que voulez-vous n’est pas une perle ou alors joyal noyau boyau aloyau », bref « sans x ». Mais non : « joyaux avec un x comme xylophone » (…) « je m’appelle au pluriel philippe joyaux bande de cons » (…) « et Sollers écho du surnom d’ulysse tout entier intact ars ingénieux terrain travailleur fertile lyrae sollers science de la lyre… ».

Et voilà le secret (revanche contre les cons) du rire de Sollers : son rire rime avec lyre. Est tout entier lyre. Est à la fois un ars de lire et un art de chanter. De lire et d’écrire. Tout ce que Sollers écrit rit. Tout rire est déjà un écrit.

Et dans la vie ? Aussi. Encore deux ou trois souvenirs de rires vécus, toujours vivants.

Françoise, tu te souviens de nos rires quand nous tournions ce film étrange Sollers/Rodin : rapport secret ? Nous avions planté notre caméra au pied de la Porte de l’Enfer, devant laquelle Philippe avait demandé à lire quelques pages de son Paradis. Par ses mots enchanteurs, il voulait, nous semblait-il, délivrer Eve de sa honte. Rien que ça ! Rodin l’avait représentée nue, baissant la tête, qu’elle tentait d’enfouir (de masquer) derrière un de ses bras levé. Posture de pécheresse contrite. Sollers s’était posté juste à côté d’elle. Plus précisément : entre elle et la Porte, sur la première marche du socle de l’œuvre monumentale dont Eve par sa présence pointait la cause existentielle. Eve ou l’origine du monde infernal. Bon, vous allez voir : c’est pas du tout ça, l’histoire ! Ça tourne ?
Avant d’entamer sa lecture, Philippe avait ri en regardant Eve. Puis lui avait adressé un signe amical, en étendant sa main dans sa direction, en la touchant même à l’épaule. Et il avait lu au moins une page de Paradis, sinon deux. Je ne me souviens pas lesquelles. Je n’ai pas la copie pour vérifier. Alors j’ouvre mon Paradis II au hasard, pile poil : Eve à poil (en quelque sorte). Page 47. Régalons nous. Rions.
« On vous l’a pourtant dit démontré qu’il était originel le péché mais voilà ça n’a jamais rien empêché moment où les parents perdent la parole devant les enfants moment où papa prend son air absent où maman s’en va soupirant moment de la litanie à progrès de la fée électricité des plus pauvres devenant plus riches avant que d’autres pauvres les trouvent trop riches moment scientifique éthique idyllique moment de la raison pratique didactiquement dialectique moment du positivisme têtu genre bourrique mais enfin par où passent-ils les enfants plus tard plus tard plus tard quand tu seras grand ou alors petits dessins très malsains dans leur stupidité leur entrain périodiques gynécologiques conseils glacés statistiques nouveaux produits nouvelles stimulations des conduits devenez une matrice responsable pleinement autogérée lamentable et vous monsieur soyez une infirmière ponctuelle stylisée directe convenable le couple idéal enfin madame et sa mère à travers son conjoint résigné à être sa mère son vieux père puîné féminin j’ai failli en crever cent fois de ces demandes programmées barométrisées de baise bricolage hâtif à la baise de ces brusques séductions évanouies émois inexplicables sauf par le calendrier dans le mois j’en ai connu au moins cinquante qui me guettaient comme ça biologiques soudain charmeuses harmoniques un œil enflammé l’autre sur l’horloge des jours angoissés les pauvres quel travail aujourd’hui que le grand secret est trahi il faut qu’elles fassent tout la miss par-devant et la solemnis par-derrière l’affriolante et la compétente la strip-teaseuse et l’entremetteuse la désirable insondable et la comptable inlassable quelle vie quel ennui quelle disparition de la nuit enfin quoi voilà une fois que c’est compris c’est compris et comme l’a dit freud une fois lisez bien tout se passe en définitive comme si le vagin n’était jamais découvert admirable accord du concert on dirait du duns scot tiens encore un docteur subtil pour temps difficiles »…
Cascade de rires tout ça, il fallait bien ici (pour moi) en passer par là, lire relire, avec dans l’oreille la voix joyeuse de Sollers cavalant de mots en mots sans perdre souffle, comme le montre ma vidéo Sollers au Paradis. Et comme le performe à nouveau le petit film que nous avons signés ensemble, Françoise Dax et moi.

Je terminerai par la dernière fois où j’ai partagé le rire de Sollers. C’était en 2015, à l’occasion d’un film sur Fragonard (Les gammes de l’amour) où j’avais proposé à Philippe d’intervenir. Il m’avait donné rendez-vous dans le grand salon des éditions Gallimard, s’était accoudé à la cheminée, devant le miroir, et pendant une demie heure avait exposé ses vues sur ce grand peintre qu’il aimait tant (et auquel il avait consacré un livre [Les surprises de Fragonard]). Considérations très originales, indispensables, qui passèrent toutes dans le film. Puis il m’avait entrainé dans le jardin et je lui avais montré des dessins de Fragonard découverts récemment, qu’il ne connaissait pas. Le Musée Fragonard de Grasse venait de les éditer dans un petit album. Le peintre contait une mésaventure qui s’était retournée en bonne fortune. Tombant d’une échelle, il s’était luxé une cheville. Immobilisé sur un lit pendant plusieurs semaines, il avait commencé par maugréer contre ce mauvais sort, puis bien vite il avait compris les avantages de cette situation : être entouré de jolies femmes qui s’empressaient à son service pour soulager sa peine ! Épouse, belle sœur et maintes servantes. Qu’il croquait joliment dans une suite de dessins, légendés de sa plume, formant une sorte de récit illustré, qu’aujourd’hui nous traiterions de BD ! Philippe goûtait chaque dessin, riait de chaque scène, émerveillé, ravi, débordant de joie de voir ça – tant de vitalité, de brio, d’ironie, de philosophie hédonique.
Ma compagne Geneviève a fixé avec son appareil photo ce moment enchanté, qui n’en devient que plus mémorable. Maintenant et à jamais. On se comprend.

Autrement dit (laissons encore une fois parler Sollers en son Paradis) :
« gloria patri et filio et spiritui sancto sicut erat in principio et nunc et semper tant qu’il restera une voix pour chanter des oreilles pour écouter ça mes lignes auront un sens au cœur du sabbat ». (Paradis II, page 104)


Philippe Sollers et Jean-Paul Fargier en 2015.
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Les Cahiers de la Montagne Noire n°7.
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https://www.lescahiersdelamontagnenoire.fr/

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